« Et si monsieur louche sur toi, il faudra se taire pendant et après que monsieur te touchera
Chut, chut
Il faudra se taire, c'est dur, ouais, c'est dur, ouais, mais il faudra s'y faire
Dodo, l'enfant do, bébé dormira bien vite, dodo, l'enfant do bébé dormira bientôt » .
- Stromae
Louis a cinq ans
ET DEMI, et c'est un petit garçon comme les autres, à deux-trois détails près. Il aime les travaux manuels et se débrouille un peu moins bien avec un ballon entre les mains. Il a un grand frère qu'il aime de tout son cœur, avec qui il n'a en réalité aucun lien de sang, mais ça il s'en fiche, il l'aime et c'est bien ça le plus important. Sa mère est sage-femme et travaille de nuit dans un hôpital non loin de leur petit appartement. Elle aime ses enfants, ses deux gamins et les protègent un peu trop parfois. Ils vivent tous les trois dans un petit appart de la banlieue de Londres. Enfermés. Confinés. A l'abri du monde extérieur dont leur mère a pris le temps de leur expliquer tous les dangers. Ici sont relatés des extraits de vie, quelques passages plus ou moins importants. Plus ou moins bien écrits de l'existence de ce petit garçon aux yeux à la couleur aussi pure que celle du ciel.
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« ça Louis, c'est Bob Dylan » La mélodie de Blowin in the wind retentissait sur les murs de la chambre des deux loupiots. Une musique calme que leur mère leur mettait pour les endormir. Une musique que le plus grand des deux appréciait particulièrement. Louis lui, essayait de se concentrer sur la musique, sur ce son de guitare, sur cette réponse soufflée dans le vent. Mais dehors, l'orage grondait, il faisait trembler les murs en papier carton de ce petit appartement du deuxième étage. Louis n'avait que quatre ans, et son regard se posa instinctivement sur son grand frère. Sur ce petit bonhomme de trois ans son aîné qu'il admirait bien plus que quiconque. Il n'était pas qu'un frère pour lui. Non il était bien plus que ça, il était un véritable héros. Un garçon de sept ans pouvant porter le monde sur ses épaules. Il le regardait toujours avec des yeux remplis d'étoiles, les yeux d'un gamin admiratif. Mais ce soir son regard n'était empli que d'une chose. Il le regardait avec insistance, de ce regard presque suppliant, de ses yeux débordant de larmes.
« Allez viens ! » finit-il par dire d'un ton compatissant. Il n'en fallut pas plus au cadet pour se précipiter dans le lit de son aîné, se blottissant contre son épaule, et ainsi, il s'endormit apaisé.
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« Allez souris ! » lui dit-il
« Ils vont pas te manger ! » le petit bonhomme continuait d'avancer, la main serrée autour du poignet de son grand frère. Il l'écoutait avec attention, mais il continuait d'appréhender, appréhender cette journée qui allait changer le cours de son existence. Il allait vivre son premier jour loin de la maison, son premier jour d'école !
Ils entrèrent dans la cour de ce petit bâtiment de plain-pied, des enfants couraient déjà dans tous les sens, Louis serra davantage la main de son frère, dont le regard balayait la cour goudronnée. Il n'avait qu'une envie, retrouver ses copains, mais il se contenta de chaperonner son cadet. Il l'emmena devant cette vieille institutrice au regard bienveillant et le suivi dans la classe, où il l'aida à poser son blouson et son cartable.
« Je vais pas pouvoir rester longtemps Louis, il faut que je rejoigne ma classe. » Le petit gamin acquiesça d'un geste de la tête, mais son cœur se serra.
« T'inquiète pas, maman devrait pas tarder ! » Oui maman devrait pas tarder. Maman devrait pas tarder. Sur ses mots il regarda son frère s'en aller, il lui fit un petit geste de la main avant de rejoindre ses camarades dans la cour des grands. Le petit gars s'assit sur le banc à l'entrée de sa classe et attendit sa mère, qui travaillait de nuit et qui devait arriver dans les minutes à venir.
Mais elle ne vint jamais. Louis était bien trop petit pour comprendre pourquoi, mais dans le quartier beaucoup avaient remarqué que cette femme était différente des autres mamans et se montrer ainsi devant tout le voisinage lui était impossible.
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« Maman, maman maman maman, mam- » il sautait presque sur place d'impatience
« MAMAN ! » râlât-il un peu plus fort.
« QUOI ? » hurla sa mère du fond de la cuisine.
« Mes copains ils vont au parc. » dit-il d'un ton renfrogné. Son frère assis en face de lui, le regarda d'un air incrédule, et sa mâchoire faillit se décrocher lorsqu'il entendit la réponse de sa mère. D'accord on y va, avait-elle dit. D'accord on y va. Et elle ne rigolait pas. Elle attrapa leurs affaires, les amena à la voiture et les conduisit au parc. Pas le plus proche. Non c'était bien trop risqué, elle les amena bien plus loin. Mais les gamins n'en avaient que faire, leur maman les amenait au parc. Au parc ! Et c'était bien la première fois. Les deux garçons se jetèrent hors de la voiture et coururent jusqu'aux jeux d'enfants. Les grands yeux bleus de Louis s'émerveillèrent devant les balançoires et ce grand toboggan qui trônait au milieu de l'aire de jeu.
« C'est tout ? » « Oui c'est tout, tu peux faire ça les doigts dans le nez, Loulou! » En général il riait quand il déformait ainsi son nom, mais cette fois-ci, il se contenta de le regarder avec une expression à la fois enfantine et solennelle. Il essayait de se concentrer sur le ballon en face de lui. C'était pas sorcier après tout, il n'avait qu'à l'attraper au vol. Tendre ses petites mains et serrer très très fort comme lui avait expliqué son frère. C'est tout. Il se mordit la lèvre inférieure, concentré comme jamais sur l'objet volant qui arrivait dans sa direction. Il tendit les bras, mais le ballon le frôla et continua sa course plus loin. Déçu le petit garçon alla s'asseoir sur l'une des balançoires, celles des grands, celles qui n'avaient plus les protections pour bébé.
Il se balançait si haut maintenant qu'il crut passer par-dessus les nuages. Il serrait les chaînes le plus possible, s'élançai en avant et en arrière, puis poussait de toutes ses forces sur ses jambes. Il se penchait le plus en arrière possible, en position quasi horizontale, les yeux plongés dans le ciel bleu. Le vent soufflait sur tout son corps et il éclatait de rire dans un merveilleux sentiment de liberté. Il était heureux. Heureux que sa mère les ait amené ici.
« Allez viens Louis ! » lui cria son frère dans un sourire de playboy des bacs à sable. Le brun s'élança une dernière fois et sauta de la balançoire, courant à toute allure vers la balle que venait de jeter son frère. Il la rata une fois de plus, mais au lieu de bouder, il alla la chercher. Il se précipita sur le banc à l'autre bout de l'aire de jeu, s'appuyant sans s'en rendre compte sur les genoux d'une jeune femme. C'est en relevant le regard qu'il l'aperçu. Il lui sourit d'un sourire sans dent. Un sourire plein d'admiration.
« T'es belle madame » qu'il lui dit avant de se faire interrompre par les cris de sa mère. Il se retourne et la rejoint d'un pas penaud.
« Qu'est-ce qu'on avait dit Louis ? Hein ? Tu recommences et on s'en va, c'est compris ? » Il acquiesça et repartit en direction du toboggan, regardant toujours cette dame du coin de l'oeil. Il la trouvait incroyablement belle. Extraordinairement extraordinaire. Et au lieu de détourner le regard face à ses larmes, au lieu de suivre son frère qui l'appelait au loin, il s'approcha de cette dame. Il arracha une fleur, la plus jolie de toute et la lui amena timidement, avant de repartir à la hâte sachant pertinemment qu'il allait maintenant se faire disputer.
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Les jours passèrent. Les mois défilèrent et Louis voyaient ses rêves de parc s'envoler à toute allure. Il comprit que sa mère ne rigolait pas avec ce genre de chose, et que pour elle le mot puni prenait un sens bien plus long qu'il ne l'avait imaginé. Ils restèrent ainsi deux mois enfermés, ces deux mois de vacances d'été ils les passèrent terrés dans ce petit appartement londonien à jouer à des jeux de société, à s'inventer des histoires merveilleuses du fond de leur lit. Ils ne doutèrent jamais de l'amour que pouvait leur porter leur mère. Elle les protégeait simplement. Les protégeait d'un monde que deux petits enfants ne pourraient affronter seuls. Ils l'aimaient. Elle aussi les aimait, certes, d'un amour étrange, d'un amour malsain, mais du plus profond de son être. Et en ce jour de rentrée des classes, elle vint les chercher à l'école, et comme si une seule surprise ne suffisait pas, elle les amena au parc. Ce même parc où ils avaient joué deux mois auparavant. Louis s'avança à toute allure vers l'aire de jeux. Son frère attrapa un ballon et plusieurs enfants se joignirent à eux. Comme toujours sa maladresse eut raison de lui, et le ballon continua sa route bien plus loin. Le petit brun couru à toute allure pour le rattraper, mais stoppa sa course net en apercevant un visage familier. Celui de
la dame à la cigarette et à la pâquerette. Cette dame qui lui avait valu tant d'ennuis et dont il avait rêvé à plusieurs reprises. Il la regarda un court instant avant de s'approcher timidement, sourire aux lèvres.
« Tu as gardé la fleur madame? » lui demanda-t-il doucement. Elle l'avait gardé, mais elle était aujourd'hui fanée. Cherchant une solution à ce problème de premier ordre le petit garçon regarda autour de lui. Mais il n'y en avait plus. Il haussa les épaules dans un geste désolé et s'excusa platement.
Son regard dévia sur l'homme à ses côtés. L'amoureux de la dame à la pâquerette. Il savait que c'était son amoureux, il n'avait que cinq et demi, mais on la lui faisait pas à lui, il le voyait dans son regard qu'il était amoureux ! Il lui sourit, de ce même sourire sincère, celui qu'il réservait habituellement à son grand frère, attrapa le ballon et repartit rejoindre ses nouveaux camarades.
Il garda le secret de ces petits échanges, repensant parfois au regard triste de cette dame, au touché de cet homme. Il y repensait et aussi bizarre que cela puisse paraître il se sentait apaisé.~~~
Les démons de sa mère la rattrapèrent. Elle commença à boire. Du scotch seulement, rien de plus. Elle avait besoin d'amour la dame. Besoin d'un amour qui la consume, d'un amour qui combat toutes les lois comme on voit dans les films. Mais personne ne voulait d'elle, à part ce type qui lui rendait visite quatre fois par an à tout péter pour tirer son coup. Elle l'aimait pas vraiment ce type, mais elle prenait son pied au pieu avec lui. Alors elle lui ouvrait la porte et boum boum chac, la magie opérait. puis, il se faisait passer pour le père des gamins, ce qui évitait trop de questions. Louis, il se souvient des yeux de sa mère, son regard vitreux, sans expression. Son cœur aussi froid que l'hiver. Son haleine puant le scotch, son poison favoris, celui qu'elle engloutissait jour et nuit. Et ses pleurs à lui, petit enfant de cinq ans terrorisé quand ces hommes l'attrapèrent et le jetèrent dans une petite fourgonnette. Il hurlait, parce qu'il avait peur. Ses joues aussi rouges qu'une pivoine, il regardait les adultes qui se contentaient de lui demander de se taire. Mais les larmes ne cessaient de couler sur ses petites joues rebondies. Il regardait son frère, la lèvre tremblante, il attendait un regard, ce regard qui lui dirait que tout irait bien, mais il n'en fut rien. Sa mère n'était plus là, et ils se retrouvaient seuls dans cette camionnette avec ces inconnus qui ne leur adressaient toujours pas mot. Seul ce
shhh incessant retentissait lorsque ses sanglots devenaient trop bruyants.
La camionnette ralentit et finit par s'arrêter. Un homme l'attrapa par le bras et l’entraîna dans l'enceinte d'un grand bâtiment, le plus grand qu'il n'ait jamais vu, bien plus grand que la cour de l'école. Il regardait autour de lui, la pelouse verte fraîchement taillée, ce grand bâtiment ancien en pierre brute sombre. Un homme souriant apparut, sa dentition était difforme, son sourire était faux, mais il semblait inspirer confiance aux personnes de la camionnette qui le laissèrent à sa charge.
« Suis-moi Louis, on va discuter un peu tous les deux. » Il le suivit les larmes coulant encore le long de ses joues. Il entra dans un bureau austère dépourvu de décoration.
« Assieds-toi » lui dit l'homme calmement en prenant place derrière un grand bureau de bois.
« Est-ce que tu sais pourquoi tu es ici Louis ? » lui demanda-t-il, question à laquelle le petit garçon répondit par un petit geste de la tête.
« Ton père vous a placé ici » et s'ensuivit tout un tas de mots qu'un petit gars de cinq ans ne pouvait comprendre.
Ses yeux s'embuèrent de plus belle. Il voulait son frère. Dans les moments critiques il s'en remettait toujours à lui. Il avait besoin qu'il lui dise quelque chose, qu'il le rassure et lui explique ce que cet homme venait de lui dire. Il avait besoin de revoir son fameux sourire, celui qui lui disait qu'ils étaient unis, tous les deux face au monde extérieur. Mais il était seul. Seul face à cet individu sans aucune compassion et il ne savait quoi faire, quoi répondre. Il se contenta d'un énième hochement de tête, affirmant ainsi qu'il avait compris.
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Il voit cet homme au nez crochu, il hante ses rêves, il put la transpiration, et son haleine de scotch lui rappelle étrangement sa mère. Cet homme, celui qui se colle dans son dos quand il prend sa douche, et qui lui frotte l'entrejambe, qu'il frictionne toujours plus intensément dans un plaisir non dissimulé. Celui qui amène ces autres hommes, qu'il aime appeler des visiteurs, dans leur dortoir, le soir. Ils choisissent alors des garçons, des gamins différents chaque nuit et les traînent jusqu'à une pièce adjacente, où ils s'amusent avec eux. Ils les déguisent. Les touchent, les frappent. Louis les entend ces enfants. Les murs ne sont pas bien épais et les cris des garçons passant à tour de rôle s’enchaînent, sans que les autres n'osent bouger d'un millimètre. Paralysés par la peur. Son grand frère, son doigt sur la bouche lui mime de ne pas bouger, de ne pas parler, mais le petit brun ne peut étouffer son sanglot. Il n'a pas six ans, et il est terrifié. Il voudrait rentrer à la maison. Il voudrait lui dire à son grand frère, mais il est déjà trop tard, on l'agrippe par les épaules, on le traîne entre les rangés de lits, ce soir c'est le grand soir....