Brooke + Let me down easy before you go

Je suis née le 28 août 1994 dans la famille Williams. Avant moi, il y avait déjà eu Roxy et Casey, respectivement plus âgés de cinq et trois ans. Un an après moi, il y a eu les jumelles Alice et Nelly, suivies deux ans après du petit dernier, Edwin. Nous étions de classe moyenne, voire même modeste, tous les huit massés dans un petit appartement d'un quartier pauvre de Londres. Malgré tout, nous étions entourés d'amour, mais ça, je ne l'ai compris que plus tard. Dès que Roxy, l'aînée, a pu s'occuper de nous, nos parents ont choisi de travailler plus. Ils partaient tôt le matin, rentraient tard le soir. J'ai presque vécu sans parents. Du haut de mes deux ou trois ans, je pensais que c'était de l'égoïsme, qu'ils ne nous aimaient pas, alors que c'était tout le contraire. Ils se tuaient à la tâche pour qu'on ait tous à manger le soir venu.

J'étais au milieu, donc on ne s'occupait pas de moi. Roxy essayait tant bien que mal de s'occuper des plus jeunes tout en se concentrant sur ses études. Je réalise avec le recul que je l'ai beaucoup admirée; cette fille était une vraie crème, gentille, serviable, intelligente. Elle ne méritait pas une vie aussi dure, surtout que je n'ai rien fait pour améliorer notre situation. Je haïssais ma famille, j'étais une petite fille isolée, renfermée, solitaire. Je me sentais tellement à part. Heureusement, il y a eu Casey. Je ne sais pas comment j'aurais fait sans lui. Il prenait soin de moi, me montrait de l'affection. J'en avais tellement besoin. Je me sentais aimée avec lui; j'avais enfin trouvé ma place.

Ma scolarité s'est passée sans trop d'encombres. Je faisais profil très bas étant donné ma situation financière et je ramenais des bonnes notes pour que ma famille soit fière de moi. Personne ne le remarquait, mais ça ne m'étonnait pas. J'essayais de leur trouver des excuses au début, puis je les ai détestés, tous. Le seul qui m'ait montré qu'il était fier de moi était, encore une fois, Casey. Nous avions une relation fusionnelle. C'était comme s'il était ma seule famille, comme si rien d'autre au monde n'existait que lui et moi. J'ai fini par choisir de ne pas me soucier de l'avis de ma famille et de réussir ma scolarité pour moi. Je voulais être fière de moi. Et plus que tout, sortir de ce trou à rats qu'était devenu mon quartier. Malgré tout, je savais au plus profond de moi que j'avais une soif intarissable d'amour et de reconnaissance. C'était ma famille, je ne pouvais pas les effacer comme ça de mon existence.

C'est à l'adolescence que j'ai commencé à mal tourner. J'ai découvert qu'il y avait peut-être d'autres moyens que les bonnes notes pour attirer l'attention de ma famille sur moi. J'avais toujours des bonnes notes, puisque les études semblaient tout de même le meilleur moyen pour sortir de mon quartier pauvre, mais j'ai commencé à me faire mal remarquer. D'abord des avertissements, puis des heures de colle. Rien n'y faisait. Je me faisais remonter les bretelles à la maison et cinq minutes après, on m'avait oubliée. Alors j'ai commencé à sortir avec mes "amis", à boire, à découcher. C'est dans cette débauche de fête et d'alcool que j'ai fait la connaissance de Joshua. Il était beau, ténébreux, et tellement mystérieux. J'avais l'impression qu'un aimant nous attirait l'un à l'autre. Très vite, nous sommes devenus un couple. Je passais de plus en plus de temps chez lui, avec lui. Je ne voyais pratiquement plus ma famille et ne donnais que peu de nouvelles, toujours qu'à Casey, le seul qui semblait réellement se soucier de mon absence. Si j'avais su à quel point je rendais le reste de ma famille malade d'inquiétude...

J'ai fini mon lycée et j'ai choisi de partir étudier dans une fac de journalisme pour devenir photographe journaliste. La photographie était ma passion depuis longtemps, j'avais presque toujours voulu en faire mon métier. J'en ai profité pour prendre complètement mon indépendance et partir de chez moi. J'ai emménagé dans le grand loft de Joshua. Il gagnait bien sa vie grâce à son trafic de drogues. Bien évidemment, je fermais les yeux sur ça, de peur de m'embarquer dans une merde pas possible. L'amour mutuel qu'on se portait était passionnel, destructeur. On se hurlait dessus, on brisait des verres, et on finissait par se réconcilier sous les draps. Tout ça ne pouvait mener nulle part, mais j'ai mis bien du temps à m'en rendre compte.

L'année de mes 21 ans devait m'amener deux bonnes nouvelles. D'une part, j'ai obtenu mon diplôme de journaliste, et d'autre part, pour fêter ça, Joshua m'a demandée en mariage. Je vivais dans un rêve. Bien sûr, j'ai accepté, parce que je ne pouvais pas me passer de lui. Je me suis dit qu'en se mariant, peut-être que notre histoire deviendrait plus calme et moins dévastatrice. Je n'étais toujours pas en contact avec ma famille. J'ai coupé les ponts avec eux l'année de mes 18 ans, quand je suis partie habiter avec Joshua. Je ne donnais plus de nouvelles depuis trois ans, ni à Casey ni à personne d'autre, alors je n'allais sûrement pas leur dire que j'étais fiancée, encore moins les inviter au mariage. Joshua a essayé de me persuader que c'était l'occasion rêvée de faire table rase du passé, mais bornée comme je suis, je n'ai pas voulu l'écouter et j'ai refusé en bloc. Il a fini par accepter ma décision. Tout allait pour le mieux, jusqu'en février 2015. Ça faisait un peu plus d'un mois que je n'avais pas eu mes menstruations. J'ai pensé au départ que ça pouvait être juste un décalage ou un problème mineur. J'ai consulté mon médecin, qui m'a donné un test de grossesse. J'ai cru m'évanouir quand j'ai vu qu'il était positif.

Je suis sortie de chez le médecin sonnée, et j'ai décidé de faire un tour dans le quartier pour m'aérer la tête. Au départ, je ne savais pas trop s'il fallait que je prenne ça pour une bonne nouvelle ou pas. Et puis, en réalisant que j'avais mon propre enfant qui grandissait dans mon ventre, j'ai tout de suite ressentie une joie immense, un amour sans bornes pour cet être sans visage ni nom mais qui était mon sang et ma chair. Certes, j'ai eu peur de ne pas être une mère à la hauteur de la tâche, mais je voulais que mon enfant ait la meilleure vie possible. J'ai décidé que je devais changer, pour le bien de mon bébé. Il fallait que j'arrête l'alcool, les soirées, les séances intensives de sport, que je mange régulièrement et équilibré, bref, que je fasse attention à moi. Je suis rentrée dans notre appartement et j'ai attendu nerveusement Joshua. Je lui ai annoncé ma grossesse, et sa réaction était à mille années lumières de celles que j'avais pu imaginer. Il est devenu blanc comme un linge.

"Brooke, c'est une blague?" J'ai secoué la tête négativement. "Prends un rendez-vous pour avorter. Immédiatement. C'est le bébé ou moi." Les larmes me sont montées aux yeux. Tomber enceinte m'a ouvert les yeux sur la vie, sur les relations humaines, les décisions irréversibles qu'on doit faire. Je me suis levée, j'ai fait mes affaires, et je suis partie. J'ai choisi le bébé, et pas lui.

J'ai heureusement rapidement trouvé une petite annonce dans un journal qui proposait une colocation. C'est ainsi que j'ai fait la connaissance de Keith. Il paraissait froid et hautain, mais assez agréable tout de même, et puis il semblait se mêler de ses affaires et ne pas se mêler des miennes. J'ai tout de même cru bon de lui annoncer que j'étais enceinte, afin qu'il ne soit pas étonné qu'on se retrouve à trois au lieu de deux dans l'appartement dans quelques mois. Il s'en serait rendu compte assez vite de toute manière. La cohabitation se passe plutôt bien pour le moment, ça va faire deux mois qu'on habite ensemble et je n'ai pas à me plaindre de lui. Au contraire, depuis qu'il sait que je suis enceinte, il se montre plus gentil et serviable.

Tomber enceinte a bouleversé ma vie. Ça a changé non seulement mon caractère mais aussi mon regard sur la vie et sur mon enfance tout particulièrement. Je sais désormais que j'étais aimée et que je n'aurais jamais dû couper les ponts avec ma famille. Je crois que c'est la seule décision de ma vie que je regrette vraiment. J'assume toutes mes erreurs, sauf celle-là. Je ne me pardonnerai jamais d'avoir mis ma famille dans le souci et l'inquiétude de ne pas savoir où j'étais. J'ai décidé de reprendre contact avec les membres de ma famille, mais je ne sais absolument pas comment je serais reçue. J'ai envie que mon enfant grandisse dans une famille aimante, en connaissant ses grands-parents, ses oncles et ses tantes. Malheureusement, ma fierté va rendre le premier pas un peu compliqué...