Retour.

C'est avec une cuillère en argent assumée que tu naîs. Assumée et portée par papa-maman, parce que, que ce soit bien clair, tu n'as commencé à produire tes premiers dollars qu'une fois ton diplôme d'avocat en poche, juste avant tes premières rides. ça, tu l'as néanmoins toujours su ; comme certains fils de, tu nous fais ton complexe de supériorité socio-économico-matérielle, ton rejet de classe. Gentil, le complexe ; tu ne froisserai jamais tes parents, que tu bénis silencieusement malgré ton athéisme refoulé. Refoulé, parce que la lithurgie juive, tu trouves ça quand même trop riche pour être sacrifié sur l'autel de l'idée de Dieu. De la politique, du contrôle des corps et des esprits, tu dis. C'est vrai. Ça ne t'empêche pas de jeûner Yom Kippour, purge, expiation spirituelle. Ou d'aller galoper gaiement à la première Bar Mitsvah qui vient. Du lien social, un rigolo défouloir. Tu ferai bien Ramadan, aussi, Yom Kippour XXL, même quête spirituelle, oh, tiens, que chez l'ennemi. Parce que, si tu avais été courageuse, si tu avais été à la hauteur de tes idées, si tu n'avais pas été aveuglé par le pouvoir et les billets verts, bleus, oranges, qu'est-ce que tu t'en fous, tu serais dans la vieille ville de Jérusalem, arabe et hébreu au bout de la langue, des fleurs au mur et un discours de paix et d'humanisme dans la tête. Humaniste, tu l'es aussi. Dans l'urne. Tu votes à gauche depuis tes 21 ans et prends volontiers part à la première discussion politique pour mieux prêcher justice sociale, égalité et redistribution des richesses. Ce qui ne t'empêche pas, d'un autre côté, d'empocher de juteux bonus fonction du jackpot en jeu dans les contrats du cabinet qu'on veut bien te laisser négocier. Justice sociale verticale entre le Conseil d'Administration et ses avocats. Qui a dit que les revenus du business n'étaient pas redistribués ? Enfin, entre vous.
Le fric, le café, le métro – une saine habitude -, le shopping de luxe, les putes, l'exclusion du mâle – perte de temps et d'espace vital -, les fantasmes de pipe et de levrette – YouPorn, le seul progrès qui ait touché ta vie -, ces certitudes, cet ennui de vivre, cette existence bête et parfaitement dégoûtante selon ton propre jugement, c'est quasiment achevé. Bouclé. T'as plus le temps pour tout ça. Ca va deux minutes.

Adam, le petit Adam, t'as envie de le faire rire, courir, jouer, lui éblouir les yeux et d'épanouir son esprit. Fils échoué de ton frère – on ne veut pas prononcer le nom de sa mère -, de ton frère qu'on ne veut pas dire paumé tout seul sur la côte Ouest parce qu'il court officiellement derrière le million dans la Silicon Valley, passé par tes parents pour finir son envol dans le petit nid qui semble l'avoir toujours attendu, que tu as au moins pris la peine de préparer dans l'idée que tu t'en faisais. 5 petites années aussi petites que ses dents, et, tous les matins, un trajet à pied jusque l'école du coin. A pieds, parce que tu veux prendre le temps de lui parler, à cette petite progéniture, à cette étrangeté de la vie humaine dont tu ne veux pas que la main te quitte et de qui tu veux déceler tous les secrets.

A deux, qu'on se le dise, vous êtes franchement heureux.