►Flower by Kenzo

Nos regards se croisent, deux enfants timides, deux sourires hésitants, et nous voilà réunis pour l'éternité et à jamais. Comme deux âmes soeurs aux destins étroitement liés, comme deux amants maudits, mais d'abord, comme deux enfants solitaires.
Aujourd'hui, ma grande soeur se marie. Elle a tout juste dix huit ans, et moi je n'en ai que huit. Dix ans d'écart, ça fait pas mal d'années de différence, mais cela ne nous a jamais empêché de nous entendre, de nous aimer, de nous écouter. Elle est belle dans sa longue robe blanche en dentelle. Je me regarde dans le miroir, et passe la main dans mes boucles brunes. Mon regard se promène sur mon petit corps frêle, et je soupire. L'heure des échanges arrive, je transmets les alliances, j'applaudis. Puis la soirée. Les cousins ne sont pas gentils, ce sont des abrutis, obsédés par leur grosse console pourries. Quand on sera grand, les petits de huit ans se moqueront de ce qui nous amusait alors à leur âge. Je soupire. Il n'y a personne à qui parler. Alors, sans prévenir mes parents, je décide de m'aventurer dans la nuit. Je fais attention où je mets les pieds, sans me soucier de salir mes ballerines toutes neuves. Je ne vois pas grand chose, mais ça me plaît. J'aime m'aventurer vers l'inconnu, prendre des risques. Je sens les basses de la musique s'éloigner, et je souris. Le silence, enfin. C'est alors que j'aperçois une tâche colorée dans le noir. Hésitante, j'avance et tends la main. Un garçon se retourne et me regarde. Il est beau, et je sens mon coeur s’accélérer. Je souris timidement, et le regarde, sans bouger. Il me sourit à son tour et passe ses doigts dans mes boucles avec admiration. Gênée, je recule et il me tend la main. Je la prends et me laisse traîner dans la nuit, sans réfléchir. Ce petit garçon, je ne le connaissais pas, je ne l'avais jamais vu, mais je lui faisais confiance. Son regard timide et doux m'avait mit en confiance, m'avait pénétré au plus profond de mon être, et je savais que je devais le suivre. C'est ce que j'ai fais, sans plus attendre. On s'est aventuré dans la nuit noire, et le lendemain, nos parents nous ont retrouvé dormant l'un contre l'autre comme pour nous protéger du froid, dans l'herbe, main dans la main, un sourire aux lèvres.

On s'est aimé, et puis un jour tout éclate. Tous nos espoirs, tous nos projets, tous nos rêves. Tu n'es plus que mon pire cauchemar, qui fait ressortir mes plus sombres démons, mes plus mauvais côté. Tu rend visible mon ombre, mon désespoir, ma douleur. Tu es mon pire cauchemar
Il est là, assis sur le canapé du salon, à manger des chips. Et moi, je suis dans l'entrée, à le regarder, les cheveux dégoulinants, les vêtements trempés, le coeur lourd. Je m'avance, me baisse, attrape une chaussure et prononce son prénom. Il se retourne et je lui balance en pleine face. Je continue d'avancer, lui lançant tout ce que je trouve, et lorsque j'arrive près de lui, il me prend dans ses bras et me coince contre lui, son visage au dessus du mien. Il me regarde, et me caresse le visage, alors que moi, je pleure. Il passe la main dans mes cheveux trempés et me regarde avec tendresse. Je t'aime Kenzo... Je le regarde et le frappe. Je me dégage et le regarde avec rage. Je continue de pleurer et je hurle : Tu avais promis! Tu avais promis! Il se prend la tête entre les mains et se lève. Il me prend de nouveau dans ses bras, et me serre contre lui, avec douceur. Il se dégage alors et éteins la télé. Il me regarde d'un air grave et s'avance de nouveau vers moi. Avec douceur, il pose sa main sur mon ventre. Je le regarde, retenant ma respiration, et je vois un sourire plein d'amour se dessiner sur ses lèvres. Je le repousse avec violence et ôte tout vêtement avant de me mettre de profil. Vois-tu ce que ce truc me fait? Vois-tu ce que je deviens?! Il me regarde sans comprendre et je vois son visage se décomposer. Pendant un instant, on se regarde, sans mot dire, la respiration forte et rapide, et puis il bouge les yeux et regarde mon corps nu. Tu es magnifique. C'est notre amour Kenzo, notre amour. En pleurant, je secoue la tête de gauche à droite et passe la main dans mes cheveux. Avec douceur, il s'avance vers moi et me couvre d'une couverture avant de m'emmener m'asseoir sur le canapé. Il me regarde, caresse de nouveau mon visage et me chuchote alors : Epouse-moi. Je lève les yeux vers lui avec horreur et le repousse avant de me lever et de me rendre aux toilettes pour vomir. Je vomis tout ce que j'ai dans le ventre, et j'aurai voulu pouvoir vomir ce gosse, ce gosse qui naissait en moi à une vitesse hallucinante. Je ne pouvais me résigner à le tuer, je ne pouvais lui arracher cet amour, mais je ne pouvais être mère. Moi même, je n'avais jamais eut l'amour d'une mère, car trop occupée dans ses affaires, elle ne s'était jamais souciée de moi. Ma soeur m'avait élevé, ma soeur qui m'avait abandonné lorsqu'elle s'était mariée, laissant mon âme soeur prendre le relais. Comme si j'étais une chose fragile, comme si j'avais besoin qu'on prenne soin de moi. Ce bébé, je n'en voulais pas, mais pour lui, j'en ai pris soin. Et je l'ai perdu. Il faut croire que je ne l'avais pas assez aimé, car il est mort en moi, seul, sans l'amour de sa mère, sans la voix réconfortante de son père. Il est mort, seul, et je ne l'aimais pas.

Une partie de nous s'est brisé, et nous n'avons pu continuer, car même si nous étions fait l'un pour l'autre, ce petit être avait emporté tout notre amour. Il n'y avait plus qu'un vide, plus que de la tristesse...
On s'est séparé peu de temps après la fausse couche. J'ai abandonné mes études d'arts pour trouver un emploi, car désormais, je ne pouvais plus me permettre de compter sur lui, de payer mes études. Je n'avais plus l'argent. Alors j'ai commencé un boulot de strip teaseuse, vendant mon corps contre un peu d'argent, pour manger, pour m'habiller le reste du temps. Offrant mon corps au premier gros porc qui le demandait, pas forcément contre de l'argent, mais pour oublier, pour oublier que l'amour avait été en moi, naissait en moi, et que j'avais tout perdu. Car je n'avais su aimer correctement. Je n'avais su dire à cet enfant que je l'aimais, je n'avais su épouser mon âme soeur, qui m'avait toujours regardé comme si j'étais la chose la plus précieuse qu'il ai. Qui avait tout abandonné pour moi, qui m'aimait depuis qu'il avait passé la main dans mes cheveux alors que nous avions huit ans. Un amour qui avait duré 13 ans, un premier baiser, un premier amour, une première fois. J'avais tout vécu avec lui, et j'avais tout perdu avec lui. Désormais, je n'avais plus personne pour veiller sur moi dans cette grande ville qu'était Londres. Je n'avais pas beaucoup d'amis, ou du moins, je me persuadais que je n'en avais pas beaucoup, pour m'éviter de les perdre comme je l'avais perdu. Je dormais le jour, je me vendais la nuit, à plusieurs degrés. Parfois visuellement, parfois totalement. Je m'en fichais, je ne ressentais plus rien. Le seul bonheur que j'éprouvais, c'était quand je m'exposais aux quelques rayons de soleil qui perçaient les nuages. Il avait laissé un vide dans mon coeur, plus grand encore après "l'abandon" de ma grande soeur, plus grand encore que l'absence perpétuelle de ma mère. Il n'y avait pas d'équivalent. Il y avait juste moi, Kenzo, jeune femme perdue.