(sam p. o-b) full of wonder.

« Vous n’êtes pas compatibles. » Le verdict tomba d’un coup. Derrière ses grandes lunettes rondes, le médecin scrutait les visages des deux filles assises en face de lui. L’une avait une peau de pêche, des yeux verts tels deux émeraudes, et des beaux cheveux blonds qui tombaient en cascade sur ses frêles épaules. L’autre avait les traits durs, des yeux bleus ternis par la fatigue et l’angoisse, et des cheveux bruns remontés en un chignon lâche. Sam ne détachait pas son regard de celui du médecin. Il ne pouvait pas avoir dit ça. Il était vrai qu’en apparence, personne n’aurait pu soupçonner qu’elle et Lexie étaient soeurs. Ou plutôt, demi-soeurs. Mais au moins la brune avait-elle pensé qu’elles se rejoignaient sur le plan de la génétique. Du moins, l’avait-elle espéré. Elle l’avait voulu si fort. Ses yeux se baissaient sur ses mains tremblantes, avant de regarder Lexie assise à ses côtés. Sa soeur ne disait mot, le regard perdu au loin, bien plus loin que les buildings qui se dressaient derrière la baie vitrée. Son visage était indescriptible, comme figé. Elle ne semblait ni triste, ni heureuse. Elle paraissait juste paisible. Ce qui eut le don d’animer la colère de Sam. D’un bon, elle sautait de son siège et se dressait devant le bureau. « Comment ça, pas compatibles ?! C’est ma soeur ! » « Demi-soeur. » Les mots de Lexie eurent pour effet de serrer le coeur de la brune. Elle la regardait un instant ; elle semblait déjà résignée. Incapable de comprendre le comportement de celle qu’elle considérait comme sa soeur, Sam posait ses mains devant le médecin blême. « Alors qu’est-ce qu’on fait ? Ne pensez pas que je vais rester là à la regarder mourir. Il doit y avoir un moyen, vous devez trouver un moyen. » Les larmes qui commençaient à perler aux coins des yeux de la jeune fille furent aussitôt chassées. Ne jamais montrer ses faiblesses. Sam se l’était promis. Depuis qu’on avait diagnostiqué une défaillance rénale à Lexie, plus rien ne semblait avoir de sens. Après tout ce qu’elles avaient traversé, l’univers ne semblait pas en avoir finit avec elles. Lexie avait besoin d’un rein, chose que Sam avait voulu lui donner, mais qu’elle n’avait pas pu. Chose qu’elle ne se pardonnerait sûrement jamais.

On l’avait appelé tard ce soir-là. Sam était assise à la table de la cuisine, fixant la chaise vide en face d’elle. Lexie se faisait encore attendre, comme toujours. Depuis qu’elle attendait un rein, et qu’elle n’y croyait plus vraiment, la blonde testait les limites de sa soeur, lui faisant de larges discours sur la vie qu’elle ratait par sa faute. Elle voulait vivre comme tout le monde, sans avoir à se préoccuper de l’horaire de sa prochaine dialyse, des groupes sanguins compatibles avec le sien, de son souffle qui se faisait court à chaque exercice physique qu’elle tentait de faire. Elle voulait ne pas faire attention, elle voulait être libre, comme toutes les filles de vingt ans. Sam admirait le courage de sa soeur, mais ne le savait pas encore. Trop soucieuse pour comprendre ces choses là, elle passait pour la méchante, celle qui était constamment sur le dos de sa soeur. Ne fais pas ci, ne fais pas ça. Peut-être se trompait-elle en agissant ainsi. Peut-être que Lexie était assez grande pour se gérer elle-même. Mais c’était plus fort qu’elle. Et encore ce soir-là, Sam ne fermerait pas un oeil de la nuit avant que sa soeur ne franchisse le seuil de sa porte. Le téléphone sonna, et Sam décrocha avec l’espoir que ce soit Lexie au bout du fil. À la place, elle tombait sur une femme à la voix douce. Elle la connaissait bien, cette voix. C’était celle de l’infirmière de garde de l’hôpital. Un frisson glacé parcourut le corps de la brune alors qu’elle raccrochait rapidement en courant pour rejoindre la porte d’entrée qu’elle claquait derrière elle. Elle dévalait les escaliers avant d’appeler un taxi qui la conduisit à l’entrée des urgences. « Alexandra Bower ! » Une infirmière lui indiquait une chambre située au deuxième étage. Sam trouvait sa soeur allongée dans un lit aussi blanc que la neige au dehors. Elle était comme endormie, un constant sourire paisible aux lèvres. En la voyant ainsi, toute colère quitta le corps de Sam. Elle s’asseyait sur un siège qui se trouvait à côté du lit et approchait une main du visage de sa petite soeur. Elle remettait une mèche blonde derrière l’oreille de Lexie, avant de sourire à son tour. Elle voulait la rendre folle. Elle lui faisait des frayeurs, et pourtant, Sam était incapable de lui en vouloir. Comment le pourrait-elle ? Lexie n’était pas ici parce qu’elle l’avait voulu, mais parce que la maladie la rongeait à petit feu. Les médecins étaient confiants sur son cas, alors qu’elle était là, allongée dans un lit d’hôpital parce qu’elle avait décidé de rater sa dialyse pour sortir faire la fête. Lexie avait le don de défier tout le monde, quitte à finir au plus mal. C’était ce qui plaisait à Sam autant que ce qu’elle détestait. À cette pensée, la brune prenait la main de sa soeur entre les siennes avant de poser sa tête sur le bord du lit. Pour la première fois depuis des semaines, elle se sentait bien. Elle avait le sentiment qu’à cet instant précis, rien ne pourrait arriver à Lexie. Elle avait le sentiment qu’enfin elle pouvait fermer les yeux.

Sam marchait péniblement dans la nuit noir qui était tombée sur Londres des heures auparavant. Elle trainait derrière elle les sacs de course qu'elle avait vidés chez Lexie. Cela faisait bientôt six mois que sa soeur avait décidé de prendre son indépendance. Au début, la brune avait eu du mal à avaler la pilule. Et si Lexie oubliait encore une fois d'aller faire sa dialyse ? Et si ses reins la lâchaient en pleine nuit ? Qui serait là pour l'amener à l'hôpital ? Malgré toutes ces bonnes raisons, Lexie n'avait rien voulu entendre. Elle avait pris un petit appartement, assez loin de celui de Sam, et semblait très heureuse ainsi. Elle voyait sa soeur débarquer tous les jours pour lui déposer des médicaments, des courses, des plats préparés. Elle n'avait jamais osé lui dire d'arrêter, cela blesserait bien trop Sam. Alors elles vivaient ainsi, avec une Sam qui rentrait de plus en plus tard le soir, après une journée de boulot plus qu'épuisante. Elle montait difficilement les escaliers qui la menaient à son petit appartement et passa le seuil de sa porte avec un petit sourire en coin. Elle était enfin à la maison. La chaleur qui se dégageait de son salon eut le don de la réchauffer instantanément alors qu'elle laissait ses affaires tombées à ses pieds. Elle était plus qu'exténuée. Elle s'apprêtait à se laisser tomber dans son lit lorsqu'un bruit dans sa cuisine attira son attention. Elle trouvait Neal assis à table, un journal entre les mains. Elle lui avait donné les clés de son appartement quelques mois auparavant, alors qu'ils se fréquentaient depuis deux ans déjà. Sa présence eut le don de réchauffer quelque peu son coeur, alors qu'il relevait des yeux sombres sur elle. Décidant de les ignorer, elle fuyait son regard et vaquait au rangement de la pièce. « Tu ne m’avais pas dit que tu venais ce soir. » Sa voix se voulait douce, alors que Neal restait muet. Elle savait pourquoi il était là, elle savait ce qu’il allait lui dire. Ils avaient eut cette discussion des milliers de fois. Il lui reprochait son absence, ces allers et retours chez sa soeur, cette fatigue qu’il pouvait lire dans la prunelles de ses yeux. Mais il n’apportait jamais de solution. Elle décidait de ranger les verres lorsqu’il vint se placer derrière elle. Elle pouvait sentir la douleur qu’il pouvait éprouver à la voir ainsi. Elle s’en voulait de lui faire si mal, mais avait-elle d’autres choix ? Il attrapait la tasse qu’elle montait dans un rangement et la reposa sur le comptoir. « Il faut que tu arrêtes. Lâche prise. Elle n’a plus besoin de toi Sam, pourquoi tu refuses de le voir ? » Ils allaient avoir cette discussion une énième fois. Sam ne lâcherait pas. Neal serait en colère. Elle était fatiguée de ces disputes. « Neal… Tu ne comprend pas, tu ne vois pas ce qu’elle risque. Elle a besoin de mon aide, elle a besoin de moi. » Elle avait dit cette phrase déjà des centaines de fois auparavant. Une nouvelle fois, Neal s’écartait, un vent de colère soufflant sur l’appartement. Il la prenait par les épaules pour la faire le regarder. « Tout le monde a besoin de toi ! J’ai besoin de toi. » Elle le regardait enfin, lisant la détresse dans ses yeux. Ce ne fut qu’à cet instant que Sam réalisait l’amour qu’il lui portait, et la souffrance qu’il éprouvait à la voir rentrer tous les soirs aussi fatiguée. « Je suis désolée… » « Pars avec moi. » Ses mots avaient claqués dans l’air ambiant. Ses yeux dessinaient une détermination sans faille, alors que les mots de la brune se perdait au fond de sa gorge. « Pars avec moi, Sam. Laisse tout ça derrière toi. Tu dois lâcher prise… » Alors qu’il prenait son visage entre ses mains, Sam sentait une étrange sensation monter en elle. Ses yeux se furent humides, chose qui n’était pas arrivé depuis un moment. Elle ne s’était jamais autorisée à pleurer, non, elle se l’était interdit. Pourtant, elle sentait son corps renoncer. Une larme roula sur sa joue alors que Neal venait déposer un baiser sur son front. Toutes les années de douleur et de fatigue s’évanouissait dans son baiser,  envoyant valser toutes les préoccupations qui hantaient les pensées de la jeune femme. Lâcher prise, il fallait lâcher prise.


Elle avait fait son sac à une vitesse incroyable. Cette idée de changer d’air, partir loin, lui plaisait assez finalement. Elle se sentait prête, prête à être libre, détachée de tout. Elle n’aurait plus à s’inquiéter de rien. Elle n’aurait plus à se demander si Lexie avait bien pris ses médicaments, si elle avait bien rendu le rapport de police à l’heure, si elle avait bien éteint le four avant de partir. Cette simple idée la faisait sourire, alors qu’elle avait passé une bonne nuit de sommeil, la première depuis des années. Elle terminait d’empaqueter les quelques affaires dont elle aurait besoin pour Boston. Ils avaient choisis cette destination au hasard. Ils avaient simplement pris une carte, et Sam avait pointé un lieu en fermant les yeux. Depuis que Neal lui avait tendu son billet d’avion, Sam se sentait le coeur léger. Elle n’avait prévenu personne, ni Lexie, ni Micah, ni oncle Bob. Elle avait simplement laissé une lettre sur la table du salon. Elle avait pris sa valise, avait regardé une dernière fois derrière son épaule, et avait claqué la porte. Un taxi la déposa devant l’aéroport londonien, alors que Neal était censé la rejoindre à l’embarquement. Sam arborait un large sourire qui illuminait son beau visage enfin reposé. Elle tendait son passeport et son billet, passait la sécurité, et finit par s’asseoir dans le hall d’embarquement. Là, elle attendait. En rencontrant Neal deux ans auparavant, elle n’aurait jamais pensé aimer autant. C’était autrefois un sentiment qui lui était inconnu. Elle ne s’était jamais autorisé à aimer quelqu’un comme elle l’aimait lui. Il avait su la libérer, et elle s’était éprise de cet homme sans même en avoir conscience. Elle ne l’aurait jamais rencontré sans sa soeur. Sans Lexie, sans cette inquiétude constante que Sam ressentait pour elle, jamais elle n’aurait mis un pieds dans ce petit pub au coin de la rue, et jamais elle n’aurait posé les yeux sur cet homme assise à ses côtés. En repensant à cette soirée tout en attendant Neal, la jeune femme serait son billet d’avion un peu plus fort. Elle n’avait plus d’inquiétude, elle n’avait plus de pensées du tout. La main de l’hôtesse de l’air sur son épaule la tirait de ses rêveries. « Madame ? Vous montez dans cet avion ? » Sam remarquait alors ses pommettes humidifiées. Elle était la dernière passagère, la seule qui restait encore assise dans le hall. Elle n’avait personne à côté d’elle, pas de Neal. Les larmes avaient du commencées à couler alors que l’embarquement avait commencé. Devant le regard inquiet de l’hôtesse de l’air, Sam sécha ses larmes et lui tendit son billet. « Je monte à bord. » Sans plus de politesse, la jeune femme prenait place à bord, embarquant pour un vol de dix heures. Dix heures qu’elle passait à fixer la place vide à côté d’elle.


L’air frais de Londres vint balayer ses cheveux bruns alors qu’elle trainait sa valise par delà les portes de l’aéroport. Elle respira profondément, retrouvant l’odeur particulière de sa ville natale. Elle se sentait à nouveau chez elle, à la maison. Elle avait passé deux mois à Boston, deux horribles mois à se demander pourquoi il n’était jamais venu, pourquoi il l’avait laissé prendre cet avion seule. Elle avait cru bon de ne pas rentrer tout de suite, elle avait pensé que ce serait plus simple ainsi, d’être loin de lui. À Boston, elle n’avait pas peur de le croiser au coin d’une rue fréquentée. À Londres, son calvaire débutait seulement. Il avait laissé son coeur se briser en mille morceaux, et Sam n’avait aucune idée de comment le reconstruire. Elle ouvrait les yeux sur la ville qui lui avait manqué, et fut attirée par le son d’un klaxon. Elle sourit péniblement en voyant oncle Bob lui faire de grands signes depuis sa voiture. Micah était venu lui aussi, il était le seul à qui elle avait donné sa date de retour. Se dirigeant vers lui, Micah sortit de la voiture pour la prendre dans ses bras. « Tu nous as manqué, Sammy. » Il caressait doucement ses cheveux, avant de la relâcher et d’attraper sa valise pour la mettre dans le coffre. Elle montait dans la voiture, prenant soin de ne pas regarder trop longtemps au dehors. Sa vie se résumerait sûrement à ça pendant quelques temps. Ne pas regarder les gens qui se baladaient dans la rue, de peur de le croiser lui. Le trajet jusqu’à son appartement vu silencieux, alors qu’oncle Bob était d’habitude si bavard qu’on devait généralement lui dire de ralentir la cadence. Il la regardait simplement, par de petits coups d’oeil. Ce jeu dura jusqu’à qu’il s’arrête devant l’immeuble que Sam n’avait pas revu depuis qu’elle avait claquer la porte pour partir avec Neal. « Sam… » Elle interrogeait Bob du regard alors qu’il pointait la porte de l’immeuble du doigt. Son coeur rata un battement alors que Neal se dressait là, assis sur une marche, le regard fixant le bout de la rue. Il tenait les fleurs préférées de Sam dans sa main droite, et la colère monta dans tout le corps de la jeune femme. Sans entendre les paroles freinantes de Bob, la brune descendit de la voiture et fit claquer la portière derrière elle. Telle une furie, elle s’avançait vers Neal qui avait enfin remarqué sa présence. Il se relevait rapidement, tentant de placer quelques mots. « Sam, je peux t’expliquer… » Sans l’entendre, la jeune femme attrapait le bouquet et l’écrasait sur son torse. Seule la colère se lisait dans ses yeux. Elle ne voulait pas lui montrer sa peine. « Tu m’as humilié ! Je te faisait confiance et tu m’as humilié ! » Elle ne lisait plus rien dans ses yeux, rien d’autre qu’un maigre pardon. Elle, elle n’était que rage. Ils étaient là, tous les deux dressés face à face, le regard de Neal fuyant celui de Sam. Ils en étaient arrivés là. Il n’était même plus capable de la regarder en face. « Va-t-en… » Il ne cillait pas. Alors la jeune femme commença à le pousser, ses paumes la brûlant au contact de son torse. « Va-t-en ! Va-t-en ! Je veux plus te voir ! » Elle le poussait encore et encore jusqu’à sentir les bras de Micah entourer sa taille et la soulever. Il l’éloignait de Neal alors que Sam se débattait encore. Elle finit par lâcher prise, écoutant à peine les paroles que Micah lui chuchotait à l’oreille pour la calmer. Tout ce qu’elle voyait, c’était Neal, ses yeux désolés, et son dos qui s’éloignait au loin.