We're just animals, still learning to behave | Elliot

Arthur Osborne avait déjà trois enfants lorsqu’il a rencontré Aleida Mendoza, mais ce n’est certainement pas cela qui a empêché à la petite Elizabeth de voir le jour, un peu plus d’un an après. Le onze février 1993, la dernière de la famille naissait sous une pluie hivernale londonienne –temps qu’elle a d’ailleurs en horreur.

Dès petite, Elizabeth débordait d’énergie. Elle faisait partie de ces enfants qui se roulaient dans l’herbe, qui couraient partout, toujours prêt à faire la moindre bêtise, à chercher une nouvelle façon d’embêter leur monde. Mais elle restait mignonne, alors ça passait. C’était simplement une fillette un peu trop active qui s’amusait, en mélangeant l’anglais et l’espagnol à tout bout de champ.
Personne ne se souvient réellement du moment exact, mais c’est aux environs de ses six ans qu’Elizabeth a voulu se débarrasser de ce prénom qui ne lui plaisait que très moyennement. Du haut de son petit mètre vingt, ses chaussons de danse classique à la main, elle clamait qu’il « ne reflétait pas sa vraie personnalité ». C’est comme ça qu’Elizabeth est devenue Elliot, surnom que tout le monde dans la famille a très vite adopté. Mais ce n’est pas parce qu’elle a un prénom de garçon qu’elle s’identifie comme tel, loin de là. Ses petits camarades qui ont osé lui faire la remarque dans la cour de récré vous confirmeront que c’est une chose à éviter de faire ; la plupart se sont retrouvés avec la marque de sa main sur la joue.

Elliot n’était pas une enfant particulièrement bagarreuse, il fallait juste ne pas la chercher. C’est une chose qui n’a d’ailleurs pas changé chez elle. Lorsqu’on l’énerve un peu trop, la demoiselle peut partir au quart de tour. Ça lui a valu pas mal de problèmes à l’école, et c’est peut-être un peu pour ça que ses parents l’ont inscrite à des cours de boxe, pour qu’elle puisse se défouler et se lâcher sur autre chose que ses camarades.

A 12 ans, Elliot arrêtait définitivement la danse classique pour se concentrer uniquement sur la boxe. A l’école, ça allait mieux. Elle n’était plus trois quatre fois par mois, voire plus, convoquée dans le bureau du directeur, elle s’énervait moins vite, perturbait moins les cours… Pour ce qui est de ses notes, ses frasques ne l’ont jamais empêché de faire partie des meilleurs de sa classe, ou d’être elle-même la meilleure parfois. Ses matières préférées ? Maths et Physique. Elle adorait ça, et en plus d’aimer faire ses devoirs elle avait des facilités qui lui permettaient de tout comprendre relativement vite. Brillante, c’était ce que son professeur de physique chimie lui répétait lorsqu’elle était au collège.

C’est durant cette période-là que sa sœur, Mary-Jane, âgée de deux ans de plus qu’elle, a commencé sa crise d’adolescence. Les deux filles ont toujours été extrêmement proches, et voir MJ traverser cette période difficile en changeant complétement d’attitude l’a un peu perturbé. Bien sûr, elle ne l’a pas laissé tomber –MJ est sans doute la seule personne qu’Elliot ne laissera jamais, peu importe les circonstances- mais elle mentirait si elle n’avouait pas que cet épisode de leur vie l’a légèrement dérangé.

Arthur et Aleida n’ont pas eu le temps de souffler. MJ n’était pas sortie de sa crise d’ado qu’Elliot entamait déjà la sienne. Quoi que pour elle, ce n’était pas réellement une crise. C’était tout simplement elle, et c’était peut être pire.

Si son attitude s’était calmée les années précédentes, cela n’a pas tardé à changer vers les quatorze ans de la brune. Elle a commencé par de simples bavardages incessants durant les cours, jusque-là rien de trop grave, elle reprenait simplement ses anciennes mauvaises habitudes. Et puis petit à petit, l’insolence. Elle répondait à ses professeurs, à ses parents, à toute figure d’autorité qui croisait son chemin. Se voir donner des ordres ? Très peu pour elle.
Toutes les conneries qu’il y avait à faire, elle les faisait. Elliot ne ratait jamais une occasion d’enfreindre les règles, de provoquer, de pousser à bout. Elle était la fille qui sortait en douce de chez elle pour rejoindre sa bande de potes quand ses parents dormaient, qui fumait derrière les bâtiments de l’école, qui volait parfois quelques trucs au supermarché du coin et qu’il valait mieux ne pas provoquer.  
A 17 ans, elle s’était déjà cassée le poignet en se bagarrant et ses parents ne comptaient plus le nombre de samedi après-midi où elle avait disparu sans laisser un mot, sans rien dire, sans jamais raconter ce qu’elle faisait pendant ces moments-là.

Elliot a été punie, à de nombreuses reprises. Mais jamais les punitions ne semblaient avoir un quelconque effet sur la jeune fille, si ce n’était l’énerver encore un peu plus. Elle n’était pourtant pas méchante. Au contraire, sous ses airs de véritable rebelle, Elliot avait un grand cœur.  C’était elle qui apportait les desserts préférés de son père à celui-ci lorsqu’il était malade, elle qui rendait constamment visite à sa grand-mère pour vérifier que tout allait bien… Une fois, un après-midi alors qu’elle se promenait dans Hyde Park, elle a volé une crème glacée qu’elle est ensuite allée offrir à un gamin en train de pleurer. Elliot ne s’y prenait pas toujours bien, mais ses intentions étaient bonnes.

Niveau scolaire, malgré son comportement qui laissait à désirer et la menace du directeur de l’exclure, Elliot conservait ses bonnes notes. Elle aimait travailler, mais elle aimait aussi s’amuser et elle supportait mal l’autorité. Certains de ses professeurs l’ont averti plusieurs fois, si elle continuait elle allait forcément finir par rater quelque chose. Trop confiante, trop sure d’elle, Elliot était persuadée que tout irait bien.
Raté.

La jeune fille a terminé sa dernière année avec des résultats excellents à ses examens et, mieux encore, une admission à l’Imperial College de Londres, en physique, l’une des meilleures écoles au monde. Il ne lui restait plus qu’un entretien afin de pouvoir compléter sa candidature. Ce dernier avait lieu un samedi après-midi, à 16h, et quelques heures avant de s’y rendre Elliot est allée rejoindre sa bande d’amis, ceux avec lesquelles elle avait l’habitude de faire les quatre cent coups.
On peut mettre ça sur le compte de la fin d’année, du soleil qui brillait dans le ciel, de l’excitation, de la perspective des vacances prochaines… Elle-même ne sait pas trop ce qui lui ait passé par la tête, toujours est-il qu’aux environs de quinze heures Elliot se faisait attraper par la police, une bouteille volée à la supérette du quartier dans son sac. Les trois quart de la bande se sont échappés avant, mais la brune et l’un de ses amis se sont fait emmener au poste. Elle pour vol à l’étalage, lui pour possession de substances illicites. Majeur, il a eu droit à la prison alors qu’Elliot s’en est échappée avec deux mois de travaux d’intérêts généraux. Et évidemment, ne s’étant pas présentée à l’oral d’admission de la faculté, elle n’y a pas été admise.

Depuis, Elliot s’est rangée. Toujours active, toujours un peu rebelle sur les bords, elle s’est tout de même assagie et n’est plus cette adolescente insolente qui enchaînait conneries sur conneries. Impulsive, elle l’est encore –mais elle a fini par apprendre que l’on ne réglait pas les choses avec ses poings et se contente donc de cogner son punching ball une ou deux fois par semaine. Ça fait maintenant plus ou moins trois ans qu’elle vit dans son propre appartement, qu’elle paie chaque mois avec ses petits boulots. Serveuse, vendeuse, nettoyeuse… Elle est passée un peu par tout et n’importe quoi. Pour le moment ça lui va, elle est heureuse et c’est l’essentiel. Elle pourrait pourtant faire beaucoup plus avec les capacités qu’elle a, mais depuis ce qu’il s’est passé elle n’a pas voulu retenter l’entrée à l’Imperial College, ou n’importe quelle autre fac, c’est comme une sorte de blocage. Elle refuse. Pourtant elle sait bien que les petits boulots, ça va un moment mais il faudra peut-être un jour songer à vraiment faire quelque chose de sa vie. Elle sait, oui, mais elle ne se sent absolument pas prête. Mais peut-être un jour, qui sait.