"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici some women are lost in the fire. / solveig 2979874845 some women are lost in the fire. / solveig 1973890357
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() message posté Mer 27 Mai 2015 - 0:12 par Invité

Solveig & heaven — some women are lost in the fire. some women are built from it. ✻ ✻ ✻ Tout cela avait pris des proportions alarmantes. Une ampleur affligeante. Du moins, Heaven en était convaincue ; une boule s’était logée au creux de son estomac depuis quelques jours et elle ne parvenait pas à se débarrasser de la profonde impression que tout ceci n’était qu’une immense erreur. Distraitement, elle posa une main sur son ventre, l’autre tenant fermement la barre dans une rame de métro. Elle ne cessait de repenser à comment tout ceci avait bien pu commencer. A comment tout ceci avait bien pu dégénérer. Elle se souvenait des commentaires assassins qu’elle avait reçu sur certains de ses articles ; presque par habitude, elle n’avait pas pris la peine de les lire en entier, persuadée que cela venait des personnes qui avaient pour vocation celle de déverser leurs ondes négatives sur le net, s’en prenant à toutes les personnes qu’elles pouvaient bien croiser sur leur passage. Puis, cela avait continué. Puis, cela s’était amplifié. Des personnes en avaient ramené d’autres pour multiplier les messages. Et, comme Heaven était loin d’être insensible à la critique dépréciative, elle avait fini par s’y attarder. Par prendre les commentaires pour elle. Par se braquer, parce qu’elle était bien loin d’être capable de se remettre en cause, bien loin d’être capable de se remettre en question. Quelque part, ces personnes étaient mal tombées dans sa vie ; elles avaient commencé à critiquer sa vision de la vie de couple à l’instant même où Caleb était retourné à New York. Retourné à New York pour refaire une tentative de suicide. Retourné à New York pour finalement être interné. Alors, oui. Ces personnes étaient mal tombées parce qu’elles s’en étaient prises à la seule certitude que Heaven avait pu avoir dans un instant pareil, enceinte de quatre mois, enceinte d’une personne enfermée à des milliers de kilomètres d’elle. Elle n’avait pas pu s’empêcher de leur répondre. Elle n’avait pas pu s’empêcher de s’enfoncer dans ses certitudes, dans la perception presque machiste qu’elle avait des choses. Elle s’était plu dans l’équilibre qu’elle avait eu avec Caleb ; elle avait aimé être la femme, être celle qui s’occupait de lui, être celle qui attendait patiemment son retour à l’appartement, le soir. Elle avait aimé ces aspects un peu arriérés dans leur couple, alors qu’il lui avait toujours témoigné un profond respect ; ils avaient eu leur équilibre, leur vision des choses, et Heaven s’y était accrochée, clamant qu’elle n’avait pas besoin du féminisme pour s’en sortir, clamant qu’elle était heureuse ainsi et que, pour rien au monde, elle n’aurait changé les choses.
Elle s’y était accrochée sans doute un peu trop fort.
Puis, finalement, une féministe engagée du prénom de Solveig s’en était mêlée ; leurs longues confrontations avaient animées de nombreuses soirées sur Tumblr et les deux demoiselles avaient vu les personnes qui les suivaient se rallier à leurs causes, voire même des personnes totalement étrangères prendre part à leurs débats. Les choses avaient pris de l’ampleur, oui. Les choses avaient dégénérés, oui, jusqu’au point où elles avaient fini par se fixer un rendez-vous pour se voir réellement. Pour se confronter en face à face. Pour cesser de se cacher derrière leurs écrans et s’affronter l’une et l’autre. Pour mettre définitivement un terme à leur débat interminable qui ébranlait une plateforme toute entière. Elles avaient eu la réputation pour se le permettre, après tout. Elles avaient toutes les deux été suffisamment suivies pour en faire une affaire d’état.
La rame de métro s’arrêta, et Heaven descendit à la station qu’elle desservait. Elle suivit le mouvement de la foule pour finalement déboucher non loin de l’entrée du parc d’Hampstead. L’esprit ailleurs, la démarche presque incertaine, elle marcha pour finalement se poster juste devant. Pour se poster juste devant et attendre. Attendre tout simplement. Attendre son arrivée à elle si elle daignait à se déplacer ; elle n’était même pas sûre qu’elle se donne la peine de se rendre à leur rendez-vous mais Heaven avait désiré respecter leur marché.
Le respecter comme pour prouver aux autres qu’elle était honorable malgré ses points de vue questionnables et ses idéaux biaisés.
Heaven avait mis du temps avant de se rendre compte qu’elle connaissait Solveig, également. Elle avait mis du temps avant de resituer son visage, avant de se souvenir qu’effectivement, ses traits avaient rythmé son enfance. Leurs parents avaient été des amis ; à chaque fois qu’ils avaient bien pu aller dîner chez les Dragansson, Heaven avait été anxieuse au point de s’en rendre malade. Elle avait toujours associé Solveig à une image erronée et péjorative du milieu de ses parents ; alors, en ressentant cette angoisse qui lui saisissait les entrailles, elle esquissa un sourire. Peut-être que certaines choses ne changeraient jamais, au fond. Elles étaient sans doutes toutes les deux bien différentes des gamines qu’elles avaient été un jour mais Solveig réveillait toujours chez elle les mêmes émotions.
Elle eut l’impression d’attendre des heures alors que le temps, lui, ne défilait pas si vite ; finalement, elle posa son regard sur une jeune femme qui s’avançait vers elle et, à mesure qu’elle se rapprochait, elle la reconnut. Quand elle arriva à sa hauteur, Heaven se surprit à la fixer en silence, détaillant ses traits avec soin et application. « Ca faisait longtemps, » dit-elle finalement, ne sachant même pas si elle avait le droit d’évoquer leur passé commun mais le faisant quand même. Son regard continuait de la détailler, encore et encore, comme pour chercher ses points faibles ; Heaven ne l’aurait jamais imaginé être si impliquée pour le droit de la femme et pour la parité des sexes. Mais que pouvait-elle réellement dire. Elle était probablement celle avec le chemin le plus tortueux. « Salut Solveig, » ajouta-t-elle. Les choses avaient pris des proportions alarmantes. Une ampleur affligeante. Et, Heaven, elle, ne savait pas réellement si elle pouvait assumer. Elle se connaissait suffisamment pour savoir que, si Solveig l’agressait verbalement, elle pourrait répliquer sans même réfléchir. Mais, au fond d’elle, elle savait. Elle savait que le sujet était trop sensible pour qu’elle parvienne à jouer les têtes dures et les filles fières trop longtemps.
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() message posté Mar 16 Juin 2015 - 13:59 par Invité
Je n’avais pas suivi les conseils de Hazel, encore une fois. Je crois que je n’étais pas faite pour son pacifisme et ses sourires. Je les aimais beaucoup mais j’étais incapable de les imiter. Alors toute cette histoire avait pris une ampleur dont je ne me serais jamais doutée. Pour des conneries, pour une sorte de fierté que je me devais de polir chaque jour. Comme si les mots de qui que ce soit sur internet m’atteignaient d’habitude. Comme si c’était la première fois que l’on m’envoyait des messages de haine ou que l’on crachait sur le féminisme en disant que c’était une profonde plaisanterie. Comme si je devais prendre cela au sérieux. Ce que j’avais fait, malheureusement. Mais le nom de Heaven Howard-Clark me semblait important, comme allumant des braises au fond de mon esprit. J’avais eu envie de la remettre à sa place, juste cette fois-ci, même si elle ne m’avait rien fait. Je m’étais adressée à elle et elle avait répondu. J’ignorais si elle m’avait reconnue ou si elle avait simplement décidé de ne pas se laisser faire. De ne pas me permettre de lui manquer de respect ainsi. C’était vrai que j’avais été sèche. Je ne le regrettais pas. Mettez tout internet derrière nous et voilà que je marchais en direction du lieu de rendez-vous. Le rendez-vous. On nous avait incitées à nous rencontrer pour nous expliquer face à face. Sombre histoire que celle-ci. Tout de suite, les choses devenaient plus complexes lorsque nous nous parlions, lorsque nous n’avions plus l’écran pour nous protéger, les kilomètres pour nous séparer. Tout de suite, cela devenait plus réel, cela nous touchait beaucoup plus. Je tentais de me concentrer sur autre chose mais j’avais peur un instant d’avoir fait une erreur. Après tout, ce n’était pas si important. Et pourtant cela me paraissait vital. Corriger l’ignorance des autres parce que je considérais que j’avais raison. La fierté, tout simplement. Dire que je me voilais la face et que j’essayais de me convaincre que c’était pour la bonne cause.

Je me souvenais de Heaven. Comme si c’était hier que nous nous étions vues pour la dernière fois, et pourtant nous avions pris des chemins différents sans jamais nous rencontrer à nouveau jusqu’à aujourd’hui. Je me souvenais de sa fine silhouette et de ses parents, de son frère, ou ses frères peut-être. Je me souvenais de la figure souriante mais sévère de sa mère, des dîners ennuyeux auxquels je me devais de participer lorsqu’ils venaient manger, enfilant une jolie robe inconfortable et me faisant coiffer par ma propre mère – pas un seul cheveu ne dépassant de mon serre-tête. Voilà ce que m’inspirait Heaven. Ce qu’elle m’avait toujours inspiré : l’austérité et le caractère hautain de la bourgeoisie londonienne, se comportant comme une noblesse passée, obsolète. Je n’avais jamais voulu creuser plus loin. Heaven était la fille de ses parents, elle était comme eux. Je pensais probablement que j’étais la seule à m’être rebellée, la seule à ne pas avoir supporté l’injustice, la souffrance d’être invisible et détestée. Je me souvenais de Julius, toujours très bien habillé lui aussi, s’exprimant déjà comme un prince du haut de sa bonne dizaine d’années – ou peut-être un peu plus – faisant très bon effet sur les parents Howard-Clark durant l’apéritif. Et puis, au fil du temps, j’avais fini par éviter ces dîners. Heaven aussi. Nous n’y allions plus. Nous avions autre chose à faire. Probablement une vie à mener, une liberté à reconquérir. Elle avait disparu de ma vie, laissant simplement l’écho lointain de ce que je voulais fuir, comme celui, profond et froid, de nos pas sur le marbre d’une église. Je l’avais oubliée jusqu’à ce que son nom de famille réapparaisse vaguement à la télévision, quelques années auparavant, sans que je ne m’attarde sur son cas. Une sombre histoire, à nouveau, qui ne m’intéressait pas. Et puis là, à nouveau. Heaven, sur Tumblr, qui laissait libre court à l’idiotie de ses fans. Toute ma rancœur était remontée d’un coup et je n’avais pas résisté. Ce n’était pas contre elle. C’était contre ce qu’elle représentait. Contre les dîners mondains auxquels j’avais été forcée d’assister, contre le mépris de mon père et la beauté presque plastique de ma mère lorsque je l’observais, subornée à celui-ci. Contre les codes que les femmes subissaient, simplement parce qu’elles avaient eu le malheur de naître ainsi. J’avais choisi Heaven comme cible et tout avait semblé facile. Tout avait semblé facile jusqu’à aujourd’hui.

J’arrivai au lieu du rendez-vous et scrutai attentivement la foule à sa recherche. Je finis par l’apercevoir, plissant tout d’abord les yeux pour en avoir le cœur net puis la reconnaissant enfin. Je m’approchai lentement et adoptai une respiration régulière, assurée, alors que j’étais loin de l’être. C’était la première fois que je faisais quelque chose comme ça. Que les évènements prenaient une telle ampleur. Je m’arrêtai à sa hauteur et ce fut elle qui parla la première. « Ca faisait longtemps. » Je me mordis la lèvre. Oui, en effet. Elle se souvenait, elle aussi. La voir me mit mal à l’aise. Elle avait beaucoup changée. Elle ne ressemblait pas à l’enfant que j’avais connu. Bien entendu, c’était évident. Elle était adulte à présent, elle n’avait pas la même allure. Mais rien que sa manière de s’habiller. Je doutais que ma mère eût un jour accepté une telle fantaisie. Même si cela restait sobre, même si elle avait du goût et qu’elle était particulièrement élégante. Elle me paraissait si excentrique pour être celle sur laquelle j’aurais voulu m’acharner autant. Un mystère voilait son visage mais je n’étais pas ici pour le lever. « Salut Solveig. » ajouta-t-elle finalement et cela me tira de ma rêverie. Je crispai ma main contre mon sac et clignai des yeux. « Salut Heaven. » lâchai-je pour lui répondre. Je détournai le regard pour observer l’endroit, celui que l’on avait choisi pour nos retrouvailles amères. Je passai furtivement mes doigts dans mes cheveux avant de reporter mon attention sur elle. « Ouais, ça fait un bout de temps. J’aurais aimé qu’on se retrouve dans de meilleures conditions. » J’ignorais si, à présent, il fallait que je sois diplomate ou agressive, alors je restais en retrait, aux aguets, me concentrant sur son attitude à mon égard. J’étais partagée mais ne voulais pas le laisser paraître. « Mais il faut bien mettre les choses au clair un jour. » Prendre son courage à deux mains et s’engager. « Tu es venue. Je ne sais pas si je suis étonnée ou soulagée de ne pas être la seule à prendre cela à cœur. » Un sourire froid glissa sur mon visage lorsque je prononçai ces mots, une pointe d’ironie au fond de la voix. « Même si nos avis divergent. » ajoutai-je alors avec prudence, mais peut-être pour la titiller un peu aussi. Je ne savais pas comment m’y prendre. Parce qu’une part de moi se demandait où était passée mon animosité. Peut-être qu’elle surgirait bientôt, lorsque Heaven se permettrait une remarque de trop. Ou peut-être pas, peut-être qu’elle avait disparue elle aussi, et qu’elle résonnait sur le marbre des églises avec ce passé que j’avais eu tant de mal à oublier.
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() message posté Sam 20 Juin 2015 - 15:55 par Invité

Solveig & heaven — some women are lost in the fire. some women are built from it. ✻ ✻ ✻ Il y avait des personnes qui se cachaient derrière leurs écrans. Des personnes qui, protégées de cette manière, n’avaient absolument plus aucun filtre pour contenir leurs mots, leurs paroles. Après tout, c’était réconfortant de pouvoir exprimer le fond de ses pensées sans avoir à payer les conséquences. Après tout, c’était comme un échappatoire, le simple fait de se la ramener sans s’inquiéter du reste. Heaven savait qu’il y avait des personnes, sur cette Terre, qui ne parvenaient qu’à s’exprimer de cette façon ; que, dans la réalité, ils étaient simplement trop bloqués, presque paralysés. Le monde les oppressait. La vie réelle les retenait. Heaven savait qu’il y avait des individus, sur cette Terre, qui se sentaient mieux derrière un écran, qui se plaisaient à dire du mal grâce à leurs claviers car ils ne parvenaient pas à s’affirmer autrement. Oui. Heaven savait tout cela. Heaven avait conscience que, dans la part des personnes qui lui adressaient directement des messages de haine, il existait une petite minorité qui ne faisait cela que pour le plaisir d’être méchant. Que pour le plaisir d’avoir le droit de l’être. Elle ne leur en voulait pas. Pas du tout.
Mais elle était bien incapable d’agir comme eux.
Heaven était entière, après tout. Entière dans ce qu’elle faisait, entière dans ce qu’elle disait, entière dans ce qu’elle pensait. Il était rare qu’elle recule, hormis quand elle se rendait compte qu’elle avait réellement tort ; même dans ces cas-là, parfois, il arrivait qu’elle ne démorde pas de ce qu’elle pouvait bien avancer. C’était le cas actuellement. C’était le cas avec toute l’histoire qu’il se passait avec Solveig. Heaven n’avait pas eu besoin de son écran pour lui répondre de manière sèche, aussi sèche qu’elle n’avait pu le faire elle-même ; si cette jeune femme s’était trouvée juste en face d’elle au moment où sa réponse lui était venue, elle aurait probablement dit les mêmes choses à voix haute. Parce qu’au fond, Heaven n’avait pas peur. Parce qu’au fond, Heaven avait été jugée toute son existence et avait appris à se construire une carapace. Une carapace vulnérable, certes, mais une carapace qui lui suffisait pour parvenir à dire haut et fort ce qu’elle pensait, à dire haut et fort ce qu’elle avait sur le coeur, tout cela sans jamais avoir besoin de pixel pour traduire ce qui l’habitait réellement, au fond d’elle-même.
Heaven releva les yeux vers Solveig, détaillant son expression, détaillant ses traits. Il s’était passé tant de temps, tant de choses, depuis la dernière fois qu’elles s’étaient vu ; si elle ne l’avait pas cherché avec tant d’insistance, elle n’aurait sans doute pas réussi à la reconnaître. Elle n’était plus la même, après tout. C’était évident mais, pourtant, cela fascinait presque Heaven. « Salut Heaven, » lui répondit-elle avant de regarder par dessus son épaule pour observer les yeux. Heaven sentit une forme de gêne envahir son corps et elle dégagea ses épaules comme pour retrouver une certaine contenance. Elle détestait être à plat, dans ses ballerines ; seulement, depuis qu’elle était enceinte, elle avait rangé ses talons dans son armoire avec amertume. C’était pour le bien du bébé, apparemment. Pour le bon déroulement de sa grossesse. Mais cela n’empêchait pas le fait qu’elle avait l’impression d’être minuscule, sans ses accessoires pour subtilement tricher. « Ouais, ça fait un bout de temps. J’aurais aimé qu’on se retrouve dans de meilleures conditions, » ajouta-t-elle et Heaven parcourut son expression pour tenter de savoir ce qu’elle pensait réellement. Elle avait l’air distante avec la situation. Distante avec elle-même. « Mais il faut bien mettre les choses au clair un jour, » poursuivit-elle. « Tu es venue. Je ne sais pas si je suis étonnée ou soulagée de ne pas être la seule à prendre cela à cœur. Même si nos avis divergent. » Heaven détailla ses traits avant de finalement détourner le regard, ses poings enfoncés dans les poches de sa veste. Elle avait mal au dos ; elle était debout depuis trop longtemps mais elle refusait de céder aux fatigues de sa grossesse. Dans son esprit, elle nota que la surprise de Solveig était bien la preuve qu’elles ne se connaissaient pas, du moins, qu’elles ne se connaissaient plus. Elles s’étaient permises d’argumenter sur des sujets sans même prendre la peine de connaître la situation de l’autre. L’un dans l’autre, elles étaient aussi fautives l’une que l’autre et Heaven en avait parfaitement conscience. « Bien entendu que ça me tient à coeur, » nota-t-elle en reportant son attention sur Solveig. « Mais sans doute pas pour les mêmes raisons que toi. Avec le temps, j’imagine que nous ne sommes plus du tout celles que nous étions gamines. » Après tout, qu’avait-il bien pu se passer dans la vie de Solveig depuis tout ce temps ? Heaven avait fini par se retourner contre ses parents. Par s’émanciper. Par disparaître de leurs vies. Son frère avait eu un accident au ski. Son père avait été arrêté. Elle se préparait à devenir mère. Elle avait beau tenter d’être fidèle à elle-même, le temps avait fait d’elle une nouvelle personne, qu’elle le désire ou non, qu’elle le sache ou pas. Et c’était sans doute la même chose avec Solveig. « Je ne veux pas me battre avec toi, Solveig, » finit-elle par ajouter. « Mais j’ai toujours eu horreur d’être jugée à cause de mes idées et de mes principes. Je n’ai jamais rien eu contre le féminisme jusqu’au moment où il s’est imposé à moi pour m’insulter. » Elle n’était même plus sûre, au fond. Même plus sûre à propos du déroulement des évènements. Elle savait simplement qu’elle avait posté un article qui n’avait pas dû plaire. Un article qui avait poussé les féministes à se réveiller. Cela avait dégénéré sans qu’elle ne s’en rende compte ; elle n’avait jamais fait cela dans l’optique que tout se déroule de cette façon. Elle n’avait jamais imaginé que de simples mots qui avaient été interprétés par les mauvaises personnes puissent finir si controversés.
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() message posté Jeu 2 Juil 2015 - 13:52 par Invité
« Bien entendu que ça me tient à cœur. » répondit-elle finalement et je relevai le menton à nouveau. Non pas pour paraître hautaine – j’avais déjà coché cette case sur internet – mais simplement pour lui montrer l’attention que je portais à ses mots. Comme si chacun pouvait être soit la flèche qui me blesserait, soit le piège dans lequel elle pouvait tomber. Je n’étais pas agressive. J’étais concentrée. Incapable d’admettre que j’étais responsable de quoi que ce soit. « Mais sans doute pas pour les mêmes raisons que toi. Avec le temps, j’imagine que nous ne sommes plus du tout celles que nous étions gamines. » Un sourire froid glissa sur mes lèvres et s’adoucit étrangement, petit à petit. Oui, elle avait raison. Nous avions changé. J’eus soudain le souvenir de ma silhouette maigrichonne et pâle, haute comme trois pommes, de lorsque je n’avais que huit ans, et une sensation désagréable s’empara de moi. Ce n’est pas moi. C’est tout sauf moi. Je n’étais plus une gamine, je n’étais plus celle que Heaven avait connu, celle qu’elle avait peut-être jugé à tort comme je l’avais moi-même fait de mon côté. Je n’étais plus l’enfant timide qui se laissait gronder sans rien dire, celle qui pleurait dans son coin et séchait ses larmes lorsque l’on s’approchait d’elle, honteuse, apeurée, celle que Julius avait traumatisé dès l’instant où elle avait su ce que l’angoisse était. Cette Solveig-là était dans le passé. Et bien que je sache pertinemment qu’elle arpentait toujours l’une des cellules sombres qui composaient mon esprit, je tentais de la garder enfouie, loin de la réalité, loin du présent et de la femme que j’étais devenue. Pourtant, parfois, je m’observais dans le miroir de la salle de bain, les cheveux à peine peignés, retombant mollement sur mes clavicules, et je la revoyais, cette petite fille blonde et timide, se cachant à chaque coin d’ombre qu’elle pouvait trouver, fronçant du nez lorsqu’elle était agacée car ses mots étaient, au mieux, inutiles et ignorés, ou bien, au pire, pris en compte et punis. Je hochai pensivement la tête pour lui montrer que j’étais d’accord. On ne se connait plus Heaven. Pourquoi ai-je cette désagréable impression de déjà-vu alors que tu ne ressembles pas à l’enfant qui m’a accompagnée sur la toile de fond de ma jeunesse ? Une partie de moi voulait indéniablement lui demander ce qui s’était passé dans sa vie depuis tout ce temps. Une partie de moi voulait savoir, voulait la redécouvrir, comme s’il s’agissait d’une vieille amie. Nous n’étions même pas amies à l’époque. Tous nos points communs nous séparaient car je les exécrais au plus haut point. Nous nous étions battues sur le même tableau pour en avoir la place centrale alors que l’on aurait dû en peindre un nouveau, à deux. « Oui, j’imagine. » soufflai-je dans un soupir las et pleins de regrets inavoués qu’elle remarqua peut-être. J’étais nostalgique d’un temps qui n’avait jamais existé. D’un passé que l’on n’avait jamais écrit. Voilà qu’il nous rattrapait aujourd’hui pour les mauvaises raisons. Pour nous opposer, encore une fois.

« Je ne veux pas me battre avec toi, Solveig. » ajouta-t-elle. J’affichai un mince sourire, quelque chose de simple qui ne signifiait rien. Moi non plus. Je m’étais déjà assez battue contre les mauvaises personnes. Je me souvins un instant de la ferveur avec laquelle je m’étais confrontée à elle sur son blog. Cela avait probablement été une erreur, mais je ne voulais pas revenir sur mes actions. Je n’étais pas née pour accepter les torts que l’on me faisait sans rechigner. Elle ne s’adressait pas à toi, Solveig. Elle n’a rien fait de mal. Cette voix m’avait parlé lorsque j’avais décidé de commenter son article. Si, elle me parlait à moi. Elle parlait à toutes les femmes, donc elle me parlait à moi. Peut-être que je n’avais pas le droit de m’instaurer comme porte-parole improvisé d’une cause dont je n’étais pas maître. Mais c’était ça, la révolution : s’indigner. « Mais j’ai toujours eu horreur d’être jugée à cause de mes idées et de mes principes. Je n’ai jamais rien eu contre le féminisme jusqu’au moment où il s’est imposé à moi pour m’insulter. » Je fronçai les sourcils, agacée. Encore une qui n’a rien compris, songeai-je au fond de moi, mais je me forçai à garder mon calme, quitte à rester froide. Nous étions là pour ça : discuter. Mettre à plat nos préjugés et nos certitudes. Je me mordis la lèvre, une pointe de dédain au fond des yeux, avant de lui répondre : « Critiquer n’est pas insulter. A aucun moment je t’ai insultée. J’ai simplement jugé bon de donner mon opinion. C’est ce que l’on fait sur internet, généralement. » J’étais froide, mais pas méprisante. Quelque chose me retenait. Quelque chose m’empêchait d’être la teigne que je pouvais être d’habitude. Probablement ce déjà-vu étrange que j’avais ressenti dès que nous nous étions vues. « J’ai jugé bon de dire aux femmes qu’elles n’avaient pas forcément à suivre tes idées et tes principes. » Je fis une pause, cherchant une conclusion adéquate. « Moi non plus je ne veux pas me battre avec toi. Mais si tu penses que le féminisme est là pour insulter les femmes, c’est que tu n’as rien compris à ce que c’était. » Puis, le silence. Elle n’était pas la première. Des milliers de femmes l’ignoraient encore. Des milliers de femmes pensaient toujours que le féminisme allait les empêcher de vivre leur vie, leur retirer leur féminité. On connaissait tous le cliché de la féministe agressive et convaincue, prête à tout pour arriver à ses fins. Mais rien n’évoluait dans la violence. N’avions-nous pas été sujets à de nombreuses régressions dans le passé pour voir que le féminisme n’était rien de tout cela ? Je n’ai jamais rien eu contre le féminisme. Mais, Heaven, le féminisme n’a jamais rien eu contre toi. Il n’est pas la source du conflit et il ne le sera jamais. A nouveau, c’était une maudite histoire de distorsion. D’incompréhension. Et elle comme moi devions détester d’avoir un jour joué le rôle des incomprises.
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