"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici Friends might lose touch but never lose feelings ( Lexie )  2979874845 Friends might lose touch but never lose feelings ( Lexie )  1973890357
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() message posté Jeu 2 Juil 2015 - 20:32 par Invité
“Sometimes I felt like I'd never really been found in the first place. ”    Afghanistan, Jalalabad . 2011 Je relevai mon visage sombre vers Hakim. Ses traits secs et sa barbe hirsute se confondaient avec les fantômes vespéraux qui hantaient le sous-terrain. Je les observais valser au rythme des coups de fouets en exhalant les parfums sensuels et chauds du désespoir. Ils étaient mes seuls compagnons, ici. Les sons de ma respiration saccadée se versaient dans l'obscurité. Ils vibraient dans le silence avant de faire écho à mes pensées. On m'avait beaucoup fait espéré. On m'avait promis que chaque blessure serait la derrière, et comme un chien affamé je me jetais sur les bribes de mensonges que mes ravisseurs me secouaient sous le nez. Mon corps asservi et dénudé gisait sur le sol humide. Mes poumons s’asphyxiait dans les relents de ma propre puanteur alors que je rêvais éveillé d'effleurer une esquisse de liberté. Tu peux le faire, Isaac. Tu dois juste y croire. Je me cambrai en gémissant de douleur. Les larmes coulaient sur mes joues creuses avant de s'évanouir entre les plis de mon menton aigu. J'allais mourir dans ce trou. J'en étais sûr. La lumière avait cessé d'exister dans l'ambiance maussade de mon univers. Mon Dieu, n'étais-je pas déjà assez éloigné du mode de vie commun, du destin et de la pensée des gens normaux ? Et pourtant, j'entendais parfaitement l'appel d'Olivia. Je sentais ses promesses glisser allègrement sur ma peau avant de se mélanger aux flux archaïques de mon âme. Je serais toujours là. Sois plus fort que tous les autres. Je plaquai mes mains contre le mur. Mes phalanges fragiles se brisaient en répondant aux mouvements désordonnés de ma conscience. Je me cramponnai aux crépis de suie et de poussière avant de m'agenouiller devant les forces de l'univers. Les fantômes continuaient à danser autour de ma tête. Les regards qui se posaient sur moi étaient emplis de dédain et de mépris. Je grinçai des dents en restant immobile dans la pénombre. Je ne bougeais pas. Je refusais de ployer, même lorsque mon esprit semblait implorer ma clémence. Isaac, mon amour. La lumière reviendra toujours. Tu peux y arriver. Ce n'est qu'une souffrance passagère. Je secouai la tête en retenant mes émotions. Je peinais à distinguer les visages qui trottaient derrière les barreaux de ma prison. Ils étaient tous différents, pertinents et intelligents. Ils s'appliquaient à me rabaisser parce que je constituais une brillante abstraction. J'étais américain et ici, entre les quatre vents du désert, je perdais tous mes avantages. « Ne me regardes pas. » Brailla Hakim en m'empoignant par le bras. Ses doigts se fermaient sur ma chair comme une pince aiguisée, m'arrachant un dernier cri de détresse. « Ne me regardes pas ! » Répéta-t-il avec un accent grossier. Je le fixais avec insolence. Malgré la peur et la douleur, je m’évertuais à aller jusqu'au bout de la démence.   Baisse les yeux. Je t'en supplie. Ne le regarde pas, Isaac. J'entendais parfaitement sa prière mais mon individualité, mon honneur de soldat, mon cœur véritable et mon destin de héros ne pouvaient être saisi par une instruction aussi lointaine. Je fulminais en luttant contre les pleurs incessants de mon âme. Fais le pour moi. Ne le regarde pas. Ne me laisse pas.  Je serrai mes poings sans broncher. Olivia, je vais mourir ici. C'est ma gloire. Ils ne peuvent pas me l'enlever. Je me rapprochai lentement de la pointe de son arme à feu. Les pressions du canon contre ma poitrine concordaient parfaitement avec mon obstination. Mon refus éveillait en lui une rage profonde que je n'arrivais même plus à sonder. Il souleva ses bras afin d'écraser ma mâchoire contre son poing. Il ricana avant de me cracher en plein visage. « Je vais t'apprendre le respect. Continues à t'accrocher à ton passé et tu me supplieras de t'achever. » Il ouvrit la braguette de son pantalon. « Ecoute-moi. Tu n'es rien. » L'odeur aigrelette de l'urine envahissait mon expression accablée mais je ne fermai pas les yeux. Mes rétines brûlaient mais je criais toujours plus fort. Il y avait un combattant en moi. Peu importait à quel point j'étais épuisé et abîmé par l'horreur des talibans. Je ne pouvais pas abandonner mon identité. Les autres hommes de Hakim se joignirent au spectacle. Ils me frappaient, m'insultaient et m'aspergeait de liquides organiques et putrides. J'avais pensé à capituler à plusieurs reprises. J'avais songé à me dresser et à prononcer les paroles cuisante de l'échec mais je me ravisais toujours. Lennie disait que je pouvais tout accomplir. Elle était convaincue que je valais mieux que les lubies de notre père et son adoration démesurée pour l'armée. Elle m'avait fait promettre de ne pas faire l'idiot, alors je me retenais pour ne pas décevoir ses souvenirs de moi. Je me retenais pour traverser les landes périlleuses de la mort. « Il faut lui apprendre la discipline.» J'étais à peine conscient. Je ne parvenais plus à me situer. Mon corps était traîné ailleurs, vers une chambre encore plus obscure et dangereuse que la précédente. Ma tête heurta le bitume alors que je me réveillais dans une cage minuscule. Il y avait à peine assez d'espace pour que je puisse tenir debout entre les parois crasseuses et fissurées de la cellule d'isolement. Trois jours. On m'avait condamné à trois jours de solitude extrême mais je n'avais toujours pas accepté d'obéir aux règles. Abdiquer, cela revenait à admettre que j'étais en tord. Cela leur donnait le droit de régir mon existence. Je plaquai mes mains contre mes tempes en hurlant. Je croyais devenir fou. Tu dois croire que tu peux …

Actuellement. Station de police. Hammersmith. Je grognais en me débattant contre l'officier. Encore une plainte pour injures sur la voie publique. Encore une nouvelle raison d'être injustement emprisonné. Je croisai les bras en haussant les épaules. J'étais étourdi par vapeurs de l'alcool , mais la sensation de captivité qui envahissait ma poitrine était comparable à tout ce que j'avais bien pu connaître en Afghanistan. Je me relevais lentement, tournais en rond, marmonnais des prières arabes et succombais dans l'espace clos où on m'avait jeté. Je n'étais pas soûl. Tout comme l'absolution, la paix et l'harmonie du cœur, l'ivresse se refusait à moi malgré tous mes efforts pour m'oublier. J'enfonçais mes ongles dans mes cuisses en ruminant ma peine. Je songeais à Olivia et aux déceptions que je lui avais déjà infligé. Je ne voulais pas de son aide. Je refusais qu'elle me porte secours alors que je revivais inéluctablement l'instant de ma chute fatale. Un frisson de dégoût parcouru mon échine alors que je m'accrochais aux barreaux glacés de la cellule de dégrisement. On m'avait demandé de nommer un proche. On avait imposé un visage derrière mes paupières et je réalisais avec effroi que malgré la longue liste de personnes que je connaissais à Londres, personne ne pouvait me sortir de ma solitude. Robbie avait bien mieux à faire que de gérer les déboires d'un vieil ami perturbé. Je venais à peine de retrouver Hazel, il me semblait impossible de solliciter sa présence au poste de police. Je désirais épargner à ma belle Chase, la vision d'horreur d'un homme assailli par les tourments de la guerre. Elle connaissait déjà ce visage. Elle avait déjà éprouvé ces malheurs. Samantha était en arrêt maladie. Je détestais profondément Theodore, et je refusais d'inverser les rôles avec mes plus jeunes sœurs. C'était à moi de protéger Lennie et Max. Pas le contraire. Je soupirai en plongeant dans mes réflexions. Je cachais mes émotions derrière une expression froide et imperturbable. Je me penchais  lentement vers l'abîme noir et je relevai un doigt afin d'interpeller le garde chargé de me surveiller. « J'ai un contact. Alexandra Wood-Bower.   » Soufflai-je à contre cœur. « Elle viendra me chercher ... » J'étais lâche de m'accrocher à  l'innocence de cette gamine. La dernière fois que je l'avais vu, ce n'étais encore qu'une petite fille rêveuse et idéaliste. Elle pensait que la guerre détruisait toujours les Hommes, même lorsque ces derniers étaient assez vaillants et nobles pour lui résister. Elle avait contesté mes choix et mes libertés à la seconde où je lui avais raconté mon histoire familiale. Et aujourd'hui, je lui offrais le dénouement tragique qu'elle avait tant redouté. Il ne s'agissait pas de gloire ou d'Amérique. Il ne s'agissait plus que de mon angoisse éternelle.

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() message posté Ven 17 Juil 2015 - 1:49 par Invité
Je gardai les bras croisés contre ma poitrine et mon regard rivé vers le sol. Le brouhaha ambiant de l’extérieur avait été étouffé par la porte close, et je tentais depuis d’ignorer également les cliquetis de l’horloge accrochée au mur dans mon dos. Je n’entendais plus qu’eux. Et cela ne faisait que me rappeler qu’il ne revenait pas. Oncle Bob était sorti de ce bureau de nombreuses minutes auparavant à présent. Il n’avait rien dit, rien promis. J’avais du insister et il avait refusé avant de disparaître, emportant dans son dos un silence frustrant. Je sentais mon regard s’assombrir au fil des secondes, lasse d’attendre, assaillie de soupçons, ne sachant plus si j’étais là depuis une heure ou une minute. Le visage d’Isaac jeune et fatigué se dessinait sous mes paupières baissées et je frémissais à l’idée de ce qu’il pouvait ressentir en ce moment, à quelques mètres de moi, derrière l’un de ces murs. J’avais décroché mon téléphone à la va vite, plus tôt dans la soirée. Je l’avais décroché sans me poser de questions, sans même m’informer de l’émetteur. La ligne avait grésillé une seconde avant que je n’entende une voix masculine froide et expéditive m’informer de la situation. J’étais restée muette à l’entente de son nom, comme si les phrases l’entourant n’avaient pas de sens, comme s’il semblait franchir des kilomètres avant d’arriver jusqu’à moi, la tête vide et le cœur cognant : Isaac Von Ziegler. J’étais restée muette, assez pour que l’homme ait à me relancer et que je ne me retrouve à acquiescer froidement. Je n’avais pas su quoi penser. Je ne m’étais pas laissée le temps de le découvrir. Isaac était vivant et j’étais persuadée qu’il m’en voulait. J’étais persuadée qu’il m’en voulait autant que j’avais pu lui en vouloir pour être parti, autant que j’avais pu lui en vouloir pour ne plus m’avoir répondu, avant d’apprendre sa mort. Je me souvenais de mon regard dans le rétroviseur, ce regard que je ne me connaissais pas. Je me souvenais de mes mains crispées sur le volant et de mes phalanges bleutées. J’avais emprunté la route du commissariat, cette même route que je connaissais par cœur. Je m’en rapprochais et je sentais cette chose gronder en moi, cette chose qui ressemblait à la peur et que je refusais d’affronter. Je m’en rapprochais, et j’essayais de me souvenir qu’il était vivant, et présent, mais je n’arrivais plus à comprendre ce que cela signifiait.
Je relevai le regard en entendant la porte claquer dans mon dos et le fixai sur Bob qui venait reprendre sa place dans le fauteuil d’en face, les yeux rivés sur son téléphone. Il garda le silence, une seconde ou deux, peut-être trois avant que je ne me redresse sur la chaise pour le faire cesser. Il m’accorda alors son attention et laissa échapper d’entre ses lèvres. « Je suis sûr qu’il s’en sortira, Lexie. Ce n’est pas le premier à passer une nuit derrière les barreaux. En général, ça leur sert de leçon. » Je voyais dans son regard toute la compassion et la tendresse qu’il pouvait ressentir à mon égard. Je voyais dans sa posture droite et sévère le père que je n’avais jamais eu. Mais son ton détaché et moralisateur ne fit que me frapper comme une incongruité, comme une insulte. Sa perception de la justice avait toujours réussi à réveiller la colère sourde qui coulait dans mes veines, tant elle détonait de la mienne. Ce n’est pas un copain de soirée saoul que j’essaie de faire sortir. Ce n’est pas n’importe qui. Mais je n’avais pas réussi à lui expliquer la situation. Les mots étaient restés étouffés au fond de ma poitrine. « Je ne plaisante pas. Il n’a pas à être là-bas. Il ne doit pas l’être, tu ne comprends pas. » rétorquai-je à contre cœur. Il essayait de me faire parler, il l’avait toujours fait. « Alors explique moi. » Je l’observai se pencher au dessus du bureau, les mains jointes en avant et j’inspirai légèrement. « C’est un ami. » répétai-je, comme si cela excusait ma demande. Je l’avais appelé car je n’avais pas eu le choix. Je l’avais appelé car l’état d’Isaac justifiait apparemment de faveurs pour le faire sortir. Et oncle Bob voulait en savoir plus. C’était légitime mais cela ne faisait que me brusquer. « Tu connais Isaac, tu te souviens ? Tu nous a vues quand … » finis-je par souffler à voix basse en haussant les épaules. Il nous avait vues, Sam et moi, lorsqu’il avait disparu. Il avait été là, comme pour tous les autres moments de notre vie. Il devait se souvenir. Il devait se souvenir de cet autre deuil, que quelque chose s’était rétracté, s’était dissolvé, une nouvelle fois, juste au niveau de mes bras croisés, juste sous le cœur, cet autre deuil en colère. « Je ne te le demanderais pas si ce n’était pas important, tu le sais. » Il retourna s’enfoncer dans le fond de son fauteuil et passa une main lasse sur ses yeux clos. Je connaissais cette expression et détournai mon visage au même moment. « Si tu mettais autant d’ardeur à prendre soin de toi … » Je hochai la tête distraitement une fois sans répliquer. Rien ne me paraissait plus dérisoire sur l'instant que ses inquiétudes à mon égard. « Ils le laissent sortir, c’est arrangé. Tu devrais aller l’attendre. » J’inspirai profondément en comprenant qu’il avait déjà réussi, qu’il avait déjà fait ce qu’il fallait et qu’il avait seulement voulu en savoir plus. J’inspirai profondément pour ne rien laisser paraître à l’évocation de ces mots. Tu devrais aller l’attendre. Je me levai lentement et pressai doucement le bras de mon oncle avant de sortir de la pièce, avant de sortir du commissariat, avant de retrouver le parking, dehors. Tu devrais aller l’attendre. A quoi était-je supposée m’attendre ? Je ne l’avais plus vu depuis des années. Je ne l’avais plus entendu depuis des années. Je tournai sur moi-même pour m’appuyer sur le capot de la voiture, tentant de maitriser les crampes qui s’étaient emparées de mes membres engourdis. Mes pensées ne semblaient plus vouloir tenir droit, ne semblaient plus vouloir se projeter. Elles vacillaient toujours lorsque j’entendis le bruit de pas sourds et instables avancer dans ma direction. J’attendis quelques secondes avant de relever avec peine mon regard sur sa silhouette, sur son visage assombri que mêmes les lampions extérieurs n’arrivaient pas à éclairer. Je plissai les yeux pour le reconnaître, je plissai les yeux pour ne pas le laisser y lire mes tourments comme je pouvais voir les siens. Je triturais les clés de voiture avec crispation avant de me rendre compte que j’avais retenu ma respiration depuis presque une minute, avant de permettre de nouveau à l’air pesant de gonfler douloureusement mes poumons et je me décalai de l’avant de la voiture pour faire un pas dans sa direction. Il y avait ma retenue et mes secrets. Il y avait son immobilité et sa fureur maitrisée. Il y avait ces reproches que je lui avais fait et que je n’avais jamais pu reprendre. Il y avait tout cela mais malgré tout, je m’étais avancée vers lui sans m’en rendre compte. Je l’avais enlacé sans respirer, n’entendant plus que les battements assourdissants de mon cœur dans ma tête. Je l’avais enlacé presque sans m’en rendre compte, avec précaution, comme si je m’étais préparée à un rejet implacable de sa part, à son refus de cette proximité. Je me reculais lentement avant qu’il n’arrive. « Ça a été long, je suis désolée. » laissai-je échapper finalement d’une voix grave, dans une inspiration maitrisée. « Mais tu es là finalement. » Je ne voulais pas permettre au silence de se ré-installer entre nous, encore une fois. Il était là. Je l’avais senti contre moi. Je le voyais devant moi. Il était sorti de cette cellule. Il était vivant. Et je laissai mon regard glisser sur lui avec attention à la recherche d’une blessure physique quelconque pouvant expliquer son allure débraillée, je le laissai glisser avant d’atteindre enfin son visage. Il devait m’en vouloir. Il devait m’en vouloir pour avoir prédit ce qui allait lui arriver, pour lui avoir porter mauvaise chance, pour ne pas l’avoir soutenu autant que je l’aurais du. Il devait m’en vouloir pour ne pas avoir réussi à le contacter dès son retour. Je lui en avais voulu aussi, longtemps.
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() message posté Mer 2 Sep 2015 - 15:01 par Invité
“Sometimes I felt like I'd never really been found in the first place. ”    Il était une fois un homme qui se prénommait Isaac et que l'on appelait le sniper. Il marchait sur ses deux jambes, portait des vêtements et parlait comme un être humain. Il était noble et autoritaire. Son père lui avait appris à agir de cette façon. Il l'avait conditionné à devenir un soldat. Son destin n'était qu'un sacrifice perpétuel pour les autres. En apparence, il était d'une grande intelligence mais il ne savait pas lire convenablement.  C'était une chose qu'on avait jamais réussi à lui apprendre parce qu'il était dyslexique et qu'il valait mieux cacher ses faiblesses plutôt que de les surmonter. Il n'était que l'apanage de la société et cela me permettait de jeter tout mon mépris sur lui. Je fixais les barreaux de ma cellule en grinçant des dents. Je n'étais plus cet homme-là. Aujourd'hui, je n'arrivais plus à me contenter de moi-même et de mon sort. Au fond de mon cœur, j'étais persuadé que je n'étais plus qu'un fantôme, une ébauche d'existence. Je soupirai. Je sentais encore les traces des coups qu'on m'avait infligé en Afghanistan. Les cicatrices creusaient de longs sillons sur ma poitrine afin de me rappeler mes supplices. Je n'avais plus besoin de tourmenteurs pour tomber, ma conscience suffisait à nourrir ma misère. Et il me semblait qu'elle durait depuis un millier d'années. La colère m'opposait indéfectiblement au monde. Par moments, je les détestais tous. Olivia. Lennie. Max. Robbie... Je les détestais parce que leur bienveillance me poussait vers la violence. Je ne voulais plus accepter d'être aidé. Je déglutis en m'agitant entre les parois de ma prison. Je flottais dans la pénombre comme une ombre sauvage, indocile et désordonnée. Ma famille avait tenté de détruire l'animal indocile qui avait envahit mon esprit depuis mon retour, mais toutes les tentatives pour me ramener vers le passé, ne faisaient que renforcer ma conviction : Je n'avais plus ma place ici. Je grognai avant de donner un coup de pied dans le vide. Je ne supportais pas de rester enfermé. Mon cœur battait contre mes tempe avec désespoir, sans que je ne parvienne à calmer ses ardeurs. Je connaissais cette angoisse. Elle faisait partie de mon corps et de ma chair.

L'officier que j'avais interpellé ne bougea pas tout de suite. Il resta immobile pendant quelques secondes avant d'aller chercher un supérieur. Le nom que j'avais prononcé n'étais pas inconnu en ces lieux. Je le savais. J'en profitais. La grille s'ouvrit et après un interrogatoire sommaire et une interminable leçon de moral, on me guida vers le hall du commissariat. Le vent caressait mes joues brûlantes alors que je redécouvrais la lumière des réverbères. Je sortais légèrement de mon ivresse lorsque la silhouette filiforme de Lexie m'apparut au loin. Je l'aperçus tout en noire, avec un visage maquillé de blanc. Un teint blafard dont la pâleur contrastait avec mes souvenirs de cette belle jeune fille de dix-huit ans. Elle me regarda à son tour. Elle observait avec cette même étincelle de jeunesse et d'insolence que je lui avais toujours connu, puis elle se précipita désespérément dans mes bras. Alexandra anticipait mes mouvements de recul avec douceur. Elle ne me laissait pas l'occasion de la rejeter. Il y avait une force en elle, quelque chose d'apaisant et de poignant qui me poussait à prolonger une étreinte que je ne désirais pas. Soudain, lorsque je me penchai dans sa direction, ma bouche chercha sa pommette. Mes lèvres tremblèrent tout contre son oreille, aspirant à lui avouer un terrible secret. Tu avais raison. Mais les mots que je voulais prononcer étaient mystérieux. Il glissaient dans ma gorge avant de s'évanouir sous ma langue. Ils s'élevaient brusquement, rouges et échauffés, avant de s'interrompre dans les flux archaïques de mes réflexions. Je n'avais plus de courage. Je n'avais plus envie d'admettre mes tords. « Ça a été long, je suis désolée. » Elle s'écarta de mon torse. Sa voix grave raisonnait encore dans ma tête. Cette petite m'avait manqué. Elle m'avait toujours manqué, mais je ne m'en rendais compte que maintenant, lorsque je reconnaissais son menton aigu, ses épaules frêles et la lumière blême qui auréolait sa chevelure nuageuse. « Mais tu es là finalement. » Je me rétractai lentement. Puis d'un geste las, je sortis mon paquet de cigarettes. Elle luttait contre le silence oppressant tandis que je me noyais dans la solitude. Je fermai les yeux avec entendement, prétendant que les choses allaient pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. J'inspirai le feu avant de cracher la fumée. Je gouttais au poison avant de crier de douleur. Quel était notre dernier sujet de débat ? De quoi avions-nous parlé avant mon départ pour l'armée ? Je n'en gardais aucun souvenir. Ce n'était plus qu'un écho. Un bruit fugitif qui au bout d'un certain temps, avait fini par s'éloigner. De sorte que finalement, il disparut complètement, non seulement de mon champ de vision, mais aussi de mes pensées. « Je suis là.   » Articulai-je avec difficulté. Ma mâchoire trembla et je plissai les yeux afin de me cacher derrière une expression plus dégagée. Je refusais de ressentir les supplices de l'émotion à nouveau. Je refusais de tomber devant la gamine qui m'avait un jour idéalisé.  « Et tu es là aussi ... » Constatai-je en ancrant mes pieds sur le sol. « Tu es prévisible, Lexie. Malgré tout ce temps. Tu es toujours prévisible. »  Déclarai-je en désignant sa voiture. Je savais qu'elle allait venir en recevant mon appel. Je m'approchai d'elle. Ma démarche était débonnaire malgré la faiblesse apparente de mon corps. Mes jambes étaient fatiguées. Mes muscles étaient émaciés et mon visage était aussi sombre que les voiles vespéraux de la nuit. Mais je me raccrochais à notre ancienne complicité pour ne pas trop la brusquer. Les combats internes que j'endurais n'avaient rien à voir avec elle. Mon angoisse était mienne. Mon âme était mienne et ma déchéance tout autant. Au fond de moi, la bataille faisait rage, pliant et dépliant les battants de ma poitrine fébrile. Mais pour elle, je demeurais impassible. Mes yeux se posèrent sur ses bras squelettiques et bien malgré moi, je remarquai le trajet de ses veines violacées sous sa peau translucide. Je fronçai les sourcils. On pouvait facilement reconnaître la maladie lorsqu'on était soi-même malade. Je pris une longue latte puis, répondant à une impulsion subite j'attrapai son poignet. Je me demandais quelle sorte d'homme j'étais à ses yeux. Bizarre, fou et perdu.   Mes doigts se pressaient contre ses os. Mon souffle se versait dans la rue sombre et je la tirai vers moi en l'interrogeant du regard. Que se passe-t-il lorsqu'on revient après cinq années ?

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() message posté Mer 9 Sep 2015 - 1:24 par Invité
Je cherchais dans son attitudes les reproches que j’avais déjà pu me faire. Il se tenait devant moi, renfermé et silencieux et je le revoyais m’annoncer son départ pour l’armée. Je l’avais écouté sans répondre. J’aurais sans doute dû lui exprimer une reconnaissance, le féliciter pour son sacrifice. Je m’étais demandée si il avait escompté des encouragements et des applaudissements, je n’avais pas eu la force de trouver des raisons de les lui donner. Il y en avait, des dizaines, des centaines. Mais j’avais refusé de renoncer à mes principes, de m’arranger avec ma conscience, même plus tard, même en grandissant. J’étais devenue persuadée qu’à chacun de ses tirs, il tirait sur lui-même, sa vie, son futur. J’étais devenue incapable de lui dire le contraire. La culpabilité résonnant à chacun de ces souvenirs m’avait empêchée de faire mon deuil. Et je n’avais plus à le faire, aujourd’hui. « Je suis là. » Il répétait et confirmait, les mâchoires serrées. Mais ses intonations sonnèrent comme un mensonge, alors que je les entendais pour la première fois depuis des années. Il était là mais n’avait jamais paru aussi loin. Je restai immobile, animée seulement par les mèches autour de mon visage que la brise nocturne venait emmêler capricieusement, inconsciente de ce qu’elle venait briser. Isaac était là. Son prénom résonnait, il n’y avait pas si longtemps, dans mon esprit comme une prière. Elle était sûrement la seule jamais formulée, la seule à s’être réalisée. « Et tu es là aussi ... » reprit-il avec la même sobriété que la mienne. J’étais là. Mais je n’étais jamais partie, après tout. « Tu es prévisible, Lexie. Malgré tout ce temps. Tu es toujours prévisible. » Un sourire vague se dessina sur mes lèvres et je ne détournai pas le regard malgré mes difficultés à supporter le sien. Il se trompait. J’aurais aimé acquiescer, j’aurais aimé entendre ces constations comme une vérité. J’aurais aimé être toujours cette même jeune fille qu’il avait connue, cette même petite fille qui l’avait supplié de ne pas partir, menacé lorsqu’il l’avait fait, s’accrochant à sa fierté, puis la lui jetant en pleine figure simplement pour le retenir, comme si elle en avait le pouvoir, du haut de ses quelques années. Mais ce n’était plus le cas. Je ne suis même pas capable d’une larme. Le temps était passé, blessant l’âme de cette fille dont je n’apercevais plus que l’ombre moralisatrice, rongeant son cœur et abrégeant son souffle. Le temps était passé et je n’étais plus prévisible. Il ignorait tout de ce que j’étais devenue. Et j’aurais été bien en peine de devoir le lui décrire. « Est-ce que c’est rassurant ? » demandai-je en plissant les yeux, les graves de ma voix contrastant avec les cris de mes pensées. Si ça l’était, je n’étais peut-être pas forcée de pointer son erreur. Si ça l’était, je n’aurais plus à avoir honte de ma fierté comme excuse de ne pas le reprendre. Je pouvais lui cacher cette nouvelle réalité pour le protéger, le rassurer, lui prouver qu’il avait toujours sa place. Il n’était pas parti. Il avait été enlevé. Il avait été mort. Et je n’étais pas prête à gommer les aspérités, oublier les horreurs, et distraire les esprits. Je n’étais pas prête à oublier le dramatique de ce qu’il avait vécu. Je ne l’avais jamais été. Je cherchais dans son regard s’il se souvenait. S’il m’en voulait de ne jamais l’avoir fait. Cela avait été mes dernières paroles à son encontre, mes derniers reproches, nos derniers mots échangés. Je cherchais à savoir s’il retenait cela contre moi. Je ne savais pas à qui j’en avais le plus voulu. Si c’était à moi et tout ce que j’avais su, tout ce que j’avais dit, tout ce que j’avais dénoncé, exposé, prophétisé. Ou si c’était à lui, et son expression, la même de ceux pris en flagrant délit, son incapacité à prononcer le moindre mot sans avoir l’air d’en souffrir odieusement. Je nous en avais voulu, oui.
Je me détournai. Nous n’avions pas à rester ici. Nous n’avions pas à jouer nos retrouvailles sur le parking d’un commissariat, preuves accablantes de ce qui s’était produit. Je me détournai, mais fus retenue en arrière alors qu’il se saisissait de mon poignet. Je grimaçai sous l’effet de la surprise et marquai un imperceptible recul alors qu’il l’attrapait plus volontairement, enroulant ses doigts tout entiers avec une facilité évidente, pour me tirer de nouveau vers lui. Je le dévisageai sans comprendre avant de baisser mes yeux sur nos bras. Je restai insensible, placide, ce masque dont je ne savais désormais plus me défaire. Je ne cillai pas mais j’avais mal. Je sentais mes os crisser et ma peau brûler sans qu’il n’ait à la tordre. Je sentais mes veines irritées par les inflammations. Je ne compris qu’en sentant celles de ma fistule battre dans le creux de mon bras et je fronçai les sourcils. « C’est rien. » J’ouvris ma paume pour ne plus opposer de résistance, avant de me dégager de sa poigne avec lenteur. C’est rien, murmurai-je sérieusement. Je ne savais pas si il pouvait me croire. Peut-être n’était-ce que moi. Peut-être étais-je la seule à remarquer que ma peau sentait le sel et les médicaments. C’est rien, mentis-je. Je relevai mon regard avec peine dans le sien. Je lui aurais donné mes plus lourds secrets pour ne plus jamais le voir évincé. Mes yeux balayèrent son visage avant de s’égarer à la naissance de son cou. La peau sur ses omoplates luisait sous les éclats des réverbères et de la lune, ses cicatrices aussi. Je ne pouvais qu’en apercevoir les prémisses, je ne pouvais qu’imaginer leurs étendues et les dessins qu’elles devaient dessiner sur sa peau. Mais je fronçai les sourcils en revenant vers lui. « Et ça ? » Je pointai celles que j’avais aperçues. J’allais trop loin, peut-être. Il semblait trembler et bouillir, face à moi, depuis sa sortie. Je ne pouvais prédire ses réactions. Mais c’était Isaac. J’éprouvais la nécessité de parler, de poser des mots sur le silence de ces dernières années. Je pouvais les avoir retournés mille fois dans ma tête, je n’étais plus assurée de savoir les retrouver, tous. J’étais certaine d’en entendre sortir d’autres, moins justes, en dessous de la vérité, ou ailleurs. J’avais prédit des horreurs que je n’étais pas certaine de vouloir entendre confirmées. Je nous infligeais sans doute un châtiment pour punir une faute que j’avais du mal à identifier. « C’est rien ça aussi ? » repris-je pourtant d’une voix grave, incapable de la faire taire. Que t’est-il arrivé ? Je ne pouvais qu’imaginer ses dernières années comme scènes et rage. La colère fracassait, anéantissant même l’homme qui la portait en lui. Je n’ai rien, par rapport à toi. Je te dirais ce que tu ignores si tu avoues également. Sous les phares des voitures et les rayons de la lune, ses cicatrices brillaient d’un éclat bleu, appelant le regard, souvenirs obscènes de ce que ce monde et ses guerres lui avaient infligé.
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() message posté Lun 5 Oct 2015 - 23:24 par Invité
“Sometimes I felt like I'd never really been found in the first place. ” L'angoisse que j'avais éprouvé en Afghanistan pulsait à travers mes veines. Je tendis les mains dans le vide avant d'agripper Lexie par le dos. Maintenant, je n'étais plus séparé d'elle. Les barrières étaient tombées. Je pouvais sentir son parfum flotter autour de ma tête et sa silhouette se presser contre ma poitrine. Je pouvais l'étreindre autrement que par la pensée. Mes souvenirs se condensaient dans mon esprit comme une nuée de poussière crée par un effet de ma mémoire involontaire. Je n'avais rien conservé du passé, seulement quelques images décousues et des éclats de rires lointains. Je plissai les yeux en effleurant ses cheveux d'un geste las. Je l'avais toujours imaginé couronnée de fleurs, symboles magnifiques de tous les chagrins et tous les malentendus du monde. Ma petite Alexandra. Son prénom résonnait vraisemblablement dans un milliers de cœurs, mais cela n'avait plus d'importance aujourd'hui. J'avais laissé derrière moi une gamine révoltée, et c'était une femme chétive que je retrouvais à l'extérieur d'un commissariat de quartier. Je me détachai de sa prise afin d'observer les murs du bâtiment. Ils étaient recouverts d'un vieux crépi gris, rongé par le temps et les fissures. Je retins mon souffle. J'avais crié de toutes mes forces pendant des années. Je m'étais accroché aux barres de fers, nu, désabusé et humilié. Je n'avais plus besoin de justice. Le scintillement doré des dunes de sable m'apparaissait encore comme une absolution. J'y retrouvais le sentiment d'éternité, le silence et les étoiles. J'y retrouvais les fragments éparpillés de l'homme que j'aurais pu devenir dans un monde meilleur. Si je n'étais pas parti à la guerre, comme elle m'avait supplié de le faire. Je croisai les bras en souriant par politesse. Lexie ne pouvait plus m'aider. Elle ignorait sans doute qu'un certain nombre de drames existaient toujours en moi. Ses grands yeux vides prenaient une jolie expression lorsqu'ils croisaient mon regard, mais il n'y avait plus aucun élément de ressemblance entre nous. J'étais un animal enragé. Nos langages n'avaient plus aucun mot en commun. Rien de ce qui lui apparaissait comme important ou sacré ne pouvait plus l'être pour moi. La famille. L'amitié. L'amour. J'étais perdu au milieu des ruines d'un sentiment majestueux et contraire. « Est-ce que c’est rassurant ? » Sa voix était si mélodieuse. Pour elle aussi, j'étais devenu l'étranger. Je secouai les épaules d'un air bourru. Je retrouvais entre les sifflements stridents du vent une liberté complaisante et fuyante – presque éphémère. J'aurais tant voulu lui confier mes pensées et partager l'horreur des images qui défilaient derrière mes paupières, mais son allure ne se conformait pas à mon univers. Elle possédait un visage fin, un parfum léger et une silhouette élancée. Elle était faite pour entendre avec douceur et ferveur le chant gracieux et séduisant de la vie. Je l'avais toujours considéré comme un pétale de rose penché vers la terre boueuse. Il ne tenait qu'à elle de se hisser pour fleurir, ou de tomber pour disparaître. Je plissai le front en me tournant vers sa voiture. « Je ne fais plus la différence entre ce qui est rassurant et ce qui ne l'est pas. » Répondis-je en crispant ma prise sur mes cigarettes.  Et pour toi, est-ce que c'est rassurant d'avoir raison ? Je sortais complètement de mon ivresse alors que la flamme de mon briquet dansait dans l'obscurité. Les lueurs diaphanes de réverbères guidaient mes yeux vers ses bras et l'éclat terne de sa peau. Mon cœur s'agitait dans ma poitrine, imposant une ancienne promesse dans mon esprit. Protéger ma patrie. Protéger Lexie. Je fermai brusquement mes doigts autour de son poignet. Il était squelettique et saillant. Soudain, alors que je me penchais, mes lèvres se pincèrent et ma gorge se serra. Le tumulte coloré de mes pensées continuait de battre son plein dans ma tête et plus bas encore, en enfer. «  C’est rien. » Murmura-t-elle en s'éloignant de ma prise. Je ne songeais plus à rien. Ce soir, je n'étais pas le seul à porter un masque. Ici, sous la brume oppressante de Londres, nos deux âmes se juchaient sans se rencontrer. Ses yeux luisants glissèrent sur mon cou, scrutant les détails honteux de mes blessures. Je n'opposais aucune résistance. Je passais volontiers sous le filtre. Je me redressai presque, laissant les étincelles de la lune dévoiler les cicatrices cautérisées qui s’agrafaient sur mes omoplates. « [color:a984=##cc3366] Et ça ? » J'arquai un sourcil en suivant les fluctuations de sa voix grave. « [color:a984=##cc3366] C’est rien ça aussi ? » Elle se tenait devant moi, le teint pâle derrière le masque, la bouche tremblante par une vérité qu'elle avait trop vite énoncé. Je percevais son indignation. J'entendais encore ses cris de désespoir et la porte claquer dans mon dos. J'étais parti, voilà l'erreur. Il ne s'agissait plus de confidences ou de souvenirs. Machinalement, je pressai mes ongles contre le col de ma chemise froissée. J'esquissai un faible rictus, salué, enflammé par une étrange mélancolie. Tu penses que les choses auraient pu être différentes ? Je soupirai en écrasant mon mégot contre la chaussée. Les râles de ma respiration se versaient tristement dans la rue alors que je me rapprochais de Lexie. Mon attitude était calme et conciliante. Je la regardais encore comme une enfant. J'acceptais ses excès d'insolence et ses avis bien tranchés sur l'armée. « J'ai mérité mes cicatrices. J'ai prêté serment et je me suis engagé à les porter. » Récitai-je solennellement. C'était ce genre de discours qu'entretenait les soldats. C'était probablement la réponse qu'elle s'attendait à avoir. « As-tu mérité les tiennes ? Réponds-moi, Lexie.  » Je hochai la tête, le menton ferme et l'expression sévère. Je ne voulais plus de cachotteries, de silences entre nous. Elle était venue jusqu'à moi. Elle avait répondu à mon appel et maintenant, c'était mon tour de répondre au sien.

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() message posté Mar 13 Oct 2015 - 1:40 par Invité
Je fis un pas en arrière en retenant ma respiration. Je ne fuyais pas, non. Pas cette fois. Je reculai pour mieux l’apercevoir, pour mieux juger ces cicatrices qui semblaient parsemer ses clavicules et dont je pouvais seulement imaginer les étendues. Je songeai également à ces blessures qu’il s’était sans doute infligé lui-même, seul durant sa captivité, invisibles à l’œil nu, mais qui devaient saigner au-dedans. La plupart des cicatrices ne se voyaient pas à l’œil nu. Mais pour Isaac, cela semblait être le cas. Il les portait dans ses gestes retenus mais impatients. Il les portait dans la méfiance et le laisser-aller qu’il avait mis dans notre étreinte. Je tentais de trouver des similitudes avec ma propre expérience. Je l’avais fait durant toutes ses années au front, toutes ces années après sa disparition. Comme si il m’était ainsi plus facile de la gérer, comme si je voulais m’imaginer que nous traversions les mêmes choses, que nos peurs et nos tourments n’étaient pas altérés par les milliers de kilomètre qu’il avait mis entre lui et le reste d’entre nous. Je ne m’étais rendue compte qu’ensuite de l’incohérence de ses espoirs. J’étais jeune. Trop jeune et la vie s’était chargée de souffler sur ces illusions vaines. Elles s’éloignaient dans une brume grisâtre alors qu’il reportait son regard sombre dans le mien. « Je ne fais plus la différence entre ce qui est rassurant et ce qui ne l'est pas. » J’aurais voulu lui dire plus, j’aurais voulu lui prouver qu’il avait tord, qu’il le pouvait à présent. Mais je n’avais pas les mots, il n’aurait pas voulu les entendre. Je venais de lutter contre mon oncle pour le faire sortir de cet endroit, je venais de fermer les yeux sur ce qu’il avait bien pu faire pour s’y retrouver. Je m’en moquais, je l’aurais défendu quoiqu’il en soit. « J'ai mérité mes cicatrices. J'ai prêté serment et je me suis engagé à les porter. » proféra-t-il d’une voix éteinte mais porteuse de ses croyances qui semblaient gravées au fer rouge dans le creux de chacune de ses failles. J’abaissai mes paupières dans un mouvement las, je refusais de nourrir l’emphase de ses serments, ce n’était pas la première fois que je les entendais, mais la première fois depuis son retour. Il ne lui avait fallu que quelques minutes avant qu’il ne se sente obligé de réaffirmer son engagement. Il savait ce que j’en pensais. Son être tout entier semblait être tourné vers ce que j’avais du mal à accepter, son être tout entier semblait conquis à la pensée qu’un homme et son pays, leurs intérêts, leur image et leur destinée ne pouvaient être plus qu’un, confondus dans une seule masse informe et sombre. Je restais persuadée que gagner cette guerre ne pouvait se faire sans détruire ce qu’ils croyaient eux-mêmes défendre. Les valeurs pour lesquelles ils combattaient glissaient à présent sur sa peau, comme sur une carapace lisse et imperméable. Je posai mon regard sur lui, à présent, et je me mordis la lèvre pour ne pas recréer nos conversations incessantes et stériles. Je venais de le retrouver. Je n’étais pas prête à le voir s’éloigner de nouveau. « As-tu mérité les tiennes ? Réponds-moi, Lexie.  » insista-t-il d’une voix sombre alors qu’il relevait le menton, retrouvant la sévérité qu’il avait toujours eu à mon égard. Cela n’avait pas changé, au moins. Et oui, c’était rassurant. Ça l’était, même si je sentais mon cœur s’effriter à la simple idée de devoir lui raconter ce qu’il avait manqué, comme si cela comptait, comme si cela avait une quelconque importance face à ce qu’il avait lui-même vécu, face à ce qu’il avait perdu. Je ramenai mes bras contre moi, les croisant contre ma poitrine en soupirant doucement. Qu’étais-je supposée lui dire ? Que pouvais-je lui avouer sans ranimer les braises de notre dernier affrontement que sa disparation avait enterrées ?
Il était de retour, implacable devant moi, me surplombant de sa stature, avec son cortège effroyable de souvenirs et de morts, inaudible de la douleur et de l’incompréhensible. Il rejetait mes accusations, fixant sur moi ses pupilles noires et fatiguées, à peine accusatrices, et cela me faisait plus de mal que n’importe quoi. J’aurais préféré qu’elles le soient, pleinement accusatrices. Je ne suis plus une enfant, Isaac. Voilà ce que tu as raté. Mais je n’étais pas certaine de vouloir qu’il le découvre. Je n’étais pas certaine de vouloir entendre ce qu’il pensait de cette adulte que j’étais devenue. J’avais été révoltée et véhémente. Ma colère ne s’était pas étouffée, je l’avais simplement dirigée ailleurs. Contre moi, puisque j’étais là. Contre moi, puisque j’étais finalement la seule à rester, la seule à pouvoir l’entendre. Je plissai les yeux quelques secondes. Il voulait l’entendre. Je ne pouvais pas lui demander de reconnaître ses blessures si je persistais à lui cacher les miennes.  « Je suis malade. J’ai été diagnostiquée il y a quatre ans. C’est pour les dialyses. » précisai-je finalement en désignant la fistule qui avait attiré son attention, dans le creux de mon bras. Je relevai mon regard dans le sien en haussant les épaules doucement. Il portait le poids du monde sur ses épaules, s’infligeait des responsabilités qui n’étaient pas les siennes jusqu’à ce que son armure sature. Jusqu’à ce que l’on doive venir le libérer de ces cellules dans lesquelles il retournait s’enfermer. Mais il n’y était pour rien. Pour cela également. « Je ne vois aucun mérite, ni pour toi ni pour moi. » le repris-je doucement en inclinant le visage, je prenais finalement le risque de lui répondre mais ce n’était pas ce qu’il voulait entendre. Il restait prisonnier, prisonnier de cet entêtement à vouloir conserver ses privilèges, à ne rien partager pour ne pas succomber, à entretenir l’illusion de la grandeur. Cette grandeur qui ne m’avait jamais paru aussi méprisable qu’à présent, que maintenant où je pouvais voir les conséquences taillées dans sa peau écorchée. « La seule différence c’est qu’ils ont réussi à te convaincre du contraire. » Et je savais déjà que je ne leur pardonnerais jamais cela, que je ne chercherais jamais à les comprendre. Je refusais ces valeurs qu’ils tentaient de graver dans leur esprit et dont ils ne semblaient plus pouvoir se défaire. Peut-être était-ce la seule et unique manière pour les soldats d’accomplir leur devoir sur le terrain, peut-être était-ce leur seul moyen de revenir, de revenir en vie. J’entendais leurs arguments. Je restais de marbre face à leur discours : servir la nation nécessitait de devoir sacrifier certaines valeurs. Pour permettre aux personnes naïves et déconnectées telles que moi de faire preuve d’une moralité sans faille sur laquelle ils crachaient, il devait y avoir des hommes et des femmes prêts à risquer leur vie. Rien ne sonnait jamais aussi faux dans mes oreilles que ces discours superficiels et aveuglants.
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() message posté Dim 6 Déc 2015 - 20:10 par Invité
“Sometimes I felt like I'd never really been found in the first place. ” J'avais été seul pendant cinq années. Personne n'était responsable de cette solitude. Personne n'avait le pouvoir de me sauver de mes démons ou de m'extirper de mes pensées. Je restais éveillé dans la nuit, le visage maculé de sueur et de visions imaginaires, parce que ma fierté m'empêchait de quitter les chaînes de mon désert afghan. Un rempart s'élevait entre le monde et moi, et au sommet de la plus haute pierre, se trouvait un ange sépulcral. Alexandra montait la garde en tenant un bouquet de fleurs blanches entres ses doigts froissés. Elle me surveillait d'un air bienveillant avant de sourire pour m’accueillir au sein de sa tristesse. Mon cœur était si lourd. Ma bouche crépitait dans l'obscurité, avide de retrouver une source de lumière entre les étaux de mon cachot répugnant. On m'avait sorti de la captivité mais les souvenirs du soldat opprimé hantaient encore mon esprit. J'étais à genoux, les chevilles écorchées par les chaînes de mes ravisseurs. Etais-ce l'hypocrisie de l'armée américaine ou les rébellions de la guérilla qui m'avaient le plus asservi ? J'avais attendu en vain. J'avais imaginé les allures héroïques de cet inconnu justicier, venu pour me sortir de ma torpeur nocturne. Mais toutes les ombres se ressemblaient dans l'obscurité. Tous les visages se confondaient entre les fissures des murs. Les secondes se consumaient. Les minutes perlaient au bout de mon profil aigu et se transformaient en éternité. La marche majestueuse du temps filtrait à travers mon squelette maigre sans épargner mes espoirs. Le destin répétait mon prénom comme une douce mélodie. Isaac n'était pas mort. Il vivait au travers d'une réalité parallèle, sur l'inscription blanche d'un épitaphe, au milieu des étoiles scintillantes d'un drapeau. Quelque part. Ici. Jamais ailleurs. L'essentiel c'était le courage. Le plus important, c'était les devises fraternelles des campements américains. Je soupirai en secouant anxieusement les épaules. J'avais fini par me détacher de mes anciens idéaux. Je fixais les valeurs de l'humanité qui s'accumulaient entre les pages des livres comme des péchés qui s'embaumaient dans les souffles glacés du vent. J'étais parti sans me retourner. Une première fois, puis une dernière. J'avais tourné le dos à mon mariage en me rangeant du côté du sacrifice, parce que je pensais que le bonheur des autres dépendait des efforts que je devais fournir sur le front. Parce qu'une partie de moi, admirait sans relâche, cette sensation de pleine puissance qui pulsait à travers le canon de mon fusil de pointe. Je plissai le front en équilibrant ma posture. L'odeur aigrelette de l'alcool imprégnait le col de ma veste. Elle s'unissait à mon souffle afin de se mélanger à ma silhouette. Le miraculé ivrogne. Je m'approchais lorsque Lexie esquissait un mouvement de recul. Je ressentais le besoin de lui parler de sentiments que j'avais renié jusqu'à présent. Pourquoi ? Pour excuser mon comportement ? Pour renier la foi ébranlée qui m'avait guidé dans mes choix de carrière ? Je ne savais pas de quoi mon âme était faite, mais nous étions pareilles. J'étais l'essence ambiguë de ses halos de lumière terne. Je retournais vers les ruines de la guerre en enlaçant son étreinte fragile. Mon regard se posa de nouveau sur son expression maussade. Lexie semblait si jeune et pourtant, un voile gris retombait sur sa frange afin de briser la clarté de ses traits. Les reflets de la lune se perdait entre les filaments dorés de sa chevelure ondulée. Il était si difficile de la laisser grandir. De réaliser qu'elle était devenue cette femme pleine de répondant. Je crispai ma prise sur ma cigarette, le cœur suspendu au bord du gouffre. «  Je suis malade. J’ai été diagnostiquée il y a quatre ans. C’est pour les dialyses. » Je voulais disparaître dans le blanc de ses souvenirs. Il y a quatre ans, je n'étais pas là. Il y a quatre ans, j'attendais encore l'arrivée inespérée du sauveur qui allait enflammer une allumette au fond de ma cellule. Maintenant, je comprenais pourquoi il m'avait oublié. Je serrai les dents en écrasant mes poings sur ma barbe. La voix de Lexie était toujours aussi naturelle. Elle ne cédait pas à l'angoisse de la mort. Elle ne connaissait pas les égarements du sentiment. Je fermai les yeux. Soudain, j'aperçus les premiers bourgeons de la délicate fleur d'hiver qui résistait à tous les intempéries. Je remarquais les tâches de boue qui creusaient sa tige flamboyante mais je m'évadais aussi au gré de sa beauté. L'Alexandra s'élançait comme une promesse de paix. Elle était parfaite. «  Je ne vois aucun mérite, ni pour toi ni pour moi. La seule différence c’est qu’ils ont réussi à te convaincre du contraire. » Je haussai simplement les épaules. Mon pays, ce n'était pas un pays. C'était une trace d'encre sur un mouchoir de soie. Il n'y avait peut-être pas de mérite mais il existait des courants archaïques qui nous poussaient immanquablement vers la soumission forcée. Je n'y échappais pas le soir, assis sur le rebord du canapé, dans le salon surmonté par le portrait souriant d'Olivia. Je n'y échappais pas devant les parois de la baignoire lorsque mon dos rencontrait la froideur de la céramique humide. Je sentais l'appréhension monter dans ma gorge et faire battre mes veines de manière frénétique. Je ne cillai pas. J'inclinai la tête en direction de la voiture. « Tu sais conduire? » Soufflai-je doucement. Ce n'était pas réellement une interrogation. Après tout, elle était majeure. Elle semblait dotée d'un esprit vif et aiguisé. Je souris avec malice. « Emmène-moi au Hyde Park. Si tu acceptes, je prendrais la parole dans le coin des orateurs. Je te raconterais les secrets du monde. Et tu me diras, si mon point de vue est réellement influencé par les talibans ou si je suis capable de réflexion indépendamment des autres. » Je marquai une légère pause. J'effleurai son épaule en hochant la tête. Je me moquais de la liberté d'expression et de l'audience. Je me moquais des contraires et des analogies. Et même si j'étais toujours prisonnier d'un sentiment grandissant de dégoût, de colère et de désespoir. Même si plus rien ne m'inspirait la joie ou la compassion, Lexie avait su pénétrer jusqu'aux tréfonds de ma chair comme une entaille glacée. « Je suis malade mais on refuse de me diagnostiquer parce que je suis un héros. » J'avais parfaitement conscience de cela ; de l'image que renvoyaient les médias pour justifier les crimes de guerre. Je frémis en pressant ma main contre ma joue sèche. Le temps avait usé les larmes que j'avais versé dans la captivité. Le temps était toujours en marche. Au galop.

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() message posté Sam 19 Déc 2015 - 20:17 par Invité
Il y a quatre ans, Isaac n’était déjà plus là. Il y a quatre ans, Isaac était porté disparu, déclaré mort et le monde autour de lui avait dû faire son deuil. Il y a quatre ans, il m’était annoncé qu’il ne me restait plus que quelques années à vivre, quelques années à continuer en sursis avant que cela ne suffise plus, avant que je ne m’éteigne à mon tour. Je passai une main dans mes cheveux, suivant distraitement la fumée de sa cigarette s'élever, attirée par la lumière des lampadaires. Je ne l’avais pas aussi bien pris que ce que je laissais paraître aujourd’hui, je pensais encore sans doute que la vie devant moi était sans limites. Je n’étais plus aussi naïve, j’avais bien failli mourir déjà, après tout. Plus d’une fois. Au moins, il n’avait pas été là pour voir cela. Au moins, il avait été loin, et je pouvais encore dédramatiser, broder autre chose. Mais il avait vu autre chose, il avait vu pire, si l’horreur était quantifiable. « Tu sais conduire ? » Je souris légèrement mais ne répondis pas, faisant tourner lentement le jeu de clés entre mes doigts. Je l’avais prise simplement pour être capable de le ramener, mais il s’agissait d’une nouvelle chose qui avait changé. « Emmène-moi au Hyde Park. Si tu acceptes, je prendrais la parole dans le coin des orateurs. Je te raconterais les secrets du monde. Et tu me diras, si mon point de vue est réellement influencé par les talibans ou si je suis capable de réflexion indépendamment des autres. » J’entrouvris les lèvres pour répondre avant de me reprendre en inspirant lentement. Il l’ignorait, il avait disparu et, au moment où je pensais avoir déjà trouvé toutes les réponses, les questions s’étaient mises à changer. Il savait toujours, cependant, ce que ses paroles étaient capables de provoquer en moi, il m’avait vue m’emporter et il m’avait vue rire quand des milliers de kilomètres étaient encore entre nous. Il m’avait vue m’énerver, pour notre dernier échange, notre dernière conversation avant qu’il ne soit porté disparu mais je commençais à me demander s’il s’en souvenait. Il savait que ses paroles pouvaient m’atteindre et avec quelle puissance. Que j’avais pris ses idées comme une naissance parce que je l’admirais, et que cela avait toujours été le cas même lorsque je m’étais mise à vouloir les contrer. Il ne les prononçait sans doute pas aujourd’hui, dans cet enchaînement précis comme un hasard, il savait que j’allais m’en emparer si je le pouvais. Je n’avais pas voulu pas le forcer à en parler, je n’avais pas voulu lui faire revivre ce qu’il voulait peut-être oublier mais ma résolution n’avait pas tenu longtemps. Je n’étais pas du genre à ralentir devant un accident de la route. Le drame restait fascinant, les autres pouvaient se demander jusqu’où était-il capable de s’étendre, jusqu’où leur curiosité était capable de les amener. Pour moi, ici, ce n’était pas gratuit, je fis la moue, craignant soudain qu’il le pense. « Je ne parlais pas des talibans. » Tu sais que je ne parlais pas d’eux. Je ne pouvais pas. Ils étaient tellement loin, éloignés de ce que nous étions capables de comprendre ou non, d’appréhender ou non. Nous étions incapables d’anticiper nos actions face à eux ou notre inertie. Nous étions tous du même genre mais l’humanité s’arrêtait ici. Je parlais de ce pays pour lequel il avait donné sa vie, ce pays qui s’en était emparé sans ciller, sans pitié, et ne se souciait plus aujourd’hui de la lui redonner. Je parlais de ce pays et de ces promesses qui l’avaient guidé là bas avant de l’abandonner, le réduisant au désespoir de chercher leur résonance dans le vide. Je parlais de cette vérité qui lui avait été assénée, celle lui proclamant sans cesse que son sacrifice était nécessaire, négligeable face à la cause. Mais il ne l’était pas, négligeable. Et ils le lui avaient fait croire, ils avaient enrobé ce mensonge d’illusions et de serments regroupé sous le simulacre du mérite. Eux. Pas seulement les talibans.
Je devais sans doute me taire. C’était ainsi après tout que nous maintenions tous l’équilibre, en faisant silence sur ce que nous pouvions expliquer. Je me demandais si j’étais la première, la première à poser toutes ces questions que les autres évitaient délibérément de poser pour ne pas faire souffrir. Je me demandais si j’étais déplacée, encore une fois. Mais je prenais la parole car je ne pouvais pas faire autrement. Je prenais la parole pour nous permettre de reprendre notre souffle. Et Isaac ne me rejetait pas, pas tout de suite. Il acceptait de m’entendre et de me reprendre, comme il l’avait toujours fait avec l’enfant que j’avais été, l’enfant qu’il avait laissé s’exprimer. Je me demandais combien de temps encore, combien de temps avant que l’adulte que j’étais devenue finisse par lui déplaire. Le coin des orateurs n’était pas simplement l’une de ces tribunes ouvertes à laquelle les idéologies pouvaient être assénées. Il le savait. Il acceptait donc que l’on en parle, il l’acceptait encore. Je ne savais pas dans le fond si j’étais rassurée ou inquiète. Je ne savais pas si je voulais me rendre compte de tout ce dont il se souvenait, et avec quelle précision. Je savais, du haut de mes tourments futiles et inégaux face aux siens, qu’il nous était capable de réinventer, de réécrire sans cesse certains moments, dans l’espoir vain de pouvoir, un jour, donner du sens à ces instants détachés et flottants, sombres et destructeurs de notre vie. J’avais peut-être espéré, brièvement, qu’il ne s’en souvienne pas, pas assez pour pouvoir me raconter. J’avais peut-être espéré qu’il ait pu réécrire pour échapper à l’horreur. « Je suis malade mais on refuse de me diagnostiquer parce que je suis un héros. » Je plissai les yeux en ralentissant à la hauteur de la voiture alors que sa voix vibra de nouveau derrière moi. Je les détestais pour cela aussi. Parce que ce mot entre ses lèvres avait perdu de sa valeur, parce qu’il n’y croyait plus, parce que ce mot avait fini par le desservir, comme il le disait. Je n’étais plus une enfant, je ne pouvais plus le lui dire, je ne pouvais plus lui rappeler qu’il avait été un héros à mes yeux bien avant que le terme ne soit sali. Je fermai la porte en écho avec la sienne et la voiture glissa dans l’ombre du parking avant de s’élancer dans l’avenue éclairée. Les rues étaient occupées mais le chemin semblait tracé.
Les grilles du parc étaient encore ouvertes et je me dirigeai avec Isaac d’une même impulsion vers l’est. Les lampadaires éclairaient d’une lumière grise les graviers à nos pieds et je me tournai vers Isaac, un sourire au coin des lèvres. « J’ai pris la parole un jour à cet endroit. Je me tenais là, plus exactement. » précisai-je en faisant quelques pas de côté, jusqu’à l’endroit où se tenaient d’ordinaire les estrades improvisées. J’haussai les épaules, m’amusant de ce détail qui avait l’air de donner toute son importance à notre démarche. J’enfouis mon cou dans le col de ma veste et posai mon regard sur Isaac avec malice. J’avais toujours voulu faire du droit, il l’avait su avant de partir. Le passé n’avait pas menti, je savais toujours comment me comporter sans filtre en présence d’Isaac. « C’était un exercice, un débat à mener. C’est difficile de rallier à son opinion les réfractaires à une cause, encore plus d’intéresser ceux qui n’en ont rien à faire et ne sont pas là pour ça. Mes arguments étaient construits et fondés. » Je racontai avec emphase mais ne cherchai pas à cacher mon amusement tellement le souvenir me paraissait loin. Je voulais croire que ce n’était pas hors de portée, que je pouvais y retourner dès que je retrouverais les capacités. Le passage était toujours fréquent à cet endroit, en pleine journée. Il y avait les habitués, les passionnés, les étudiants comme moi, les badauds cherchant seulement à s’évader le temps d’une après-midi en plein air. Ces derniers étaient les plus difficiles à soulever, les plus compliqués à arrêter. J’avais été fière et je m’en vantais avec un léger sourire avant d’hausser les épaules et de finir : « J’ai fini par m’évanouir. J’avais raté une dialyse le matin pour finir mon plaidoyer. » L’histoire perdait ainsi son sens, mais la vérité n’était bonne qu’à cela, après tout. Elle atténuait toujours les bons souvenirs. « Je n’ai pas envie de remporter quoique ce soit ce soir, tu sais. » repris-je à voix basse. « Je voudrais que tu en sois un, de héros, mais seulement si tu te remets à croire en ce que ça signifie. » Je n’avais jamais eu envie de remporter nos conversations, après tout. Je m’opposais par principe lorsque je le voyais encore face à moi, au travers d’une caméra ou des lignes de nos lettres lorsqu’il était là-bas. C’était facile lorsqu’il n’avait pas encore été blessé. Beaucoup moins maintenant qu’il était revenu et qu’il semblait brisé. Je n’avais jamais voulu réellement gagner.
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() message posté Lun 1 Fév 2016 - 15:05 par Invité
“Sometimes I felt like I'd never really been found in the first place. ” Les cendres de ma cigarette s'écrasaient sur la chaussée. Je les regardais briller au bout de mes doigts et prendre forme sous les bourrasques du vent. Quel heure était-il ? Il faisait assez sombre pour que la nuit pèse sur mon cœur. Il faisait toujours sombre à l'intérieur de mes songes. Le temps. Cette notion avait fini par m'échapper. La voix enraillée de Hakim était toujours là, battante et acharnée. Elle s'écoulait à travers les parois de mes veines blafardes afin de remplir ma poitrine de désillusions. La douleur physique avait disparue et avec elle, la lutte obstinée, le courage et l'envie de résister. Tant que je souffrais, je restais vivant. Tant que la lame s'enfonçait dans ma chair, je criais et je respirais. Puis tout à coup, le silence et la quiétude de mes appartements luxueux à China Town m'avaient plongé dans le doute. Maintenant que j'étais en sécurité, il me semblait que les fils qui me reliaient à la réalité pouvaient se rompre à n'importe quel instant. La guérilla avait laissé sa marque sur mon âme. J'étais l'insurgé, le commandant qui avait sacrifié mille soldats pour sauver l'idéologie mensongère de l’Amérique. Je plissai le front en observant le visage angélique de Lexie. Ses cheveux ondulaient, portées par l'éclat lumineux des lampadaires. Le cliquetis des clés ronflait entre ses mains comme la fin de ma sentence. Du bruit. Encore. Toujours plus. Mon esprit s'agitait derrière mes paupière, avide de retrouver le sens réel de ces mots que je prononçais sans grande conviction. Tous les chants de l'acier sonnaient de la même manière. Toutes les chaînes se ressemblaient. Ses clés égalaient les étaux de ma prison. Je regardais ses ongles glisser sur le trousseau avec une fixité étrange. Je m'évadais naturellement. Je rejoignais les arcs ténébreux d'un ciel que je pensais éternel. La-bas, en Afghanistan, ma vie s'était évanouie au milieu des bombardements. «  Je ne parlais pas des talibans. » Je haussai les épaules en m'inclinant vers le sol. Un sourire terne prit naissance au coin de ma bouche crispée. Je soupirai et le parfum de l'ivresse s'épandit sur mon menton aigu. Je ne voulais pas qu'elle me voit tomber aussi bas. Alexandra était clairvoyante et passionnée par les récits de guerre. Elle s'imprégnait de mes histoires afin de me mieux contrer les valeurs erronées que je prenais pour acquises. Je n'étais qu'un soldat. Je n'étais pas au dessus de la morale. Tuer des innocents, quelque soit le contexte, c'était immoral. « Moi, je te parle des talibans. » Soufflai-je avec lenteur. Je comprenais son allusion. Elle avait toujours exprimé son opinion sur mes choix avec véhémence. C'était tout le système qu'elle méprisait à travers ses élans enflammés, mais en réalité, le fond de sa pensée était biaisé par l'affection qu'elle éprouvait à mon égard. Je soupirai en humant les fragrances amères du tabac. Ma conscience vibrait anxieusement entre les battants de ma cage thoracique. Laisser tomber le masque, dévoiler le vrai visage de l'homme derrière l'uniforme militaire. Je ne pouvais pas lui accorder cette attention. Je ne pouvais pas lui montrer à quel point j'étais devenu méprisable et hideux. Les ailes flamboyantes qu'elle avait un jour imaginé sur mon dos s'étaient transformées en écailles monstrueuses. « C'est ce que tout le monde fait. Juger la communauté des sauvages. C'est plus facile de rester dans le cliché Lexie. » L'armée avait conditionné ma chute, les talibans avaient profité de ma faiblesse mais j'étais le seul à blâmer. J'avais choisi le combat. Je m'étais proposé pour accomplir ma destinée. Personne ne m'avait contraint à prolonger mon service en Afghanistan. Personne. Seulement, moi. Un frisson traversa mon bras engourdi alors que je me glissais dans la voiture. Le monteur grogna sous le capot et le véhicule s'élança dans le parking, défiant toutes les couleurs et toutes les lumières qui bordaient la rue. Je restai silencieux, les mains pressées sur mes cuisses. Je n'avais pas peur dans cet espace confiné. Je ne craignais pas l'enfermement car les boucles dansantes de sa frange dorée laissaient transparaître une ouverture dans l'obscurité. Elle me rattrapait avant que je ne percute le sol. Je déglutis en me tournant vers le paysage. Hyde Parc, ses roseraies sans épines et ses longues esplanades. Je serrai les poings en suivant Alexandra au bord de la serpentine. Je trottinais à ses côtés comme un condamné qu'elle conduisait vers le lieux du supplice. « J’ai pris la parole un jour à cet endroit. Je me tenais là, plus exactement.  » Je me tournai en hochant la tête. Elle possédait l'éloquence et le charme suffisants pour captiver l'assemblée. Lexie était une oratrice qui se détachait des autres, le pétale rosé qui étendait ses ailes vers l'infini, loin du jardin, loin de la banalité. J'enfouis mes mains dans mes poches d'un geste mécanique. Elle restait égale à mes souvenirs. Sa démarche se mêlait aux bordures sépulcrales des buissons et me donnait envie d'effleurer le feuillage tranchant des arbres. Je me redressai en esquissant un maigre sourire. Elle avait grandi. J'avais changé. Dans quelle mesure nos amours pouvaient-il se retrouver à présent ? «  C’était un exercice, un débat à mener. C’est difficile de rallier à son opinion les réfractaires à une cause, encore plus d’intéresser ceux qui n’en ont rien à faire et ne sont pas là pour ça. Mes arguments étaient construits et fondés. » Je marquai une légère pause. Sa voix était suave et modérée, comment faisait-elle pour parler avec un tel détachement du passé ? La balance s'inversait peu à peu et l'admiration qu'elle avait porté pour le sniper d'élite se transformait, en constance, simplement en se laissant bercer par la fraîcheur de l'hiver. Aujourd'hui, je me tenais face à elle. Et j'étais en extase. «  J’ai fini par m’évanouir. J’avais raté une dialyse le matin pour finir mon plaidoyer. » Je ne réagis pas, laissant les hurlements du vent se déchirer sur mon visage rompu. Une confession pour une autre. C'était un troc équitable. «   Je n’ai pas envie de remporter quoique ce soit ce soir, tu sais. Je voudrais que tu en sois un, de héros, mais seulement si tu te remets à croire en ce que ça signifie.  » Sa solitude me touchait encore plus que celle des autres. Je me penchai au cœur de nos conversations et réalisai que malgré sa prestance et sa stature orgueilleuse, Lexie était brisée à sa manière. Elle combattait elle aussi. Mais le taliban qui faisait crisser le poignard sur ses os était invisible. Il portait une étiquette différente ; celle de la maladie. Je souris en me tenant à l'endroit où elle s'était élevé un jour. Je traçai une ligne dans la poussière en levant les bras. « Tu tenais là. C'est donc exactement ici que tu es tombée. » Soufflai-je d'une voix rauque. J'imaginais son corps flétri, ses yeux embués par la fatigue et l'étrange pincement qui prenait possession de sa poitrine lorsqu'elle passait de l'autre côté. « Je suis tombé partout ailleurs. » Lentement, je m'allongeais sur la ligne. Je croisai les bras sur ma poitrine et fixai le ciel nuageux d'un air lointain. « J'étais supposé être enterré comme ça, le visage tourné vers une divinité céleste. L'expression pieuse et sereine. Olivia a dit qu'on avait amputé la jambe d'Isaac pour le sauver mais qu'il avait succombé à ses blessures malgré toutes les interventionniste médicales. » J'étais immobile dans la pénombre. J'osais, je fermais les yeux et je courrais après les vibrations des chars de guerre. Je les voyais tous, les cadavres déchiquetés par les bombes et le plomb. Je sentais l'odeur caractéristique de la mort, celle qui se mêlait au vent comme un onguent essentiel. « Qu'as-tu ressenti lorsque tu es tombé, Alexandra ? Quand tu rates tes dialyses et que tu t'effondres ici ? » Je ne la regardais pas. J'étais plongé dans mon univers secret, là où je pouvais être à la fois un héros et un meurtrier. Là, où je pouvais exister sans choisir. « Si je te dis de m'emmener à la maison, quel endroit dois-je indiquer ? » Mon souffle s’évanouit dans ma gorge douloureuse. Elle ne voulait pas gagner cette confrontation, mais il était trop tard. Tout le monde gagnait déjà.
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Anonymous
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() message posté Mar 9 Fév 2016 - 2:31 par Invité
Il l’ignorait sans doute. Il ignorait toutes ces fois où nous avions fini nos conversations, où nous avions achevé nos lettres ou raccroché au téléphone. Ces fois où je l’imaginais replonger dans l’aridité de son désert et où je me tournais vers les papiers ou ondes américaines à la recherche de son nom, à la recherche d’informations qu’il ne voulait pas communiquer. Mais il n’y avait jamais rien eu à son sujet et je m’étais rassurée ainsi avant de retourner dans ma vie également. Il n’était nul part et les autres non plus. L’armée américaine était, aux yeux de l’opinion publique, cet océan d’uniformes sans noms, et il n’en était plus qu’un dans une mer de poussière. Ils ne pouvaient pas abattre un uniforme, ils ne pouvaient pas éteindre un nombre, s’ils demeuraient tous ordinaires, ils n’étaient pas ciblés, pas en danger. Mais ça ne marchait pas ainsi, et j’étais jeune, pas naïve. Il avait tenté de nombreuses fois à l’époque de me rallier à ses idées, de me convaincre de son utilité au front mais je le regardais à présent et je savais que j’avais eu raison. Je n’avais pas voulu comprendre ou pardonner dans le passé, témoin de ses yeux éteints et ses élans réprimés. Qu’étais-je supposée comprendre à présent en observant de biais ses mains décharnées ? « Moi, je te parle des talibans. » Sa réponse voilée virevoltait dans mon esprit comme un insecte fou pris au piège et recherchant désespérément la sortie. Je tentai de me concentrer sur son souffle mais il restait silencieux sur le siège passager et seule sa stature m’assurait de sa présence. « C'est ce que tout le monde fait. Juger la communauté des sauvages. C'est plus facile de rester dans le cliché Lexie. » Je cillai mais je ne parvenais pas à chasser ses paroles pour les oublier, pour m’en contenter. Me demandait-il d’agir ainsi également ? Me demandait-il de m’en tenir à cela et de parler d’autre chose ? Il y avait d’autres choses, il y avait une infinité de choses dont je pouvais lui parler, que j’avais voulu partager avec lui sans le pouvoir car il n’était plus là. Une infinité de choses que nous avions ratées mais elles me sortaient de l’esprit lorsque je le regardais. Car il avait choisi cette soirée pour m’appeler, cette soirée où il s’était retrouvé enfermé en prison pour ne pas avoir réussi à les oublier lui non plus. Il n’avait eu que cela, lui. Rien d’autre. Son infinité se résumait à ses années d’enfermement. Il était certainement prévisible d’haïr les talibans et je ne manquais pas à la règle, mais je ne pourrais jamais le faire autant que lui. Je n’en oubliais pas les autres pour autant. Et je les méprisais pour ce qu’ils lui avaient fait, je les méprisais pour leur idéologie marquée et fallacieuse, je les méprisais pour leur propagande et leur efficacité auprès d’une majorité de l’opinion publique. Je les méprisais toujours plus lorsque mon regard se posait sur Isaac.
Nous avancions silencieusement dans le parc orné d’ombres familières. Je l’avais entendu défendre sa patrie et sa fierté pour son pays natal de nombreuses fois. Mais ce n’était plus le cas et je tentais de le retrouver comme je le pouvais, autrement. « Tu tenais là. C'est donc exactement ici que tu es tombée. » Son souffle s’éleva dans l’air avant de retomber. Il appuya son pied dans la poussière et je me décalai en ramenant mes bras contre ma poitrine. « Je suis tombé partout ailleurs. » Le silence était déjà retombé, je pouvais entendre le bruit que faisait le les frottements de ses tissus en s’écrasant dans les graviers et l’herbe épaisse où mes pieds s’enfonçaient. Il restait dans l’ombre l’humidité de la chaleur du jour, soulevée faiblement par la brise comme une lourde draperie. Je ne le quittai pas des yeux car il n’avait pas fini. A ce moment précis, il me semblait mesurer chacun de ses mots, conscients de les laisser s’échapper à chaque fois comme une vague glacée supposée me rappeler qu’il avait connu le pire, qu’il avait connu l’enfer. Il n’avait pas besoin de l’expliciter, il le portait en lui comme une cicatrice indélébile mais sa voix suffisait à me rassurer. J’avais craint son mutisme et sa retraite. J’avais au contraire l’impression s’assister à la réminiscence inévitable de ses expériences meurtrières. « J'étais supposé être enterré comme ça, le visage tourné vers une divinité céleste. L'expression pieuse et sereine. Olivia a dit qu'on avait amputé la jambe d'Isaac pour le sauver mais qu'il avait succombé à ses blessures malgré toutes les interventionniste médicales. » Je plissai les yeux et fis un pas en arrière pour m’asseoir sur le banc improvisé, vieux bois échardé, juste en face de lui. Je serrai les dents mais gardai le silence. Qu’il y avait-il à dire ? Il avait été cet homme disparu, comme effacé brutalement du monde qu’il était censé protéger.
« Qu'as-tu ressenti lorsque tu es tombé, Alexandra ? Quand tu rates tes dialyses et que tu t'effondres ici ? » Je passai une main dans mes cheveux, retenant un sourire triste de se dessiner sur mes lèvres. Il ne me suffisait plus de rater une séance pour m’effondrer. Mon corps comprenait les pièges et les contournait. Le répit de quelques heures qui m’étaient autrefois offert à la suite d’une dialyse ne se limitait maintenant plus qu’à quelques minutes. Et le mal-être reprenait le dessus. Il envahissait le corps et la tête, faisait exploser ces milliers d’images derrière mes yeux qui se fermaient, donnait la mesure du temps et de l’attente. Il savait qu’il en possédait les clés. Que le temps lui appartenait et qu’il pouvait bien s’en amuser. Mais comment étais-je supposée évoquer cela ? Le temps et l’attente. L’omniprésence et l’étouffement. Ça n’avait rien de concret et peut-être était-ce pourtant exactement ce dont nous avions besoin. Des solutions. Du tangible. Quelque chose de suffisamment solide pour que nous puissions nous y appuyer. Isaac était un soldat. Il avait agi durant toute sa carrière dans l’armée. Il avait vécu les horreurs et bien pire encore. Ce n’était pas la peine de les lui décrire, il les avait tenues au bout de son fusil. « Si je te dis de m'emmener à la maison, quel endroit dois-je indiquer ? » Le silence s’empara finalement de ses souffles frénétiques et il resta ainsi, presque apaisé, dans cet endroit qui n’appartenait qu’à lui et que je ne pouvais pas imaginer. Je me penchai en avant, appuyant mes coudes sur mes cuisses et restai ainsi avant de laisser échapper : « Je ne sais pas. » Bien entendu que je l’ignorais. Il le savait, il m’interrogeait pour cela. J’avais bien du mal à me figurer ce que cela signifiait, le concept même semblait lui échapper. Il me suffisait de le regarder ainsi, étendu sur le sol, les bras replié contre lui même, prisonnier de son incapacité à penser au-delà de sa dernière enclave du désert, persuadé d’y avoir laisser des parts de lui-même qu’il lui était incapable de retrouver, grains de sable parmi tant d’autres. « J’imagine que je ne peux pas dire ce que je ressens, exactement. Ce ne sera jamais précis, jamais - utile. Puisque ça a toujours lieu et que ça ne semble pas vouloir se terminer de sitôt. » Nous manquions de recul. Comme si notre vie n’était plus que cette entité suspendue aux limbes d’une falaise. Il m’était impossible d’avancer et je ne souffrais pas d’un manque de volonté, mais d’un manque d’espace. La possibilité d’un jour nouveau, d’une renaissance, se dressait déjà derrière moi avec défiance car elle avait eu lieu et que je n’avais pas pu m’en emparer. Je me vantais en silence de rester en prise, d’avoir toujours le choix, mais je savais dans le fond qu’il m’était impossible d’abandonner, impossible de lâcher prise car je n’étais pas seule. Et chaque bouffée d’air que j’inspirais suintait de ce goût, ce goût amer et acerbe, censé me rappeler ma situation. Il était brisé, bien plus que moi, bien plus que quiconque et s’il n’existait aucune réponse rassurante pour moi, il en était de même pour lui. Elles paraissaient tous forgées dans le même moule avant d’en ressortir : coupantes, minces et infécondes. « Tu le sais. Tu es ici mais la guerre n’est pas finie. Alors dis-moi juste, quel était le dernier endroit où tu t’es senti chez toi ? » finis-je d’une voix basse où vint se perdre un sourire attentif qu’il ne vit sûrement pas, ses prunelles sombres perdues dans l’obscurité du ciel. Sa guerre et ma maladie prenaient ce qu’elles pouvaient, patientes et déterminées. Elles n’avaient que faire des frontières et des individus.
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