"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici no one is free, even the birds are chained to the sky (heaven) - Page 2 2979874845 no one is free, even the birds are chained to the sky (heaven) - Page 2 1973890357
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no one is free, even the birds are chained to the sky (heaven)

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() message posté Lun 21 Déc 2015 - 15:34 par Invité
Elle restait silencieuse. Je notai qu’elle ne répétait pas mes mots, qu’elle se contentait de hocher la tête, sa figure intelligente me signifiant qu’elle comprenait en un simple battement de cils tout ce que je lui racontais, mais qu’elle n’allait pas se donner la peine de répéter. Je me retrouvais dans ses silences bornées. Non, bien pire. Je retrouvais l’adolescent arrogant que j’avais été dans ses silences bornés, et j’écoutais ceux-ci avec une sensation étrange de déjà-vu. Non, je n’étais pas Heaven. Elle avait un passé que je sentais résonner dans le timbre profond de sa voix, dans les contours de son accent aristocrate et, surtout, dans ses silences, car encore une fois ils étaient garants d’une vérité que l’on ne voyait que si on savait où chercher. Je déglutis. Je n’étais pas Heaven, elle avait un passé qui n’était pas le mien, mais je sentais toujours en moi cette adrénaline déplacée lorsque je me confrontai à un regard différent. Il brillait d’une intensité nouvelle, une que l’on ne verrait jamais sur le visage d’un homme heureux. Nous sommes des oiseaux, Heaven. Notre silence ressemble au vent qui glisse sous nos plumes et peu importe la majesté avec laquelle nous volons, nous sommes enchaînés au ciel et à son bleu infini. Il était bien triste de lever les yeux vers le ciel mais de ne pas pouvoir l’atteindre. Il était encore plus triste de s’envoler pour se rendre compte que seul un vide existait au-dessus de nous, un vide froid et silencieux qui glaçait les pensées sur des idées noires. Et ce vide me parlait, tous les jours. Sans mot, juste par souffle, par soupir indistinct perdu dans l’obscurité de mon appartement. Il me montrait des choses lourdes et sombres auxquelles je m’accommodais sans remords, comme si c’était devenu possible et, pire encore, acceptable d’assimiler les injustices, les déséquilibres, le chaos. Mais nous sommes faits de chaos. Nous sommes taillés dans une roche sauvage et dangereuse. Il avait bien fallu la déraison pour inventer la raison, pour la délimiter dans l’espace de la pensée humaine. Et que sont des mots face à cette pensée ? Les Hommes avaient su penser avant de parler. Ils avaient su être fous avant de réfléchir. Ils avaient su rire et pleurer avant de pouvoir marcher. Nous sommes faits d’excès et d’interdits. Voilà pourquoi j’assimile si vite ceux que nous constatons tous les jours. Et tout cela ne m’inspirait qu’un profond silence.

« Tant mieux, parce que ça va bientôt être à votre tour. » J’esquissai un sourire amusé en constatant sa fierté, même si elle tentait de rester discrète. Mais les tons ne trompaient pas. Elle me toisa quelques secondes et je fis de même, immobile, presque aux aguets comme un chat dérangé dans sa méditation, jusqu’à ce qu’elle reprenne. « C’est faux. J’avais treize. » J’ouvris la bouche en fronçant les sourcils, mais elle se reprit d’elle-même : « Treize ans. » Nouveau sourire de ma part, appréciant son effort et, bien entendu, intrigué par ce qu’elle venait de me révéler. Quelque chose que n’importe quel adulte censé aurait trouvé inquiétant, mais que j’accueillais avec un simple sourire amusé. Treize ans. A treize ans, je me cachais au fond de la rivière qui longeait le champ de mon père pour échapper à son regard. Je m’accroupissais sous l’eau et retenais ma respiration jusqu’à ce que j’étouffe volontairement et que je sois obligé de remonter à la surface. J’avais réussi à tenir plus d’une minute une fois. J’avais senti mon cœur sur le point d’exploser dans ma poitrine, martelant mes os et mes organes car il devenait fou tel un animal en cage. Et parfois, mon père m’avait sorti lui-même de l’eau et je m’étais débattu comme un fou pour échapper à sa prise. « Mais je suis partie deux semaines seulement. » conclut Heaven avec une étonnante simplicité. Elle s’était habituée à cette idée lorsque tous les autres l’auraient trouvée révoltante. Dis-moi ce que tu penses du chaos dans lequel nous vivons. Je ne peux pas être le seul. Je ne peux pas être le seul à marcher en rythme avec une absurdité que l’on nourrit sans assumer, que l’on peint sans voir. Je laissai échapper un léger rire – un souffle, un silence – avant de répliquer, plus sérieux cette fois : « Vous étiez une petite fille bien courageuse. » Oui, courageuse. Non pas téméraire ni insensée, non pas idiote ni rebelle, mais courageuse. On oubliait de le dire. C’était peut-être pour cela que j’avais oublié de croire au courage. Il n’existait plus que dans le cœur des enfants qui s’enfuyaient de chez eux pendant des jours et qui revenaient ensuite, changés au plus profond d’eux-mêmes, à tel point qu’il n’y avait plus de mots pour décrire leur sentiment. Non, il n’y avait plus que le silence.

« A vous. » enchaîna-t-elle. Son ton me semblait à la fois sec car autoritaire, mais empreint d’une douce profondeur qui me rappelait les échos des bruits ruraux, la nuit, à Glastonbury. Pourtant Heaven semblait être la parfaite citadine, vivant pour le rythme, pour la fameuse démesure dont Londres était dotée. Je penchai légèrement la tête. Thomas. La voix revenait. La voix revenait toujours lorsque j’avais un choix à faire, même un comme celui-ci. Thomas, tu sais que tu as envie de mentir et qu’elle dise que c’est la vérité. La voix me connaissait mieux que tout le monde et mes doigts se crispèrent légèrement sur la table alors que mon hésitation se couplait d’une soudaine envie de fumer. Encore. Je clignai des yeux, impassible. C’était une évidence humaine que de vouloir faire perdre l’autre à son propre jeu. Heaven était maligne. Elle l’était probablement plus que ce que j’imaginais alors qu’elle m’observait ainsi, presque détendue, fière d’avoir remporté la première manche. Mais elle avait oublié une chose simple : j’étais le professeur et elle venait subitement de supprimer ce détail, de le réduire à un simple titre un peu prétentieux qui n’avait aucune valeur dans un contexte comme celui-ci. Elle nous ramenait à une origine étrange, celle où nous étions deux êtres humains, égaux, débattant pour prouver son point, pour démarquer le mensonge de la vérité. Mais le mensonge était une forme de vérité, puisqu’il fallait la connaître pour pouvoir mentir. Dans l’esprit d’un fou ou dans celui d’un poète, où plaçait-on la limite ? Y en avait-il vraiment une, après tout ? Je relevai le menton d’un air assuré. « J’ai un cancer et vous êtes la première personne à qui je le dis. » C’était drôle et ironique que le mot « cancer » se ressemble en plusieurs langues. Comme s’il existait une universalité propre à cette notion : nous sommes tous humains et nous voyons tous le cancer de la même façon. C’était un mensonge, mais mon corps disait à Heaven que c’était la vérité et mon regard lui affichait cet éternel et irritant peut-être qui aurait dû être ma signature si je n’avais pas eu un autre nom. Seul mon cœur savait que c’était un mensonge, ce même cœur en apnée, asphyxié par la vie, ce même cœur qu’elle aurait pu entendre battre en rythme avec la vérité si elle avait su écouter le silence, attentivement. Mais on oubliait comment faire. On oubliait que le silence, lui aussi, s’exprimait.
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() message posté Lun 28 Déc 2015 - 13:20 par Invité

Thomas & heaven — something was comforting about strangers—it seemed like they would exist forever as the same, unknowable mass. ✻ ✻ ✻ Heaven n’était même pas étonnée, au fond, qu’il joue le jeu ; elle n’était pas étonnée, non plus, qu’il ne lui rappelle pas la hiérarchie existante entre eux. Il n’avait pas l’air d’être un professeur comme les autres, de la même manière qu’elle n’était pas une étudiante ordinaire. Ils étaient comme deux âmes en peine évoluant dans des mondes auxquels ils avaient toujours été forcés de se conformer. Ils n’étaient jamais entrés dans le moule et n’y parviendraient probablement jamais. On les blâmait pour cela, d’une certaine manière. Ils ne correspondaient pas à la norme. Ils étaient presque incontrôlables, hors d’atteinte, hors de portée. On leur en voulait parce qu’on ne les comprenait pas, également. Parce qu’ils n’étaient pas comme les autres. Puis, finalement, ils s’étaient retrouvés dans une bulle, tous les deux, dans une bulle où ils avaient pu faire tomber les règles pour en appliquer de nouvelles, à leur image.
A leur image d’anges déchus.
Elle ne savait pas si elle aurait souhaité savoir tout ce qu’il pouvait bien avoir en tête en cet instant ; elle ne savait pas si elle aurait souhaité être dans son esprit et assister aux divagations de ses pensées. Probablement pas. Thomas semblait être une personne si torturée que même sa personnalité tordue ne pourrait pas suivre les cheminements sinueux de ses réflexions. Elle s’y perdrait, sans aucun doute ; pourtant, malgré elle, il l’intriguait. Pourtant, malgré elle, elle était captivée par le personnage qu’il incarnait, par l’aura chargée de lassitude qui se dégageait autour de lui.
Elle avait toujours eu une certaine fascination pour les causes que l’on ne peut pas sauver, après tout. Pour les causes perdues. Pour les âmes égarées, en peine, qui ne désiraient pas être sauvées. Elle avait été intriguée par l’affaire de son père avant même de savoir qu’il n’était le tueur. Elle avait été séduite par le magnifique désastre qu’avait été Abigail Rottenford, par le grandiose chaos qu’avait été un autre de ses ex. C’était plus fort qu’elle. Elle ressentait toute cette attraction lorsqu’elle se retrouvait confronter à des personnes en marge de la société.
Peut-être parce qu’elle était elle-même complètement tordue. Complètement folle. Complètement malade. « Vous étiez une petite fille bien courageuse. » elle mit du temps avant de comprendre ce que courageuse pouvait bien signifier, principalement parce qu’elle ne s’était pas attendue à ce qu’on associe cet adjectif à sa situation. On ne lui avait jamais dit qu’elle était courageuse d’être partie, non. On l’avait traitée d’inconsciente, de dépravée, de gamine pourrie-gâtée, elle avait entendu mille-et-un mots dépréciatifs à son égard. Elle les avait tous accusé, un à un, parce qu’elle s’était éperdument fichée de tout ce qu’on pouvait bien penser d’elle.
Aucun de ces mots ne l’avait étonné, non. Mais courageuse oui, alors que ce n’était qu’une preuve que Thomas faisait bel et bien parti d’un autre monde. Que Thomas n’était bel et bien pas comme les autres. Que Thomas l’intriguait toujours autant. « Merci, »  répondit-elle simplement après un moment. Ce n’était probablement pas la réponse appropriée mais c’était tout ce que le français et la surprise pouvaient lui offrir à ce moment précis.
Et, finalement, ce fut au tour de Thomas et elle reporta sur lui toute son attention, un sourire flottant sur ses lèvres sans qu’elle ne parvienne à le faire disparaître complètement. « J’ai un cancer et vous êtes la première personne à qui je le dis. » Elle ne réagit pas sur l’instant. Elle le détailla du regard pour déterminer si elle avait bien entendu ou non ce qu’il venait de dire mais elle finit par se rendre compte d’elle-même que c’était tout à fait le genre de vérités ou de mensonges sur lesquels son professeur pouvait jouer.
Après tout, il se foutait des conventions, il se foutait du correct et de l’incorrect. Ils avaient redéfini les règles et ces limites n’existaient plus.
Alors, elle l’observa simplement. Elle l’observa pour noter ses cernes, son teint maladif. Elle l’observa pour se rendre compte que c’était une possibilité lorsque l’on s’appelait Thomas Knickerbadger, une possibilité que l’on pouvait taire parce qu’on n’avait que faire du regard du monde. Elle l’observa pour finalement se demander s’il aurait été capable de briser ce silence afin de gagner leur jeu.
Puis, elle se rendit compte qu’elle n’était qu’une âme de passage dans sa vie et qu’il se fichait bien qu’elle soit au courant. Puis, elle se rendit compte que c’était trop évident, qu’il jouait sans doute sur son apparence décharnée pour jouer avec les vérités. Elle avait mille-et-une suppositions en tête et son esprit travaillait beaucoup trop vite ; elle ne parvenait pas à s’arrêter sur une décision, comme s’il était réellement important qu’elle gagne, comme si elle n’avait pas d’autre choix que de trouver.
Puis elle se fixa une réponse, refusant d’y penser un peu plus. Refusant de poursuivre ses réflexions. « Faux. Vous êtes malade mais vous n’avez pas le cancer. »  finit-elle par répondre calmement. Elle continua de le regarder dans les yeux, comme pour le provoquer de dire le contraire, comme pour le provoquer de lui dire qu’elle se trompait.
C’était possible, après tout. Elle avait des arguments dans les deux sens, elle n’était pas tout à fait sûre de ce qu’elle avançait. Mais, par principe, par fierté, aussi, elle préférait faire croire à une assurance sans faille.
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() message posté Jeu 11 Fév 2016 - 17:49 par Invité
« Merci. » J’acquiesçai d’un battement de cils entendu. Elle paraissait surprise, passée l’incompréhension face aux mots que j’avais prononcés, à ce qualificatif particulier qui suscitait ainsi toute son attention. Oui, tu as le visage d’une femme courageuse mais ce mot ne vaut rien entre mes lèvres. Il ne valait rien parce que je n’y croyais pas. Je lui disais car c’était ce que m’inspirait le plus la notion de courage : non pas une valeur chevaleresque mais la fugue d’une enfant. Je lui arrachais toutes ses qualités pour en faire des traits singuliers et la rendre marginale : Heaven, toi et moi savons que nous ne serons jamais de bons héros. Alors tordons le cou de ce courage, n’en conservons que la rage. Elle garda néanmoins la tête droite devant mon amusement presque mesquin, puisqu’il était à lire entre les lignes de mon impassibilité, écrit furtivement à l’encre invisible. Elle m’amusait, pourtant, c’était la vérité. Elle m’amusait avec ses manières de femme noble et élégante, chargée pourtant d’un poids qui révélait l’envie de tout jeter par la fenêtre. L’assurance était peinte sur son visage mais la fresque était ancienne et des craquelures apparaissaient petit à petit au coin de son regard. Je retrouvais dans ses iris la fille de treize ans et sa course effrénée hors du monde dont elle ne voulait plus faire partie, dont je doutais qu’elle eut voulu faire partie un jour. Ses lèvres étaient à nouveau étirées en un fin sourire mutin, ou peut-être n’avaient-elles jamais cessé de l’être – c’était la qualité de ceux qui n’avaient rien à perdre, on ne leur enlevait jamais leur malice car ils étaient assez malins pour la rendre physique, indissociable de leur visage. Nous n’avions pas de seconde nature : nous en avions des milliers et les gens étaient incapables de savoir si nos rides, nos fossettes et nos mimiques étaient dues à l’âge, à nos émotions ou aux jugements que l’on émettait à longueur de journée sur tout ce que l’on croisait.

Elle détailla mon attitude avec tous les efforts du monde et je penchai la tête d’un air narquois pour la toiser en retour. Enfin, ses pensées se fixèrent et après une inspiration mesurée, elle me fit part de sa réponse : « Faux. Vous êtes malade mais vous n’avez pas le cancer. » Je plissai les yeux et pinçai imperceptiblement les lèvres pour l’observer, suivre le contour de son visage pâle et de ses cheveux blonds jusqu’à rencontrer son cœur qui battait fermement sous sa poitrine. Elle gardait un calme étonnant. Je venais tout de même de lui parler de cancer et ça ne l’interpelait pas. Nous avions laissé le respect envers de quelconques règles trop tacites pour que l’on s’en préoccupe à l’entrée de la salle de classe. Elle avait raison. Elle avait tort. Ou bien je disais la vérité, finalement, peut-être que j’avais le cancer. Mais non, c’était faux. Probablement faux. Impitoyablement incertain. Je ne m’encombrais pas de ces nouvelles sordides. Au contraire, je les détournais, je les jouais devant mon élève comme s’il s’était agi d’un jeton sur une table de casino ou d’un pion sur un échiquier. Continue comme ça et toi aussi, un jour, tu parleras du cancer comme de l’une de ces banalités qui lassent l’esprit et dénouent la langue : on en parle pour ne rien en dire. Cela a cessé d’être intéressant. Je relevai le menton en hochant finalement la tête. Je suis le discours que personne ne veut entendre. Je suis celui que la télévision devrait avoir mais que l’on ne trouve plus que dans des livres que personnes ne veut lire. Je suis un couteau planté dans l’opinion et la dogme, parce que les gens réagissent toujours mieux lorsqu’ils ont une lame aiguisée sous la gorge ou contre la poitrine et qu’ils entendent distinctement les battements de leur cœur. Voilà que Heaven était piégée ici et qu’elle était forcée d’écouter ce discours. Voilà qu’elle en tirerait les leçons qu’elle voudrait et que les quelques mots de français qu’elle aurait appris aujourd’hui résonneraient dans sa mémoire d’une manière radicalement différente. Courageuse. Ce n’était plus une qualité. Cancer. On l’avait tous, un peu, caché au fond de nous. Vérité. Voilà un jeu auquel on ne se lassait jamais de jouer. « Vous êtes perspicace. » marmonnai-je finalement avec un sourire. « A vrai dire, je ne connais pas moi-même la réponse. Je devrais aller voir mon médecin pour vérifier. » Parce que c’était ce qui me caractérisait le mieux : au fait, et le cancer ? Des questions existentielles posées sur un ton se gardant d’être enjoué pour mieux souligner l’ironie qui foulait mes pas après mon passage. Il faut tout de même que j’aie un truc à raconter à la prochaine réunion de famille. Mes paupières papillonnèrent distraitement. « J’ai tendance à tricher, je m’excuse. Plus d’ambiguïté, c’est promis. » ajoutai-je dans un anglais malicieux. Puis, enfin, de nouveau du français : « Vous remportez une nouvelle manche, cela dit. Je vous félicite. » Mais, là encore, ma gratitude, si elle n’était pas fausse, restait sans épaisseur, sans fond ni forme : elle ne gagnait rien en remportant la victoire sur un homme comme moi. J’avais l’allure de celui qui avait déjoué les mystères du monde et qui laissait gagner son prochain par dépit, car il en avait assez de vivre et qu’il oubliait pourquoi il fallait être fier. Heaven était amusante : au mieux, elle était une injection d’adrénaline qui s’estomperait trop vite. Je doutais qu’elle revienne suivre ce cours : je n’apprenais pas un vocabulaire adéquat pour une bonne vie en société.

Je me redressai et mon dos rencontra la chaise alors que je croisai les bras d’un air sérieux. Je la détaillai de haut en bas, à nouveau, avant de reprendre : « Je dois rejouer, c’est ça ? » Oui, évidemment. Le but était de devoir en dire le moins possible sur soi-même. Le silence était d’or, comme un érotisme littéraire et imaginé qui enlevait un à un non pas les vêtements de ses personnages mais bien leurs mots d’à travers leur gorge nouée, un carnage de l’esprit durant lequel on écorchait vifs des corps métaphoriques, les dépeçant de leurs moindres secrets. C’était terrible et je pouvais peut-être finir licencié pour avoir laissé Heaven franchir la frontière entre le professeur et son élève sans même un regard en arrière pour signifier qu’on avait remarqué l’obstacle en l’esquivant. Elle tenait ma vie professionnelle entre ses mains d’enfant courageuse, car il lui suffisait de toquer à la porte du doyen et de lui rapporter quelques bribes de ces conversations que nous nous préparions à tenir afin de me mettre dehors. Oh, peut-être que le cancer passait, encore. Mais puisqu’il était passé et qu’elle l’avait si bien reçu, nous n’allions pas nous arrêter en si bon chemin. Et elle ne dirait rien, car c’était une excitation interdite que l’on se refusait beaucoup trop que de parler à des inconnus de choses étonnantes et taboues, sachant qu’ils garderaient le secret ensuite car la frasque était belle dans le souvenir, dans son aspect éphémère. « J’ai été témoin d’une fusillade. » C’était vrai. C’était beaucoup trop vrai et elle le comprendrait peut-être, car voilà un souvenir qui, malgré mes efforts, ne se perdait ni dans les méandres de mes pensées tourmentées, ni dans mes filets cyniques écorchant la réalité, et qui au contraire restait tatoué sur les parois de mon esprit en se frayant un chemin à travers la malice pour m’étouffer, tordre le cou du courage et oui, conserver la rage : l’écrire en lettre rouge derrière moi, après mon passage, comme une sinistre signature.
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