"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici no one is free, even the birds are chained to the sky (heaven) 2979874845 no one is free, even the birds are chained to the sky (heaven) 1973890357
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() message posté Mar 26 Mai 2015 - 19:09 par Invité
Je tendis le bras et appuyai la paume de ma main sur le mur pour reprendre mon souffle. Les escaliers. J’étais en retard. Je ne savais même plus pour quelle occasion, mais rien qu’à observer le cadran de l’horloge qui trônait devant mes yeux fatigués, je pus le deviner. Je fronçai les sourcils et adoptai un air sombre. N’oublie pas pourquoi tu es là. Je tournai la tête, m’immobilisant un court instant. L’université. Tu es à la fac. Encore un étage à monter, sans vraiment parvenir à me rappeler pourquoi. Seules trottaient dans ma tête des secondes que chantait l’aiguille de l’horloge, et elles me rendaient fou. Je me précipitai alors vers les marches suivantes et continuai mon ascension en regardant le sol. Tu es venu pour un cours particulier. Je soupirai. C’était vrai. En haut de l’escalier, je me stoppai de nouveau et tirai la manche de ma chemise. J’avais inscrit le nom de mon élève sur mon poignet gauche. Pas sur mon agenda, je ne le regardais jamais. Pas dans mon téléphone, même problème. Pas sur une feuille, je l’aurais perdue. Pas au creux de ma main, ma sueur pleine de tabac aurait sûrement fini par l’effacer. Alors, là, sur mon poignet, c’était l’idéal. En effet, un nom y étais inscrit lorsque je posai mes yeux dessus. Heaven Howard-Clark, en majuscules car sinon je n’aurais pas été capable de lire ma propre écriture. Le visage du doyen s’installa de nouveau – car il le faisait bien trop souvent à mon goût – dans mon esprit. Ça se passe bien avec Von Ziegler ? J’avais haussé les épaules. Espèce de con, évidemment que ça ne se passe pas bien. J’aurais aimé lui planter la pointe de l’un de ses crayons taillés dans la main en lui répondant quelque chose du genre : à peu près comme ça, tu vois. Mais non, j’avais haussé les épaules sans prononcer le moindre mot. Il savait la réponse avant même de poser la question. Il ne m’aimait juste pas et moi je m’accrochais à un boulot qu’il pouvait déjà m’enlever. Mais imaginez-moi deux secondes au chômage. Attendez, non, ne le faites pas. Je serais déjà mort d’ennui. On a une gamine qui veut prendre des cours de français. Je te la confie. J’avais détaché mes yeux de la fenêtre pour les poser sur lui en penchant la tête, excédé. Ouais, super. Tu me gâtes. Il avait gardé son calme et son sérieux mais je pouvais voir au fond de ses prunelles de pauvre con qu’il jubilait terriblement. Il ne se l’avouait pas. Combien d’élèves allait-il encore mettre sous ma tutelle avant que je ne craque complètement et que je lui dise en face les mots qu’il attendait ? J’étais frustrant, n’est-ce pas ? Il ne me verrait jamais plier sous ses piques. Je m’exécutais toujours sans vraiment protester. Ce n’était pas ma vie que je flinguais, c’était les quelques heures annuelles que la gamine en question allait devoir passer en ma compagnie. Qui sait, elle finirait peut-être par apprécier mes manières. Ce n’était pas d’elle que je me plaignais, après tout.

Elle s’appelle Heaven Howard-Clark, avait-il finalement soufflé une fois que j’eus levé les yeux au ciel. Je les avais ensuite plissés pour le scruter attentivement. Ouais, c’est la fille du tueur, là, le gars qui s’est fait prendre y’a quelques années. Un truc sordide. Ça me disait quelque chose, vaguement. J’avais attrapé un stylo et avais remonté ma manche, demandant au doyen de m’épeler le fameux nom, et il m’avait regardé le noter sur ma peau. h-e-a-v-e-n espace h-o-w-a-r-d trait d’union c-l-a-r-k. J’avais oublié le nom de Von Ziegler à la seconde même où j’étais sorti du bureau lorsqu’il m’avait chargé de lui donner ces cours de littérature hasardeux. Je ne pouvais pas refaire la même erreur deux fois. Non, cette fois j’étais sorti, la cigarette déjà coincée entre les lèvres et la seule chose à laquelle j’avais pensé était la suivante : comment diable peut-on appeler son enfant Heaven ? J’avais haussé les sourcils, secoué la tête et j’étais parti, tout simplement. Ce n’était pas mon problème. Contente-toi de juger, Tom. Les gens savent de toute évidence que tu vas le faire. Elle le saurait. Elle ne pourrait s’empêcher de le remarquer lorsqu’elle me verrait pour la première fois. Pourquoi ? Parce que j’allais juger son visage selon son prénom si inhabituel puisque, pour une fois, j’avais pris la peine de le noter.

Je tournai dans le couloir. En retard, ouais. Pas de beaucoup, quelques minutes seulement, mais j’avais eu besoin de finir cette cigarette et d’en profiter un maximum. Au fond, j’aperçus une silhouette, seule, contre le mur. Je m’en approchai lentement. Son visage finit par apparaître clairement devant mes yeux : blonde, les yeux clairs et brillants, les traits que je ressentais tristes, mais sans plus, assez petite – clairement, même – soignée, présente. Je jetai un dernier regard à mon poignet pour me remettre son nom complet – et Dieu savait qu’il me semblait trop long – dans le crâne avant de me poster devant elle, la manche toujours relevée, la cravate pendante, les cernes ornant mes paupières usées. « Howard-Clark ? » m’enquis-je finalement dans un soupir. J’attendis une réponse affirmative avant de me diriger vers la porte et l’ouvrir. Alors oui, Heaven avait la chevelure d’un ange, certes, mais je refusais de croire qu’elle pouvait en être un. Appeler un gosse ainsi c’était lui offrir dès sa naissance l’incompréhension qui germerait en lui durant son adolescence. C’était le mettre devant un fait accompli : tu porteras ce nom même s’il ne te convient pas. Tu feras mine d’en être digne. Oh, peut-être qu’elle était un ange. Je n’en avais jamais rencontré, ce n’était pas mon rôle d’en décider. Je ne pouvais que juger silencieusement et garder pour moi mon opinion. Elle n’en avait pas besoin, après tout. Je pénétrai dans la salle : elle était petite. Moi qui étais habitué aux grands amphis, je me retrouvai confiné là, entre ces quatre murs blanc cassé, à l’étroit. J’y reconnaissais tout de même un parquet aussi grinçant et poussiéreux que celui de mes locaux quotidiens. Merveilleux. Je lui désignai une chaise. « Asseyez-vous là. » dis-je en français, sans la regarder. Je grimpai agilement sur une table pour ouvrir la fenêtre puis retournai vers Heaven, tirant une chaise et m’installant en face d’elle. Je m’accoudai à la table qui nous séparait et croisai les doigts sous mon menton, lui offrant la lueur froide de mes prunelles – presque mystérieuse, presque charmante, presque condescendante, et à force de presque, j’avais fini par comprendre qu’elle n’était pas grand-chose. Je repris en anglais : « On ne va faire que dialoguer. Ne vous inquiétez pas pour le vocabulaire, je vous le donnerai s’il vous en manque. Si vous maîtrisez l’oral, vous maîtriserez l’écrit. » Parce que l’écrit c’était comme l’oral, mais dans nos esprits, n’est-ce pas ? Je redressai la tête et la toisai pendant quelques secondes. Un sujet facile sur lequel on peut rebondir facilement. Je n’avais pas enseigné la langue elle-même depuis longtemps. Mais cela me revint vite. « Je m’appelle Thomas et je voudrais que vous me décriviez votre journée dans les moindres détails. » finis-je par lui dire, en français cette fois-ci. Peut-être allait-elle me raconter comment elle était tombée du ciel ce matin, et pourquoi elle ne tentait pas d’y retourner ce soir.
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() message posté Ven 29 Mai 2015 - 0:21 par Invité

Thomas & heaven — something was comforting about strangers—it seemed like they would exist forever as the same, unknowable mass. ✻ ✻ ✻ « Rappelle-moi pourquoi tu tiens tant à reprendre des cours de français, toi ? Je suis presque sûr que c’est une langue morte, en plus. » La voix de son frère était presque ironique. Heaven esquissa un sourire, amusée par l’entrain qui l’animait à chaque fois qu’il s’amusait à remettre en question ses projets et ses envies. Elle savait qu’il ne faisait pas cela pour la décourager. Elle savait que ce n’était pas son intention de la vexer ou de la dévaloriser. C’était sa manière de lui faire comprendre qu’il l’encourageait, sa manière de lui dire qu’il était avec elle même s’il ne comprenait pas forcément pourquoi elle s’engageait, tête baissée, dans les chemins tortueux qu’elle choisissait. « Parce que, si ma mémoire ne me fait pas défaut, j’ai bon souvenir que tu détestais cela, au lycée. Mais après, c’est peut-être moi qui me trompe, » ajouta-t-il. Heaven alla s’appuyer contre le mur en face de la salle où allait se dérouler son cours du soir. Elle observa la porte, détaillant l’usure du bois avec application. De l’autre côté du fil, elle entendit sa mère s’adresser à son grand frère, et elle attendit que celle-ci cesse de l’importuner pour finalement lui répondre. « Je sais que je n’aimais pas ça, mais je n’ai pas le choix, » déclara-t-elle, un sourire aux lèvres. Elle passa une mèche de cheveux derrière ses oreilles, regardant à droite, puis à gauche, dans le couloir pour voir si le professeur arrivait. Il était presque l’heure, après tout. Les universitaires n’étaient-ils pas tous censés être réglés comme une horloge suisse ? « Mais dans le milieu de la mode, on est presque obligé de savoir parler français. » Elle entendit presque Zacharie rouler des yeux de l’autre côté du combiné. Anxieusement, elle se balança sur un pied, puis sur l’autre, ne sachant même plus quoi faire de son corps. Elle n’avait pas parlé français depuis des années. Oh, elle avait utilisé deux ou trois fois les cours qu’elle avait reçu en étant plus jeune, mais elle n’avait jamais réellement fait un très bon usage de ce qu’elle avait pu apprendre. Elle avait tenté de se replonger dedans à l’instant même où elle s’était inscrite pour des cours du soir, mais cela n’avait pas servi à grand chose. A vrai dire, cela n’avait fait qu’accroitre son anxiété et accentuer ses nausées. « Et sinon, dans la mode, ils pourraient pas parler anglais comme tout le monde ? » maugréa Zacharie et elle éclata de rire. « C’est trop leur demander, » approuva-t-elle avant de distinguer une ombre à l’autre bout du couloir. Son cœur eut un raté et, presque aussitôt, son ton baissa comme si elle désirait ne pas se faire entendre. « Je dois te laisser, je crois que mon prof arrive. » Elle n’aimait jamais raccrocher, avec lui. Elle n’aimait jamais se dire qu’elle le ramenait à la réalité. Il n’avait plus que sa tête pour penser. Il n’avait plus que sa voix pour s’exprimer. Quand elle appuyait sur le bouton rouge, elle le forçait à retourner dans son mutisme, emprisonné dans son propre corps, proie des griffes de ma mère. Je déglutis. « Va donc, dis-lui bonjour de ma part. » Heaven sourit avant de raccrocher après une demi seconde d’hésitation. Elle eut simplement le temps de ranger son cellulaire dans sa poche avant que l’homme n’arrive à sa hauteur ; et il la dominait particulièrement avec sa grande taille. « Howard-Clark ? » Son ton était empreint d’une certaine lassitude, comme s’il savait déjà qu’Heaven serait une véritable catastrophe dans sa matière. Elle hocha la tête et il alla ouvrir la porte. Ils pénétrèrent tous les deux à l’intérieur et, du coin de l’œil, la demoiselle détailla son professeur du regard.
Il avait l’air fatigué, oui ; ses cernes lui mangeaient la moitié du visage et le faisaient paraître plus vieux qu’il ne devait l’être. Son corps était grand et maigre, tout en longueur, et Heaven avait été suffisamment longtemps sous-alimentée pour se rendre compte qu’il lui manquait beaucoup de kilos pour être de corpulence moyenne. « Asseyez-vous là, » lui dit-il en désignant une chaise, et elle s’exécuta. Il ne lui agressa pas un seul regard. Comme s’il s’adressait aux murs. Comme s’il s’adressait au vide. « On ne va faire que dialoguer. Ne vous inquiétez pas pour le vocabulaire, je vous le donnerai s’il vous en manque. Si vous maîtrisez l’oral, vous maîtriserez l’écrit. » Il récitait son discours, le ton morne, l’air désabusé. Heaven fronça les sourcils, sachant pertinemment que s’il conservait cette attitude, cela n’allait pas l’encourager à revenir. A faire des efforts pour une chose qu’elle ne désirait pas tant que cela. Après tout, elle n’était pas là par choix mais par obligation ; ses études de journalisme touchaient à sa fin et elle savait qu’elle n’avait absolument aucune chance d’intégrer la rédaction d’une revue de mode si elle n’avait pas un bagage correct en français. « Je m’appelle Thomas et je voudrais que vous me décriviez votre journée dans les moindres détails. » Elle fronça les sourcils. Les mots s’accumulaient dans son esprit sans qu’elle ne parvienne à trouver un sens pour tous. Elle demeura silencieuse pendant quelques instants avant de finalement pousser un soupir. « Je m’appelle Heaven, » récita-t-elle avec automatisme. « Et je ne comprends pas “moindres”. » C’était sans doute cela, son problème. Toute son existence, elle s’était attardée sur les détails. Sur ces choses qu’elle ne comprenait pas. Elle se bloquait sur les mots, elle se bloquait alors que, si elle ne faisait pas attention à ces données qu’elle n’assimilait pas, elle aurait sans doute pu s’en sortir quand même. Une main vint se loger contre son ventre, alors qu’elle continuait de froncer les sourcils en observant le professeur. Il n’était pas français lui-même ; son accent anglais était bien trop parfait pour qu’il puisse être feint. « Et ce que ça veut dire quelque chose comme “dans tous les détails” ? » reprit-elle, guère assurée, parlant sans doute trop vite, n’articulant pas assez, oubliant complètement de parler français. Puis, finalement, elle prit une profonde inspiration, réfléchissant trop, se posant trop de questions, se perdant dans son propre esprit dans la seule intention de bien faire. « Je me suis réveill… Réveillée. Je suis travaillée. Je ai appelé mon frère. » Elle se mordit la lèvre, consciente des imperfections mais incapable de se corriger d’elle-même. Il dégageait une aura qui ne la mettait pas en confiance, non. Elle avait envie de se lever. Se lever et partir. Se lever et abandonner, abandonner comme elle avait passé toute sa vie à le faire.
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() message posté Lun 15 Juin 2015 - 22:42 par Invité
Ce ne fut que lorsqu’elle resta silencieuse, durant ces quelques secondes suivant mes derniers mots que je commençai à réellement l’observer. J’écoutai sa respiration peu assurée et remarquai sa gêne. Tu veux pas être ici ? Génial, t’es pas la seule. Vous devriez monter un groupe et me faire virer. Elle finit tout de même par soupirer et me répondre. « Je m’appelle Heaven, » Je battis des cils pour acquiescer paisiblement. « Et je ne comprends pas “moindres”. » Cela ne m’avait même pas traversé l’esprit et le doyen s’était bien gardé de me le dire. Elle était débutante. Moi qui avais l’habitude d’avoir des étudiants presque bilingues, je me retrouvais aujourd’hui face à une sorte de défi du destin. Au moins tu vas pas t’ennuyer et t’auras toujours raison, Tom. Pense au bon côté des choses. Je ne cillai pas, lui indiquant qu’elle n’avait qu’à réfléchir, ou bien oublier le problème, elle en devinerait la signification elle-même. J’avais appris le français ainsi. J’avais oublié de m’attarder sur les mots que je ne connaissais pas et m’étais concentré sur ceux que je comprenais pour construire mes phrases. Cela me paraissait évident. Cela me dissimulait le fait que tout le monde n’était pas ainsi, comme moi. Cette idée me soulageait, quelque part, et j’observai Heaven reprendre, en anglais cette fois-ci. « Est-ce que ça veut dire quelque chose comme “dans tous les détails” ? » Je la toisai pendant quelques secondes puis un mince sourire étira mes lèvres pâles et j’acquiesçai simplement. Ouais, t’as trouvé. Peut-être qu’elle avait un don pour les langues, elle aussi. Ou peut-être que, tout simplement, elle avait décidé de réfléchir et de tenter. Dans le pire des cas, elle se serait trompée et je l’aurais corrigée. Mais à présent qu’elle l’avait trouvé d’elle-même, elle aurait moins de chance de l’oublier.

Elle inspira finalement et se lança. « Je me suis réveill… Réveillée. Je suis travaillée. Je ai appelé mon frère. » Je levai les deux doigts de ma main droite pour l’arrêter. Je vis à nouveau sa gêne, son inconfort et le malaise que je lui inspirais. Elle n’y était pour rien et cela ne se faisait pas. Je relevai le menton et humectai mes lèvres avant de lui parler. « Attendez. » Je m'exprimai anglais cette fois. J’avais conscience qu’il fallait changer de méthode. Je ne voulais pas d’un Von Ziegler de plus. Je ne voulais pas lui dire d’aller se flinguer si elle préférait se voiler la face. Je l’avais déjà fait une fois, je ne désirai pas la blesser elle aussi pour aucune raison apparente. Je ne la connaissais pas. Simplement son nom, écrit sur mon poignet, et son prénom, gravé dans mon esprit. Elle avait le regard hésitant. Elle s’était réveillée ce matin. Elle était allée travailler. Elle avait appelé son frère. Elle était petite et blonde, sûrement très sympa. Enfin, je n’en savais rien, ce n’était pas mon problème. Je joignis les mains et inspirai à mon tour. « Je m’excuse. J’ai pas donné de cours de français depuis des années. » Je fermai les yeux durant un court instant, repassant dans mon esprit toutes les informations que je savais sur elle. « Oubliez cet exercice. Les français eux-mêmes ont du mal avec le passé composé. » Je passai une main désinvolte dans mes cheveux. Oublie l’envie de fumer. Oublie-la, maintenant. Je tentai alors de me concentrer sur autre chose. Je baissai le regard sur la table, puis sur les lettres qui formaient son nom de famille sur ma peau et enfin sur ses propres poignets, recouverts d’étranges cicatrices. Je la détaillai dans mon esprit, simplement pour me concentrer sur autre chose que mon envie de dormir, mon absence de faim, mes os fragiles qui me faisaient si mal lorsque ma peau se frottait à eux. Je savais que cela pouvait paraître désagréable mais je le fis tout de même. Heaven, petite, blonde, pas bilingue, travaille, frère. Mes yeux se plantèrent finalement de nouveau dans les siens. Je laissai un sourire glisser sur mes lèvres, pensif. « Utilisez le présent. Les verbes que vous connaissez. Les mots que vous connaissez. Contournez les obstacles. Si vous ne savez pas vous exprimer d’une certaine manière, imaginez-en une autre. » Je clignai des yeux et me penchai légèrement vers elle. « Les langues, c’est de l’imagination, de toute façon. » Mon sourire avait disparu. Il ne restait jamais très longtemps sur mon visage, quitte à revenir ensuite, comme l’éclat saccadé de mon amusement. On avait du temps à tuer ici, autant que cela soit productif. Autant que cela lui serve à quelque chose, au moins à elle, puisque je n’avais pour ma part plus foi en grand-chose.

Je pianotai un instant sur la table, la laissant en suspens et plissant des yeux. « Vous travaillez. Que faites-vous ? » Cette question était simple et ouverte. C’était ce qu’il me fallait. Ce qu’il lui fallait également. Le doyen me l’avait peut-être dit mais je n’avais pas assez de place sur mes avant-bras maigres pour noter sa vie entière. Elle connaissait les mots. Elle les avait appris, un jour. Redécouvrir une langue s’avérait toujours difficile, mais elle n’était pas là pour souffler. Je n’étais pas payé pour la caresser dans le sens du poil. Je ne savais pas être conciliant et pédagogue. C’était pour cette raison que j’enseignais en amphi, des dizaines d’étudiants devant mes yeux. J’étais réputé pour aller vite. Pour ignorer certaines questions lorsque je les trouvais peu pertinentes ou que je n’aimais pas la gueule de l’élève. Voilà qu’à présent je devais oublier tout cela. Je devais reprendre du début. Je suis, tu es, il est. Je me raclai la gorge. Je m’appelle Thomas, je suis professeur de littérature française au King’s College et parfois j’ai l’impression qu’une balle dans ma tête serait la solution à de nombreux problèmes, mais je suis trop désabusé pour être suicidaire, j’emmerde les dépressifs et je m’évapore. Je fis résonner cette phrase en français dans ma tête avant de hausser vaguement les sourcils et parler de nouveau. « Vous avez un frère. Parlez-moi de lui. » Je penchai la tête, la laissant inspirer et réfléchir, comme elle le faisait si bien depuis que nous avions commencé le cours. « N’oubliez pas : des phrases simples. » Je préférais en rester à l’anglais pour les indications les plus basiques. Ce n’était qu’un exercice. Elle ne se trouvait pas devant une foule déchaînée qui attendait d’elle qu’elle parle comme la plus raffinée des françaises. En face d’elle, il n’y avait que moi et mon accent britannique qui disparaissait bien trop lentement lorsque je parlais français. Je savais que je n’étais pas un type agréable. Mais je n’allais tout de même pas croire que j’étais intimidant. J’avais l’air malade. Terriblement faible. On ne craignait pas les gens comme moi. On les supportait et on les oubliait. Heaven allait faire de même. Je n’existais que pour ce temps imparti. Puis je m’évaporais.
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() message posté Sam 20 Juin 2015 - 12:51 par Invité

Thomas & heaven — something was comforting about strangers—it seemed like they would exist forever as the same, unknowable mass. ✻ ✻ ✻ Heaven voulait bien faire, au fond. Heaven voulait prouver au monde qu’elle pouvait quand elle voulait. Heaven voulait montrer que cela ne servait à rien de la forcer ; elle n’y mettait du sien seulement quand elle était à l’origine de ses décisions. Elle avait passé une existence toute entière à s’appliquer pour aller à l’encontre de ce qu’on lui demandait. Pour aller à l’encontre de ce que ses parents choisissaient pour elle. Pour aller à l’encontre de ce qu’on lui sermonnait de choisir. Elle s’était toujours persuadée que montrer son désaccord se trouvait dans la médiocrité.
Puis, finalement, elle avait décidé de suivre son seul jugement.
Elle s’était trompée. Plusieurs fois. Elle avait vu les échecs rythmer son chemin sinueux, elle avait accumulé les désillusions sur son chemin. Elle avait remis en cause ses convictions une fois. Deux fois. Trois fois. Elle avait eu peur, elle avait été en colère, elle s’était rendue compte à quel point c’était dur d’assumer ses choix et ses décisions. Mais, malgré tout, Heaven avait continué. Elle avait été trop fière pour montrer qu’elle se laissait abattre par les difficultés de la vie. Elle avait été trop fière pour montrer qu’elle aurait pu se tromper dans ses batailles personnelles. Et c’était cette force de caractère qui l’avait porté là où elle était actuellement, face à ce professeur de français désabusé et malade, en train de balbutier une série de paroles incohérentes dans l’espoir de s’améliorer un jour.
Elle n’était pas sûre de ce qu’elle disait. Elle entendait presque ses fautes résonner dans son esprit mais elle était absolument incapable de se corriger toute seule ; Thomas, en face de lui, l’observait d’un air insondable, et absolument aucun mot ne s’échappa de ses lèvres quand elle s’arrêta de parler. Ses mains tremblantes vinrent se loger sur son ventre, comme pour l’inciter à se calmer. A se calmer et relativiser. « Attendez, » finit par dire Thomas après avoir relever la tête. Elle fronça les sourcils, se demandant ce qu’elle avait bien pu faire de mal, a avant de se rendre compte qu’il y avait sans doute à peu près toutes ses phrases de mauvaises. Il s’était exprimé en anglais, après tout. Peut-être allait-il lui annoncer que cela ne serait pas possible. Peut-être allait-il lui dire qu’elle perdait son temps. Peut-être allait-il lui admettre qu’elle ne valait pas la peine qu’il perde son temps, ce qui était vrai, au fond. Si vrai. « Je m’excuse. J’ai pas donné de cours de français depuis des années. Oubliez cet exercice. Les français eux-mêmes ont du mal avec le passé composé, » poursuivit-il et, après avoir ravalé sa surprise, Heaven hocha la tête. Elle vit un sourire se glisser sur ses lèvres à lui, timide et fade, et fut presque surprise qu’il soit capable de le faire ; elle fixa ses lèvres discrètement, sans réellement s’en rendre compte, profitant de cette vision éphémère qui se volatilisa aussi vite qu’il ne reprit la parole. « Utilisez le présent. Les verbes que vous connaissez. Les mots que vous connaissez. Contournez les obstacles. Si vous ne savez pas vous exprimer d’une certaine manière, imaginez-en une autre, » Elle hocha la tête pour montrer qu’elle avait compris. Ces conseils, elle les avait déjà entendu, mais elle avait été bien trop obstinée pour y prêter de l’attention ; si elle avait passé son existence toute entière à n’être que médiocre dans les domaines qui ne lui convenaient pas, elle était si appliquée pour le reste qu’elle en oubliait, parfois, que la perfection n’était pas tout la solution. Qu’elle en oubliait, parfois, qu’elle pouvait se permettre de faire dans l’à peu près. « Les langues, c’est de l’imagination, de toute façon, » ajouta-t-il en se penchant vers elle. Heaven esquissa un sourire. Elle était incapable de prendre la parole face à un individu comme lui ; il paraissait être un mystère à lui tout seul, une source indéfinie d’énergie sombre et désabusée. « Vous travaillez. Que faites-vous ? » demanda-t-il alors, avant de marquer une pause et reprendre. « Vous avez un frère. Parlez-moi de lui. N’oubliez pas : des phrases simples. » Ses questions résonnèrent dans son esprit alors qu’elle tentait de mettre de l’ordre dans ses pensées. Le présent. Les phrases simples. La vérité. Elle avait du mal à faire concordé toutes ces consignes, comme si son esprit refusaient qu’elle parle.
Comme si son esprit refusait qu’elle réussisse.
Elle refusa de prendre plus de temps que nécessaire avant de finalement reprendre la parole. Heaven avait peur qu’il pense qu’elle n’était qu’une idiote de plus ; elle ne voulait pas prendre trop de temps pour finalement dire des bêtises, sachant parfaitement que les secondes supplémentaires qu’elle se serait accordée ne lui aurait été d’aucune aide. « Mon frère est musicien. Il joue… Il jou… Jouait du violoncelle, » commença-t-elle, avant de secouer la tête. « Désolée, on avait dit que du présent. Il écoute de la classique musique. Je l’appelle au téléphone chaque jour. » Heaven haussa vaguement les épaules. Elle aurait pu ajouter qu’il était tétraplégique et que, désormais, il était bien incapable de jouer de son instrument. Mais elle ne désirait pas résumer son frère à ce qu’il ne pouvait plus faire, désormais. Comme si, quelque part, à travers ses paroles, il avait encore une palette infinie de possibilités à sa disposition. « J’ai deux frères. Ils s’appellent Andrew et Zacharie. Andrew habite aux Etats-Unis et n’aime pas la musique, » ajouta-t-elle, presque agacée contre elle même, agacée que son discours soit si décousu. Elle regrettait, désormais. Elle regrettait de ne pas avoir demandé à Dylan de lui parler plus souvent en français. Elle regrettait de ne pas avoir réellement fait d’efforts avec Alyssa, préférant lui faire apprendre l’anglais plutôt qu’apprendre elle-même le français. « Je travaille à BBC News, » reprit-elle. « Et je suis un… Un esclave. » Elle se mit à rire pour elle même, incapable de dire stagiaire, incapable de trouver un synonyme mieux que cela. Elle s’arrêta cependant bien vite, reportant son regard sur Thomas et se sentant petite, si petite, qu’elle avait presque envie de disparaître.
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() message posté Mer 24 Juin 2015 - 23:14 par Invité
« Mon frère est musicien. Il joue … Il jou … Jouait du violoncelle. » Elle secoua la tête et je penchai la mienne, attentif. « Désolée, on avait dit que du présent. » J’acquiesçai d’un simple battement de cils. « Il écoute de la classique musique. Je l’appelle au téléphone chaque jour. » Je posai ma main sur la table et soufflai doucement : « Musique classique. L’adjectif est après le verbe, généralement. » Il fallait bien que je la corrige, mais j’étais déjà plus confiant. Plus certain de ses capacités. Elle savait faire des efforts, elle me le montrait ici même. Elle décrivait sa vie, tout simplement. Je n’étais pas là pour découvrir ce qui se cachait derrière son regard azuré. Elle pouvait me mentir. Peut-être que son frère jouait du violoncelle. Peut-être que non. Ce n’était pas important. J’avais toujours trouvé cela drôle, à quel point on avait du mal à mentir sur des choses aussi bêtes. Lorsque j’avais appris le français – et même d’autres langues – j’avais tout de suite compris que je ne devais pas parler de moi. Pas forcément. Que je pouvais m’inventer un personnage, un autre Tom qui vivait autrement. Qui aimait d’autres choses. Qui avait une autre famille, d’autres amis. Les langues, c’est le l’imagination. Il fallait savoir parler, donc il fallait savoir imaginer. Se limiter à la vérité nous bloquait : on rencontrait toujours un terme intraduisible et pourtant central dans notre réflexion. On perdait nos moyens, évidemment. J’étais devenu bon en mentant à mes professeurs. J’étais devenu bon en brodant ensemble des informations décousues, mais en le faisant bien. Je voulais voir si Heaven était capable de le faire. « J’ai deux frères. Ils s’appellent Andrew et Zacharie. Andrew habite aux Etats-Unis et n’aime pas la musique. » Je souris furtivement et me redressai ensuite dans un mouvement félin et si caractéristique de mon allure. Je pianotai un instant sur la table en plissant des yeux. « Vous aimez la musique, vous ? » Je ne voulais pas la laisser sans rien. J’allais rebondir sur les sujets qu’elle me proposerait, sans relâche. S’attarder, c’était tourner en rond. Je ne voulais pas qu’elle se répète. Je ne voulais pas qu’elle se braque parce qu’elle manquait d’idées. Je savais qu’elle aurait voulu tomber sur un autre professeur. Je n’étais pas fait pour ça. Pas fait pour toiser un seul et unique élève au milieu d’une salle poussiéreuse alors que celui-ci désirait apprendre, s’ouvrir, s’imprégner de nouveauté. Ne suivez pas mon exemple, semblait dire mes prunelles noires à chacun de mes étudiants. Ne suivez pas mon exemple. Réussissez.

« Je travaille à BBC News. » ajouta-t-elle. « Et je suis un … Un esclave. » Je haussai les sourcils, presque étonné par la violence du mot. Elle laissa échapper un rire et de mon côté je souris de nouveau. Un esclave, carrément. Elle était probablement stagiaire. Elle me semblait avoir l’âge de l’être. A nouveau j’enchaînai : « Vous n’aimez pas votre patron ? » Je croisai les doigts sur la table, prêt à répondre à ses questions, si elle en avait. Encore une fois, je ne la laissai pas se perdre dans des détails qu’elle ne pourrait pas exprimer. Esclave. Ce ne serait pas le premier mot qu’elle utiliserait pour contourner le problème. Mais il représentait bien la situation. Il nous faisait même sourire alors que nous étions fatigués et que nous ne voulions pas être l’un en face de l’autre. Il était plein de bonne volonté, ce mot. Comme quoi elle en avait. Et mine de rien, elle n’était pas mauvaise. Elle se débrouillait même plutôt bien, derrière son air un peu perdu, décontenancé par mes manières désagréables et les mélodies étranges du français. Je lui demandais simplement de se libérer quelques maigres secondes de sa vie. Exprimer ce qui était exprimable, ce qu’elle avait envie de dire. « Inventez-vous une vie, Heaven. Je vous l’ai dit : de l’imagination. » C’était ça, la clé du succès. Je pouvais lui demander de décrire le ciel, mais je le voyais aussi, je pouvais le faire moi-même. Je pouvais même mieux le faire, puisque je parlais mieux qu’elle. Le ciel est bleu. Des oiseaux voltigent en rang entre les nuages et j’ai l’impression qu’ils vont tomber, tout le temps. Sauf qu’ils sont accrochés à la voûte céleste comme nous le sommes à la terre et nous ne pourrons jamais nous unir. Les anges n’existent pas. Devant moi il n’y a qu’une femme dont les yeux reflètent peut-être les couleurs d’un paradis auquel je ne crois même pas. Voilà, je savais le faire. Je savais broder. Je savais imaginer. J’avais pensé ces mots sans même regarder par la fenêtre. Simplement en imaginant ce ciel azuré et ces nuages de printemps, ces oiseaux lointains qui pourtant subissaient le même sort que nous : ils pouvaient voler haut, ils ne pourraient jamais s’enfuir. Je détaillai un instant le visage de Heaven. Je ne me rendais pas compte lorsque j’étais trop insistant. Mes yeux suivirent l’ondulation de ses cheveux blonds. Je voulais l’imprimer dans mon crâne. Je voulais m’en souvenir. Je voulais bien faire, pour une fois. Me rappeler d’elle pour ses efforts et non parce qu’elle m’avait agacé, comme tous les autres. Heaven, petite, blonde, pas bilingue, travaille, frère, musique, esclave, patron. Et imagination, ouais. Je relevai les mains tout en les laissant croisées et posai mon menton dessus, attentif à nouveau. « Vous pouvez me mentir. Vous avez ce privilège, il n’est pas donné à tout le monde. » ironisai-je finalement. « Utilisez simplement le vocabulaire que vous connaissez. Pratiquez-le. On a du temps pour en apprendre d’autre. » Du temps, oui. On n’avait que ça à faire, n’est-ce pas ? Laisser s’écouler les lentes secondes qui nous délivreraient d’un long calvaire. Je restai très froid mais je lui indiquai où avancer tout de même pour ne pas perdre l’équilibre. Pour ne pas craquer. Entre elle et moi, elle avait cet avantage : j’étais celui qui paraissait mal en point. Mais je commençai à m’habituer à ces petits silences et la manière qu’elle avait de froncer légèrement les sourcils pour cacher sa gêne lorsqu’elle réfléchissait, lorsqu’elle essayait de construire une phrase. Je l’observai, impassible. J’en oubliai d’être correct et pédagogue. Je ne l’avais jamais été, de toute évidence. Et peut-être qu’elle apprécierait cela, un jour. Peut-être que dans quelques semaines j’allais lui demander de décrire le ciel. De le décrire sans le regarder. De le décrire d’une manière que je ne pouvais pas connaître, que je ne pouvais pas imiter. De décrire ce qu’elle voyait mais ce qui restait invisible à mes yeux. Parce que c’était ça, l’imagination, et celle-ci avait toujours fait parler. L’essence des rêves, quelque chose comme ça.
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() message posté Jeu 9 Juil 2015 - 19:50 par Invité

Thomas & heaven — something was comforting about strangers—it seemed like they would exist forever as the same, unknowable mass. ✻ ✻ ✻ C’était difficile, au fond. Difficile de résumer son histoire. Difficile de résumer sa vie. Heaven ne savait pas où est-ce qu’elle allait en parlant ainsi de la personne qu’elle était ; elle avait l’impression que les premières informations qui lui traversaient l’esprit étaient celles qui la définissaient, elle. Celles qui la qualifiaient le mieux, elle. Celles qui la résumaient à de simples faits, de simples paroles. Celles qui faisaient d’elle qu’une série d’évènements venus troubler le cours de son existence.
Celles qui la transformaient en mots.
Mon père est un assassin. Ma mère est psycho-rigide. Je suis une lady mais je n’ai jamais voulu l’assumer. Mon frère est l’esclave de lui-même. Je suis enceinte. Je suis perdue, perdue entre celle que je devrais être, celle que j’ai un jour été et celle que je suis finalement. Une foule d’idées et de réponses était venue se presser dans sa boîte crânienne mais Heaven n’avait lâché absolument aucune de ces informations ; elle avait peur, peur de ce que cela pouvait bien signifier, peur qu’elle se définisse elle-même par toutes ces choses qu’elle avait passé toute une vie à rejeter.
Sa gorge était serrée mais, pourtant, elle continuait de parler. Sa gorge était serrée mais, pourtant, elle continuait de faire le tri dans tout ce qui lui passait par la tête, faire le tri pour s’attarder sur les détails et laisser tomber le reste. Le laisser tomber comme s’il n’avait pas d’importance. Comme s’il ne signifiait rien alors qu’en réalité il voulait absolument tout dire. « Musique classique. L’adjectif est après le verbe, généralement, » la reprit-il finalement et elle hocha la tête frénétiquement, son coeur s’accélérant dans sa poitrine. Bien entendu qu’elle le savait, bien entendu qu’on lui avait répété une centaine de fois. Bien entendu que, désormais, elle se sentait idiote de ne pas l’avoir dit de cette façon, bien entendu qu’elle avait envie de lâchement tout arrêter parce que c’était loin d’être facile pour elle. Peut-être s’attardait-elle trop sur ce qu’elle pouvait dire ou ne pas dire pour réellement faire attention à ce qu’elle disait à voix haute ; elle en oubliait complètement les règles fondamentales du français, elle en oubliait de réfléchir, tout simplement.
Mais elle avait l’habitude, après tout. L’habitude qu’on la prenne pour une idiote. L’habitude de se faire passer pour une moins que rien. Heaven osait espérer qu’en cet instant cela n’avait pas plus d’importance qu’à l’ordinaire. « Vous aimez la musique, vous ? » enchaîna-t-il à ses propos. Elle esquissa un vague sourire, avant d’hausser les épaules. « Je ne sais pas vraiment. » répondit-elle simplement. Même dans sa langue natale, elle avait bien du mal à s’expliquer à voix haute ; elle ne savait pas si cela était étrange de dire que, par principe, uniquement parce que ses parents l’avaient forcé à jouer du piano et à apprendre le solfège, elle n’aimait pas la musique, mais qu’elle appréciait tout de même au fond d’elle cet art. Oui, sans doute. Elle leva les yeux vers son professeur, détaillant ses traits décharnés avec attention. Une voix au fond d’elle lui murmurait qu’il comprendrait sans doute les raisonnements sinueux de son esprit ; cependant, elle préféra se garder d’ajouter quoi que ce soit.
Heaven vivait en opposition permanente avec toutes les personnes qu’elle incarnait, à un tel point qu’elle ne savait même plus qui elle était réellement. « Vous n’aimez pas votre patron ? » demanda finalement Thomas en enchaînant sur ses paroles, à elle, s’attardant sur ce qu’elle pouvait bien dire. Elle se mit à rire doucement, secouant la tête en baissant les yeux sur son ventre. Elle n’avait pas su, tout simplement. Pas su traduire un mot. Pas su trouver de terme adéquat. Sur le coup, cela lui avait paru être une bonne idée ; maintenant qu’elle y songeait, elle se trouvait bien ridicule. « Inventez-vous une vie, Heaven. Je vous l’ai dit : de l’imagination, » reprit-il, insistant bien sur son conseil. « Vous pouvez me mentir. Vous avez ce privilège, il n’est pas donné à tout le monde. Utilisez simplement le vocabulaire que vous connaissez. Pratiquez-le. On a du temps pour en apprendre d’autre. » Heaven le fixa en tentant de comprendre le chemin de ses pensées, en tentant de comprendre l’individu qu’il pouvait bien être. Elle n’était pas très douée pour cerner les autres ; bien souvent, elle s’attachait aux mauvaises personnes, presque attirée par l’aura malsaine qu’il trainait dans leur quotidien désabusé. « Ou alors, on peut jouer à un jeu, » répondit-elle en esquissant un sourire. Elle posa ses deux coudes sur la table, logeant son menton dans le creux de ses mains. Elle ne savait pas si elle avait le droit, si elle pouvait. Elle ne savait pas où étaient les limites et, fidèle à elle-même, elle rangeait tout sens moral au fond de son être pour tâtonner là où il ne fallait pas.
C’était plus fort qu’elle. Plus fort que le reste. Heaven avait cessé de lutter contre ses instincts depuis bien longtemps, même si elle avait fini par se calmer d’elle-même avec le temps et les désillusions. « Je dis quelque chose, vous devez deviner si c’est faux ou vrai, » expliqua-t-elle finalement dans sa langue natale. Elle se redressa sur son siège, haussant vaguement les épaules. « Tout ça en français, bien entendu. » Elle ne savait pas comment cela avait bien pu s’imposer dans son esprit, elle ne savait pas si un personnage comme ce professeur était enclin à accepter ce genre de propositions. Il semblait décalé avec la réalité mais à sa propre façon, refusant tout ce qui pouvait bien ne pas cadrer avec sa personnalité et la folie de ses envies. « Je me doute que vous n’avez pas envie d’être là, autant rendre le tout un peu plus… Drôle. Surtout si je dois m’amuser à vous mentir. » Elle haussa les épaules, une boule au fond de la gorge. Parce qu’elle avait beau feindre l’indifférence et l’assurance, au fond d’elle, Heaven ne savait pas si elle était en train de foncer droit dans le mur.
Et cela l’effrayait. Cela l’effrayait sans doute plus que nécessaire.
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() message posté Ven 31 Juil 2015 - 14:25 par Invité
« Je ne sais pas vraiment. » me répondit-elle finalement, un sourire pensif posé sur ses lèvres, et je penchai légèrement la tête, sceptique. Elle dissimulait quelque chose. Bien évidemment, il était difficile de pouvoir pleinement expliquer sa pensée dans une langue étrangère. Un mot finissait toujours par nous manquer. Et je le voyais : elle avait une histoire, comme tout le monde. Elle avait des choses à dire, même son vague je ne sais pas vraiment, teinté de son accent britannique à couper au couteau que n’importe quel français aurait trouvé charmant, même cela caractérisait la présence d’une histoire dont elle ne voulait pas me faire part, dont elle ne pouvait pas me faire part. Ce que je comprenais. Je n’étais pas là pour lui donner des conseils sur comment gouverner son existence – et j’étais probablement très mal placé pour donner ce genre de conseil à qui que ce soit. Qu’elle mente ou non, qu’elle parle ou non, j’allais garder la même expression figée. J’allais parler de la même façon, à la fois désinvolte et sérieuse, peut-être un peu trop lassée pour la situation. Car au fond, c’était ce que j’aimais faire : enseigner. Ou du moins ce que j’avais longtemps aimé faire, jusqu’à ce que je décide d’aspirer à cette existence immatérielle dans laquelle je flottais aujourd’hui, respirant un air étrange et embaumé de tabac froid, fermant les yeux sur la beauté du monde parce qu’elle ne m’émouvait plus, tentant au fond de moi de me persuader qu’elle ne m’avait jamais ému. Je ne sais pas vraiment. Je souris à nouveau, les yeux plissés. Et je ne t’en veux pas de ne pas savoir, Heaven. Ce n’était pas mon problème. J’étais simplement là pour lui apprendre à parler français. Ca me paraissait tellement dérisoire de décrire ainsi la situation. Mais c’est comme ça, Tom. Je baissai un instant mon regard vers mes mains accrochées à la table, mes ongles longs et pâles, la marque rosée sur mon annulaire droit dont j’avais hérité à force d’écrire à des heures tardives, crispant mes doigts autour de mon stylo plume par crainte de le laisser tomber sur la moquette blanc cassé de mon appartement. Il y avait déjà assez de taches d’encre sur ce sol froid et celles-ci me hantaient parfois, la nuit, lorsque je ne parvenais même pas à fermer les yeux et à calmer les battements fébriles de mon cœur fragile. Elles dansaient devant mes yeux et reflétaient leur teinte si noire, comme si je me regardais dans le miroir, comme si j’étais piégé dans cet appartement, que j’appartenais aux murs, aux meubles, aux draps froissés et à l’odeur du pain grillé, du café et du tabac froid. Est-ce qu’à ce niveau-là je pouvais encore me considérer comme parfaitement humain ? Je ne sais pas vraiment.

Son rire léger et cristallin sonna, un peu gêné à nouveau. Je clignai simplement des yeux, impassible, alors qu’elle réfléchissait à une réponse. C’était dur. Très dur. Peut-être que je ne m’y étais pas pris de la bonne manière. Je l’observai un instant avant de reprendre et elle rabattit immédiatement son attention sur moi. Elle était concentrée. Pas encore tout à fait déterminée, mais quelque chose me disait qu’elle voulait faire un effort qu’elle n’avait pas l’habitude de fournir. Elle suspendit sa réponse un instant et je détaillai son allure car j’avais l’habitude de me permettre cette impolitesse avec n’importe qui. On ne le remarquait pas, d’habitude. J’avais ce regard perçant et félin qui pouvait terrifier et intimider, qui pouvait aussi gonfler la fierté, mais qui était assez discret pour que l’on ne s’aliène pas lorsqu’on le croisait. Pourtant, tout ce que je voyais devant moi était son visage d’ange. « Ou alors, on peut jouer à un jeu. » s’enquit-elle finalement en souriant. Je haussai les sourcils. Sa voix me paraissait presque enfantine. Malicieuse et commençant enfin à reprendre confiance. L’ange n’était pas qu’un ange. Je le savais mieux que personne : il y avait un million de mots derrière un unique silence. Il y avait un million d’oiseaux prisonniers entre les nuages d’un ciel azuré. Je hochai la tête, l’incitant à poursuivre. Elle semblait s’élancer dans quelque chose de nouveau. Quelque chose qui lui plaisait énormément, comme un enfant osant quelques pas vers une destination interdite. La lueur qui s’était soudain allumée dans ses prunelles me le signifiait, et je me contentai de la suivre d’une démarche entendue mais désabusée, comme l’ombre fine qui ne faisait que traîner derrière elle pour la surveiller. « Je dis quelque chose, vous devez deviner si c’est faux ou vrai. » poursuivit-elle avec une désinvolture que je découvrais petit à petit. Elle ponctua son explication par un haussement d’épaules. « Tout ça en français, bien entendu. » Je relevai le menton, amusé. Elle avait dit cela comme si elle n’avait plus rien à perdre. « Je me doute que vous n’avez pas envie d’être là, autant rendre le tout un peu plus … Drôle. Surtout si je dois m’amuser à vous mentir. » Je me mordis la lèvre, réfléchissant. Mes doigts pianotèrent sur la table. Alors ça se voit, hein ? La question ne se posait même pas : elle devait se demander pourquoi j’étais devenu prof alors que j’étais un type misanthrope et détestable. Je me posais parfois moi-même la question.

Je me raclai la gorge avant de l’imiter en me redressant sur mon siège, histoire de retrouver un peu de contenance, un peu d’allure, justement. Je gardai mon regard rivé vers elle avant de répondre : « Je suis fort à ce genre de jeu, vous savez. » L’étais-je vraiment ? En réalité, je pensais sincèrement que l’on aurait du mal à gagner si je venais à déclarer des vérités ou des mensonges à mon sujet. Rien que mon âge : j’ai trente-deux ans. J’avais l’air bien plus vieux que ça. Probablement parce que je m’étais résigné à mourir avant tous les autres, alors on me voyait vieillir à vue d’œil pour ne pas que l’on se dise que je n’en avais pas profité. De grands artistes étaient morts à trente ans mais leur visage en affichait soixante. La différence, c’était que je n’avais rien d’un artiste. J’imprimais dans les esprits la trace noire de mon dédain et de mon indifférence, pas celle de mes accomplissements. Ils avaient été voués à l’échec le jour où j’avais décidé d’exister seul. Aujourd’hui, les relents de la victoire ne parfumaient pas la voie que j’empruntais, mais il me restait la solitude. Elle était teigneuse et déterminée. Elle était même mystérieuse pour l’œil inattentif. Mais j’avais vu les dégâts qu’elle pouvait causer et j’en subissais à présent les conséquences. « Mais si vous vous sentez d’attaque, pourquoi pas. » ajoutai-je alors en esquissant un sourire. « Surprenez-moi. » conclus-je en français cette fois-ci. Elle connaissait probablement ce mot, c’était le même en anglais. Je me penchai alors légèrement en avant, prêt à entendre les mots qu’elle avait cachés jusqu’alors. Prêt à entendre les mots derrière ses silences, comme les chants étranges des oiseaux qui volaient dans ce ciel que nous parvenions à peine à décrire, tant celui-ci ne nous offrait que son bleu aveuglant dans l’espoir de nous faire croire qu’il était de la couleur d’une liberté à laquelle on avait renoncé en venant au monde.
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() message posté Dim 4 Oct 2015 - 18:18 par Invité

Thomas & heaven — something was comforting about strangers—it seemed like they would exist forever as the same, unknowable mass. ✻ ✻ ✻ Heaven ne savait pas si elle appréciait l’aura que Thomas dégageait autour de lui. Heaven ne savait pas si elle aimait cet air amer qui habitait ses traits ; ni même si elle se faisait à ce profond mépris qu’il semblait nourrir envers le monde, envers lui-même. Heaven ne savait pas si elle était à l’aise en sa présence ou si elle était habitée par l’envie de disparaîtr, disparaître et ne plus jamais recroiser sa route. Non, Heaven ne savait pas tout ça. Elle était prisonnière de son regard, prisonnière de sa prestance, prisonnière de tout ce qu’il lui inspirait sans même s’en rendre compte.
Ou peut-être le faisait-il à dessein, après tout.
Il était un mystère. Un mystère tout entier. Un mystère qu’elle ne parvenait pas à décrypter et qu’elle n’était pas sûre de vouloir comprendre. Si certaines de ses émotions transparaissaient sur son visage, Heaven avait la conviction que cela ne le résumait pas, lui, en tant que personne ; elle était presque persuadée qu’il faisait partie de ces individus à ne laisser voir que ce qu’il désirait. A ne montrer que ce qu’il voulait. A garder au fond de son être toutes ces choses qu’il souhaitait garder pour lui et donner en spectacle une autre version de la réalité.
Heaven cligna plusieurs fois des paupières, comme pour inciter son esprit à cesser de s’attarder sur une pareille question. Elle ne parvenait pas à arrêter ses pensées, à arrêter ses suppositions ; elle avait presque conscience que s’aventurer sur ce sentier là était toxique et c’était justement cet attrait qui l’attirait le plus. C’était dangereux pour elle. Dangereux parce qu’elle devait sans cesse faire attention. Dangereux parce qu’elle se connaissait suffisamment pour savoir qu’une fois qu’elle retomberait de l’autre côté, elle ne parviendrait pas à revenir à la réalité. Dangereux parce qu’elle était suffisamment lucide pour comprendre que Thomas n’était pas une personne saine et, pourtant, elle restait là à l’observer, elle restait là à lui proposer une alternative pour s’amuser.
Au fond, il n’y avait absolument aucun mal. Elle était assise en face d’un professeur particulier. Elle était là pour apprendre le français. Mais Heaven était fragile. Trop fragile pour se permettre de fréquenter des personnes qui ne paraissaient pas saines. Trop fragile pour être plus forte qu’elle ne le pense. Trop fragile, oui. Alors, s’il n’y avait absolument aucun mal à rester assise en face de lui et poursuivre le cours, une partie de sa conscience savait parfaitement qu’elle n’avait absolument aucun intérêt à en apprendre plus sur Thomas.
Et, pourtant, c’était exactement ce qu’elle venait de proposer à voir haute. Un jeu. Un jeu puéril mais qui lui permettrait, sans doute, de se faire une meilleure idée sur le personnage qu’incarnait Thomas Knickerbadger. « Je suis fort à ce genre de jeu, vous savez, » lui répondit-il alors et elle esquissa un sourire. Elle n’en doutait pas, non. Il était sans doute doué pour le mensonge. Doué pour détourner la réalité pour la transformer en toute nouvelle vérité. Doué, oui. Sans doute bien plus doué qu’elle. « Mais si vous vous sentez d’attaque, pourquoi pas. » Un sourire se dessina sur ses lèvres et elle fut surprise, une nouvelle fois, qu’il soit capable de changer d’expression de cette manière. Elle acquiesça simplement pour montrer qu’elle était prête, et il reprit. « Surprenez-moi. » Heaven mit quelques secondes avant de mettre une signification sur ce qu’il venait de dire, puis elle hocha la tête d’un air entendu. « Et inversement. Si vous avez faux, c’est à votre tour. » Un sourire se dessina sur ses lèvres alors qu’elle leva le nez vers le plafond, réfléchissant à la première chose qu’elle pourrait lui énoncer.
Elle aimait ce genre de jeux, à vrai dire. Elle n’était qu’une sale gamine ayant grandi trop vite, après tout ; en cet instant, ce n’était plus le français qui l’intéressait mais les vérités et les mensonges, et cela lui permettait de se concentrer sur autre chose que ses efforts de langue. Peut-être était-ce cela, le secret pour qu’elle y arrive. Détourner son attention. Occuper son esprit pour qu’elle accomplisse les choses qu’elle ne désirait faire qu’à moitié. Une gamine, oui. Elle en avait conscience. Et, avec le temps, elle avait fini par assumer ce pan de sa personnalité. Par s’accepter telle qu’elle était. « Je… Je suis partie de chez ma maison à quatorze ans. » Elle observait son professeur droit dans les yeux et n’avait pas cillé pas une seule fois en articulant ses mots. Elle jouait sur les détails, sur ses mots. Elle était partie de chez elle, oui. Une fois. Elle avait pris ses affaires et n’était revenue que deux semaines après, traînée par les cheveux, ou presque, par sa mère hors d’elle. Mais elle n’avait pas eu quatorze ans, non. Mais treize.
C’était à travers ces demi-vérités qu’elle espérait gagner. Gagner pour que Thomas parle à ton tour. Gagner pour que ça soit à lui d’inventer des mensonges, des vérités, et lui exposer avec le plus grand naturel du monde. Elle n’ajouta rien et resta silencieuse, là, à l’observer, attendant qu’il penche d’un côté ou d’un autre.
Heaven espérait être impassible. Heaven espérait que rien, absolument rien, ne la trahisse dans son attitude. Elle avait passé une vie entière à mentir, après tout. Cela pouvait bien lui servir, aujourd’hui, en cet instant.
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() message posté Sam 24 Oct 2015 - 23:00 par Invité
« Et inversement. Si vous avez faux, c’est à votre tour. » Je l’observai relever le menton, mes yeux cachés derrière mes boucles folles, et mes iris pétillèrent étrangement. J’allais perdre. Elle allait me faire croire un mensonge, tôt ou tard, et ce serait à moi de lui en fournir un. Quelle vérité cachais-je ? Quelle vérité y avait-il à cacher ? Elle s’affaiblissait déjà en étant prononcée dans une langue étrangère. Énoncée tout court, voilà qu’elle perdait son charme. Lorsqu’elle restait secrète, la vérité restait entière. Ce n’était qu’ensuite que l’on pouvait la voir s’étioler, se fissurer et perdre de sa prestance, le venin du mensonge s’y mêlant sans vergogne. Heaven semblait être curieuse, bien plus que ce que je ne l’aurais pensé. Bien plus que ce qui était nécessaire ou simplement conseillé. Ne lui avait-on jamais appris à ne pas parler à des étrangers ? Quoi, je lui avais balancé mon nom et j’étais institutionnellement forcé à parler avec elle, cela faisait de moi quelqu'un honnête ? Pourtant, je polissais mon image de type antipathique chaque jour devant mon miroir. Entre ces quatre murs, parmi toutes les personnes qui s’y trouvaient, et Dieu savait que je connaissais chaque tête de ce bâtiment, j’en désirai la moitié et j’en haïssais l’autre. Je n’avais pas changé de millénaire, comme tout le monde. J’étais resté dans les ténèbres d’une dépression d’après-guerre, conscient que les ennuis ne faisaient que commencer alors que le peuple choisissait de belles robes, une destination de vacances ou un putain de sapin de Noël. J’eus un sourire. Je ne pouvais pas deviner son âge, je ne pouvais pas deviner ses envies ou ses habitudes. Je n’étais pas payé pour ça. Mais voilà que son regard s’illuminait de malice alors qu’elle cherchait sa chère vérité, son cher mensonge. J’étendis légèrement les jambes et penchai la tête, faisant doucement craquer les os de mon cou, sans pour autant la quitter des yeux. Il y avait quelque chose d’étrangement plaisant à regarder quelqu’un qui se préparait à vous mentir.

« Je … Je suis partie de chez ma maison à quatorze ans. » Je clignai des paupières et croisai les bras, impassible. « De chez moi. » la repris-je avec cet automatisme dans la voix. C’était comme si ce n’était plus important. Comme si elle venait de me faire changer d’avis : bien sûr que si, j’étais là pour entendre ses vérités et ses mensonges. J’étais là pour apprendre à la connaître et nous avions décidé de le faire de manière plus amusante. Elle, tout d’abord, en m’incluant. En se hissant à mon niveau tout en sachant qu’elle n’avait aucun droit de le faire, et comme d’habitude, comme avec tous ces élèves à la fois brillants mais certainement trop téméraires, je les laissais approcher pour qu’ils comprennent mieux ensuite ce qu’était l’échec, la déception, la colère de s’être fait avoir. Nous n’en étions pas encore là. Nous n’irions probablement pas jusque-là aujourd’hui. Pourtant, elle annonçait une couleur sombre et sa déclaration paraissait incroyablement vraie. Ce n’était pas quelque chose que l’on disait à la légère en regardant son interlocuteur droit dans les yeux. Elle aurait pu me parler de n’importe quelle connerie, elle aurait respecté les règles d’un jeu qu’elle inventait au fur et à mesure qu’elle y jouait, qu’elle m’y faisait jouer. Je lui enlevai les cernes sous ses yeux, les formes de son corps et la profondeur de sa voix en un battement de cils pour l’imaginer à quatorze ans, fuir de chez elle avec pour seul regard en arrière le profond dédain d’un enfant en colère. Elle devait forcément avoir été en colère. On ne partait pas à quatorze ans. J’ouvris la bouche en plissant des yeux. C’est faux, avais-je envie de dire, mais l’absence d’émotion sur son visage me perturba l’espace d’une seconde, assez pour que je reste silencieux. Elle ne tremblait pas. Elle possédait ce demi-sourire froid et énigmatique posé sur les lèvres. Elle continua de me fixer et je finis par me pencher en avant, lentement, de ces mouvements sveltes et félins qui en étonnaient encore plus d’un – ils ne concordaient pas avec mon état. L’hésitation me démangeait. J’avais envie d’une cigarette. Soudainement, comme si le manque habituel avait glissé sur le talus de mes pensées et que l’envie me violentait brusquement. Mais je me retins, cette fois-ci. Je me retins de crisper mes mains sur mon paquet et craquer les allumettes de ma désinvolture. Le doyen m’avait fait la remarque. Il savait que je fumais dans l’établissement, parfois, et il me laissait faire. Il devait s’abandonner à l’interdit également. Même s’il parvenait à le dissimuler mieux que moi, j’avais toujours senti l’odeur âpre d’un tabac froid mentholé embaumant les murs de son bureau. Il comprenait au moins cette peine, mais nous savions tous les deux que nous ne pouvions assouvir notre besoin commun. Je vins malaxer machinalement les phalanges de mon index et de mon majeur avant de croiser les doigts sur la table : je me concentrais dorénavant sur mon mystère blond et malicieux.

Je m’humectai les lèvres. Elle ne disait pas cela de manière anodine. Il y avait un semblant de vérité derrière ses paroles, quelque chose qui m’attirait terriblement vers l’envie de lui dire que c’était vrai. Cela semblait cependant trop facile. On ne partait pas à quatorze ans. Néanmoins, ses manières à la fois douces et étonnantes, presque acides dans sa façon de s’exprimer, me faisaient toujours tanguer vers le vrai. Le jeu avait des aspects malsains. Implicitement, elle s’offrait pour que je m’offre, bout par bout en retour, mais qu’espérait-elle trouver ? Certainement pas le secret d’un parfait apprentissage de la langue française car elle semblait tricher, même avec ça. Et voilà que c’était ce que je préférais chez elle. Sa témérité. Sa répartie. Sa vivacité d’esprit et surtout, oui, surtout sa manière de tricher, de dépasser la ligne imaginaire que l’établissement avait tracé entre nous. Je passai ma main sur mes lèvres d’un air songeur avant de me racler la gorge. Tricheuse. Sa silhouette me criait qu’elle en était capable. « Je vais dire que c’est vrai. » prononçai-je lentement. « Mais si je me trompe, je veux la vraie histoire. » J’étais habitué à énoncer les règles des jeux auxquels je jouais. Dans le cas contraire, je tordais les règles des autres pour qu’elles me conviennent mieux. En français, Heaven. Je haussai les épaules. Notre objectif est purement linguistique, hein ? Mon ironie me fit sourire. « Je respecterai bien évidemment cette règle lorsque ce sera à mon tour de mentir. » ajoutai-je en anglais sur un ton détaché. Bien sûr. J’étais lisse et vide, j’avais beaucoup d’histoires à inventer. Autant qu’elle dise que tout était faux : je me sentais faux, dépassé, inexistant. Je ne jouais pas sur une scène onirique, je n’avais pas le loisir d’être une illusion. J’étais au mieux le spectre d’un guerrier ayant égaré son honneur en fuyant le champ de bataille, au pire le vent qui soufflait sur les tombes d’un cimetière. J’avais à chaque fois ce quelque chose qui me rattachait à un tout autre monde.
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Anonymous
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() message posté Mer 11 Nov 2015 - 20:42 par Invité

Thomas & heaven — something was comforting about strangers—it seemed like they would exist forever as the same, unknowable mass. ✻ ✻ ✻ Heaven n’avait jamais su se conformer aux règles scolaires, ou peut-être était-ce les règles scolaires qui n’avaient jamais su se conformer à Heaven. Son esprit était trop libre pour assimiler une quelconque hiérarchie, pour se satisfaire des principes et des civilités d’usage. Elle avait eu de nombreux problèmes, adolescente. Si elle avait été une gamine sage et appliquée, cela avait été vers ses douze ans qu’elle avait commencé à se révéler, à dire haut et fort ce qu’elle pensait, à détourner les règlements pour se créer sa propre version des faits, pour se construire sa propre réalité. Certaines personnes auraient pu apprécier son caractère, certains parents auraient pu être fiers de constater que leur enfant ne désirait pas se laisser faire. Que leur enfant était différent de tous ces putains d’automates formatés par la société. Mais Heaven n’était pas née dans la bonne famille. Les Howard-Clark n’avait pas apprécié son insolence mais l’avait réprimandé, jusqu’à lui montrer le chemin vers un internat qui s’apparentait bien plus au camp de redressement qu’au lieu destiné à l’éducation de l’élite. Cela aurait pu lui couper les ailes. Brûler son esprit libre. Ecraser ses instincts.
Mais cela n’avait fait que la pousser dans ses retranchements.
L’empirer.
La libérer, quelque part.
Heaven n’avait jamais su se conformer aux règles scolaires, ou peut-être était-ce les règles scolaires qui n’avaient jamais su se conformer à Heaven. Pourtant, elle était toujours là, sur les bancs de sa prestigieuse université. Elle avait eu quelques problèmes mais cela n’avait pas été comparable avec ses années antérieures. Elle ne savait pas réellement si elle avait été celle à se calmer ou si c’était simplement les professeurs qui faisaient avec sa personnalité parce qu’ils plaçaient en elle de nombreux espoirs. Au fond, elle se fichait de la réponse. Parce que cela ne changerait pas cette impression d’être victorieuse qui animait sa poitrine.
On lui avait répété qu’elle n’arriverait à rien, après tout. Si son père s’était arrangé de passer le coup de fil pour faire pencher son admission en sa faveur, c’était à elle et elle seule qu’elle devait sa réussite des quatre dernières années. Ses parents n’avaient pas rendu ses devoirs à sa place. Son nom de famille n’était plus une marque de prestige mais un fardeau. Elle n’était plus cette sale gamine incapable. Non. Elle était cette jeune femme bientôt titulaire du meilleur diplôme de journalisme du Royaume-Uni. « De chez moi. »   le corrigea-t-elle et elle acquiesça pour montrer qu’elle avait compris. Elle ne répéta pas, cependant ; elle avait particulièrement horreur de bêtement répéter après quelqu’un même si elle savait, au plus profond d’elle-même, que c’était la meilleure façon d’imprimer les mots et les conseils de son professeur.
Mais elle n’aimait pas cela, donc elle ne faisait pas cela. C’était simple, dans son esprit. Sans doute trop. « Je vais dire que c’est vrai, » finit-il par déclarer et elle esquissa un sourire. Elle s’était imaginé qu’il lui aurait donné beaucoup plus de peine mais elle n’en demeurait pas moins contente de gagner avec son premier mensonge. « Mais si je me trompe, je veux la vraie histoire. » Cela était comme s’il l’avait senti venir, comme s’il établissait, lui-aussi, les règles du jeu en même temps qu’elle, en parallèle, pour ne pas complètement se laisser marcher sur les pieds par cette blonde intrépide. Généralement, on laissait Heaven jouer. On laissait Heaven définir et changer les règles quand elle le voulait, quand elle le souhaitait, parce que tous s’accordait à dire qu’elle n’était qu’une sale gamine prétentieuse et bornée. Qu’on ne pouvait pas réellement aller contre elle, seulement dans son sens. « Je respecterai bien évidemment cette règle lorsque ce sera à mon tour de mentir, » ajouta-t-il en anglais et elle hocha la tête avec une expression légèrement amusée. « Tant mieux, parce que ça va bientôt être à votre tour, »  répliqua-t-elle avant de se pencher au-dessus de la table à son tour. Elle posa son regard sur lui, ses yeux glissant sur ses cernes et sur son teint malade, fatigué. « C’est faux. J’avais treize. »  Elle s’arrêta un instant, avant de reprendre. « Treize ans. »  Heaven parlait sans doute trop vite, Heaven ne faisait pas attention. Elle le savait, on lui avait déjà répété. Elle laissait les pensées se bousculer dans son crâne et tout s’échappait de sa bouche avant même qu’elle ne se demande si cela était correct ou non.
Peut-être était-ce pour cela qu’elle ne progressait pas réellement en langues étrangères. Elle n’était pas suffisamment appliquée, elle ne fournissait pas suffisamment d’efforts. Esprit libre. Trop libre. Mais personne n’avait encore réussi à la mettre en cage. « Mais je suis partie deux semaines seulement, » ajouta-t-elle simplement en haussant les épaules. Il avait demandé la véritable histoire, c’était tout ce qu’elle consentait à lui donner, comme si cela était suffisant, comme si c’était tout ce qu’il méritait. Elle prit une profonde inspiration avant de reposer son dos contre le dossier de sa chaise. « A vous. »  S’ils avaient parlé en anglais, peut-être aurait-elle élaboré ses phrases. Elle n’en savait rien. Elle n’aimait pas l’idée d’être emprisonnée dans les barrières de la langue et préférait donc ne pas y penser, se disant que tout ce qui comptait était le jeu, seulement le jeu ; ainsi, elle observa son professeur avec attention, décidée à ne pas laisser ses lacunes la piégé, décidée à l’emporter, parce qu’il n’y avait que ce moyen pour elle d’apprendre.
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