"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici Meat-eating orchids forgive no one just yet // Abigail  2979874845 Meat-eating orchids forgive no one just yet // Abigail  1973890357
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Meat-eating orchids forgive no one just yet // Abigail

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Theodore A. Rottenford
Theodore A. Rottenford
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() message posté Mer 9 Sep 2015 - 20:52 par Theodore A. Rottenford

“Two possibilities exist: either we are alone in the Universe or we are not. Both are equally terrifying. ” Je me levai pour prendre congé. Mon regard se posa sur la table de réunion. Lug Siegel, l'homme à mes côtés, émit encore quelques objections sur la décision du grand conseil. Il évoqua une nouvelle fois mon incapacité à gérer la mafia à distance. Il cita les noms de ses cousins issus des bas quartiers de Belfast avant de me pointer du doigt. « Il n'a pas grandi ici.» Il renchérit ensuite en affirmant plusieurs hypothèses sur ma vie à Londres. Je faisais partie de la police depuis trop longtemps. Ma qualité d'officier double l'inquiétait profondément et il espérait réellement qu'on me laisse en dehors de la succession. Je fixai son index en pinçant les lèvres. Je sentais la colère gronder en moi. Mon corps tout entier était troublé par la noirceur de mes sentiments. J'aurais pu lui couper le bras avec un sécateur rouillé à cet instant, mais les règles de bienséance m'empêchaient de réagir brutalement en présence des patrons. Je devais manipuler l'assistance, dévoiler mes talents de dirigeant et non mes tics meurtriers. Après l'avoir poliment remercié, je déclarai que j'appréciais sa sollicitude pour le devenir du clan, mais que mon intérêt pour le pouvoir était malheureusement légitime, tout comme mon envie de rejoindre l'éclat astral de la nuit. C'était la-bas le perchoir de l'aigle. C'était la-bas mon destin. Je soupirai en l'observant avec sévérité. Dans quelques jours, il devra s'agenouiller devant moi. J'avais le soutien des O'Connor. La famille était organisée selon des grades, et le mien était le plus valorisant de tous. J'étais l'héritier de substitution. Je portais en moi l'essence de la mort. Le sang qui avait coulé ce jour là, s'était épandu dans mon âme. Jamie faisait partie de moi. Il vivait à travers ma dévotion et ma loyauté. Son nom était marqué sur ma peau comme une cicatrice indélébile, comme une emprunte de sa magnificence sur ma noirceur. J'arquai un sourcil en me dressant au milieu de la pièce. Il n'y avait donc rien à ajouter ? J'étais l'homme de la situation, celui qui se tenait autour de la tombe de son meilleur ami en affichant un sourire crispé. Celui qui était furieux, car l'écorchure sur son menton l'empêchait de dire convenablement au revoir à un être cher. Puis, lorsque la foule se dissipait, il restait silencieux dans la pénombre. Il caressait sa blessure en entendant les derniers soupirs de la vie. Il tournait les talons et pleurait en secret dans les bras d'une inconnue. J'étais seul. J'étais isolé et glacial. J'ignorais mes sentiments par respect pour le monde. Je voulais supposer que mon détachement était une maladie, un fléau passager. Mais sans la présence de Jasmine, j'étais un dirigeant qui travaillait avec vigueur sur l’avènement de la prochaine guerre des gangs. Je frémis en tapant du pied. J''ignorais totalement pourquoi je faisais tout cela. Pourquoi je me laissais dévorer par les flammes de l'ambition. Mes instincts semblaient me pousser par habitude à respecter les décisions de mon père. Je vivais pour réaliser ses rêves. Pour accomplir quelque chose de toujours plus grand. Ma gorge se serra. Nous étions une dizaine dans la salle. Nous étions tous liés par nos aspirations, notre culture et notre foi en Dieu. Je ne serais probablement pas le seul à finir dans cet endroit. Demain ou après-demain, nous serions enterrés ensemble, enfouis dans la boue sous les regards hypocrites des personnes qui pensaient nous aimer assez fort pour regretter notre disparition. Je songeais à Jasmine, trop jeune pour se rappeler mon visage, trop innocente pour juger mes impulsions meurtrières. Je pensais à mon frère, ce drôle d'oiseau dont les ailes cristallisées battaient dans le vide sans l'emporter vers les voies étiolées du bonheur. Je pensais à Samantha que mon cœur était contraint de chérir pour honorer une ancienne promesse et à Olivia que j'avais failli ternir avec mon univers maléfique. Puis, soudainement, le vide oppressant de la solitude enlaça ma poitrine. Les grincements du ventilateur glissaient dans mes oreilles comme les chants macabres du destin. Tout s'achevait ainsi. Mes pensées étaient entrecoupées par les derniers soupirs d'une allumette que l'on faisait craquer, par les hurlements d'une âme qui se languissait des couleurs écarlates de la fumée. C'était ma petite sœur, la dernière personne qui me venait à l'esprit. Je tournai la tête au moment où les autres membres du clan se levèrent. Benjamin O'Connor, surnommé Bugsy « le dingue » en raison de son tempérament cruel et intransigeant, m'adressa un sourire carnassier. Sa démarche débonnaire et son air simplet contrastaient avec sa carrure athlétique et son esprit aiguisé. Il était indéniablement beau  mais il ne s'appuyait jamais sur ses attraits physiques. Il misait énormément sur l'effet de surprise. Il était obsédé par les risques et les probabilités. Il aimait se lancer des défis soudains et dangereux. Il avait participé à vingt-huit parties de roulette russe durant les cinq dernière années sans jamais se prendre la cartouche. Sa bonne étoile semblait le suivre partout. Je le connaissais depuis l'enfance. Un cousin éloigné de Jamie. Un paria en raison d'un vieux secret de famille. Son père avait déserté l'Irlande après un coming out désastreux. C'était probablement le pire complexe de Bugsy. La raison étrange pour laquelle il n’éprouvait pas la peur de souffrir ou de mourir. Il était trop lucide pour être fou. Trop rusé pour devenir stupide. Ses actions étaient uniquement motivées par une volonté malsaine de voir le chaos dans la monde. Cela l'amusait. Culann Leary hocha la tête en ma direction. J'haussai les épaules en remarquant son allure de mobster irlandais.  Il n'y avait que lui pour porter un vieux survête en pleine réunion. Il était complètement idiot, mais j'avais rarement vu un homme aussi loyal. Sa famille gérait la moitié des filiales étrangères de la pègre. Son revenu net était estimé à cinq millions de dollars par semaine, des bénéficies tirés par des activités illégales de proxénétismes et de rackets. Les Leary possédaient des réseaux de trafic partout en Amérique, notamment à Boston où le corps de la mafia représentait la moitié des sièges électoraux. Ils avaient amassé la plus grosse fortune du groupe grâce à l'exploitation des bars clandestins. C'était un autre monde. Une réalité complètement différente. Je passai devant Baibin Costigan, plus connue sous l'appellation de scarface. Je n'avais pas oublié l'impression étrange et très contradictoire qu'elle avait provoqué chez moi, la première fois que j'avais entendu son histoire. Son beau-père était un ancien marine alcoolique. Il l'avait violé durant toute son enfance. Puis un jour, en revenant du collège, elle était entrée par la porte vitrée sans tirer la sonnette. Elle s'était avancée dans la pénombre du vestibule jusqu'au salon et lui avait tailladé la gorge d'un geste sec. Le vieil ivrogne avait encore assez de force dans les bras pour la blesser au visage. Aujourd'hui, sa cicatrice se mélangeait aux traits saillants de la bête sauvage qui partageait son esprit. Babi était magnifique, une brune sulfureuse et élancée, parfois souriante, mais jamais triste. Elle avait l'expression sévère - glacée. Elle allongeait toujours le cou, aux aguets et flairait l'air autour d'elle en plissant nerveusement le nez. Elle possédait un don particulier qui lui permettait de décomposer toutes les odeurs. Parfois je me demandais si les émotions avaient une emprunte olfactive quelconque, si elle était capable de pressentir une réaction ou un sentiment de la même manière qu'il lui arrivait de décortiquer les senteurs du monde. Tout me laissait croire que oui. Elle était bien la seule à pouvoir anticiper mes gestes. Elle tendit le bras vers mon épaule et pressa ses paumes contre le col de ma chemise. «  Lug est con. T'es l'un des nôtres, Teddy. » Murmura-t-elle en se penchant gracieusement. Je grimaçai en entendant ce surnom. « Quoi ? Tu pensais que j'avais oublié ? Jamie serait fier de toi.  » Déclara-t-elle en s'éloignant. Un frisson de dégoût traversa mon échine. Jamie serait fier de moi mais il n'était pas là. Il me fut impossible d'analyser son expression avec plus de détails. Les différents chefs des clans irlandais me jaugeaient du regard d'un air mauvais. Ils auraient préféré soutenir l’ascension d'un garçon du peuple. Un jeune voyou fier et impétueux sans aucun pouvoir décisionnel qu'il serait plus facile de manipuler. Un mafieux qui existait pour de vrai. Qu'ils avaient vu  grandir tous les jours dans la sphère ténébreuse de la famille. J'avais l'impression d'assister à ma propre mise à mort. Pourtant, je venais d'être sacré chef du clan O'Connor. J'étais privilégié parmi les privilégiés. Je cherchai mon père du regard. Il était dans un coin de la pièce, souriant d'un air narquois aux côtés de ma mère. Une femme froide et cassante, à qui je devais presque tout mon héritage. Je considérais mon père comme un modèle, mais au fil du temps, il avait fini par me façonner à l'image de la femme qu'il avait épousé. J'étais le fils d'une méduse dont la chevelure était entrelacée de serpents. Mon regard putréfiait les mortels qui osaient lever un regard insolent sur mon visage. Je suis un monstre, mère. J'esquissai quelques pas vers la porte. Mes mouvements étaient précis et ordonnés mais j'étais incapable de sourire ou d'adresser un signe affectueux à l'assemblée. Je n'étais plus très sociable. J'avais atteint un tel degré d'isolement qu'il me semblait presque déplacé de partager un moment de complicité avec mes anciens camarades de jeu. Bugsy, Leary et Babi. Je les avais tous connu autrefois. Dans le voisinage de mon quartier. Dans les couloirs de l'école, ou dans les longues avenues de Belfast. Et me voilà, aujourd'hui, complètement étranger, un être sauvage venu d'un monde différent où la lune et le soleil ne succédaient jamais. Il faisait tout le temps noir.

Je marchais dans les allées du parking, avec une lenteur extrême, comme si le fantôme de Jamie était quelque part dans cette ville. Comme s'il me retenait encore pendant quelques secondes, pour m'étreindre amicalement et m'insuffler le courage qui incombait à mon rang. Que m'aurait-il  conseillé? Aurait-il été attendri par les éclats de rire innocents de ma fille ? Serait-il un soutien à ma folie ou un obstacle ? M'aurait-il aidé ? Probablement. J'étais un monstre d'égoïsme. Mais il avait toujours été bienveillant. Jamie était libre. C'était un bon viveur et un garçon dévoué. Et comment était-il mort ? Comment avait-il été enterré ? Je fermai les yeux en m'imprégnant du silence. Il me semblait qu'il durerait pour toujours. Je me sentais si triste. C'était une émotion intemporelle qu'on m'avait obligé à apprendre par cœur. Je déposai mes doigts sur la portière de ma voiture. J'étais prêt à rentrer chez moi lorsqu'une voix familière m'interpella. C'était Lug. Sa chevelure blonde presque pâle, faisait écho aux sens de son prénom. Le lumineux. Le brillant. Le connard de service. Je me retournai vers lui avec une expression dégagée. « Tu t'en vas ?  » J’acquiesçai en  penchant la tête. Oui je m'en vais. Qu'est-ce que tu veux ? Il s'approcha nonchalamment de moi. Je restai immobile. Je ne lui faisais pas confiance mais il n'était pas assez stupide pour tenter une attaque en plein jour. Je l'observais avec application, comme si mon regard ténébreux pouvait sonder ses pensées et analyser les tréfonds de son âme. Mais il était vide. Creux. Et sans aucun intérêt. «  Theodore.  » Commença-t-il d'une voix grave. «  Tu devrais laisser tomber. C'est un conseil d'ami.  » J'esquissai un sourire amusé. Des menaces voilées ? Je me souvenais d'un gosse chétif et peureux. Il mangeait ses crottes de nez dans la cour de récréation et voilà que je me retrouvais devant un truand. Un vrai de vrai.  «  Pourquoi tu t'imposes dans la succession ? Jamie est mort. Il n'a plus rien.  » Je me raidis. Je grinçai des dents en crispant la mâchoire. J'aurais tant voulu le frapper. L'annihiler par la simple force de mon poing, mais j'avais reçu des ordres. Profil bas. Je ne devais pas me donner en spectacle. Il était trop tôt. Je passai ma main dans ma barbe d'un air songeur avant de lui répondre : « Si, l'éternité. » Mes yeux luisants transperçaient son visage translucide. Il rit avec sarcasme et je restai de marbre. J'avais assez de dignité pour ignorer ses réactions puériles. «  Tu veux dire le nom ? Le souvenir ? On l'a tous oublié.  » Je fronçai les sourcils. Il me provoquait délibérément. Ma bouche se courba alors que je crachais mes paroles comme un poison. « Je ne l'ai pas oublié. Et je veillerais à ce que personne ne l'oublie quand je serais en tête du clan. »  Il resta silencieux pendant quelques instants. Puis il enfouit ses mains dans les poches de sa veste. «  Tu veux le fric c'est ça ? La gloire ?  » Je n'étais même pas indigné par ses propos. Il ne s'agissait pas de gloire ou de pouvoir. Ces choses là appartenaient aux personnes fades et médiocres. Je détenais une liberté suprême, celle de choisir. Jamie avait choisi de mourir pour moi. Tout comme je choisissais d'honorer sa mémoire. Son amitié m'avait réappris à vivre. Bien avant ma rencontre avec Sam. Bien avant l'arrivée de Tom ou la naissance de Jasmine. Il avait toujours été là en premier. Je secouai les épaules en tournant le dos. Je refusais de répondre aux provocations de Lug ou de lui dévoiler la troublante obscurité de mes zones d'ombre. J'ouvris la portière de la voiture, prêt à quitter les lieux. «  Vous êtes tous pourris, Rottenford. Tout le monde le sait. J'ai presque pitié pour ta junkie de sœur.  » Je me mordis la lèvre inférieure. Sans s'arrêter, il tendit machinalement la main vers mon bras. «  Elle est bonne, t'sais.  » J’écarquillai les yeux. Je le pris d'une geste rapide et le plaquai contre la carrosserie de mon cabriolet. Mes ongles s'enfonçaient profondément dans sa gorge. Je ne maîtrisais plus ma force. Je sentais sa peau se déchirer sous ma prise mais je resserrais toujours les étaux de ma main comme une prison. Il obliquait vers le côté mais je le maintins violemment. Mon cœur s'écrasait contre les battants de ma poitrine douloureuse. Il était allé trop loin. « Comment elle s'appelle ? » Sifflai-je en menaçant de lui tordre le cou. « Vas-y. Je veux t'entendre prononcer son prénom. » Je le regardais avec insistance, dévoilant l'éclat vermeil du prédateur au fond de mes pupilles. Ses paroles avaient d'abord résonné dans la cour, sur les pavés du parking, contre les façades des bâtiments avant de glisser sur ma peau. Je les entendais toujours. Il avait baisé ma sœur. Mon souffle se consumait dans ma poitrine. Il avait touché ma sœur. Ce constat me rendait faible. Cela me peinait, à cause d'Abigail. Parce qu'elle ne méritait pas de tomber aussi bas pour m'atteindre. Et puis, il y avait aussi son addiction à la drogue. Quelle conne ! Elle était bien plus troublée que ce que je pouvais imaginer. Lug se débattait sous ma prise. Il s'accrochait à mes poignets en gesticulant vaillamment mais je n'en démordais pas. Je ne le voyais presque plus. Mes pensées se rejoignaient toutes vers la limite de ma patience. Je hochais la tête. Je lâchai momentanément prise avant de le pousser à nouveau contre la voiture. Son dos cogna la vitre et je l'entendis presque pester en irlandais. La vengeance devait se déguster lentement, sinon elle échauffait le sang. Mon regard était plein de sévérité et de réprimande. Mais je n'avais pas encore décidé de l'achever. Vas-y.  Prononces ce prénom. Laisse le vibrer au creux de ta conscience. Souviens toi de son corps haletant que tu as touché sans retenue. Dis-le. Fais-toi plaisir. Il cligna des yeux en toussant. J'attrapai sa mâchoire avec brutalité. Il me résista pendant une fraction de secondes, puis il fini par capituler. «  A- Abi-gail …  » Un sourire démentiel se traça sur mon visage. Je laissai mes doigts glisser sur son torse comme les griffes goudronneuses d'une créature sauvage. « Mlle Abigail. » Insistai-je. Il fallait décidément tout lui apprendre ! J'étais complètement fou, et personne ne comprenait que pour commander l'univers je devais abandonner ma lucidité. J'étais incontrôlable mais le reste se devait d'être malléable. Vous saisissez la situation ? « La prochaine fois que tu l'appelles autrement en ma présence, je te découpe en petits morceaux et je laisse ta putain de tête pourrir sur la pelouse de ta mère. » Je jouai avec les boutons de sa veste avant de tapoter ses épaules d'un geste frénétique. « Elle aussi, elle est bonne. »Ma voix était douce, presque endormie. Je lui souris avant de m'éloigner. Auparavant, dans un contexte différent, Lug avait été mon ami. A l'instar des autres membres de la mafia, il avait fait de son mieux pour duper les autorités. Il agissait naturellement, avec la meilleure foi du monde. Mais j'étais devenu un opposant de son régime. Mon nom s'élevait en écrasant le sien. Les Siegel ne pouvaient pas régner sur notre territoire pour la simple raison qu'ils n'étaient pas des irlandais de race pure. Il avait des origines allemandes tandis que j'appartenais à Belfast depuis des générations. Rottenford, un nom atypique, mais ce n'était qu'un emprunt. Nous étions gaéliques depuis des décennies. Mon arrière arrière grand-père était un Ó Ceallaigh. Un petit fils de la lutte, exactement comme moi.  « Tu devrais arrêter d'ouvrir la gueule pour tes cousins. Ils ne sont même pas là pour te protéger. » Je m'assis confortablement sur la banquette de ma voiture et démarrai en trombe dans la rue. L'accélérateur grinçait sous la pression de mon pied. Je voulais rentrer chez moi et sombrer une nouvelle fois dans l'illusion du calme plat qui régnait dans la résidence. La-bas à Londres, où je pouvais me réinventer un autre visage. Une autre identité.

Comment ne pas devenir un ermite sans manières dans un monde aussi contradictoire ? Je partageais toutes les aspirations du clan mais n'en prêchais aucune. J'étais incapable de comprendre quels plaisirs et quelles joies les hommes cherchaient dans l'accomplissement d'un but divin. La force. Le pouvoir. La suprématie. Toutes ces belles choses que je m'obstinais à embrasser par vanité. J'agissais par dépit – pour suivre les tracés d'un destin qui n'était pas le mien. Dans la science de la psychologie, on appelait ça le trouble du mégalomaniaque. Mais dans la culture populaire, il s'agissait tout simplement de folie. De ce fait, si la majorité des gens vivaient dans la médiocrité, s'ils s'acceptaient tels qu'ils étaient dans une condition de vie banale et lassante, j'étais dans l'erreur. J'étais fou. Un animal égaré parmi les autres animaux. Je poursuivais mon chemin sur la chaussée mouillée de Chinatown. Je me glissais à travers l'un des quartiers les plus tranquilles et les plus diversifiés de la ville. Sur le trottoir d'en face, plongé dans l'obscurité. je reconnu mon informateur habituel. Je venais toujours à sa rencontre avec un grand plaisir. Parce qu'il m'offrait chaque semaine une chance de surpasser mes supérieurs. Une façon de briller parmi les voiles obscurs de la nuit. Je m'approchai de lui. Je lui serrai la main et pris le dossier qu'il me tendait en le gratifiant d'un simple sourire. Puis je m'éloignai sans un mot. Je parcourus la ruelle vide d'un pas assuré et rejoignis rapidement mon loft. Des gens riches et influents habitaient ici, dans des bâtiments modernes et proprets. Ils se cachaient à l'abri de mes corruptions, mais j'étais là, à quelques mètres, à quelques murs de distance. Après avoir franchi la pelouse, j'atteignis la porte d'entrée. Je trouvai l'interrupteur pour allumer la lumière. Il était tard. Jasmine dormait chez Olivia. Je ne l'avais pas revu depuis des jours. Silas s'était à nouveau éloigné de moi. Il vivait comme bon lui semblait sans se soucier des dangers qui guettaient l'équilibre de notre famille. Je n'étais pas sûr que Kaspar habite encore ici. Il avait disparu. Puis il y avait Abigail. Un fantôme blême qui hantait le grenier mais que je n'apercevais que temps en temps. Je passai devant les portes vitrées et les armoires reluisantes du salon avant de me diriger vers mon bureau. Mon petit foyer illusoire. L'antre de mes souvenirs. Je tendis le bras afin de composer le code d'accès. 01-10-91  ; une date d'anniversaire. Tant d'interdits que je refusais d'avouer. Une affection sans voix pour une traîtresse, une usurpatrice, une mauvaise graine. J'esquissai un faible rictus, blessé par la froideur de ces mots que je n'osais pas prononcer. Je poussai la porte. Mes plantes d'intérieur n'avaient pas bougé. Les meubles étaient restés intacts depuis ma dernière visite, pourtant, je sentais l'odeur du tabac froid. Je sentais l'intrusion d'Abigail dans cet espace. Je remarquais tous les signes de sa présence ; les fiches déplacées, l'ordre des dossiers inversés et les flèches sur mon tableau de chasse. Au moment où, j'enlevai mon manteau trempé, je sentis à nouveau les effluves de la nicotine. C'était son parfum. Son odeur naturelle. Je déposai mon dossier sur un rebord. Je retirai mon téléphone de ma poche et ouvrit le premier tiroir de la commode. Je pris une boite de habanos et agitai le cigare sous mon nez. A pas feutrés, je me dirigeai vers le mini bar. Deux verres, deux fonds de whisky et pas de glaçons. Je m'assis sur le fauteuil et découvris avec surprise que la silhouette ombrageuse qui se cachait derrière la bibliothèque n'avait toujours pas bougé. Je t'ai senti, tu sais. Je déboutonnai le col de ma chemise et tendis les jambes en soupirant. « Il est permis de fumer ici. » Grinçai-je froidement. Il s'agissait toujours de ça. D'interdictions, d'ordres et de permissions. Il n'y avait aucune émotion. Pas la moindre bonne intention entre nous. Je relevai mon visage sur le plafond. « Ta mère a posé des questions. J'ai dis que tu allais bien. Appelles-là quand tu es sobre. » Soupirai-je. Je ne savais pas pourquoi, ni comment, mais je trouvais un côté humain à la méduse lorsqu'elle parlait d'Abigail. Elle  insistait pour que je la protège, comme si le mal qui rodait autour de notre fratrie lui était plus fatal. Comme si elle avait peur de la perdre ou de la voir mourir. Je me redressai en riant d'un air mauvais. Elle était idiote. Abigail était déjà partie. Depuis le premier jour, elle l'avait perdu. Je portai un cigare vers ma bouche sans l'allumer. Je préférais mâchouiller l'amertume du tabac sans la respirer. Le poison était ainsi plus sain. Plus tolérable pour mes principes. « Viens t’asseoir. » Murmurai-je avec lenteur. Au début, j'avais lu ses remarques sur mes affaires avec scepticisme. Je l'avais considéré comme une faille du système, mais plus je lui accordais mon attention, et plus je réalisais qu'elle était dotée d'un esprit vif et calculateur. Abigail était un petit être fragile, mais derrière ce film cristallin d'éther et de fumée, se cachait le joyau de l'extase. Celui que je méprisais tant. Celui qui la rendais si spéciale. Celui que je décidais de découvrir ce soir pour la première fois.


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Anonymous
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() message posté Jeu 10 Sep 2015 - 16:50 par Invité
Je ramenai ma cigarette à mes lèvres dans un geste machinal et éteint. Je regardais le plafond pour oublier ma valise, encore fermée, dans un coin de la pièce. Mes prunelles tentèrent de suivre une lézarde dans le mur, mais il n’y en avait pas. Il n’y en avait jamais eu. Je restai silencieuse et immobile. Seule la fumée venait briser cette absence de mouvement, et pourtant elle n’en volait pas la quiétude, au contraire. Je la sentis d’abord fondre dans ma gorge jusqu’à mes poumons. Je la sentis se déposer sur les parois de mes organes comme le goudron sur la route, et je soupirai finalement avec lassitude, plongeant à nouveau mon champ de vision dans un brouillard au parfum âpre du tabac. Je m’amusai à deviner des formes étranges dans ces arabesques volatiles. Je frottai mes doigts contre les draps de mon lit. Mes mains étaient moites : c’était le manque. Mon corps rejetait l’eau, faisait de la place pour la drogue. Mes veines devenaient les intestins d’une sangsue monstrueuse. J’avais l’impression qu’on les essorait comme de vulgaires éponges car leurs propriétés vitales n’avaient plus d’importance. Elles prenaient vie et chacune attendait l’héroïne avec impatience. Je n’étais pas seule, j’avais un million de serpents affamés rampant contre mes muscles. Je ne les satisfaisais pas et ils n’hésitaient pas à me mordre la peau. Leur venin la rendait blanchâtre et violacée comme celle d’un vieux champignon. Je déglutis. Parfois je me forçais. Je comptais quelques secondes supplémentaires pour savoir si je pouvais tenir encore. Pour savoir ce que ça me faisait vraiment. Parfois je songeais même à m’attacher les poignets pour rendre la chose plus difficile. Parfois je regardais la fenêtre et je m’imaginai ouvrir les sachets d’héroïne et les vider sans regret, faisant pleuvoir la drogue sur les passants, en bas, les piétons innocents qui avaient eu à la fois la chance et le malheur de ne jamais y goûter. Et parfois, parfois oui, le plus souvent d’ailleurs, je me rappelais de l’Extase et j’oubliais mes idées noires, mes idées blanches, la lumière et l’ombre, l’espoir et son contraire. Je souris. J’avais envie d’un fix. Ce ne serait pas encore aujourd’hui que j’allais défaire ma valise. Je pouvais ainsi croire que je n’étais pas encore rentrée totalement. Que j’étais encore au Canada avec Richie. Que je marchais encore dans les rues de Montréal en admirant ces quartiers éclectiques et lumineux. Je n’avais pas dormi. Je n’avais pas l’impression de m’être reposée une seconde de tout le séjour. Loin de Londres et de sa torpeur. Même lorsque je m’étais allongée sur un matelas quelconque, c’était avec de l’héroïne dans les veines, et l’héroïne ne nous laissait pas une minute de sommeil. Elle secouait nos sens et notre perception du monde. Comment définirais-tu le réel, Abigail ? On pouvait hausser les épaules à cette question. Il n’y avait pas de réponse. Si ce que tu vois, ce que tu goûtes, ce que tu touches, ce que tu entends, ce que tu sens est réel, alors la réalité n’est qu’une large palette de signes que ton cerveau t’envoie. On pouvait secouer la tête, perplexe. Alors le monde sous héroïne est réel. Prends un fix maintenant et admire. On pouvait hésiter mais la tentation était néanmoins très forte. Si tu as l’impression de fondre, c’est peut-être que tu fonds. Si tu as l’impression que tu brûles, c’est peut-être que tu brûles. Je souris, amusée par ces hypothèses. Et si j’ai l’impression de voler ? C’est peut-être que tu voles. Ces idées me plaisaient. Elles n’étaient ni blanches, ni noires, elles avaient cette couleur singulière que les gens normaux et bien-pensants ne pouvaient pas voir. Il n’y avait que les créatures de la nuit qui en étaient capables. Ces  vampires et autres monstruosités. Peut-être que j’étais un monstre, car je parvenais à imaginer l’éclat de ces idées. J’arrivais à en percevoir une vérité. L’héroïne est la réalité. Plutôt l’éhrïone ets la raéltié. Je me redressai finalement. J’en avais perdu mon sérieux. J’en avais perdu la raison il y a si longtemps. J’étais un monstre, on m’excusait par nature n’est-ce pas ? J’avais pour essence d’être terrifiante, comme une hydre aux mille visages dont chacun reflétait l’un de mes défauts majeurs et premiers. Mon frère pensait que j’étais une erreur. Mon esprit boitait depuis ma naissance, j’étais un être d’eau issu d’une famille taillée dans la roche. J’étais un golem de feu qui se rendait compte trop tard qu’il vivait seul sur une terre brûlée et infinie. J’étais une droguée dans une famille mafieuse et je savais à quel point les regards que l’on posait sur moi étaient plein de dédain et de jugement, lorsqu’ils n’étaient pas simplement un appel à l’abus sexuel. Ces gens me dégoûtaient. Si j’étais un monstre, ils étaient parfaitement humains et la couleur noire du mal coulait dans leurs veines étroites et vicieuses. Ils étaient impardonnables car ils avaient choisi. Ils étaient impardonnables car ce n’était pas dans leur nature d’être mauvais. Dans la mienne non plus, mais on me le rabâchait depuis tant d’années. L’erreur du nouvel an. Je ne m’excusais pas. Je savais que j’étais cassé et irréparable. J’étais un rat d’égout alors qu’ils soignaient leurs pelages de fauve majestueux. Mais en dessous, je pouvais contempler la similitude qu’ils avaient avec moi. Ils étaient des rats déguisés en lions, voilà tout. Mes pensées s’envolèrent vers Theodore. Lui n’était pas un lion. Il était un loup solitaire à la tête d’une meute qui le haïssait. Et au fond de moi, je le pardonnais. Il était le seul à en avoir le droit, l’honneur, même s’il n’y croyait pas lui-même. Mais Jasmine l’avait changé. Jasmine l’avait rendu meilleur. Je voyais dans ses traits creusés qu’il était différent. Mais cette prise de conscience n’était pas réciproque. Pouvais-je vraiment lui en vouloir ? Après tout, moi, je n’avais pas changé. J’étais toujours sa foutue junkie de sœur. Il n’avait rien oublié. A chaque fois qu’il posait sur moi ses yeux de rapace, il n’en tirait qu’un unique souvenir : la mort de Jamie. Mon rôle dans celle-ci, comme si j’en avais eu un. Comme s’il avait le droit de m’accuser. Cependant, Theodore se sentait bien trop coupable pour m’accorder de l’importance. J’étais simplement une goutte de sang de plus dans l’océan de ses tourments.

Je fis glisser mes pieds sur le sol : le moment était venu. Ma main grimpa jusqu’au tiroir de ma table de nuit pour en sortir la poudre brune et le matériel. Je préparais mon fix en rêvant d’autre chose. En me chantant une chanson dans ma tête. La fredonnant. Heaven, a gateway, a hope … Je laissai traîner un sourire sur mes lèvres. Plus l’héroïne était proche et plus mes désirs les plus simples se retrouvaient décuplés. Je chantai : « Up, down, turn around, please don’t let me hit the ground ... » Ma voix fluette était douce et lente, comme une berceuse, loin du rythme originel. Cela me fit rire. Mon bébé, soufflai-je, chuchotai-je à la drogue dans la cuillère, la main tremblante. J’allumai le briquet, portai la solution à ébullition et me concentrai cette fois-ci un peu plus en manipulant la seringue. Mes veines brûlaient. Mon cerveau s’embrumait. Ils voulaient rêver éveillés à nouveau. Ils voulaient me prouver que la réalité n’était qu’une hypothèse de plus dans le champ des imperfections et la rivière des questionnements philosophiques. Up, down, turn around, please don’t let me hit the ground. Je fermai les yeux pour laisser la suite s’échapper de mes pensées et de mes lèvres. Tonight I think I’ll walk alone, I’ll find my soul as I go home. J’enlevai mes chaussettes, retrouvant la pâleur morbide de mes pieds maigres, caressai un instant mes orteils avant de laisser l’aiguille s’y planter avidement. Et les sangsues firent le travail. Car mon corps n’était plus qu’un vulgaire marécage qui ne pouvait rester en vie que si seule la maladie y était féconde et reine. L’Extase, enfin. Et si tu as l’impression de voler, c’est peut-être que tu voles. Je me levai en tanguant, attrapant mon iPhone d’une main hésitante. J’avais sûrement des appels manqués. Des messages non lus. Des responsabilités à prendre. Oh et vous pouvez sûrement tous aller vous faire  foutre, songeai-je simple en titubant vers la sortie de la chambre. Je longeai le couloir : les murs n’étaient plus blancs, cette fois j’y voyais des fissures qui s’agitaient comme les cheveux d’un ange ondulant dans le vent céleste et divin. Elles étaient faites d’or et d’espoir. Heaven, a gateway, a hope … Je souris et me retrouvai au rez-de-chaussée sans me souvenir d’avoir emprunté l’escalier. Mes pieds nus sur le sol froid rafraîchissaient mon corps entier. Je baissai les yeux, soulevai les talons pour me mettre sur la pointe de mes orteils, puis je quittai le carrelage, défiant les lois de la physique. On n’a jamais défini ce qui était réel. Je tournai la tête pour observer ce qui m’entourait. Tu ne sens pas le sol sous tes pieds ? Peut-être que tu voles vraiment. Qu’est-ce qui t’empêche de le croire ? C’est la sensation qu’ont les oiseaux lorsqu’ils agitent leurs ailes. La liberté absolue. Mon corps était aussi léger qu’une plume et je tournoyai jusqu’aux enceintes du salon pour y brancher mon portable. Je voulais ma berceuse. Je voulais la redécouvrir. New Order. Je ne surprenais même plus dans mes choix. J’étais une évidence mais je m’en moquais. Ils étaient les seuls capables de me faire sourire comme si j’étais heureuse. Mais peut-être que tu es heureuse Abi. Peut-être que ceci est réel aussi. Je secouai la tête, incrédule et continuai de voler dans la pièce après que la chanson commença. Temptation. Je m’arrêtai devant le large miroir qui ornait l’un des murs et penchai mon visage vers celui-ci. Je clignai des yeux en rythme. Oh you’ve got green eyes, oh you’ve got blue eyes, oh you’ve got grey eyes. Mes iris changèrent à chaque fois de couleur. La musique devenait réalité elle aussi. Elle devenait ma vision.

And I’ve never seen anyone quite like you before
No, I’ve never met anyone quite like you before

J’écartai les bras et commençai à chanter. De toutes mes forces. De toute mon âme. Heaven, a gateway, a hope, just like a feeling I need, it’s no joke. Les mots avaient le goût du miel sur mon palais. L’héroïne dansait sous ma peau comme une princesse à son premier bal. And though it hurts me to see you this way, betrayed by words, I’d never heard, too hard to say. Je m’élançai vers le plafond, tournant comme jamais. L’air avait la consistence des nuages et l’odeur des étoiles.
Up
Down
Turn around
Please
don’t
let
me
hit
the
ground
Tonight I think I’ll walk alone
I’ll find my soul as I go home


Puis je hurlai : UP, DOWN, TURN AROUND, PLEASE DON’T LET ME HIT THE GROUND, TONIGHT I THINK I’LL WALK ALONE, I’LL FIND MY SOUL AS I GO HOME.
Je me laissai tomber en arrière mais mon dos resta en apesanteur. Je roulai alors pour observer la pièce depuis le plafond. Tout me paraissait si loin. J’étais comme une astronaute contemplant la planète depuis les étoiles. Si tu as l’impression de toucher les étoiles, c’est peut-être que tu les touches. Mais les étoiles déjà dans mes yeux. Ceux-ci étaient devenus mes mains et j’attrapai tout ce que je voyais. Je tendis les bras et ils s’étirèrent jusqu’au canapé. Je caressai le tissu des coussins, puis le cuir sombre avant d’effectuer une nouvelle pression et de monter encore plus haut. Le plafond reculait à mesure que j’avançais. Je me serais cru dans un manoir aux murs  infiniment grands si je n’avais pas déjà connu ce plafond par cœur, l’observant chaque fois un peu plus longtemps à force de ne rien faire. J’étendis mes ailes, à nouveau. Each way I turn, I know I’ll always try to break this circle that has been placed around me. Je virevoltai, plongeai, nageai dans le vide sans ressentir la moindre fatigue. Je n’en goûtais que la liberté, gagnée à la sueur de mon front, de ma peau. From time to time, I find I’ve lost some need that was urgent to myself, I do believe. Et puis, les couleurs changèrent.
Oh, you’ve got green eyes
Oh, you’ve got blue eyes
Oh, you’ve got grey eyes
Je portai ma main à ma poitrine, à mon cœur, me recroquevillant, tournant comme une sphère, comme la planète que j’observais depuis les astres les plus lointains.
And I’ve never met anyone quite like you before
No, I’ve never met anyone quite like you before
Les mots s’écrivirent un à un sur le plafond alors que j’étendis de nouveau mes bras et mes jambes. J’étais l’étoile la plus grande, la plus visible.
Bolts from above hurt the people down below
People in this world, we have no place to go
Oh, it’s the last time
Oh, it’s the last time
Oh, it’s the last time
Oh, I’ve never met anyone quite like you before
Oh no, I’ve never met anyone quite like you before

La musique mourut finalement et je redescendis, les yeux fermés, la fatigue s’emparant de nouveau de mes muscles, les engourdissant, les paralysant, les tuant après leur avoir déchiré leurs ailes. Je glissai au ralenti sur le sol. Il n’était plus froid. Il était glacé. A son contact, je sentis qu’il ne voulait pas me laisser partir. Qu’il devenait comme des sables mouvants à la texture glacée. Ses doigts givrés se refermèrent sur mes poignets et je secouai la tête en gémissant. J’étais bien trop faible pour pouvoir résister. On aurait dit un liquide bleuté recouvrant petit à petit mon corps. Il était à la fois le métal en fusion et les neiges éternelles des glaciers alpins. Je devenais une statue, un fossile. Peut-être me réveillerai-je dans mille ans derrière la vitre d’un musée, témoin à moitié vivant d’une époque corrompue et oubliée. Le plafond s’éloignait de plus en plus. Le liquide perça un trou entre mes lèvres serrées et s’infiltra entre mes dents, sur ma langue et dans ma gorge. Je ne pouvais plus respirer. Je voulus crier mais mes cordes vocales semblaient coupées. Mes narines se bouchèrent, seuls mes yeux pouvaient encore voir. De larges parois de terre noire s’élevèrent autour de moi et je m’enfonçai encore plus bas. Un rectangle blanc de lumière, voilà tout ce que je parvenais à apercevoir autour de moi, et plus les secondes passaient, plus celui-ci rétrécissait. Je tombais pour brûler au centre de la Terre après avoir tenu les étoiles au bout de mes mains fragiles. Une silhouette se dessina dans le rectangle, me toisant sans dire un mot. Je n’essayais même pas de l’appeler, de le faire réagir. Je n’en avais plus la possibilité. Il poussa d’un geste sec du pied un morceau de terre qui vint s’écraser sur mon visage d’acier. J’en fus aveuglée. Mes yeux fondirent avec le reste sans que je puisse ne serais-ce que chuchoter que j’étais encore vivante. Mais je ressens tout cela, est-ce réel ? Je voulus pleurer alors que mon corps était aussi aride que l’écorce d’un arbre mort. Comment définirais-tu le réel, Abigail ? Je restai silencieuse. Pas ainsi. Je ne veux pas qu’il soit ainsi. Je ne veux plus vous croire.

J’ouvris les yeux. L’appartement était plongé dans la pénombre et je gisais sur le sol comme le cadavre d’un mauvais thriller. La pièce était silencieuse et terne, sans aucune couleur. La nuit était simplement noire, perdant avec la sobriété toute sa poésie. Je n’étais pas certaine de réussir à bouger. J’essayai tout de même. Mes doigts se courbèrent peu à peu, non sans difficulté ni douleur. Je serrai le poing et les dents. Plaquant ma paume contre le carrelage, je tendis mon bras, prenant appui de toutes mes forces dessus pour me redresser. Je manquai de tomber une fois, deux fois, six ou dix fois. Je ne comptais plus mes chutes depuis que j’avais arrêté de compter mes ascensions. Elles ne duraient jamais, de toute façon. Je m’agenouillai pour pouvoir enfin retrouver l’usage de mes pieds endoloris. Le trou qu’avait laissé l’aiguille me faisait mal à présent alors que je n’avais rien senti lorsque je l’avais plantée dans ma peau. Je m’étais endormie dans un sommeil sans rêve, simplement plein de couleurs et de formes étranges et terrifiantes. Un sommeil fiévreux, un songe d’opium, au milieu du salon de mon frère. Je ne me rendis compte du risque qu’à cet instant. Je n’aurais pas voulu voir le visage crispé de Theodore ou de Silas si l’un des deux m’avait retrouvée ainsi en rentrant. Mes souvenirs refirent cependant surface un à un. Jasmine était chez les Marshall, Silas dans son monde et Theodore à Belfast. Je voulus jeter un coup d’œil à l’horloge pour vérifier l’heure mais en me relevant, je tombais sur mon reflet dans le miroir. Sans aucune lumière cette fois. Sans aucune couleur. Mes joues étaient creuses comme jamais et mon regard parfaitement éteint et vitreux. Je ne retournais pas à la vie. Voilà la réalité que je connaissais. L’autre réalité était bien trop dangereuse, pourtant je me permettais d’y aller sans gêne. J’allais en mourir un jour, mais cela n’avait pas d’importance. Je préférai mourir consumée par la poussière des étoiles que j’avais étreintes plutôt que gelée par l’attente impuissante de les voir venir à moi chaque soir alors qu’elles ne faisaient que s’éteindre dans un ciel d’hiver éternel. Mes frères ne le comprenaient pas. Ils ne voyaient que les apparences. Le danger. Les marques sur ma peau de platine. A l’intérieur se cachaient pourtant les rayons d’un soleil qui brillait sur un autre monde. Un monde de synesthésie et d’infinité. Le leur était si morose, on me demandait d’y rester pour des dizaines d’années encore. Mais je refusais d’être captive d’un enfer que l’on maquillait en réalité. Comment définirais-tu la réalité, Abigail ? En vérité, je ne le savais pas encore et j’occultais toutes les réponses car j’avais peur de le découvrir. Je me détournai du miroir et remarquai dans le coin une porte close. Je reniflai et passai une main, moite à nouveau, sur mon front brûlant. D’une démarche fiévreuse, je glissai vers l’objet de mon regard. Un code en fermait l’entrée. J’avais essayé un million de fois de le deviner, mais l’esprit tordu de mon frère gardait ses secrets bien gardés. Un clavier, dix chiffres, un large mystère. Je m’adossai au mur en sortant une cigarette et l’allumant sans me préoccuper de l’interdiction formelle de Theodore. Ne pas fumer dans l’appartement. Il m’avait accordé ma chambre à contrecœur et ne m’ennuyait plus avec ça, même s’il m’arrivait de croiser quelques regards noirs de sa part lorsque j’enlevai mon manteau et que l’odeur du tabac froid embaumait l’air de la pièce dans laquelle il se trouvait. Je soufflai la fumée avec un sourire. Cet homme n’était pas que regards noirs et dédaigneux. Je l’avais vu différent. J’avais grandi à ses côtés après tout. « Up, down, turn around … » Je chantai à nouveau le refrain de Temptation en effectuant quelques mouvements chorégraphiés, en rythme avec ma voix, en harmonie avec les paroles. « … please don’t let me hit the ground … » Je me laissai tomber sur le canapé, les yeux rivés vers le plafond redevenu blanc et neutre, de ce thème minimaliste que mon frère semblait tant apprécier. On se noyait dans tant de blancheur. On s’ennuyait de tant d’absence. J’avais longtemps cru que c’était ce qui caractérisait Theodore. Il se définissait par ce qu’il n’était pas et non ce qu’il était. Mais c’était faux. C’était faux de croire qu’il n’avait aucune qualité, aucune joie dans ses sourires. Elle était simplement bien dissimulée, mais je l’avais connue durant mon enfance et je la reconnaissais lorsqu’il posait ses yeux de père sur Jasmine. « Tonight I think I’ll walk alone, I’ll find my soul as I go home. » Peut-être qu’il retrouverait son âme lui aussi, un soir comme celui-ci alors qu’il rentrait seul chez lui, au détour d’une rue. Je l’espérais. Theodore m’avait offert mon premier cd de New Order. En vérité, je lui avais volé et il avait entendu leur musique s’échapper de ma chambre un jour. Il s’était arrêté dans l’encadrement de ma porte et m’avait toisée pendant quelques secondes, me mettant mal à l’aise et inquiète quant à sa réaction. Puis, finalement, quelques battements de cils lui suffirent et il disparut sans même hocher la tête. J’ignorais s’il s’en moquait ou s’il avait réellement accepté de me donner ce disque. Le résultat pouvait sembler être le même, mais sa décision changeait absolument tout. Sa décision changeait celui qu’il était mais j’en ignorais la nature. J’avais pris cela comme un cadeau malgré tout. Il ne m’avait jamais offert grand-chose pour mes anniversaires, gardant le visage de celui qui avait oublié, qui s’en moquait, qui ne me considérait pas comme digne d’intérêt. Néanmoins je l’aimais tout de même car ses quelques battements de cils m’avaient rendue plus heureuse. Et qui sait, j’avais encore quelques anniversaires devant moi pour qu’il puisse se rattraper. Le prochain approchait à grands pas, d’ailleurs.

Je me redressai brusquement et braquai mon regard sur la porte scellée. Je m’en approchai et tendis une main tremblante vers les chiffres luisant dans la pénombre. Je retraçai le contour de chaque bouton du bout des doigts avant de me lancer : 01-10-91. La diode verte s’alluma avant même que je ne puisse retenir ma respiration dans un dernier élan de nervosité. J’enroulai mes phalanges autour de la pognée et ouvris sans attendre une seconde de plus. C’était à la fois si étonnant et si juste. Personne ne pouvait s’en douter sauf moi. La question de savoir s’il avait eu envie que j’ouvre cette porte un jour ou s’il ne s’était jamais attendu à ce que je sois confrontée à l’ouverture de celle-ci restait entière. Mais à nouveau, le résultat était le même et j’entrai dans la pièce avec une appréhension nouvelle. Elle ressemblait au reste de l’appartement dans son style, ses meubles, sa propreté et sa blancheur. J’allumai la lumière et contemplai un instant le bureau au centre avant de m’en approcher d’un pas plus assuré que le précédent. Je ne pensais même plus à éteindre ma cigarette : il pourrait sentir que j’avais pénétré cet endroit interdit, la fumée avait déjà atteint le mur opposé. Mon premier réflexe fut d’ouvrir les tiroirs, avant même de m’intéresser aux documents visibles. J’y trouvai son passeport et ne pus m’empêcher de constater les dégâts. Sauf que Theodore était l’exception qui confirmait la règle : sa photo d’identité, au lieu de n’être que la version fantôme de son vrai visage, lui ressemblait terriblement. Il avait cette gueule tous les jours : les prunelles pleines d’une rage éteinte, les lèvres crispées en un sourire qui n’en était pas un, le teint gris, la barbe taillée et les cheveux coiffés mais libres. Je reposai le passeport, amusée, pour sortir un autre document : un cahier à la couverture en cuir blanc ivoire, aux lettres d’or. J’y jetai un rapide coup d’œil, devinant qu’il s’agissait du livret de famille. Jasmine Jolene Pheobe Rottenford Marshall. Cette fois je souris avec douceur avant de tout remettre à sa place. Jolene. Ses secrets étaient donc beaucoup trop bien gardés pour moi. Jolene, Jolene, Jolene. Je l’imaginai chanter cette chanson à sa fille sans qu’elle ne puisse en comprendre la véritable signification, mais capturant tout de même la mélodie en même temps que la joie qu’elle pouvait lire dans les yeux de son père. Je fus alors attirée par l’affaire qu’il traitait et parcourus d’un œil attentif les documents qu’il avait laissés sur le bureau. J’écrasai ma cigarette dans un cendrier en verre gravé avec goût d’arabesques orientales et fronçai les sourcils en léchant le bout de mes doigts pour tourner plus rapidement les pages. Il semblait bloqué dans une impasse, et ce depuis quelques jours déjà. Il avait écrit quelques notes en parallèle et la date de l'avant-veille ponctuait la dernière. Je connaissais Theodore. Il n’écrivait que lorsqu’il savait. Il était confronté à un nœud et je sentis mon cœur battre un peu plus fort lorsque je commençai à me rendre compte que j’avais les doigts assez fins pour le démêler. Penser autrement. Je pensais surtout extrêmement rapidement et il me fallut une vingtaine de minutes pour cerner un semblant de solution. Un début dont il tracerait la suite car il était plus habile que moi à ces jeux-là. Je changeai alors l’ordre des dossiers et complétai ses notes en entourant les informations pertinentes, indiquant les liens nouveaux qu’il n’avait pas vus par de fines flèches courbées. J’osai même quelques mots de mon écriture en pattes de mouche. Mais je dus suspendre mes gestes en entendant la clé dans la serrure de la porte d’entrée. Par réflexe, même si je savais que cela serait vain, je voulus m’échapper. Ne pas qu’il me trouve ici. Je n’avais plus le temps de sortir pour filer dans ma chambre, si bien que j’éteignis la lumière et me collai au mur, à l’ombre d’une étagère. Il me verrait. Il me sentirait, sentirait mon odeur partout et ma sueur sur son siège. Mais peu m’importait. Je ne voulais pas que mon air inquiet soit la première chose qu’il remarque, même si ma peur vaine coulait sur les parois de la pièce à présent. La porte s’ouvrit et sa silhouette se découpa dans la lumière alors que j’eus un pincement au cœur : il ressemblait à celui qui m’avait enterrée vivante. Il s’avança, jeta un coup d’œil à son bureau avant de sortir des cigares d’une commode, dans un coin, puis deux verres d’un minibar qu’il remplit de whisky. Je retins ma respiration. Futilité. L’odeur de l’héroïne était partout. Il s’installa dans le fauteuil et soupira. « Il est permis de fumer ici. » Je levai les yeux au ciel en entrouvrant la bouche, agacée par sa voix. J’esquissai un mouvement vers la sortie mais je sentis ses pupilles d’aigle me toiser, me transpercer. Je m’immobilisai alors qu’il reprit la parole. « Ta mère a posé des questions. J’ai dit que tu allais bien. Appelle-la quand tu es sobre. » Je levai le menton et expirai lentement, refusant de le regarder. Je croisai les bras dans une attitude boudeuse, telle une enfant prise en flagrant délit. Mais c’était ce que j’étais, après tout. Je n’avais rien à faire là. Je n’avais rien à faire dans sa vie, pour commencer, et je venais violer ce qu’il voulait garder privé. Je me moquais de ma mère. Elle m’avait abandonnée depuis des années mais elle faisait parfois semblant de se préoccuper de moi. Mes parents se débarrassaient de moi à la moindre occasion. Dublin, l’Europe toute entière et maintenant Londres. J’étais orpheline avant même qu’ils na soient morts. Theodore connaissait ma pensée. J’ignorais s’il se moquait de moi ou s’il passait un simple message. Je hochai vaguement la tête sans répondre. Laisse ta putain de petite sœur repartir. Disparaître. Ce n’est pas si difficile. Mais son silence retenait mes pas. Il avait sorti deux verres après tout. « Viens t’asseoir. » Je déglutis avant de tourner la tête vers lui. Il mâchouillait son cigare avec son calme habituel. J’hésitai avant de lui obéir. Pourquoi ? Je m’installai dans le fauteuil qui faisait face au sien et seul son bureau nous séparait à présent. Pourtant je percevais encore le film invisible qui s’élevait constamment entre nous, distinguant sa réalité de la mienne. Mais peut-être qu’aujourd’hui il avait envie de rendre cette frontière poreuse, juste pour cette fois. Je me raclai la gorge en allumant une nouvelle cigarette. « Jolene ? » Je haussai les sourcils. Première question sur la longue liste qui se déroulait devant nous, ce vieux parchemin que j’avais conservé toute ma vie. Et pourtant, j’avais déjà coché Theodore. J’en avais assez d’inscrire son nom sur des listes simplement parce que celui-ci était gravé au poignard dans mon esprit. « Je croyais que tu respectais ta fille. » Je le toisai sans sourire. C’était dans des instants pareils que l’on ne pouvait pas se tromper : nous étions décidément du même sang. Du même tempérament. « Gronde-moi vite, il faut que je retourne me défoncer dans ma chambre pour ne pas être capable d’appeler ma mère. » Car apparemment ce n’était plus la sienne. Ta mère, avait-il dit. Il la considérait d’une si étrange manière et pourtant j’étais d’accord avec ce qu’il en disait. Sans lui révéler. Nous ne parlions pas. Nous ne nous envoyions que des épines, des éclairs, des regards noirs et des battements de cils.

Le respect se perd. #prideissues
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Theodore A. Rottenford
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() message posté Ven 13 Nov 2015 - 19:49 par Theodore A. Rottenford

“Two possibilities exist: either we are alone in the Universe or we are not. Both are equally terrifying.” « Dans la vie il y a des blessures qui, comme la lèpre, rongent l'âme dans la solitude », avait écrit l'iranien Sadegh Hedayat dans son roman ; les chouettes aveugles. Je triturai le bout de mes ongles en soupirant. Je n'étais pas une chouette aveugle. J'étais un aigle sourd. Et pourtant je sentais la nostalgie s'épandre sur mon âme et l'isoler du reste de l'univers. Ma voix crissait au fond de ma gorge mais je ne l'entendais pas. Ma position à l'égard de la mafia ne changeait pas. Je croyais à notre façon de penser, d'agir et de tuer. Je partageais tous les idéaux de notre temps et j'espérais qu'ils survivent à tous les troubles de la succession. Lug Siegel ne réalisait pas encore les étendues de ma folie. J'étais irlandais. Je me souvenais de mon enfance dans les rues de Belfast. Je respirais la fraîcheur de la mer à travers les parois sinistres de la maison de mes parents. J'avais grandi dans l'oppression d'un régime chargé de préjugés et de mauvaises intentions. J'avais pour habitude de m'enfermer dans ma chambre, la silhouette allongée par les réflexions de la lampe de chevet. Ma poitrine était flasque, noircie au milieu des ombres et des livres d'histoire. On s'appelait presque tous Theodore ici. Il y avait d'abord mon grand-père, puis mon père ; l'avocat véreux du clan mafieux le plus cruel d'Europe de l'Ouest. C'était un homme que je ne comprenais pas. Il m'accompagnait à la paroisse du village, à l'autre bout de la colline, en désignant une divinité lointaine et invisible, mais il n'avait pas la foi. Il ne connaissait pas le sens réel de Jesus. Moi, je le connaissais. Je le sentais effleurer mes joues cramoisis alors que je trottinais sur l'asphalte humide des ruelles. Les dernières lueurs du soleil traversaient l'obscurité pluvieuse et froide, faisant naître des ombres mouvantes autour des flaques d'eau. Je pensais réellement aux textes religieux de la bible. Je tentais d'en décortiquer chaque mot afin de me rapprocher de cette religion libératrice à laquelle appartenait ma famille depuis des générations. J'admirais l'idée du sacrifice, du don de soi et de la croyance. Je voyais des crucifix partout ; autour des cou, sur les poignets, au sommet des bâtiments et dans mon cœur. Comme j'aimais ces soirées sombres et tristes d'automne, où mon père me laissait au premier rang, face à lumière des cierges et aux serments du prêtre. J'étais seul mais il m'adressait ses plus belles prières, couvrant de sa voix rauque et puissante, tous les cris qui s'élevaient de la cave. Je n'avais pas peur. Toute cette agitation était habituelle. Il s'agissait d'une musique qui tournoyait dans les sphères verdoyantes de Belfast. Tout le monde chantait dans la nuit. J'étais âgé de neuf ans lorsqu'on m'avait transmis mon héritage pour la première fois. Il ne s'agissait pas d'une simple marque d'encre sur l'épaule. Le trèfle était une chanson magnifique. Une douleur harmonieuse et rythmée qui désignait une nouvelle naissance dans le clan. Mon père était revenu me chercher après quelques heures et je l'avais suivi avec avidité, en me pénétrant de ces atmosphères solitaires et pieuses qui se dessinaient sur les murs. Je pressais le pas, à moitié émoustillé dans mon manteau. Il m'entraîna vers le jardin où les buissons se penchaient de manière hostile vers le sol mouillé. Puis nous restâmes sous les averses de la tempête pendant de longues minutes. Theodore Senior se tourna vers la rue en souriant. «  Tu es mon fils.  » Annonça-t-il sur un ton bourru. Je fronçai les sourcils en hochant la tête. J'étais son fils. Je le savais déjà. Je lui ressemblais beaucoup trop. Nous avions la même stature, le même regard et le même grain de beauté. «  N'oublie pas que tu es mon fils.  »Siffla-t-il sans me regarder. Ma poitrine se serra tout à coup. Je notais la précision de ses gestes et de ses mots. Il ne prenait aucun risque. Il se modérait toujours en ma présence, comme si je n'étais pas tout à fait digne de sa confiance. Je savais qu'il m'aimait. Mais l'affection ne pouvait pas racheter la vie dans le milieu. L'amour n'avait aucune signification. Je restai immobile en le fixant d'un air crédule. «  Ce soir, tu auras deux familles. Tu auras probablement plusieurs pères et plusieurs oncles, mais tu es mon fils. Ta vraie vie commencera lorsque tu te rendras compte que tu n'as qu'une seule vraie famille. » Il parlait probablement des liens du sang. De lui, de mère et de Silas. Je frissonnai en secouant les épaules. Je connaissais déjà les hommes de main du clan O'Connor. Je les avais tous rencontré lors des réunions privés qui avaient lieu dans notre salon. Je ressentais une certaine fascination en les voyant marcher dans le couloir avec éloquence et détachement. «  Tu dois toujours rester fidèle aux tiens. Tu dois protéger ton frère contre tes autres frères. » Je marquais ses recommandations dans ma tête, pleine de poésies et de promesses. Il n'y avait pas d'âge pour être un adulte. Il n'y avait pas d'âge pour connaître ses limites. J'arborai une expression mesquine en bombant le torse. « Et le bébé? » M'enquis-je d'une voix fluette. Je buvais littéralement ses paroles. Je me conformais à ses ordres car j'étais un petit garçon obéissant et religieux. Theodore Senior se pencha à ma hauteur puis il caressa la pointe de mon menton en souriant. «Tu es mon fils. » Il soulignait le peu de valeur qu'avait son affirmation comme si j'étais son seul enfant. Comme si Silas, et la petite fille qui grandissait dans le ventre de mère, n'existaient pas tant que j'étais là. Je pinçai les lèvres en me tournant vers la paroisse. Je m'avançai entre les versets accueillants de la religion avant d'être acheminé dans le sous-sol. Il y avait plusieurs hommes en bas, et parmi eux, se tenait ma mère : Clara Ó Ceallaigh. Mais tout le monde l’appelait Madame C. Elle était aussi belle qu'une statue de marbre. Son teint blafard illuminait la pièce en exaltant des perles de sueur sur ses joues saillantes. Elle était enceinte depuis plusieurs mois, mais elle n'avait jamais arrêté les affaires. J'observais sa magnifique chevelure ébène. Ses mèches brunes devenaient ocre sous le faible éclairage des bougies, renvoyant mon imagination vers la couleur du sang frais. Elle tenait un revolver sur son ventre arrondi et je me demandais si sa posture était plus intimidante pour les autres ou pour l'enfant qui barbotait à l’intérieur de ses entrailles. Je restai en retrait en l'observant discrètement. Je n'étais pas sûr qu'elle m'avait vu, pourtant elle se déplaça en me désignant du regard. «  Theodore, approche. » Ordonna-t-elle d'une voix tranchante. Je m’exécutai immédiatement. Les relents de putréfaction remontaient dans mes narines au fur et à mesure que je rejoignais le fond de la pièce. Je suffoquais en dégustant l'odeur nauséabonde de la mort jusqu'à la dernière goutte. Clara ne possédait aucun réflexe maternel. Elle réagissait comme une machine de guerre, toujours prête à asservir ses ennemis. C'était ce qu'elle avait toujours fait. Sa croyance était représentée par sa force de caractère et son manque de tact. «  Quel âge as-tu ? » Je relevai la tête, l'expression mutine et le regard embaumé par les larmes. « J'ai peur, maman. » Elle serra les dents en réitérant sa question avec plus de férocité. «  Quel âge as-tu, Theodore ? » Je sursautai en effectuant un mouvement de recul. N'était-elle pas supposée connaître ce genre de détails ? J'étais son fils et le calcul était facile. « Neuf ans. » Couinai-je en fermant les poings, mais elle plissa le front d'un air réprobateur. Ce n'était pas ce qu'elle attendait de moi. Je remuai le bout du nez en ouvrant la bouche : « Huit ans et onze mois. » Elle resta silencieuse, ne m'adressant aucune attention jusqu'à ce que je lui réponde correctement. « Trois milles, deux cents cinquante cinq jours. » Elle hocha finalement la tête. Un sourire machiavélique orna le coin de ses lèvres rosées. Elle pressa délicatement ses doigts contre la détente de son arme tout en maintenant sa prise sur son ventre. « Tu es doué pour les calculs, Theo. Je suis fière de toi. » Elle pencha la tête avant de se tourner vers les truands qui attendaient ses prochaines directives. Je ne savais pas ce que je faisais là. On m'avait toujours laissé seul à l'étage ou dans la mansarde. Mais, j'avais le pressentiment que les choses étaient sur le point de changer aujourd'hui. Il s'agissait de ma première initiation au travail de la pègre. Il y en avait plusieurs, et la mienne commençait à un âge précice. Je déglutis en écarquillant les yeux dans la pénombre. Deux grands hommes s'approchèrent de moi. Je tressaillis, les bras tendus en avant, mais je n'avais pas la force de protester. Je fus porté sur un énorme fauteuil. Ma mère fit glisser la manche de mon pull d'un geste sec. « Maman, je veux partir s'il te plaît. » Sifflai-je, effrayé par les bruits des aiguilles et les clapotements des ustensiles. Elle ne broncha pas, se contentant de grommeler des codes que je n'arrivais pas encore à comprendre. Elle parlait trop souvent gaélique. Elle le faisait exprès car seuls les Ó Ceallaigh pouvaient distinguer cette variante du langage. Cela allait à l'encontre de l'unicité de la mafia, et pourtant, ses comportement contradictions étaient toujours tolérés par les chefs. « Maman ! » M'exclamai-je afin d'attirer son attention. Elle me regarda froidement et je restai immobile sur mon siège. Le vent tombait sur mon épaule dévêtu, mais je n'avais pas froid. Il y avait des sentiments étranges qui se décomposaient au fond de ma gorge : la honte et la lâcheté. Lentement, ma mère leva la main en laissant tomber son arme. Elle se détachait enfin de la prise de ma petite sœur afin de me toucher. Je me débattais afin de la rejoindre mais elle arqua un sourcil en m'intimant le silence. « Tu es grand maintenant, Theodore. Tu ne peux plus m'appeler maman. » Elle crispa ses doigts sur ma joue et je compris tout à coup. Je compris que c'était à mon tour de chanter dans la nuit. Je compris que les visites à la paroisse n'étaient qu'un prétexte pour s'éloigner de Dieu. Moi, je l'aimais réellement. Je m'accrochais aux desseins vaporeux qui s'élevaient vers le plafond en croyant y avoir les anges danser au gré de ma mélodie. Lorsque je chantais, il fallait toujours que quelqu'un danse.

C'était le passé. J'avais réussi tous les tests jusqu'au dernier. J'avais suivi toutes les règles en espérant épargner ma fratrie. Silas n'avait jamais été initié. Il était parti avant sa majorité afin d'explorer un monde auquel il n'appartenait pas. Sa place était en Irlande mais il rejetait les valeurs de la famille. Je l'avais regardé s'éloigner sans un mot. Et il avait traversé la ligne d'horizon sans se retourner. Mon frère était brave et joyeux. Il avait bon cœur, mais il était aussi complètement irresponsable. Son départ n'était pas une offrande. Madame C avait préféré le bannir plutôt que de lui apprendre à chanter lui aussi. Puis, elle avait toujours Abigail. Celle qui était née avec le don. Celle qui n'avait pas besoin de crier pour souffrir. Elles se ressemblaient tellement toutes les deux. La reine et l'héritière du trône Ó Ceallaigh. Elles n'avaient pas besoin d'être tatouées. Elles portaient la marque de la royauté sur leurs fronts comme une gravure étoilée. Et pourtant, j'avais déjà aperçu le trèfle irlandais sur la pointe de leurs épaules. Les femmes qui m'entouraient avaient quelque chose de particulier. Ma mère était une créature mythologique cruelle. Scarface, était une gamine désabusée. Et ma sœur était le martyre d'une génération à venir. Je soupirai en raffermissant ma prise sur l'étui à cigares. Devais-je regretter mon enfance ? Non. Certainement pas. Il ne fallait rien regretter de ce qui se passait au sein de la mafia. Aujourd'hui, toutes les heures et toutes les journées se perdaient dans mon quotidien. Je ne faisais qu'endurer avec nostalgie les moments d'émotions et de surprises. Entre deux mesures de piano jouées, je m'abandonnais au souvenir du petit garçon âgé de trois milles, deux cents cinquante cinq jours. Je me rappelais de son sentiment. Parfois, je ressentais encore sa honte et sa peur. Il était terrifié dans une cellule d'isolement tandis que le bourreau pointait une aiguille vers sa peau immaculée. Il s'était abandonné à la sévérité de Madame C et de sa progéniture diabolique. Abigail avait été là. Elle m'avait vu étouffer mes sanglots avant de tomber au sol. J'esquissai un faible rictus. J'avais tellement grandi. J'étais âgé de douze mille quarante cinq jours et je connaissais tous les rouages du crime organisé. Je les tenais entre mes mains comme une coupe d'eau précieuse que je vidais par gorgées et à présent, elle ne s'emplissait plus. Je me tournai vers Abigail, attristé, mais aussi profondément agité. Si elle prenait ses aises dans mon bureau, c'est que la noirceur de ma malédiction avait fini par la contaminer. Retourne dans ta douleur, Jolene. Chacun ses vices et ses talents. Tu peux parcourir le ciel sans quitter le plancher. Et moi, je peux voler sans déployer les ailes. Nous avions toujours souffert avec félicité sans opposer aucune résistance au destin. Les Rottenford étaient forgés dans le magma rougeoyant des volcans. Ils ne craignaient plus les flammes. Il acquiesçaient à tout, laissaient leurs cœurs s'ouvrir à tout. Parce qu'il n'y avait plus rien à détruire dans une vie creuse et sans couleurs. Il n'y avait plus rien à détruire dans le magma.

Jolene. Jolene. Jolene. Je souris en énonçant ce prénom trois fois, comme s'il s'agissait d'une formule magique ou d'une incantation. J'étais incapable d'expliquer quels plaisirs résonnaient dans sa musicalité oppressante. Mais je m'occupais toujours à chantonner ces syllabes avant de retrouver mon chemin sur la chaussée mouillée, à travers les quartiers les plus tranquilles et le plus bourgeois de la ville. Je me sentais moins égaré lorsque je portais l'essence d'une sœur ou d'une fille au sein de mon chaos. Je fermai les yeux un instant. Abigail était assise en face de moi, mais je la revoyais encore dans un berceau, le visage poupin et les yeux exorbités vers des formes dansantes que je n'arrivais plus à distinguer. Les barres en bois étaient trop hautes, alors je glissais mes petites mains entre les espaces pour la toucher. Sa joue était toujours chaude, contrairement à la mienne. Elle avait hérité du teint blafard et effrayant de madame C mais ses cheveux étaient noirs et sans éclats. Les reflets qui filtraient à travers les rideaux de la chambre mourraient entre ses boucles ondulées sans rejoindre les nuances orangers ou pourpre du sang. J'avais toujours aimé cette analogie mais elle m'en avait privé dès sa naissance. Bien sûr, cela ne m'empêchait pas de la trouver jolie. Elle avait déjà les traits mesquins et envoûtants. Je connaissais son rôle dans la chaîne alimentaire ; sa silhouette flottait entre les lignes de la pyramide sans rejoindre un rang. Abigail était un prédateur déguisé en agneau. Elle existait pour aguicher et entraîner vers le bas, avant de remonter vers les hautes sphères. Je pinçai les lèvres en glissant le tube de tabac dans ma bouche. Les effluves de l’héroïne s'étaient légèrement dissipées entre les meubles. J'arquai un sourcil d'un air revêche mais je n'émis aucun commentaire. Là, je me sentais à l'abri. Certes, ce n'était qu'une pièce comme toutes les autres. Mais j'y retrouvais un lieu tranquille d'observation face au portrait d'une foule de paysans dans un marché de campagne. Ces silhouettes pleines d'euphorie que je connaissais par cœur. Ou peut-être s'agissait-il de gars solitaires et maniaques comme moi. Je glissai la langue contre mon palais en dégustant la saveur des feuilles de tabac. Le mal était moindre sur mon corps, mais le risque existait toujours. Je haussai les épaules en me penchant vers la table. Mes doigts se fermèrent sur les parois de la bouteille d'un geste précis. Abigail n'avait pas réagit à mon message. S'il y avait bien quelqu'un qui se souciait d'elle dans la famille, c'était la méduse. Après tout, elle ne l'avait abandonné qu'au moment de l'envoyer à Dublin. Tandis que moi, elle m'avait imposé sa marque à trois milles, deux cents cinquante cinq jours, sous prétexte que j'étais doué en mathématiques. Elle n'avait pas à se plaindre. Mais voilà qu'elle arborait cette mine déconfite d'enfant. Je levai les yeux au plafond en désaltérant ma soif. Je n'avais pas réellement de questions à lui poser. Elle était là parce qu'elle n'avait nul part ou aller. L'appartement était assez grand pour qu'elle puisse vagabonder en toute liberté dans ses délires et ses psycho manies, mais c'était moi qu'elle choisissait. Elle voulait absolument trouver un moyen de s'attacher à notre relation qu'elle en oubliait tout simplement d'exister. Je tendis le bras en grognant. Parfois, je comprenais pourquoi elle était la favorite des Ó Ceallaigh. Elle était l'une des leurs. Son caractère était bien plus rustique et sa langue fourchait lorsqu'elle tentait de s'exprimer en celtique. Abigail n'était pas une irlandaise comme les autres. Elle n'avait aucune tâche de rousseur, aucune nuance oranger sur la tête. Elle était parfaite dans son imperfection. Sa beauté était atypique et dangereuse. Elle avait tout pour devenir une méduse. Mais au lieu de figer les Hommes en statut de pierre, elle préférait regarder son reflet se glacer dans le miroir. Et oublier. Elle voulait surtout oublier. L'abandon. La réalité. L'amour. Ian. Elle s'accrochait aux souvenirs futiles en essayant de les oublier. Alors, qu'il suffisait de fermer les yeux pour avancer. Je crispai la mâchoire.Ma pauvre petite sœur. Tu n'y arrives pas dans un monde aussi cruel ? Je laissai échapper un rire sarcastique avant de me redresser sur mon siège. Elle agitait ses doigts comme des griffes en aspirant les fumées de sa cigarette. Et encore une fois, je cru apercevoir le visage de notre mère derrière le film opaque qui nous séparait. Je la jaugeais discrètement, mesurant ses inspirations d'un œil acerbe. « Jolene ? »  S'enquit-elle avec lenteur. Contrairement à moi, elle semblait avoir beaucoup d'interrogations ce soir. Je fronçai les sourcils, presque amusé par son entêtement. Après avoir fait intrusion dans mon bureau, elle voulait pénétrer mon âme. Mais il n'y avait rien à voir au fond de la crevasse éteinte. Il n'y avait jamais rien à voir dans le noir. Je me mordis la lèvre inférieure en versant un fond de whisky dans mon verre. La journée avait été longue mais la nuit était éternelle. Toutes ces notions se chevauchaient dans l'univers Rottenford. Et le temps. Le temps ne suffisait plus à combler le vide et le besoin. Plus rien ne répondait aux demandes du sang lacté sur nos horizons. Je lui souris en hochant la tête. Petite Abigail, l'amour est une comète qui file à toute allure. Elle ne passe qu'une fois par décennie. Il faut veiller pour la voir. Veux-tu rester ici, et veiller en ma compagnie ? Je bus une lampée en serrant les dents. « Je croyais que tu respectais ta fille.» C'était donc à cela qu'elle réfléchissait, à mes sentiments à l'égard de Jasmine ? Ou peut-être avait-elle du mal à contenir son émotion en découvrant que mon perchoir était orné par les édifices de sa vie. Sa date de naissance. Son deuxième prénom. Son écriture en pattes de mouche. Je croisai les jambes en tirant sur les rebords de mon fauteuil. «  Non. Tu croyais que je ne respectais pas ma sœur. C'est différent.» Annonçai-je froidement. Il me semblait nécessaire d'éclaircir ce point. Jolene était un joli prénom ; il avait une connotation religieuse que j'étais le seul à réellement apprécier. Le féminin de Joseph. Celle que Dieu élevait toujours. Abigail ne croyait pas aux foutaises mystiques. Sa souveraine était extase. Nous nous regardions pendant un long moment, pétrifiés et immobiles sur le fond d'un firmament nocturne. Si elle ne disait rien, j'étais capable de garder le silence pour toujours. Mais Abigail avait toujours une liste en tête. Quelque chose à dire ou à contester. « Gronde-moi vite, il faut que je retourne me défoncer dans ma chambre pour ne pas être capable d’appeler ma mère. » Je plissai le front en désignant sa boisson. J'insistais pour qu'elle réponde à mon invitation. C'était impoli de décliner alors que j'avais expressément formulé ma phrase. Viens d’asseoir. Je ne lui laissais pas vraiment le choix, de refuser ou de retourner se défoncer dans sa chambre. «  Je n'ai plus le droit de dire que c'est ma mère depuis des années.» Je souris d'un air impertinent. Abigail avait grandi sous la protection de la mafia. Elle avait vécu le plus longtemps en Irlande, mais elle ne savait rien de nos habitudes au sein du clan. Il y avait un hiérarchie. Le sang se mélangeait entre les truands mais les rangs devaient rester intacts. Madame C était une femme de poigne. Elle ne pouvait pas être une bonne mère aussi. Elle faisait partie de la famille la plus influente et la plus proche des O' Connor. Pourquoi sinon, aurait-elle épousé leur avocat ? Je plissai les yeux en m'adossant au rebord. Je savais exactement ce qu'on me demanderait si l’existence de Jazz venait à être découverte. Il faudrait que je l'épie, que je surveille ses talents et ses particularités, afin de lui trouver une place dans un schéma complexe et inhumain. Elle devait appartenir à son héritage. Tout comme Abigail. Tout comme moi. «  Peut-être que la méduse est sincère.» Me moquai-je en roulant des yeux. Il était possible qu'Abigail soit sa favorite, tout comme il était possible qu'elle soit préoccupée par sa réputation. Elle avait déjà engendré un enfant malade. Elle ne pouvait pas supporter un autre déshonneur. «  Tu sais pourquoi je préfère notre père ?» Continuai-je en tournant les pages de mon dossier. Je remarquais ses notes et ses rajouts sans arrêter mon récit. « Il a été gentil avec moi.» Je pris un stylo afin d'encadrer l'adresse du hangar qu'elle m'avait désigné. La solution était là. Dans cet entrepôt abandonné. Je relevai le visage vers Abigail. «  Il suffit d'être gentil une seule fois. Et tu obtiens tout ce que tu veux d'une personne.» Je hochai la tête en me redressant, puis j'esquissai quelques pas vers un rangement. «  Je n'ai jamais rien voulu de toi...» J'ouvris un tiroir afin de sortir une pile de feuilles et de dossiers. «  … Jusqu'à aujourd'hui.» Sifflai-je en disposant les documents à la surface du bureau. La nuit éternelle. La veillée dans l'attente de la comète. L'amour qu'elle désirait tant. C'était maintenant.


Le respect existe pas!
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Anonymous
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() message posté Mar 26 Jan 2016 - 7:17 par Invité
Mes yeux transperçaient mes souvenirs. Je voyais qu’il était songeur et je ne pus qu’être à mon tour emportée dans le flot de ma mémoire, trainée dans la boue de mes émotions biaisées. Quelque chose se cachait sous le ciel irlandais et nous avions toujours cru qu’il s’agissait de nous. Pauvres cons trop fiers. Nous mettions la famille au milieu de tout alors qu’il ne restait qu’un champ de ruines de nos réunions et de nos messes. Personne ne croyait en Dieu, moi la dernière. On priait l’hypocrisie en se gardant d’être dispendieux pour ne pas attirer le regard. Mais la famille n’existait que pour la politique. L’amour était consumé depuis longtemps. J’avais traversé les années en soutenant les regards de mes oncles, des regards qui ne trompaient pas : immondes et dénués du moindre respect. Je l’avais compris bien avant tout le monde car je ne pouvais pas les laisser me corrompre, autant mentalement que physiquement. Ne me touchez pas. Ma mère avait toujours empêché ça mais leurs envies lascives m’écœuraient encore aujourd’hui lorsqu’elles croisaient le chemin de ma mémoire. Je soupirai : qu’en penses-tu Theodore ? Avait-il une opinion sur le fait que j’avais l’allure d’une traînée ? Que j’en étais peut-être une, dans ses pires cauchemars ? Après tout, c’était ce que j’avais dit à Jamie, cette fameuse nuit d’encre où je l’avais corrompu à son tour. Mais mon corps m’appartenait. S’il devait périr ou être traîné dans la boue, je voulais en être la cause. Je me déresponsabilisais peut-être, prétendant que la drogue était le fruit d’une mauvaise éducation – trop stricte, trop noire, trop mêlée à des affaires qu’une petite fille n’aurait jamais dû connaître. Ma mère avait-elle vraiment cru un jour que j’allais la remplacer ? J’étais un accident. Une fille née d’une soirée aux relents de bile et d’alcool. On ne fondait pas un empire sur un accident. Dès le début, mon destin avait été écarté, brisé en mille morceaux et j’avais conservé ce que j’avais pu comme des bouts de verre lacérant ma peau, prônant le désordre et le sang. Combien de seringues avant que mes bras ne vibrent en un dernier soupir ? Un sourire froid gagna mes lèvres en même temps que ma cigarette et je relevai le regard vers Theodore, incapable de deviner ses pensées obscures. J’avais fini par m’y désintéresser. Je voulais du concret. Des dossiers lus et relus, ayant perdu leur parfum de nouveauté tant ils semblaient ne plus avoir aucun sens. Cette pièce ressemblait à Theodore. J’avais eu l’impression de pénétrer par surprise dans son esprit et il m’y acceptait enfin, me livrant ce qu’il voulait me dire depuis quelques mois déjà. Pourquoi retenir les secrets ? Je connaissais déjà ceux qui le mettaient en danger et, il le savait pertinemment même s’il refusait de me faire confiance, je n’étais pas du genre à les utiliser contre lui. Je préférais vendre mon âme plutôt que de troubler le sommeil parfait de Jasmine. Elle était un miracle. Elle appartenait à un monde de lumière, j’en étais persuadée. Mes doigts caressèrent le cuir du fauteuil et la fumée enveloppa mon visage. Il l’acceptait. Il acceptait mes torts et mes manies comme si j’avais réussi à franchir une étape singulière. Ses yeux ne quittaient pas mon écriture fine et soignée pourtant je savais qu’il ne perdait pas une miette de mes mouvements désinvoltes. Il m’observait et appréhendait la moindre de mes actions sans même avoir à me fixer. C’était lui qui semblait calculer le diamètre des ronds de fumée que je recrachais toutes les vingt ou trente secondes. Je l’avais compris lors de notre court appel, la nuit où Ian était mort. Il était derrière chaque ombre. Je lui échappais néanmoins. La drogue lui glissait entre les doigts. Elle faisait partie d’un monde qu’il touchait avec des gants et qu’il méprisait de loin sans vraiment parvenir à en saisir la subtilité. C’était évident : je connaissais moi aussi sa place dans la chaîne alimentaire, et s’il était le prédateur carnivore et indompté, il n’acceptait pas que je sois la proie de tous les autres. Ca fait quoi, Theodore ? Je penchai la tête en lui souriant plus franchement, plus froidement aussi. Ca fait quoi de te dire que ta propre sœur est en bas de l’échelle ? Que la drogue que tu vends par kilo et qui n’est qu’un chiffre, un poids entre tes mains devient ce qui régit ma vie entière après son long voyage à travers le monde ? Ça devait forcément l’emmerder quelque part. Oh, il s’en foutait de moi. Mais j’allais rire jaune si une Jasmine adolescente finissait accro aux amphétamines parce que la pression d’une vie de mensonge était trop forte pour ses épaules fragiles de princesse miraculée.

« Non. Tu croyais que je ne respectais pas ma sœur. C’est différent. » J’arquai un sourcil perplexe, peu convaincue. Je croyais ? J’avais eu assez de preuves pour arrêter d’y croire et en être pleinement sûre. Mais il voulait se donner bonne conscience, comme d’habitude. Se dire qu’il était distant pour la bonne cause. Je laissai échapper un rire insolent avant de me pencher vers lui. « Et alors ? Tu as une idée sur la question ? »  Je minaudais presque pour le plaisir. Lui donner l’envie de me mettre à la porte, une défaite ultime dont il ne pouvait s’offrir le luxe. Il avait besoin d’autre chose, plissant ses yeux sournois sur mes mots et mes indications. Il tournait les pages une à une et jugeait de ma perspicacité. S’il détachait son regard du dossier, tout était  perdu : je redevenais sa sœur droguée et incapable. Mais il continua de lire avec attention, rajoutant parfois certains mots ou soulignant les miens d’une manière qu’il voulait distraite mais dont je remarquais la ferveur. Il semblait assoiffé. Comme si on lui avait promis quelque chose et que la carte au trésor avait enfin un sens. Je calai l’arrière de mon crâne au dossier de la chaise et le toisai avec sévérité lorsqu’il posa enfin ses pupilles sur moi, m’incitant à prendre le verre qu’il m’avait servi. Je le saisis et commençai à boire, le sirotant sans autre allure que celle de l’enfant gâté et désabusé. J’aimais bien ce rôle avec lui, puisqu’il était le modèle de toute notre famille. Je lui rappelais ainsi toute l’injustice du processus. On naissait tard alors on nous aimait tard. « Je n’ai plus le droit de dire que c’est ma mère depuis des années. » J’adoptai un air faussement navré pour lui répondre. J’en étais consciente depuis déjà longtemps. Il parlait peu de notre mère. C’était comme une honte inavouée et un idéal brisé cousus ensemble. Son sourire masquait sa déception. Jalousait-il son intérêt pour moi ? Celui que j’avais toujours refusé par dépit ? Je n’étais pas du même monde. La mafia me sauvait la mise mais je ne lui rendais rien – jusqu’à aujourd’hui. C’était un puits d’adrénaline. J’avais écrit des mots les mains tremblantes sans même constater la gravité de la situation : ça parlait de drogue et ça sentait la sueur. Il n’y avait que Theodore pour plonger ses mains là-dedans et conserver son parfum masculin, appliquant un peu d’eau de Cologne entre ses phalanges et au creux de son cou à chaque fois qu’il tuait quelqu’un. Je croyais le découvrir ce soir. En vérité, je pensais ne jamais vouloir le faire, ne jamais être complice, mais je finissais par comprendre ce qui l’avait tant attiré dans ce métier lugubre : le détachement. On faisait tout froidement. Il souriait toujours – froidement encore. C’était comme sa signature invisible. Aimait-il froidement aussi ? « Peut-être que la méduse est sincère. » Il leva les yeux au ciel avec dédain et je restai impassible, mimant un amusement tordu et faux pour marquer mon agacement. Après tout, j’étais une camée. Je n’étais pas tout à fait sortie de ma crise d’adolescence. Il l’appelait la méduse naturellement et je voyais dans ses yeux pleins de vice et de noirceur qu’il la retrouvait en moi. Je le remarquais moi-même : ma mère et moi nous ressemblions étrangement mais j’avais fait de ses qualités mes défauts et de ses défauts mes idéaux. Pourquoi être rigoureux alors que d’autres pouvaient l’être pour vous ? J’étais comme une version plus acide de cette fameuse méduse : je ne transformais pas les gens en pierre en les regardant, je les électrisais en les touchant. Et Theodore semblait y être immunisé. Il était recouvert d’une carapace impénétrable. « Me dis pas que tu es jaloux. » ironisai-je avec un mince sourire. Il ne l’était pas. Il ne pouvait pas l’être. Mais il devait regretter parfois d’avoir choisi une voie à sens unique lorsque je mettais de mon côté l’infinité de possibilités, bonnes comme mauvaises, qui me venaient à l’esprit. Je rajustai ma position sur le siège et soupirai. Il s’en était fallu de tant de choses pour qu’il m’accorde enfin l’attention que j’avais toujours cru mériter. Il ne pouvait pas se justifier maintenant en me disant qu’il m’avait ignoré toutes ces années par jalousie. « Tu sais pourquoi je préfère notre père ? » J’arquai un sourcil et secouai la tête. Je n’aimais ni l’un, ni l’autre. Je les détestais probablement tous avec la même amertume, hormis quelques nuances de mépris pour les fameux oncles aux regards déplacés. « Il a été gentil avec mois. » Je fis une moue approbative avant de laisser échapper un rire sarcastique et tranchant. « Il suffit d’être gentil une seule fois. Et tu obtiens tout ce que tu veux d’une personne. » Je plissai les paupières et sondai son visage fermé et souriant. Il parlait comme un tueur en série. « Tu avais quel âge quand tu as rejoint le Clan, Theodore ? Quand tu as tué ta première victime ? » Je me penchai en avant, mon aura agressif le surplombant entièrement comme si je le menaçai, un couteau sous la gorge. « Quand tu n’as plus eu le droit d’avoir une mère et que tu as commencé à l’appeler la méduse ? » Je me redressai et fis un rond de fumée maîtrisé et épais. « Tu étais un gosse. Je ne suis pas sûre qu’on connaisse la même définition de la gentillesse. » C’était parce qu’il n’avait jamais connu le moindre éclat de bonheur. Plongez la tête d’un enfant dans de l’eau croupie et il sera déjà assez heureux que vous le laissiez respirer de temps à autre. Theodore, c’était ça : un gamin traîné dans la boue par des adultes mais il était le seul à s’être relevé, percé de flèches, d’amertume et de rancœur.

« Je n’ai jamais rien voulu de toi … » Sa phrase resta en suspens et, sans le vouloir, je retins ma respiration jusqu’à ce qu’il la conclût. « … Jusqu’à aujourd’hui. » Son sifflement me paraissait strident comme une sonnette d’alarme, mais c’était le regard d’un serpent sournois qui luisait dans ses prunelles. Je serrai les dents et crispai ma main autour de ma cigarette avant de retrouver mon calme et ma désinvolture habituelle. J’ignorais ce qu’il voulait de moi.  Je pouvais refuser mais son côté méthodique prévoyait tout à l’avance – excepté le fait que je sois parvenue jusqu’ici. Ou peut-être n’attendait-il que ça. Peut-être l’avait-il deviné en choisissant le code d’entrée, me menant vers les vestiges du Clan pour que j’y apporte un regard neuf. Je posai mes yeux sombres sur le verre de whisky aux teintes ambrées : c’était probablement sa première gentillesse. Il avait gagné d’avance et je n’avais que mon détachement et mes manières abusives pour m’en tirer. Pourtant, il savait que je ne résistais pas à l’adrénaline. J’étais sa petite sœur camée. Je ne respirais que pour vivre des sensations fortes et frôler la mort, de temps à autre. Je penchai la tête, feignant une assurance dont sa main était l’étau, le prédateur. « J’imagine que ce n’est pas pour préparer le prochain déjeuner dominical. » Je haussai les épaules, lui adressant un sourire presque franc, presque amusé. « Tu sais, ça se fait, dans les autres familles. » Mais la nôtre n’était pas comme les autres. Elle était vile, obscure, ambiguë, traître et reptilienne. Elle était sauvage, comme une meute où les hommes étaient redevenus des animaux de la pire espèce. Elle était indétrônable et puissante et ses membres régnaient comme des despotes sur un monde où tout restait à accomplir mais dans lequel on préférait laisser couler notre hypocrisie et notre égoïsme. Elle était masquée ; et si le masque tombait, tout tombait avec lui. « Tu ressors ce soir ? » m’enquis-je presque innocemment, comme une sœur se renseignant simplement sur ce que son frère faisait le samedi après le dîner, mais mes mots disaient autre chose : dois-je venir avec toi ?
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