Did you say you don't love India ? / Osman G. Elton

May 2nd 1991, Watford, Hertfordshire.
Ce petit pavillon connaît un bouleversement ; la naissance du premier fils de Mr. and Mrs. Elton. Tellement inattendue que l'on n'a pas pu transporter la mère jusqu'à la maternité. Alors elle est là, dans la baignoire, à pousser des cris de douleur en attendant que cela cesse. Le voisin est là, chirurgien de métier. Aujourd'hui c'était son jour de repos, mais la pression de son serment d'Hippocrate était trop forte. Mr. Elton s'inquiète, le front en sueur, endolori par son mal de dos perpétuel. Soudainement, le médecin s'écrie « Il arrive ! Ça vient ! » alors tout le monde accoure aux portes de la salle de bain. Il y a les parents de Mr. Elton, ceux qui sont venus au Royaume-Uni pour que leur fils ait la nationalité britannique. Les parents de Mrs. Elton étaient restés en Inde. C'est elle qui est venue rejoindre sa tante pour s'offrir de meilleures qualités de vie. Londres était une ville relativement calme comparée à New-Delhi. Mr. et Mrs. Elton s'étaient rencontrés à l'université de droit, au destin commun de défendre les plus pauvres et de suivre ainsi les traces du demi-dieu Mahatma Gandhi. Ils s'étaient mariés et avaient achetés cette petite bâtisse à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale, à Watford. C'était donc cette maison que Osman Gandhi Elton était né. Il était 15 heures, le soleil brillait malgré la fraîcheur de l'air et les oiseaux chantaient le nouveau-né.

September 15th 2002, Watford secondary school, Hertfordshire.
La sonnerie retentit. Les élèves, tirés à quatre épingles dans leur nouveau costume, se mettent en rang selon les listes affichées à l'entrée du collège. Une estrade a été montée spécialement pour l'occasion. Osman ne connaît que quelques personnes, qu'il cherche désespérément du regard dans son rang. La proviseure monte sur l'estrade, un discours à la main. Son ample jupe rose pâle se balance au fur et à mesure de ses pas. Elle passe une main machinalement dans sa courte chevelure blonde dont le brushing est impeccable. Elle prend la parole durant quelques minutes, présente aux nouveaux élèves les règles élémentaires de l'établissement. Le nouvel élève d'origine indienne n'écoute que très peu la directrice. Il passe son temps à chercher, paniqué comme son père à sa naissance, des visages qu'il connaît. Visiblement, il n'y a personne. La directrice termine son discours sous les applaudissements. On rentre dans la salle. La journée se passe normalement. Apparemment, la plupart de ses amis ont changé d'avis concernant leur inscription. Vient la sonnerie du soir, Osman rentre chez lui en bus. Demain, ça sera la même chose. De toutes ses années au collège, il ne s'intéressera qu'à l'art plastique, à la littérature et à la musique. Il fera aussi partie d'un club théâtre, qui lui redonnera un peu de confiance en lui. Il n'aura pas beaucoup d'amis, lui qui est toujours si solitaire.

November 1st 2009, Birbeck University of London, Bloomsbury, London.
« Bienvenue à tous dans ce cours d'art. Aujourd'hui, nous allons débuter le programme par une étude du peintre néerlandais Piet Mondrian. » La professeure d'arts plastiques prenait possession de l'espace. Elle défaisait la ceinture de son long trench, laissant apparaître une petite robe noire et un chignon à la Audrey Hepburn. Son parapluie dégoulinant posé sur l'estrade, elle allumait son ordinateur, affichant alors une grande toile du peintre sur le tableau blanc de la salle. Osman était dans son univers. Il dessinait à la façon d'Yves Saint-Laurent une robe aux couleurs de l'oeuvre de l'artiste. Il se passionnait pour l'art. L'année dernière, il avait du étudier l'économie. Quelle barbe ! Il se plaçait tout le temps au fond de la salle, de sorte qu'on ne le voit pas s'endormir sur ses feuilles remplies de chiffres et de courbes de toutes sortes. C'était son père qui avait insisté. Il disait que l'économie, ça ouvrait les portes à tout, c'était super. Le choix d'Osman avait été différent. Ses parents étaient tous les deux avocats, plaidant parfois même à la Royal Courts of Justice. Il avait du s'occuper du petit chien, une chienne plus exactement. Cette femelle cocker s’appelait Lisbeth. Elle était encore jeune quand ses parents l'avait recueillie. Hélas, le summum de leur carrière était arrivé et ils n'avaient plus le temps de s'en occuper. Ils versaient à leur fils l'argent nécessaire pour vivre, mais pas assez pour prendre le bus tous les jours. Il complétait avec ses bourses d'étude. Il avait loué un petit appartement très bien situé dans une résidence étudiante. Sa vie londonienne allait pouvoir commencer sereinement. Célibataire, il avait bien connu quelques filles, en vain.

June 4th 2012, The Mall, London.
Paul McCartney enflammait ce soir le parvis de Buckingham Palace. The Queen Elizabeth II fêtait ce soir son jubilé de diamant. Il n'avait pas été invité dans les tribunes privilégiées, face au palais et réservées aux invités prestigieux, membres de la famille royale compris, mais avait campé sur the Mall avec quelques amis d'université pour ne rien manquer de cet événement historique. Lisbeth l'accompagnait. Quand les premiers roulements de tambours retentirent, Osman était euphorique, comme l'eût été son grand-père lorsqu'il était arrivé à Londres pour la première fois, après un long voyage en avion au départ de New-Delhi. Les feux d'artifices du grand final laissèrent ses yeux rêveurs. Qui savait de quoi serait fait l'avenir, dans cette grande ville d'Europe ? Qui allait-il rencontrer à travers ces rues remplies de touristes ? Quel événement surviendrait alors pour gâcher son plaisir ? Nul ne le savait, mais l'instant était tellement magique qu'il ne fallait pas penser à l'avenir. Il fallait juste profiter de l'instant présent, dans cette ambiance festive de cette belle nuit d'été.