La pièce était plongée dans une obscurité pesante, pas une seule lumière éclairait le faible espace présent. Les quatre murs blancs enfermaient en eux un lit et quelques meubles, peuplant la pièce il nous rappelaient alors qu’une vie habitait les lieux.
Un souffle saccadé venait entrecouper le silence malsain de la chambre, il était même possible d’entendre le froissement des draps en coton. Quels sentiment un homme peut-il ressentir quand ses démons ne lui laissent aucun répit? Lassitude, colère, incompréhension…
La respiration éreinté de l’intéressé prit fin; il se redressa avec véhémence, sortant de son sommeil de façon soudaine et brusque.
Les traits de son visage étaient tirés par la fatigue, sa mâchoire se contracta.
Les draps étaient humides à cause de l’agitation, la chaleur s’émanait de son corps et pourtant il tremblait; les poils de sa peau se redressaient suite à un frisson dessinant une chaire de poule le long de ses bras dénudés.
Sa main droite vînt se perdre près d’une table de nuit; Les Fleurs du mal de Baudelaire trônait sur la surface plane ainsi qu’un flacon où l’on pouvait y lire « Somnifères »
_L’effet d’un placebo, soupira l’inconnu en reposant l’objet qu’il venait de saisir.
La paume de cette même main se posa à l’arrière de sa nuque, y exerçant une légère pression comme pour tenter de l’alléger du poids qu’il portait à l’instant. Ses doigts fins venaient chatouiller les cheveux couleur jais qui descendaient de peu dans son cou.
Finalement il saisit une chaine autour de son cou avec délicatesse, longeant le fil d’or pour arriver à un croix catholique. Le jeune homme l’arracha avec violence, sa peau subit un choc empli de chaleur créant alors une marque à peine visible d’un rouge vif.
Les anneaux du bijoux se brisaient pour finir au sol, il en était délié. La chaîne en or féminine termina sa course sur les draps immaculés.
Se levant, il attrapa un jean au coin de la pièce ainsi qu’un paquet de cigarette: le briquet glissé à l’intérieur vînt allumer la mèche, la source de lumière permit d’entr’apercevoir les yeux de l’inconnu; deux noisettes dénuées d’émotion.
La fumée blanche enveloppa rapidement son corps et se rompit à son passage; son épaule se laissa tomber près d’un mur. Il resta là.
Aucune émotion le traversait. Ses démons avaient eu raison de lui, c’était leur plus grande victoire.
***
10 août 1989: _ C’est un garçon, claironna l’obstréticien.
Un soupir de soulagement se fit entendre de la part de la mère; elle ferma les yeux comme soulagé e d’avoir accompli son devoir. Les médecins s’activèrent alors que le petit garçon dont des cheveux noirs sales et ébouriffés criait à plein poumon.
_Gabriel, il s’appelle Gabriel, s’enquit la mère.
Un homme entra en furie dans la salle d’accouchement, l’air inquiet et grave. La femme tendit la main vers lui, essayant d’attraper son costume.
_Mon amour, cette interpellation ne fut qu’un soupir. Il s’avançait déjà et prenait dans les bras son épouse.
12 Janvier 1991:_ Tu ne peux pas abandonner ta carrière, trancha une voix froide. Les traits plus vieillissants, ce même homme soutenait le regard de sa conjointe en bout de table.
Un mal aise s’était installé et bien vite le silence fut coupé par un gazouillement: une tête brune aux boucles parfaites couleur de jais tentait vainement de se saisir la fourchette de sa mère.
_ Qui s’occupera de lui, toi? un rire jaune traversa la barrière des lèvres de cette dernière.
20 mars 1991:La jeune femme, tête penchée contre le bois d’un violon, agitait harmonieusement une baguette contre le cordes de l’instrument créant un son léger et apaisant. Un sourire paisible avait prit place sur le bout de ses lèvres; elle se coupait du monde.
Ses cheveux châtain chatouillaient avec légèreté le bas de son dos.
La mélodie s’interrompit dans un bruit strident, un bruissement désagréable remplaça les notes enjouées.
_ Que cela cesse! Cria la musicienne.
Le silence s’installa dans la pièce et l’on pu entendre des cris d’enfant, des pleurs larmoyants.
Sortant d’un pas vigoureux de la salle de musique elle se dirigea vers la chambre de Gabriel: la nounou tentait vainement de l’apaiser.
_ J’ai tout essayer Madame Brythe.
17 août 1992: _ Il est temps Emma, l’époux de l’intéressée se tourna vers celle-ci en lui tendant un manteau. Elle l’enfila avec lenteur.
Son visage était empli d’inquiétude et ses yeux cherchaient désespérément Gabriel. Son fils n’était pas ici.
_ Nous allons être en retard pour notre avion.
_ Le concert peut attendre, où est mon fils? demanda-t-elle.
_ Il dort. La nourrice s’en occupe, tu pourras l’appeler quand nous serons arrivés, d’accord?
Emma hocha la tête, ne protesta pas; il avait raison. Leur rôle n’était pas celui de parent, du moins ils n’étaient pas prêts à laisser leurs carrières respectives.
20 septembre 1995: Emma jouait frénétiquement avec son alliance, elle était préoccupée et s’agitait, faisait les cents pas dans la chambre de l’hôtel. Elle essayait en vain de trouver ses mots, d’annoncer la nouvelle à son époux. Le courage l’avait quitté.
La jeune femme entendit le cliquetis de la clanche de la porte.
_Richard?
_C’est moi mon amour, répondit son époux.
Son coeur ratta un battement.
Le dîner se passa en silence.
_Je dois t’annoncer une nouvelle, débuta enfin la femme.
Richard s’arrêta de manger, écoutant attentivement sa femme.
_ Je suis enceinte, déclara-t-elle.
Le silence persista.
25 Décembre 2000: Une tête brune se balançait au rythme de la mélodie; Gabriel s’affairait au piano avec joie. Azalée, sa soeur, avait hérité des longs cheveux de sa mère et des yeux bleus persans de son père. Elle porta son pouce à la bouche, le suçotant avec calme; toute son attention était tournée vers Gabriel. Une admiration sans fin l’animait.
La chanson prit fin.
_Encore, exigea la fillette.
Son frère s’exécuta.
_ Il faut que nous rejoignons Papa et Maman, c’est bientôt la messe de minuit.
Les deux enfants descendirent du tabouret recouvert d’un velours pourpre pour aller rejoindre leur parent.
Richard était au téléphone, négociant un nouveau contrat. Emma lisait au coin de la pièce. Elle leva la tête en entendant des petits pas s’avancer vers eux.
Un sourire resplendissant venait étirer la commissure de ses lèvres.
L’incompréhension régnait sur le visage enfantin de Gabriel; comment une mère si souvent absente, pouvait-elle être aussi heureuse de voir ses enfants? Après tout, elle avait fait un choix entre le violon et sa progéniture.
Azalée couru dans les bras de sa mère.
Le petit garçon resta planté au milieu de la pièce, regardant tour à tour sa mère et son père. Richard lui était indifférent comme à son habitude, lui aussi avait fait un choix en faveur de sa carrière; pourquoi n’était-il pas enjoué de voir son fils lui aussi?
15 juin 2002: _Joyeux anniversaire! Les voix s’étaient élevées pour fêter les 6ans de Azalée mais la petite fille ne sourit point. Elle regardait son gâteau avec tristesse, avant de finalement le pousser au sol avec véhémence et de s’enfuir en courant dans le peu de jardin que bénéficiait les maisons de Mayfair.
_Azalée! cria Emma de colère. Ce ne sont pas des manières jeune fille.
Gabriel regarda sa mère, elle ne comprenait pas. Le garçon suivit les traces de sa soeur, elle était assise sur une balançoire tantôt pleurant, tantôt gémissant.
Gabriel s’assied sur la balançoire à ses côtés.
_ Papa a manqué mon anniversaire.
_ Moi je suis là.
Azalée releva la tête vers son frère et lui offrit un petit sourire. Elle se leva et s’engouffra dans ses bras en pleurant de plus belle. Le petit brun se contentait de lui caressait les cheveux.
5 février 2003: _ Il est important que votre fils soit entouré, la mort de sa soeur a été des plus traumatisante pour lui. Elle était la seule personne sable de son entourage, vous comprenez?
Emma regarda le siège en cuir vide non loin d’elle, Richard n’était pas venu, encore.
La psychologue essayait de trouver le regard de la jeune femme.
_ Madame Brythe, il est important de ne pas bousculer votre fils. Nous ne pouvons pas comprendre ce qu’il ressent, ce qu’il a vu ce jour là est des… plus marquant pour un enfant, la spécialiste ne trouvait pas ses mots.
_ Il l’a vu se noyer, vous pouvez le dire, lança froidement Emma en relevant son regard embrumé de larmes vers son interlocutrice.
10 août 2004: La table n’était entourée plus que de trois personnes: Emma, Richard et Gabriel. Tous étaient plongés dans leur assiette.
_ Ton bulletin est mauvais Gabriel.
Celui-ci haussa les épaules avec insolence, il était avachi sur la table et jouait avec ses bouts de viande; elle lui paraissait dénuée de goût.
_ Ce n’est pas que ton bulletin, tu manques de respect aux professeurs de ton collège, on te surprend entrain de vendre des cigarettes à la sortie de l’établissement… Tu voles, la voix de Monsieur Brythe était dure et froide. Son ton répréhensible était menaçant et pourtant Gabriel ne bronchait pas.
_Tu pourrais écouter ton père, songea Emma tout bas.
Le jeune homme laissa tomber sa fourchette avec un étonnement non dissimulé.
_ Ce n’est pas mon père, c’est juste un figurant.
_ Ça suffit! Cria Richard, son poing tapa sur la table alors qu’il se levait de sa chaise.
Emma ferma les yeux et posa sa main sur le bras de son mari pour tenter de l’apaiser.
_ Petit merdeux!
Le « merdeux » désigné soutint le regard à l’homme, la colère l’envahissait.
_ Va te faire foutre. Tout ce que tu attends c’est que tes enfants se pendent à ta montre, pauvre con.
1er Décembre 2007: Gabriel lança le flacon de cachets sur son lit; il était vieux et grinçant. L’internat n’avait pas le budget nécessaire pour faire bénéficier à ses étudiants de couche convenable.
_Qu’est-ce que c’est? demanda John, son camarade de chambre.
_ Des somnifères. Prend les, je n’en ai pas l’utilité.
John attrapa les cachets en riant doucement.
Gabriel attrapa quant à lui un pocheton, des feuilles slim ainsi que son paquet de cigarette- le tout dissimulés à l’intérieur du dessous de son matelas. Le jeune homme ferma la porte de la chambre, jeta un coup d’oeil à travers la fenêtre. Les pions avaient fini leur tour de garde.
Il l’ouvrit et passa une jambe par dessus avant de s’agripper au lierre montant.
« Cours, cours. S’enfuir, s’enfuir. Fume. Bois. Danse. Rêve » Sa tête lui ordonnait de s’abandonner à la vie, à lui même.
28 septembre 2008- 30 novembre 2009:Paris, déchéance…
***
Cela fait douze ans que le souvenir de Azalée fut perdu dans les eaux.
Une plaque de verglas sur la route, un pont dont les barrières rouillées ne sécurisent pas l’espace… Une fraction de seconde.
La voiture tomba dans les eaux glacées d’un fleuve en pleine campagne. Le froid les avait envahi et une sensation de coup de poignard s’attaquait à leurs membres. Ce fut ensuite l’eau qui montait, l’air qui manquait.
Deux en sortirent dont Gabriel, Azalée elle avait été condamnée à rester coincée dans le véhicule.
Les secouristes ne sont intervenus qu’une demi-heure plus tard, remontant le corps bleu de l’enfant de 7ans.
Ces images reviennent de façon redondante, quasiment toutes les nuits.
Plusieurs années de déchéance pour combler ce vide grandissant s’ensuivaient. La fin fut claironnée par Richard qui menaçait Gabriel de lui couper les vivres.
Rentrer dans le droit chemin, devenir comme le commun des mortels: survivre dans un monde qui tire à sa fin.
Titulaire d'une licence, il remonta à Londres en délaissant la capitale française avec regret.