avec la peur de disparaître - emerys d. sweetlove

Je suis dans une de ces salles froides, j'ai encore les menottes aux poignets. Je trouve ça ahurissant, je suis censé être libre aujourd'hui. Comme si j'allais agresser la psychologue en milieu carcéral. Je suis assis sur une chaise en métal froide, je suis encore habillé de orange. Je pense que je vais vraiment finir par détester cette couleur, comme tous les autres. J'imaginais deux beaux fauteuils et un tapis, une bibliothèque quand ils m'ont dit que je devrais la voir avant de sortir de là. Pour voir si je ne devais pas finir en hôpital psychiatrique en somme. Bah oui, souvent, la prison ça rend un peu fou. Néanmoins moi, j'ai essayé de garder la tête froide pour retrouver mon frère et ma soeur en sortant de là. Enfin, il faudrait que je fasse un peu de voyage pour revoir mon frère et sa fille, que je n'ai jamais vu. Mais tout de même, rien ne pourrait m'arrêter en sortant d'ici. Je ferais tout pour qu'on puisse se payer le voyage, moi et Eleanor. Une voix féminine qui s'assoit en face de moi me sort de mes pensées.

« Bonjour Emerys. Comment te sens-tu? » Question débile. Qu'est-ce qu'elle attendait que je lui réponde? Je décidais de ne pas jouer un nouveau rôle parce que.. ça ne m'aiderait pas d'être une mauvaise tête aujourd'hui. Il fallait qu'elle écrive sur cette feuille que j'étais apte de sortir. « Magnifiquement bien, comme un homme qui va signer sa sortie de prison. » dis-je en sortant un sourire forcé. Je sais que mon sourire est un atout alors, valait mieux compter là dessus. Elle répond à mon sourire. « Écoute, le but aujourd'hui c'est de voir si tu n'es pas dangereux pour ton entourage, pour l'extérieur, d'accord? Je vois bien que tu ne l'es pas, mais c'est le protocole. Tu vas simplement me parler de ta vie à l'extérieur de ces murs pour qu'on soit sûrs tous les deux que tu es prêt pour la retrouver, d'accord? Je t'écoute. » J'avais les yeux écarquillés. Je ne savais pas quoi répondre exactement. Parler de ma vie à l'extérieur, on en finirait pas. « Mais je... » Elle me coupait la parole. « Ne t'inquiètes pas, je comprends que ce n'est pas simple. Tu peux mentionner tous les détails, ça fait du bien de dire des choses qu'on se cache parfois à soi-même à des inconnus. On a tout notre temps, ne soit pas pressé. Ils ne te laisseront pas sortir sans mon accord de toute façon. Rien ne sortira de ces murs, je t'en prie, fais comme si je n'étais pas là. » Elle voulait que j'aille mieux. Il fallait que je me débride un peu. La prison m'a donné cette fâcheuse manie de toujours me méfier de ce qui m'entoure, et même des gentilles attentions. J'ai une personnalité trop forte et j'ai tendance à garder mon histoire pour moi.

Je m'éclaircis la gorge. Je ne sais pas par où commencer. Beaucoup de choses font que je me retrouve ici. Je baisse les yeux. Ce n'est pas dans mon habitude. En règle générale, je suis plutôt du genre à garder la tête haute, quoiqu'il arrive. Sauf que là, elle me mets en situation de faiblesse. Je déteste ça. En même temps, j'ai tout à coup confiance en elle. Savoir qu'elle vient d'ailleurs qu'ici, qu'elle soit à l'écoute, qu'elle me sourit. Je ne sais pas, c'est comme quand on va voir le médecin. On est jamais trop rassuré mais, on a confiance. Je relève les yeux vers elle. « Je.. Je vais commencer par le début. » dis-je pour gagner du temps sans doute, histoire d'avoir encore du temps pour me préparer à ce que j'allais dire. Je ne savais pas par où commencer mais en gros, il faudrait que j'étale tout mon cv. Je rebaisse les yeux rapidement puis je les relève. Je décide de regarder un peu ailleurs en laissant les mots sortir. Je ne serais pas capable de dire tout ça en la regardant dans les yeux. « Je suis l'ainé d'une famille de trois. On a tous des prénoms qui commencent par un E. Je pense que c'est la seule chose que je trouve cool chez mes parents. » Je marque un silence. « Nous détestons nos parents. Ma mère nous a abandonné un beau jour sans explications et mon père passait son temps à lever la main sur nous. Le truc c'est que moi, quand j'ai eu l'âge de le faire, j'ai rendu le coup. Pour cela, je garde beaucoup de cicatrice et.. j'ai été jeté dehors, loin de ma soeur et de mon frère. » Je regarde d'un coup la psychologue dans les yeux. Je montre que je suis sincère. C'est un épisode phare dans ma vie. « C'est à partir de là que j'ai dû me débrouiller seul. J'ai été à la rue un moment avant d'être recueilli jusqu'à ce que j'ai assez d'argent pour m'en sortir. Le truc c'est que.. » Je rebaissais les yeux. « L'argent, je le gagnais illégalement. » Je marque une pause. La psychologue est parfaitement silencieuse, elle me laisse parler, elle sait que je suis parti maintenant et qu'il ne faut pas m'interrompre sinon je ne continuerais pas. Je relève la tête. « J'ai dû abandonner mes études. Je voulais m'occuper d'enfants mais, pas comme prof enfin.. je voulais faire des activités sportives avec des enfants, voilà. J'aime lire aussi alors au début, je continuais d'apprendre les lettres modernes en m'occupant d'enfants bénévolement dans des quartiers défavorisés. C'était ma couverture, aussi... » Je remarquais une pause. Tout me ramenait au délit. « Quand ma petite soeur, Eleanor a eu dix huit ans, avec mon petit frère ils m'ont rejoins dans mon appartement. Il fallait les nourrir eux aussi alors, j'ai accentué mon trafic. C'est ainsi que je me suis fait chopé et que.. j'ai pris dix huit mois ici. Du coup plus d'études.. » Le sujet était revenu sur le tapis. A chaque fois, j'essayais de l'éviter. J'adoptais un petit rire en pensant à comment changer de sujet. « Au niveau des filles je.. Je n'ai jamais vraiment cherché puisque.. Je me souciais toujours plus de mon frère et de ma soeur que de moi. Mais bon, j'ai plu, et souvent, je le sais quand même. J'ai eu quelques aventures sans vraiment de choses concrètes. Je le regrette, d'ailleurs. J'ai vu ma soeur être heureuse longtemps, jusqu'à ce qu'elle perde son amoureux et.. je n'ai pas été là.. je veux dire je l'ai su ici.. » Je remarquais une pause. J'ai du mal à faire face à la réalité. Au fait que j'ai loupé énormément de choses et, que je n'ai pas pu donner à ces deux-là ce qu'ils ont toujours mérité de ma part - c'est-à-dire un grand frère modèle et responsable. Je soupire. Je relève les yeux vers ceux de mon interlocutrice. « J'ai terriblement honte d'avoir fait ce que j'ai fais pour m'en sortir. Je voulais juste qu'ils soient fiers de moi, que je puisse m'en occuper et qu'eux puisse avoir une belle vie. Qu'ils n'aient pas à se soucier d'un quelconque problème d'argent. Qu'ils puissent dire à qui veut l'entendre qu'ils ont un frère formidable qui fait tout pour eux. » Je marquais peu de respiration, du coup je dû la reprendre à cet endroit là, avant de poursuivre. « Maintenant, ils doivent avoir bien honte. Ma petite soeur doit me détester, mon petit frère.. Il a une fille que je n'ai jamais vu et est parti vivre de l'autre côté de la Manche, alors je n'en parle même pas! » Là, je m'énervais contre moi même. J'attrapais les larmes aux yeux. Il fallait que je fasse face à moi-même. Je relevais les yeux vers elle. « Je veux changer, vous comprenez? Je veux qu'ils oublient ces dix huit mois. Je veux que mon frère revienne, que je puisse chouchouter ma nièce.. Je veux voir ma soeur rire, sourire. Je veux décrocher un contrat et aller au travail en étant fier. Faire oublier que sur mon cv il y a un passage carcéral. Je veux prouver que je n'ai jamais voulu faire le mal. Je veux juste être un homme responsable, digne de confiance, fier. Je veux être le grand-frère parfait, parce que c'est ce que j'ai toujours voulu être. » Encore une fois, j'ai oublié de respirer. Mais là, je pense avoir tout dit. Je respire par la bouche, regardant toujours la psychologue. Elle finit par me sourire. Je ne comprends pas pourquoi. « Merci d'avoir été sincère avec moi, Emerys. Tu vas pouvoir passer cette porte. Il y a les affaires que tu avais en arrivant. Tu vas pouvoir sortir. Nous nous verrons encore deux fois, une dans un mois et une autre dans six mois pour être sûr de ton intégration en société. Evidemment, tu as mon numéro, si besoin avant ou après. Je suis sûre que tu arriveras à prouver que tu en es capable, moi je crois en toi en tout cas. Je suis ravie d'avoir fait ta connaissance, c'est rare des hommes comme toi ici. » me répondit-elle. Je n'arrivais pas à lui sourire. Pourtant, elle m'apprenait que je sortais de prison. Je me levais, un gardien vint me retirer les menottes. Je bougeais les doigts. Rien que ça, je me sentais libre. J'allais revoir la lumière de dehors. Pouvoir aller chercher un baggel et pouvoir dire bonjour à la serveuse. Aller chercher un café le matin. Toucher un journal tout frais, et chercher un emploi. Je sais que ce ne sera pas simple mais je sais où trouver ma force. Dans le sourire de ma petite soeur, Eleanor.