Yseult « Never let me go. »

Lorsqu'elle était enfant, Yseult éprouvait un sentiment de plénitude proche de l'exaltation. Bercée d'une insouciance propre à son âge, ses parents lui avaient inculqué des valeurs qui lui tiennent toujours à cœur aujourd'hui. Leur famille était assez aisée, suffisamment en tout cas pour subvenir à leurs besoins convenablement. Ils vivaient la plupart du temps dans la jolie ville d'Inverness, où ses parents avaient trouvé refuge bien des années auparavant, lorsqu'ils avaient décidé de se mettre en ménage. Cadette d'une fratrie de trois filles (Yseult, Laoghaire et Sybil) leur mère, Deirdre, était une danseuse et professeur émérite pleine d'ambition pour ses filles, tandis que leur père, Murtagh, occupait une place au sein du gouvernement, au niveau de la protection internationale. Du fait de son statut, il était un père peu présent, dont la fonction précise leur était cachée pour leur propre sécurité. Même sa mère ignorait en partie les tournants et aboutissants de ses déplacements réguliers, de ses absences répétitives et des missions qu'il se devait d'accomplir. Elle l'aimait, avait accepté en devenant sa femme de jouer un rôle en société lorsqu'elle se trouvait à son bras, et se complaisait dans cette liberté qui lui avait été accordée. Lorsqu'il était absent, elle pouvait en effet vaquer à ses occupations, et élever ses filles comme elle l'entendait. Garante d'une stabilité émotionnelle, elle avait toujours été un pilier chez les Mackenzie. Yseult avait toujours eut une relation assez conflictuelle avec sa mère, plus que ses deux sœurs en tout cas. Elle avait toujours refusé les carcans dans lesquels celle-ci tentait à les enfermer toutes trois. Pourtant, elle tenait d'elle une grâce, et une élégance, qui l'avait aidée dans ses premiers pas de danseuse. Repérée dès son plus jeune âge pour devenir petit rat d'opéra, puis danseuse étoile, un incident mit fin à sa carrière lorsqu'elle avait dix-sept ans : un accident de voiture, sur une route glaciale. Un chauffard ne l'avait pas vue traverser, et l'avait violemment renversée. Fracture ouverte du genoux, colonne vertébrale endommagée, plus jamais Yseult ne pourrait danser, ou du moins pas à un niveau professionnel. Désorientée et grièvement blessée, la rééducation fut longue, et laborieuse. Ayant toujours cru que sa vie ne se ferait que dans l'art de la danse, il lui fallut un certain temps pour accepter que son rêve était à jamais perdu, et qu'il lui fallait prendre une autre voie. Elle commença alors à s'intéresser à l'histoire de l'art, et développa un goût affûté pour les objets anciens, pour lesquels, sans savoir, elle avait une certaine affection. Ils étaient comme elles, délaissés par leur propriétaire, brisés. Mais, grâce à elle, ils pourraient être reconstruits, avoir une nouvelle vie, et être aimés de nouveau.

Son paternel avait toujours eu tendance à bénéficier de traitements spéciaux, dû à sa profession. Et un jour, il revint à la maison avec un présent que la famille eut du mal à accepter au début. Il s'appelait Lachlan Fraser, il était encore relativement jeune, mais avait apparemment des aptitudes singulières, qui avaient amené le gouvernement à le placer chez les Mackenzie. Encore en début de carrière, il était chargé de veiller à la sécurité de Murtagh Mackenzie pendant une durée indéterminée, et travaillait également pour le gouvernement britannique. Sybil, l'aînée des Mackenzie, avait quitté le domicile familial depuis peu pour partir faire ses études. Quant à Laoghaire, âgée d'une vingtaine d'année à l'époque, elle tomba tout de suite sous le charme de Lachlan même s'il était plus âgé, plus parce que la situation était singulière que par réel engouement pour lui. Trop romantique et prompte à s'inventer des histoires, pour elle la perspective d'une liaison avec un bel inconnu garde du corps était le summum du décadent. Yseult quant à elle, vit son arrivée comme un élément perturbateur, et le signe que son père n'était pas en sécurité. Encore en pleine convalescence et rééducation suite à son accident, elle ne pouvait à l'époque pas encore marcher, et suivait des cours à la maison. Son père voyait Lachlan d'un très mauvais œil, et tolérait sa présence seulement parce qu'elle lui avait été imposé. Pour lui, qu'il fasse de l'oeil à l'une de ses filles relevait du comble de l'indiscipline et de l'absence de professionnalisme. Aussi était-il parfois d'une sévérité injustifiée à son égard. Les mois passants, Yseult tissa des liens très particuliers avec Lachlan même s'il était plus âgé, et plus mur qu'elle ne l'était. Et si au début il lui apparaissait comme un ovni dangereux, il se révéla au fil du temps comme une évidence. Mais elle était à peine majeure, et lui avait déjà une vie professionnelle construite, et un avenir à tracer. Sans compter le fait que Laoghaire ne cessait de lui faire de l'oeil. Aussi, leur père qui s'était adoucit avec le temps, et voyait déjà Lachlan comme un futur époux pour Laoghaire, et un futur gendre de confiance, déchanta lorsque ce dernier éconduisit sa fille. Lachlan fut renvoyé et remplacé par un vieux bourru d'un professionnalisme aigris, et leur idylle naissante n'eut pas vraiment le temps de voir le jour. Pendant des années leur seule correspondance se fit par lettres. Et puis, au bout de quatre (ou était-ce cinq ans), Yseult n'eut brutalement plus de nouvelles de lui. Il était monté en grade, il assumait désormais des missions plus importantes, ou avait-il trouvé une femme peut être ? Elle avait songé à toutes les hypothèses, et, ne trouvant aucune réponse, avait finit par se faire une raison à son tour.

Yseult avait réussi à intégrer une prestigieuse université, où elle étudiait avec une assiduité aveugle l'histoire de l'art. Elève brillante et prometteuse, très appliquée et avec un œil sur, elle s'épanouissait dans ces études. En parallèle, pas encore complètement rétablie de son accident dont elle avait gardé des séquelles, elle avait repris la danse. Elle avait trouvé en elle un exutoire, et un moyen, bien sur en faisant très attention et en étant encadrée par un professionnel, de faire sa propre rééducation. Elle n'avait pas eu de nouvelles de Lachlan depuis un deux ans, et avait une amourette depuis peu avec un jeune homme de son âge, lorsque ce dernier refit son apparition. Il avait changé. Il était plus homme que lorsqu'ils s'étaient vus pour la dernière fois. Yseult oublia en le revoyant ses amours naissants, retrouvant cette évidence, et cette partie d'elle manquante lorsqu'il la serra dans ses bras pour la première fois. Liée à lui par quelque chose d'indicible, ils s'aimèrent avec une intensité peu courante. Lui n'était pas souvent là du fait de sa profession, mais cela lui était égal. La seule chose qui lui importait était qu'il revienne indemne à chaque fois. Et il le fit. Chaque fois il revint, alors même que les années passaient et que leur amour se renforçait peu à peu. Ils se marièrent, au grand désarroi de Laoghaire qui avait gardé une certaine amertume après s'être fait éconduire et de son père qui malgré tout, avait finit par s'y faire. Un an plus tard, Yseult donna naissance à un petit garçon, qu'ils prénommèrent James, comme le père de Lachlan mort quand il était enfant. Les années qui suivirent furent pour elle les plus belles de sa vie, même si elle s'inquiétait de plus en plus lorsque son mari franchissait le seuil de la porte. Elle avait toujours peur qu'il ne revienne pas.

C'était en décembre, le jour de Noël. Toute la famille était réunie pour offrir et ouvrir les cadeaux. James avait fêté cette année là ses trois ans, et crapahutait partout en étalant du chocolat sur tous les convives. Yseult, elle, essayait d'oublier que Lachlan devait normalement revenir pour les fêtes de fin d'années, et qu'il était absent. Elle n'avait plus de nouvelles de lui depuis plusieurs semaines, avait tenté vainement de quémander des informations au service où il travaillait, en vain. Même son père, en faisant fonctionner ses contacts, n'avait rien obtenu. Aussi, le soir du réveillon, trois hommes sonnèrent à sa porte, vêtus de costumes trois pièces noirs impeccables. L'un portait un signe distinctif sur son uniforme, signe qu'il devait être d'un grade supérieur. Ils n'eurent pas besoin de dire grand chose, Yseult comprit tout de suite. D'après eux, Lachlan avait été capturé lors de l'une de ses missions d'infiltration de la mafia russe. Il avait été repéré, et probablement exécuté. Ils n'avaient aucunes traces du corps, mais étaient surs, aux vues des modes opératoires de la mafia en question, qu'il n'avait pas survécu. Ainsi fut-elle déclarée veuve ce soir là, et son fils orphelin de père. Quelques jours plus tard, ils enterrèrent un cercueil vide, rendant le deuil encore plus difficile à s'accomplir. Plusieurs mois après l'annonce du décès de son mari, Yseult prit la décision de déménager pour fuir de trop nombreux souvenir. Elle reprit une boutique d'antiquités et monta sa propre entreprise (de deux employés à peine) en plein cœur de Londres. Aujourd'hui cela fait quatre ans qu'elle vit dans cette ville, et s'y épanouit malgré les circonstances, avec son fils de huit ans.
       

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