| ( ✰) message posté Mer 23 Déc 2015 - 13:56 par Invité “Why am I begging you, who parades your suffering over the ruins like a king in order to ensure that you will never be touched deeply, you who're always laughing.” ✻ Jacob Fitzgerald, cette mélodie faisait légèrement vibrer la vitre sous mes doigts. Les silhouettes s'allongeaient sous les lueurs des réverbères comme des flaques noircies au milieu d'une mer déchaînée. Je devais probablement me concentrer sur la rédaction de mon article au lieu de regarder la brume tomber sur la ville. Mais le stylo que je tenais entre les mains n'était pas réellement un stylo. La feuille qui pliait sous mes coudes n'était pas réellement une feuille. Mon esprit était embaumé par les reliques de mes secrets de famille. Je demeurai abîmé dans mes pensées, ne percevant ni l'agitation de ma secrétaire, ni la présence des autres journalistes dans les couloirs du bâtiment. Tout me semblait si étranger. Je ne comprenais pas les raisons qui poussaient mon frère à me rencontrer. Je ne l'avais jamais connu durant mon enfance. Je n'avais jamais songé que nous puissions être réunis, et pourtant son appel faisait naître un espoir incandescent dans ma poitrine. J'avais grandi seul. Je n'avais pas de mère. Peut-être que je tenais là, le dogme de l’existence. Peut-être que le bonheur, c'était vivre rapidement et aimer sans réfléchir. J'esquissai un mouvement de recul. Je ne pouvais y croire. Mon souffle se consumait au fond de ma gorge engourdie. Je ressentais tous les signes d'une tragédie imminente. Jacob Fitzgerald, n'était pas qu'une mélodie capable de faire vibrer une vitre sous les doigts hésitants d'un journaliste nonchalant. Jacob Fitzgerald, était un fagot d'épines sur lequel je me penchais sans réellement savoir laquelle m'avait le plus blessé. Je longeais les murs jusqu'à l'extérieur. Ma démarche ondulante se perdaient entre les meubles désordonnés du bureau. J'étais sorti sans un mot, sans aviser mes collaborateurs sur mon retour. Il recommençait à pleuvoir, alors je rangeai mes cigarettes dans la poche de mon imperméable. Les arabesques de mes cheveux s'agglutinaient sur les bords de mes tempes saillantes. Je marchais à contre sens dans l'ambiance monotone de l'hiver. Je sentais l'odeur nauséabonde de l'eau s'infiltrer entre les mailles de mes vêtements mouillés. Bientôt, je deviendrais aussi collant que ces gouttes condensées sur la chaussée. J'étais une perle liquide qui roulait lentement dans la rue. J'étais un Fitzgerald, et cela faisait de moi, un fagot d'épines moi aussi. Il y avait trop de monde dehors. Je m'aventurais dans les galeries marchandes en observant les visages qui se mêlaient aux couleurs de Noël. Un cadeau n'existait réellement, que s'il y avait quelqu'un à qui l'offrir. Je m'arrêtai un instant devant un magasin de vins. Jacob était-il un bon buveur ? Savait-il déguster toutes les senteurs et faire la différence entre l'amertume et la douceur du raisin ? Je fermai les poings en haussant les épaules. Je n'extériorisais jamais ces interrogations à son sujet. Je n'avais jamais parlé de lui à mon entourage, parce que son omniprésence dans ma vie, constituait une menace pour mon originalité. Si nous étions deux, je ne pouvais plus être éternel. Je n'étais plus le chaînon manquant. Eugenia me détesterait de lui avoir menti. J'avais l'impression qu'il ne tenait plus qu'à cela pour que notre équilibre se brise complètement. Sa grossesse était une malédiction. Je rejetais l'éventualité de garder l'enfant. Je n'étais pas préparé à assumer les responsabilités qui m'incombaient en tant que mari. Je relevai la tête vers l'enseigne lumineuse d'une petite brasserie de quartier. Jacob était là, quelque part, caché derrière un voile mystérieux. J'attendais que son esprit rejoigne le mien, comme si, les liens du sang pouvaient suffire à lester nos histoires. Puis, je l'aperçus. J'avais toute suite remarqué qu'il s'agissait du fils de George. Il possédait sa prestance et son regard abyssal. L'éclat oranger de sa frange ne pouvait pas tromper. J'y retrouvais toutes nos similitudes cachées, toutes nos années de séparation. « Bonjour. » Je souris avec désinvolture avant de coincer une cigarette entre mes lèvres. Je m'installai lentement à sa table. « Que me vaut cet honneur, grand frère ? » Mon regard s'épandait sur son expression resplendissante. Il y avait quelque chose de fascinant chez Jacob ; c'était à quel point sa stature était imposante. Ses yeux, comme deux ouvertures, laissaient filtrer un écran de fumée autour de son profil. Nous étions deux fumeurs, chacun à sa manière, seuls et silencieux. Nos soupirs agonisaient à la surface du miroir, où nos reflets s'effleuraient sans se toucher. |
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| ( ✰) message posté Dim 27 Déc 2015 - 16:56 par Invité “Why am I begging you, who parades your suffering over the ruins like a king in order to ensure that you will never be touched deeply, you who're always laughing.” ✻Une pluie fine se déversait au dehors, délestée de vent. La ville semblait comme drapée dans une atmosphère brumeuse et calfeutrée où le calme et le silence régnaient en maître dans des rues habituellement agitées. Fallait-il voir que Londres nous laissait un peu de répit avant la tempête ? Ou mon esprit était anesthésié ? D’un pas engagé, je suivais un chemin invisible à travers les rues cendrées. Un fil d’Ariane qui allait me mener au point zéro de mon histoire. Julian Fitzgerald. Le point zéro, le catalyseur de tous mes maux. Julian symbolisait la perte, la peine et la rancœur à la fois. Tant de sentiments mêlés qui peignait un homme dont j’ignorais encore les traits. Je n’avais pas voulu une confrontation. Je n’avais pas éprouvé le besoin de mettre un visage sur ma colère. Mais je n’avais pas eu le choix. Elle ne m’avait pas laissé le choix. Elle, Eugénia. Celle qui en devenant sa femme s’était sentie obligée de réparer son histoire, sans comprendre qu’il ne s’agissait pas uniquement de lui, sans réfléchir à tout ce qu’impliquait son intervention dans ma propre vie. Vingt-six longues années étaient passées sans échanger un mot, un regard, sans faire un pas vers l’autre. Quelle légitimité avait-elle pour prendre cette décision à notre place ? C’était précisément le point que je venais éclairer aujourd’hui. Muselant dans un recoin de mon esprit la curiosité et l’espoir ressenti vis-à-vis de ce faux frère. J’aurais pu emprunter un taxi pour me rendre au rendez-vous fixé mais j’avais été bien trop nerveux tout au long de la journée pour ne pas profiter d’un peu d’air frais. La pluie s’écrasait calmement contre mon visage et mon long manteau noir tandis que mes doigts fourrés dans mes poches tâtaient impatiemment le paquet cartonné qui contenait encore quelques cigarettes. Après plusieurs minutes de marche j’arrivais à la terrasse du café où nous devions nous rencontrer et réservais une table abritée. Machinalement j’allumais une cigarette que je calais entre mes lèvres, fixant un point sur le sol pour ne pas scruter les environs à la recherche d’un visage que je n’étais même pas certain de reconnaitre lorsqu’un bonjour résonna juste devant moi. La masse noire s’installa lentement à ma table, me laissant tout le loisir de le détailler d’un œil prudent et surtout de me laisser foudroyer par un constat. Je l’aurais reconnu. Entre milles. Je l’aurais reconnu. Cette mâchoire proéminente parsemée d’une barbe de trois jours, ce regard franc mais assez clair pour laisser transparaître une histoire particulière, ces cheveux légèrement frisotant mais surtout cette stature … Fière et indépendante qui trahissait au combien les Fitzgerald avait été influencés par leur père. Je n’avais aucun doute. La ressemblance autant physique que comportementale ne laissait aucun doute. Elle se faisait aussi troublante que gênante. Tant que j’en écrasais ma cigarette dans le cendrier pour me démarquer de celui qui me qualifiait avec arrogance de grand frère. « Ce n’est pas parce que nous partageons le même sang que nous devons nous comporter de manière familière toi et moi. » Lui répondais-je sèchement pour éclaircir la nature de nos relations. Parce qu’il allait trop vite et que je n’en comprenais pas les raisons que ma douce paranoïa traduisait bien trop simplement par de la provocation. Il me provoquait. Encore une fois en me demandant la motivation de cette rencontre dont il était à l’origine, m’arrachant un rire narquois. « A toi de me l’expliquer. Tu voulais me voir, me voilà. » D’un signe de la main, j’appelais un serveur qui dansa à travers les tables pour venir prendre notre commande. « Un scotch. » Il me fallait au moins ça pour affronter le reste de la conversation. |
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