(✰) message posté Mar 26 Mai 2015 - 22:51 par Invité
c’est pas par vague, c’est constant. Il me manque constamment. L’ombre planait encore, elle était là, au-dessus de lui. Il pouvait la sentir, dès son réveil dans le lit de son petit appartement de Camden Town. Elle était lourde et l’enveloppait, l’oppressait. L’ombre le rendit immobile pendant quelques longues minutes. La joue contre l’oreiller il fixait l’obscurité. Puis, il roula sur le dos. A mesure où ses yeux s’habituaient à la pénombre il détaillait les coins et recoins de sa chambre –chambre qui servait également de salon, il vivait dans un studio. La table basse, poussée contre le mur, sa télé posée sur sa commode, et puis sa kitchenette qui longeait le mur de droite. Et soudain, en faisant balancer son regard d’un meuble à l’autre, l’ombre sembla soudain si nette, là au dessus de lui, il cru le voir. Il sursauta en étouffant un cri, son bras bondit sur l’interrupteur. La lumière s’alluma, chassant les ombres. Le studio était vide. Son cœur qui s’était soudain emballé se calma peu à peu. Max enfouit sa tête dans ses deux mains et puis ébouriffa ses boucles aux reflets rouillés et soupira. Il tendit le bras pour attraper son paquet de cigarette entamé, posé à côté du lit. La dernière chose qu’il faisait le soir, la première le matin : s’en allumer une. Il coinça la clope entre ses lèvres tout en s’extirpant du lit et attrapant son briquet.
C’était souvent comme ça. Même après tout ce temps. Souvent il lui semblait qu’hier encore il était encore là. Il avait l’impression de lui avoir parlé la veille, de l’avoir vaguement eut au téléphone, comme ça arrivait si souvent à l’époque. Cette époque où il recevait un coup de fil, tard dans la nuit, quand il était stone. Parfois, quand Max se réveillait, il lui arrivait de se dire que tout ceci n’avait été qu’un mauvais rêve, qu’un très long et mauvais rêve. Le retour à la réalité était chaque fois plus compliqué. On pense souvent que le temps apaise les blessures, qu’on fait son deuil, qu’on apprend à vivre avec. Ce n’était pas le cas. Ca ne serait jamais le cas. Comment Max le pourrait-il ? Max, toujours la clope au bec, se vit dans le reflet de la porte du micro-onde. Ouais, comment pourrait-il oublier ? Comment le pourrait-il, son ombre flottait toujours au-dessus de lui.
La journée s’écoula sans incident. Il commença par répondre au mail de ses grands-parents, qui demandaient comment se passait les partiels de Maxwell. Ils ne communiquaient plus que par mail. Max ne saurait même plus dire quand était la dernière fois qu’il était retourné en Irlande. Quand il les voyait, ses grands-parents, c’était comme s’ils ne le voyaient pas. Ils essayaient de retrouver un peu de Ian en lui. Mais il n’y avait rien. A part cette foutue tronche, Max n’avait rien de son frère en lui. Enfin, après ça, Max tenta de se concentrer sur ses cours, son dernier partiels étaient dans quelques jours. Le cœur n’y était pas. Il termina un nouveau paquet de cigarette.
Le silence, c’est ce qu’il y avait de pire.
Voilà pourquoi Max fut content de partir pour son servir du soir au Queen’s Head. Rapidement il enfila un t-shirt et un jean. Par réflexe il attrapa la veste en cuir, sa veste en cuir pendue près de la porte et l’enfila tout en dévalant les escaliers. En quelques stations de métro il était au bar, jeta sa clope à peine entamée pour s’engouffrer à l’intérieur et salua rapidement ses collègues, on lui balança quelques vannes sur ses cheveux non coiffé, il répliqua avec un sourire et se mit tout de suite à la mise en place.
Dans l’ensemble ça allait, quand il avait de quoi s’occuper. Pendant le coup de feu du vendredi soir, il était sûr de ne pas y penser. Enfin, presque sûr. Il suffit d’un rien vous savez. Vraiment rien. On lui indiqua la table d’un coup de menton. Un table d’espèce d’artiste-bohème-rockeur-hipster dans le fond de la salle. Max eut une rapide pensée pour ses parents, d’après leur compte facebook –parce qu’ils avaient un compte facebook- ils étaient actuellement à Amsterdam entrain de faire la tournée des coffee et des musées. Enfin, là n’était pas le sujet. Max sortie de sa poche arrière son carnet de commande et se dirigea rapidement vers la table. J’vous écou… commença-t-il. Et soudain, il se stoppa. En relevant son regard il bloqua sur cette fille. En la voyant, le cœur du jeune homme loupa un battement. Soudain il n’avait l’impression de voir qu’elle. Son air détaché et éteint, ses longs cheveux… Cette fille. Il l’avait déjà vu.
Il la revoyait parfaitement, dénotant parmi la foule. Il ne se souvenait plus pourquoi elle avait attiré son attention. Pourtant, ce jour-là, il était tellement amorphe qu’il était incapable de dire qui d’autre était présent. Mais elle… elle, elle était là. Elle qui semblait avoir le cœur brisé et l’âme en miette. Elle était là, à l’enterrement.
Le visage de Max s’était décomposé petit à petit. Et puis, d’un coup, elle le regarda. Elle bugga complètement à son tour. Et elle commença à lui lancer ce même regard que ses grands-parents lui lançait, vous savez, chercher Ian. Le fixer, profondément. Soudain Max perdit ses moyens. Il se passa une main dans sa tignasse et rangea d’une main tremblante son carnet. Je… vous envoie un serveur. Max partit à reculons et puis avança rapidement vers la porte de sortie tout en faisant signe à son collègue qu’un revenait. Il attrapa sa veste, la veste qu’il enfila, tout en s’allumant une cigarette. Il prit une grande respiration et expira lentement. Laisse moi, j’te jure, arrête ! suppliait intérieurement Max. Fou-moi la paix. Arrête ! il priait. Putain Ian, pourquoi ? pourquoi s’acharnait-il ? Pourquoi planait-il autour de lui, toujours, tout le temps, à chaque instant. La porte s’ouvrit encore une fois. Max se retourna. Elle était là. Il ferma les yeux une seconde. Inutile de miser sur le fait qu’elle ne le reconnaitrait pas. Evidemment qu’elle le reconnaitrait. Evidemment qu’elle verrait la ressemblance. Et pourtant, ils ne s’étaient jamais parlé de leur vie. Si liés pour deux étrangers. A bout, excédé, presque paniqué, Max prit alors le temps de tirer une latte avant de déclarer, d’un ton aussi pathétique qu’il ne l’était : Un autre serveur va prendre votre commande. Ca prendra cinq minutes. Retourne à l’intérieur. Retournez, pardon. Désolé. Putain, ridicule ! Max fuma une autre taffe. Qu’elle parte, tout de suite. Partez, tous, elle et lui. Elle et toi. Ian, arrête, laisse moi en paix.
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(✰) message posté Ven 29 Mai 2015 - 11:37 par Invité
Je grattai le bois de la table avec la pointe de mon couteau. J’aurais aimé savoir le faire mieux que ça. Dessiner de belles rosaces, précises, que les prochains clients auraient pu admirer en se demandant d’où elles venaient, ce qu’elles représentaient, qu’avais-je voulu dire, moi, l’artiste inconnue et invisible qui n’était plus là pour en parler. On me regardait faire du coin de l’œil. Mes amis discutaient, mais j’étais emprunte d’une nostalgie étrange qui me paralysait. Je ne voulais pas vraiment être là. Je voulais rentrer à la maison, enfin, chez Theodore, me cacher sous une couverture et affronter son mépris à lui – il était moins dur à supporter que celui de la vie elle-même. Je commençais à m’habituer aux regards froids de Theodore et à la propreté presque maladive de son appartement. Aux larges pièces et aux murs blancs et vierges. A ses routines, sa santé, son bien-être, sa fille. Sa fille. Je ne secouai pas la tête pour la chasser de mon esprit. Elle était parfaite, en effet. Elle deviendrait grande et belle, elle aurait des tas de qualités. Elle était promise à un avenir radieux mais le danger planait sur elle comme un orage grondant dans le ciel, et je commençais déjà à avoir peur pour elle. Elle n’était pourtant pas dans ma vie depuis longtemps, mais je voulais la protéger – même si Theodore me voyait moi aussi comme une menace envers elle. Je priais pour qu’il se rende compte que ce n’était pas le cas. Mais allez changer l’avis d’un type comme Theodore. Allez-y, j’y travaille depuis quinze ans et je n’ai toujours pas réussi. Peut-être que je ne m’y prenais pas de la bonne manière. Peut-être qu’il avait raison, après tout, et que je ferais mieux de fuir. Je me pinçai la lèvre inférieure et levai les yeux vers mes camarades. Oh, les artistes de notre siècle. A défaut de pouvoir changer l’opinion de mon frère, je devais me rabattre sur celle du monde. Marquer les esprits, provoquer et plaire. Mais je ne cherchais pas à plaire. Je me moquais que l’on m’aime, car ceux dont je désirais l’amour ne me le donnaient pas ou bien étaient partis. Je me forçai à ne pas penser à Ian. Il est parti, arrête. Il était parti, oui, mais je lui parlais toujours, parfois. Dans mon sommeil. Dans mon extase. Dans ma réalité, si différente de celle des autres, si peu accueillante, mais que j’aimais pourtant avec une passion si dévorante. L’héroïne te dévore, ne raconte pas n’importe quoi. Je me voilais la face. Heureusement que je ne comptais pas vivre longtemps.
Je finis par poser mon couteau et attraper mon verre rempli de bière pour le porter à mes lèvres. « J’ai faim … » soupirai-je alors, plus par lassitude que par véritable désir de manger. « T’inquiète, le serveur arrive. » Je décochai un regard en coin à mon interlocuteur et passai ma langue sur ma gencive en signe d’exaspération. J’étais comme ça. Méprisante sans vraiment le vouloir. Je fixai mes mains jointes sur la table en entendant le fameux serveur approcher. Je ne savais même pas ce que j’allais commander. Peu m’importait. Mon doigt parcourut tout de même rapidement la carte et se posa sur une omelette avec salade. Ouais, ça, ça me paraît très bien, songeai-je, pensive. « J’vous écou … » Le serveur s’était bloqué dans sa phrase, ce qui nous fit tous lever les yeux vers lui en un mouvement synchronisé. Et je fus frappée par la foudre. Mon cœur se serra et j’eus l’impression que l’on m’ouvrait le ventre pour en retirer chacun de mes organes, les disposer sur le sol poussiéreux et les écraser avec violence. J’écarquillai les yeux, incapable de faire le moindre geste. On connaissait tous le cliché du temps qui s’arrêtait au milieu de l’action lorsque quelque chose d’inouï se passait. Eh bien voilà, c’était le cas à présent, alors que mes yeux plongeaient dans ceux du jeune homme et que je m’y noyais, sans aucune chance de survie. Non, non, NON. Il semblait ressentir la même chose. Le même déchirement, car il me connaissait et qu’il savait que moi aussi. Ah bon, Abi ? Tu le connais vraiment ? Tu pourrais dire comment il s’appelle ? Mes dents se serrèrent, mes doigts avaient attrapé le bout de la table et mes ongles se plantaient à l’intérieur comme des pieux dans lesquels on avait empalé mon cœur meurtri. Tu sais comment il s’appelle, bordel ? Son visage m’était si familier que j’en tremblais. Oui, je le sais.
Il s’appelle Ian.
Il passa une main dans ses cheveux et rangea son carnet dans sa poche. Lui aussi tremblait énormément. « Je … vous envoie un serveur. » Il recula et tous les visages se tournèrent vers moi. Je restai interdite, incapable de détourner le regard. On me posa plusieurs questions, on me secoua l’épaule pour me réveiller de ma transe, mais j’étais incapable de parler. Le jeune homme se dirigea vers la sortie et se précipita dehors. J’étais sous le choc. Je revoyais dans mon esprit les traits d’Ian, ses traits lorsqu’il était encore vivant, lorsqu’il me souriait et me parlait avec sa voix sombre et mélodieuse, lorsqu’il me disait qu’on allait rencontrer les étoiles, lorsque je croyais à tous ses mots et que je les buvais comme s’il s’agissait d’un nectar divin. Voilà qu’il était devenu une ombre, posée sur le corps de ce jeune homme. Celui qui n’avait rien demandé. Celui qui ramassait les restes, qui le pleurait à son enterrement et qui devait apprendre à vivre sans lui. Je passai une main dans mes cheveux et décroisai les jambes. « En tout cas il est bizarre ce type. » Je jetai un regard froid à celui qui venait de prononcer ces mots et lui assenai une phrase du genre franchement, ta gueule, dont il ne comprit probablement pas la raison, mais je ne m’expliquai pas et me levai sans plus attendre, ma chaise raclant le sol et mes pas me menant immédiatement vers la rue. Je poussai la porte de sortie et m’aventurai dehors en prenant une grande inspiration. Puis je me plantai devant la silhouette qui se découpait sur le trottoir. C’était lui, putain. C’était Ian. En chair et en os, comme je l’avais retrouvé le jour de l’enterrement. La même dégaine, les mêmes cheveux en bataille, la même façon de fumer, le même regard fuyant lorsqu’il n’était pas à l’aise. La même veste, celle qu’il m’avait tant prêté lorsque j’avais froid, bien trop grande pour moi. Il s’accrocha au filtre de sa cigarette. Je le sentais stressé. Je l’étais moi-même. Ce n’est pas Ian, sombre idiote, tu sais très bien qui c’est. C’était la véritable vie d’Ian, devant mes yeux. Celle que je ne connaissais pas. Celle qu’il m’avait dissimulé durant ces trois longues années. C’est son frère, arrête de déconner. J’aurais dû le laisser sortir et ignorer sa présence pour mieux pouvoir l’oublier ensuite. J’aurais dû rester à l’intérieur. Mais à présent que j’étais là, je ne pouvais rien faire d’autre. J’étais comme bloquée, mes pieds piégés dans le ciment. « Un autre serveur va prendre votre commande. Ça prendra cinq minutes. Retourne à l’intérieur. Retournez, pardon. Désolé. » Je fermai les yeux. Sa familiarité me tordait l’estomac, tant ce tutoiement me semblait naturel. C’est Ian, il me tutoie, c’est évident. Mais non, ce n’était pas évident. Ce n’était pas normal. Ce n’était pas correct. Je ne connaissais même pas son prénom. Cela ne pouvait plus durer. « C’est moi qui suis désolée. » Je voulais qu’il le sache et mes mots étaient sortis de ma gorge sans que je puisse y réfléchir. Désolée d’avoir tué ton frère. Désolée d’être la petite conne de service qui a ruiné ta vie. Je déglutis lentement et fis un pas vers lui. « Tu t’appelles comment ? » Cela me semblait être le seul moyen de le départager de son frère. De prendre conscience qu’il était quelqu’un d’autre. Un type qui souffrait terriblement parce qu’il ressemblait à un être cher. Un être mort. Un souvenir. Non, je n’allais pas rentrer dans le bar et oublier ce qui venait de se passer. Je ne pouvais pas non plus retourner chez Theodore. Je ne voulais pas craquer devant mon frère aîné. Il savait trop bien qui était Ian. Il savait trop bien quelle était ma faiblesse. « Moi c’est Abigail. » Au fond de moi, je savais qu’il connaissait mon nom, mais je tentai tout de même cette approche, au nom d’une prudence qui ne servait à rien. Je ne méritais pas qu’il me réponde. Je ne méritais pas de lui parler. Je ne méritais pas de lui arracher le cœur, encore et encore, alors que nous étions tous les deux déjà mutilés.
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(✰) message posté Mer 3 Juin 2015 - 23:35 par Invité
Des qu'il fermait les yeux il le voyait, il avait l'impression qu'il était là, à deux pas, en train de me regarder en se marrant bien. Respire frangin ! il avait l'impression de l'entendre. Au fait, sympa mon perfecto sur toi ! Max remonta alors nerveusement les manches de la veste en cuir. Il avait chaud, mais il frissonnait. De peur, pas de froid. Il avait peur de ce visage si semblable au sien qui se moquait de lui. C'est dingue hein , clairs l'influence et la présence de son jumeau n'avait jamais été aussi lourde que depuis qu'il était mort. Ian était partout, Ian ne partait pas, tel un damné il errait encore sur terre partout autour de Max. Et ce n'était pas une présence rassurante, non. C'était un cauchemar.
Pourquoi réagissait-il aussi violemment à la simple vue de cette fille ? Il n'en avait aucune idée. Mais la brune avait provoqué en lui une décharge électrique. Quand elle sortie du Queen's Head pour le retrouver son cœur se serra davantage, semblait agoniser. Elle est belle hein ? Oh ta gueule ! Max voulait la faire partir, par tous les moyens il fallait qu'elle parte. Il ne pouvait pas gérer ça. Et il avait l'impression qu'il ne pourrait jamais le gérer. Ni la mort de son frère, ni l'espoir qui vivotait au fond des yeux de tous ceux qui l'avait connu quand on le regardait. Oui, parce que tout ceux qui avait connu Ian le préférait et l'adorait. Ca en était même ridicule à quel point on le préférait systématiquement. Et chaque fois que Max se retrouvait en face d'une de ses personnes, elle cherchait le Ian en lui. La ressemblance physique était telle que Max devenait la parfaite petite copie de ce fils prodigue. Alors on voulait le voir, lui parler, parce qu'on refusait de dire adieu à ce camé. C'était le cas pour les grands-parents des jumeaux et c'était pour cela qu'il était désormais impossible pour Max de se retrouver en face d'eux sans avoir du mal à respirer. A Londres il était presque tranquille, enfin c'est ce qu'il pensait jusqu'à aujourd'hui. Mais il avait fallut qu'elle soit là, qu'elle vienne comme un chien affamé arracher à Max chaque particule qu'il avait en commun avec Ian. Non, il ne pouvait pas gérer ça, il ne pourrait jamais.
C’est moi qui suis désolée. Disait-elle de sa voix de cristal. Sauf que le cristal s’était mis à gémir, à pleurer, comme le font les flûtes de champagnes quand on y passe un peu d’eau sur le bord. Ca semblait être tellement dur pour Max de l’écouter. Oui, ça l’était. Il la regarda, resta muet. Quand elle fit un pas vers lui, il en fit un en arrière. Non, qu’elle ne l’approche pas. Il n’avait pas envie de faire ça. Sois pas débile ! C’est toi qui est débile Ian, toi le camé de l’histoire, toi qui a envoyé ta copine revenir me torturer des années plus tard. Elle s’excusait. De remuer le couteau dans la plaie ? D’arracher les agrafes et faire couler le sang de nouveau ? Sans doute. Il n’en savait pas grand-chose. Il de fumer sa cigarette avec un tel stress que ça en était flippant. Tu t’appelles comment ? Il déglutit avec difficulté. Voilà qu’elle voulait faire connaissance, merveilleux. Non sérieusement, c’était parfait. Max était trop bien élevé et trop timide pour la rembarrer directement. Il se contenta de piquer du nez pour admirer le bitume, regarder ses pieds qui tiraient dans des petits gravillons, regarder sa cendre être attiré par la gravité tout en surfant sur le petit vent frais du soir. Max resta muet pendant quelques longues, très longues secondes. Qu’est-ce qu’il pouvait répondre à cette question ? Bon, il n’y avait pas des tonnes de possibilité. Maxwell Jimmy McGear, c’était son identité, son nom, c’était comme ça qu’il s’appelait. Et pourtant, il restait muet devant cette question. « Le-frère-de-Ian » peut-être que c’était ça, la bonne réponse. Ian Oui il pourrait répondre ça aussi. Qu’est-ce qu’il aurait aimé. Claquer des doigts et qu’on le croit mort, et pas Ian. Oh il était sûr que quelques personnes seraient peinées, ses grands-parents très tristes. Et finalement… ça aurait été mieux ainsi. N’est-ce pas ? Tu fais dans le mélo ce soir ? Max ferma fort les yeux pendant une seconde, et puis releva la tête vers Abigail. Max. Ce fut la seule syllabe qu’il pu sortir. C’était dingue n’empêche, qu’elle ignore son prénom. Bon, ils ne fréquentaient pas les mêmes lieux, ne s’étaient jamais croisés, mais elle sortait avec Ian, non ? Elle passait même pratiquement chaque heure de chaque jour avec lui. N’avait-il jamais mentionné son frère ? Max ? Ce dernier refusa d’y penser. Il refusait de reprocher quoi que ce soit à Ian. C’était plus fort que lui. Et pourtant, Dieu sait s’il avait des choses à lui reprocher.
Moi c’est Abigail. La voix de cristal s’était encore élevée. Max fut soudain secoué d’un rire nerveux. Elle le regardait avec tellement d’attention, scannait chaque centimètre carré de sa peau. Il secoua la tête de gauche à droite. On va pas faire ça. Lâcha-t-il d’un coup. Comme un abcès crevé il se sentit un peu soulagé, légèrement déchargé d’un poids qui lui pesait horriblement depuis qu’il avait croisé le regard de cette fille. On va pas faire connaissance, ni même se parler. On n’a pas besoin de se parler. Il était surpris de s’entendre aussi sec dans son intonation mais en même temps c’était ça ou le craquage complet. Il avait choisis d’être ferme, voilà tout. Il tira une nouvelle latte. Je sais qui t’es. Je-j-je sais ! Et bah voilà, évidemment, ce qui devait arriver arriva. Max se mit à bégayer. Je-j-je peux pas ! D’accord ? C’est pas possible. Tu… je… On a pas besoin de faire comme si on avait de-d-des trucs à se dire. Lui en tout cas n’avait rien à lui dire. Désolé ? Devait-il présenter ses excuses au monde entier d’être celui qui était en vie ? Après tout ce n’était pas comme s’il devait cela à la chance. Lui avait eut une vie rangée, son seul vice était de fumer, et de se ronger les ongles mettons. Ian avait eut tous les vices qu’on pouvait avoir. Il n’avait jamais cherché à s’en cacher, c’est les autres qui n’avaient jamais voulu le voir, Max y compris. Ian s’était tué, suicidé, flingué tout seul. Alors peut-être devait-il s’excuser pour lui auprès d’Abi. Elle avait l’air d’une fille sympa. Ouais, elle l’est. Elle avait l’air d’être une fille bien. Ah ça… Max ferma les yeux, c’était vraiment fatiguant cette voix intérieure ! Il l’avait laissée tomber elle aussi après tout. Ou l’inverse.
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(✰) message posté Lun 15 Juin 2015 - 14:06 par Invité
C’était impossible. Impossible de respecter le fait que cet homme n’était pas son frère. Impossible de ne pas vouloir le retrouver en lui. Et pourtant, à force de le regarder, à force d’y voir leurs similitudes, je finis par y sentir leurs différences. Comme lors de l’enterrement. Voilà ce que Ian serait devenu s’il avait été autre chose que ton camé préféré. Son regard était affolé, il semblait parcouru d’un trouble terrible, l’enfermant dans une torpeur, l’étouffant au milieu de ce trottoir vide. Je n’avais jamais vu ces expressions sur le visage d’Ian et c’était ce qui me surprenait le plus. Réussir à le reconnaître et pourtant le considérer comme un étranger. Je voyais encore Ian, parfois. Lorsque je prenais de l’héroïne un peu trop tard dans la nuit. Lorsque je prenais de l’héroïne en pleurant. Lorsque je prenais de l’héroïne en essayant d’oublier ses traits, il revenait toujours. Lorsque je prenais de l’héroïne tout court. Parfois je posai ma main quelque part et y trouvais un fix prêt. J’imaginai toujours qu’il l’avait fait pour moi sans que je m’en rende compte, comme s’il était encore en vie et qu’il me suivait partout. Je finissais par comprendre que je l’avais fait moi-même mais je ne savais pas si cela me rassurait ou me rendait horriblement triste. Voilà que cette fois, sa silhouette se tenait devant moi, en chair et en os. Sa silhouette, pas lui. Non, et ça se voyait. Ian était la personne avec laquelle j’avais vécu le plus de choses. Je savais le reconnaître entre mille. Je savais le reconnaître même lorsque l’on me présentait sa copie conforme, habillée avec ses vêtements et imitant ses gestes. Ian n’avait jamais eu peur, voilà que son frère si. Ses traits étaient crispés, ses poings serrés, ses doigts écrasant le filtre de sa cigarette, et rien de cela ne ressemblait à Ian. Comme s’ils avaient partagé un même corps mais que Ian avait pris le dessus jusqu’à ce qu’il fasse son overdose. A présent, il ne restait que lui et ce corps ne lui allait plus. Il était trop grand, trop lourd, marqué par des signes qu’il ne reconnaissait pas et j’étais l’un d’eux. J’en tremblais presque. Je savais que je n’aurais pas dû venir le déranger, qu’il aurait fallu le laisser partir seul, l’ignorer, le libérer pour une fois des chaînes qui le retenaient à son frère. Mais je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas regarder ce visage disparaître une seconde fois. Parce qu’il lui ressemblait, putain. Il lui ressemblait beaucoup trop.
Il recula à mon approche et cela ne me surprit pas. J’eus un pincement au cœur. Un million de souvenirs traversaient mon esprit mais je ne pouvais pas lui en parler puisque nous ne les partagions pas. J’eus les larmes aux yeux mais celles-ci ne coulèrent pas. Je lus la timidité sur son visage alors que je lui demandais son prénom. Et un certain agacement aussi. Il baissa la tête, cessant ainsi de me regarder, mais je ne cillai pas et continuai de l’observer, à la fois captivée et réellement navrée. J’étais dans le noir. Je cherchai une issue à tâtons, remarquant au loin la lumière des cheveux de l’homme que j’aimais, la suivant sans prendre garde au danger, et voilà qu’elle disparaissait comme le leurre terrifiant qui nous piégeait au milieu de nos démons. Il finit par relever la tête et cela me soulagea durant une fraction de seconde. « Max. » me répondit-il. Non pas sèchement, même si une certaine animosité de sa part ne m’aurait pas surprise, mais presque déçu, résigné à ne me dire que cette maigre syllabe car ici, il n’était rien de plus. Max. Je revis un instant Ian assit au bord du lit, me disant qu’il devait aller voir ses grands-parents. Et son frère. Je n’y avais jamais fait attention. Je n’avais jamais voulu qu’on en parle car j’avais eu peur qu’il me pose des questions sur ma propre famille. Je savais que ses parents étaient partis, quelque chose comme ça. Je savais qu’il avait été éduqué par ses grands-parents avec son frère. Et c’était tout. J’avais découvert que ce frère était en réalité son jumeau lorsque je m’étais retrouvée devant le fait accompli : en face de lui, la tombe de Ian nous séparant. Je finis par hocher la tête. Je trouvais que c’était un joli prénom, qu’il lui allait bien, mais sa voix, ses yeux, ses gestes étaient fuyants. Je retins mes mots car ils auraient pu être déplacés. Je n’étais pas à ma place. Je n’avais pas à lui parler mais je n’avais pas pu m’en empêcher. Je devais m’en sortir seule à présent.
Il ricana sombrement lorsque je me présentai à mon tour et je haussai les sourcils. C’était bien l’une des premières fois que je manquais autant d’assurance. Que je ne pouvais pas prévoir la réaction de mon interlocuteur. Que je désirai rester gentille et polie. Je prenais des gants mais il rejetait toutes mes tentatives. « On va pas faire ça. » dit-il en secouant la tête, et cette fois-ci sa voix était nettement plus sèche. Ou peut-être était-ce ainsi que je le ressentais. « On va pas faire connaissance, ni même se parler. On n’a pas besoin de se parler. » Je serrai les dents. Il fallait que je m’y attende alors je laissai ses mots glisser jusqu’à mes oreilles et encaissai sans répliquer. « Je sais qui t’es. Je-j-je sais ! » Je baissai rapidement les yeux vers le sol. Il savait. Il savait et j’imaginai immédiatement qu’il me détestait. Comment aurait-il pu faire autrement, de toute façon ? Je fermai les yeux en l’entendant balbutier. Il ne méritait pas cela. Il ne méritait pas que je lui inflige cette douleur et pourtant j’étais là, je ne bougeais pas et je me permettais de le faire. « Je-j-j-je peux pas ! D’accord ? C’est pas possible. Tu … je … On a pas besoin de faire comme si on avait de-d-des trucs à se dire. » Sa remarque me pinça le cœur, à nouveau. Il n’avait rien à me dire. Il ne me connaissait pas et il se foutait de ce que j’étais, de ce que j’allais devenir. Quelque chose se brisa en moi et je sus qu’il n’était pas Ian, qu’il n’avait rien à voir avec lui. « Moi j’ai des trucs à te dire. Tu n’as qu’à écouter, t’es pas obligé de répondre. » Parce que c’était vrai. J’avais l’impression d’avoir mille choses à lui demander. Mon éternel manque de tact prenait le dessus encore une fois et je ne me souciais que de moi. Il n’avait peut-être pas envie de m’entendre non plus. Je devais disparaître de sa vie aussi rapidement que j’y étais venue, c’était ça le projet. Mais c’était plus fort que moi. Je savais qu’il n’était pas Ian. Mais il était un énorme fragment de la vie de son frère. Il était un mystère qui me permettrait de croire qu’il était toujours là, quelque part. Je savais d’avance que je faisais fausse route mais je comptais mourir avant d’être déçue. Avant de me perdre pour de bon. « Pourquoi tu sais qui je suis ? » lui demandai-je alors. « Il ne me parlait pas de vous, de sa famille. Je pensais qu’il ne vous parlait pas de moi non plus. » Et peut-être que c’était le cas. Peut-être que Max avait compris qui j’étais lorsqu’il m’avait vu devant la tombe d’Ian, peut-être que j’étais la dernière pièce du puzzle qui lui avait permis de se rendre compte de la raison pour laquelle son frère était mort. « Je sais que t’es pas ton frère. » Ces mots m’avaient échappé, comme si j’avais eu la soudaine nécessité de les prononcer. J’ignorais si je les regrettais mais continuai sur ma lancée. « Tu lui ressembles mais c’est tout. » Je voulais le rassurer. Lui dire que ça s’arrêtait là et que je ne cherchais pas à retrouver Ian en lui. Que c’était dur, que cela m’avait surprise au début, mais qu’en l’observant durant ces maigres minutes, j’avais vite compris qu’il était un autre. Un homme indépendant qui avait eu le malheur d’avoir le visage d’un mort. Car je savais que le deuil avait creusé ses traits meurtris et qu’à présent il devait supporter le fait de maintenir Ian en vie.