Joséphine Anna Beauchamp - Je suis tout, sauf un ange gardien

« Bonjour, Mademoiselle Beauchamp. Comme vous le savez, avant de partir en Angleterre, seule, pour y finir votre année scolaire, nous tenons à nous assurer que vous le faites pour de bonnes raisons, et que vous êtes suffisamment mûre pour pouvoir vous assumer seule, même si je peux voir dans votre dossier que votre père va s’occuper de vous financièrement. Pouvez-vous commencer par nous décrire votre famille, s’il vous plait ? »

L’adolescente ne put retenir un soupir mais elle s’exécuta. Effectivement, cela faisait partie des critères pour qu’elle puisse avoir son appartement, un petit studio en plein cœur de Londres. Lorsque ses parents avaient accepté, ç’avait été le plus beau jour de sa vie même si cela signifiait passer un entretien avec un psychologue et une assistante sociale. Elle était prête à tout pour qu’on l’autorise à vivre seule, sachant très bien qu’elle ne supporterait pas de vivre avec des inconnus. Pour autant, décrire sa situation familiale était assez complexe étant donné sa particularité.

Jo était le fruit de l’adultère de sa mère avec un homme marié, Henry Keynes : un notable de l’ambassade du Royaume-Uni dont elle était la secrétaire. A l’époque, Julie était mariée à Vincent Martin, son amour d’enfance, dont elle avait eu deux fils : Stéphane et Kevin respectivement de 10 et 8 ans les ainés de la rouquine. Si, à l’origine, Vincent avait cru que Joséphine était bien sa fille, il avait commencé à avoir des doutes dès les 3 ans de la fillette avant de réclamer un test de paternité lorsqu’elle avait 5 ans. A la suite de cela, il avait demandé le divorce et avait refusé que la fillette continue de porter son nom. Tout comme son ex-femme, d’ailleurs. Et il avait obtenu la garde de ses deux fils. Julie, quant à elle, avait continué d’entretenir une relation avec « son » anglais, qui avait élevé Jo comme sa fille, ce qu’elle était, même s’il ne l’avait pas reconnue jusqu’à aujourd’hui. En effet, il était toujours marié à la mère de son fils : Nathanael.

Bref, Jo ne savait pas trop comment aborder la chose sans que cela ne lui soit préjudiciable. Le plus simple, était, sans doute, de parler de famille recomposée.

« Mes parents sont divorcés, en fait. Et c’est le compagnon de ma mère qui va m’aider quand je serai en Angleterre.
- Ah, très bien… Très bien… Mais expliquez-nous tout ça. Comment le vivez-vous ? »

Voilà, c’était plus simple. Elle était parvenue à se sortir de la galère. La jeune fille commença à se détendre en racontant son histoire, plus ou moins embellie :

« J’ai deux grands frères, mais je ne les vois pas souvent. Mes parents ont divorcé en mauvais terme.
- Pourquoi cela ?
- Ma mère avait un amant : l’homme avec lequel elle est toujours aujourd’hui. Du coup, mon père a obtenu la garde de mes frères.
- Et pas la vôtre ?
- Apparemment, j’étais trop jeune pour être séparée de ma mère.
- Et cela ne vous peine pas ?
- J’adore ma mère. Et je m’entends très bien avec son compagnon. Il a un fils, d’ailleurs, mais je ne le connais pas. Je ne sais pas où il habite. »

C’était faux. En fait, Nathanael était la véritable raison de son désir de finir le lycée à Londres. Elle voulait faire sa connaissance. Ses rapports avec Stéphane et Kevin étaient inexistants, et Joséphine était très famille, malgré le gros foutoir que représentait la sienne.

« Comment se sont connus vos parents ? Et votre mère et votre beau-père ? »

Jo eut presque envie de rire à la question de l’assistante sociale. Techniquement, sa mère avait connu son beau-père avant de connaître son père. Mais elle devait s’en tenir à la version officielle, d’autant que son père ne l’avait pas reconnue. C’était plus simple comme ça. Elle avait moins l’impression d’être un personnage de roman en présentant son beau-père – Vincent – comme son père.

« Ils étaient à l’école ensemble. Ils se sont toujours connus et se sont toujours aimés. Mon père a demandé à ma mère de l’épouser à la sortie du lycée quand il a été recruté par une équipe de handball professionnelle. Il ne voulait pas être séparé d’elle. Elle a accepté. Ils ont fait plusieurs fois le tour du monde avant d’avoir mon frère : Stéphane, deux ans après Kevin. Lorsque Stéphane a commencé l’école, maman a arrêté de voyager. Mais ce n’est que quand Kevin est lui aussi entré à l’école que Maman a commencé à travailler. Elle a suivi une formation secrétaire ou interprête, je ne sais pas trop, et a été embauchée à l’ambassade du Royaume-Uni. C’est là qu’elle a trompé mon père.
- Combien d’écart avez-vous avec vos frères ?
- J’ai 10 ans avec Stéphane et 8 ans avec Kevin.
- Et quel âge aviez-vous quand vos parents ont divorcé ?
- 5 ans. »

Les deux « enquêteurs » avaient-ils fait le rapport entre l’adultère, la naissance de Jo, le divorce et les véritables rapports de sang entre la jeune fille et ses deux « pères » ? Difficile à dire. En tout cas, il était hors de question pour Joanna de continuer sur cette lancée. D’ailleurs, l’homme et la femme devaient l’avoir compris, puisqu’ils changèrent de sujet.

« Parlez-nous de l’école ?
- Je suis plutôt bonne élève. Mes professeurs ne s’inquiètent pas pour moi. En fait, ils pensent que ce serait plutôt une bonne chose, que ça m’aiderait à me perfectionner en anglais. Même si mon beau-père est anglais, j’ai une prononciation horrible. Je suis bonne à l’écrit, mais à l’oral, c’est… Différent. J’ai l’oreille, donc, j’arrive à comprendre, mais alors que je chante plutôt bien, je n’arrive pas à parler en anglais. Je ne sais pas... Je bloque. Quand mon beau-père me parle en anglais, je réponds en français et ça l’énerve. Et puis… Je sais bien que l’anglais c’est très important ! »

Le fait était, dès qu’il lui fallait parler en anglais, Joséphine cédait à la timidité. Elle n’y parvenait pas. Elle faisait un blocage. Ca, c’était la vérité. Aussi avait-elle demandé à partir en Angleterre. Un prétexte qui tombait à pic pour son projet de rencontrer son demi-frère.

« Et quelles sont vos passions ?
- J’aime lire. Mais je nage aussi beaucoup, je cours trois à quatre fois par semaine, je fais du tennis, je chante, je sors avec mes amis. Et parfois, je taquine le piano. »

Ce qu’elle ignorait, c’était que la musique était une passion qu’elle partageait avec ce frère qu’elle n’avait jamais rencontré. En tout cas, elle ne put que constater l’air impressionné du psychologue et de l’assistante sociale.

« Savez-vous déjà où vous allez habiter à Londres ?
- Oui, dans le quartier de Chelsea, près du métro Fulham Broadway.
- Quelle précision ! »

La jeune fille ne put s’empêcher de sourire. Elle avait toujours été très organisée, de ce côté-là. Si elle partait à la découverte de l’inconnu d’une certaine façon, elle avait déjà réglé tous les détails techniques. Elle avait une sainte horreur des surprises, surtout lorsque celles-ci pouvaient s’avérer mauvaises.

« Bien. Je crois que nous avons fait le tour, qu’en pensez-vous ?
- Vous avez oublié un point essentiel, Docteur.
- Lequel ? »

L’assistante sociale se tourna vers la demoiselle pour poser la dernière question, sans doute la plus importante :

« Et comment vous sentez-vous à l’idée de vivre seule à 17 ans ? »

La question piège… Il lui fallait répondre honnêtement, tout en leur prouvant qu’elle était apte à se débrouiller seule.

« Stressée, d’un côté, et pressée de l’autre. Je suis raisonnable, organisée, et je pense pouvoir me débrouiller seule. Et si j’ai besoin de quoi que ce soit, je pourrai appeler ma mère et mon beau-père, ils m’aideront… »

Elle envisageait plus de contacter la fiancée de son demi-frère que ses parents, mais ça, ils n’avaient pas besoin de le savoir.

« Dernière question : avez-vous un contact, à Londres ?
- Primrose Lewis. » répondit-elle sans réfléchir, même si la jeune femme ne la connaissait pas, pour le moment.