Cause every inch of you is perfect / Samael + Carole

La première fois que Carole avait décidé de boycotter une séance photo, elle avait 17 ans. Elle avait obtenu un contrat pour Vogue Paris, qui était déjà sous la direction de sa mère. Loin d’être un caprice d’adolescente, de ceux qui mettent la méga honte à leurs parents, Carole s’était sauvé de la séance photo quand on voulait lui faire porter un gros manteau de fourrure. Outre le modèle extrêmement vulgaire, c’était le fait que la bête qui avait servi à sa conception était une espèce en voie d’extinction. Carole avait beau travailler avec son physique, prendre des poses incendiaires pour vendre un produit hors de prix, elle avait fréquenté les meilleures écoles privées et était donc loin d’être idiote. C’était un cerveau pensant. Même si elle pensait souvent qu’à elle, Carole avait un peu d’empathie pour les animaux. Elle était même probablement plus respectueuse envers un chien que ses coiffeuses en backstage. Sa mère était devenue folle de rage, pas uniquement à cause de l’ignominie que sa fille lui avait inspirée, mais aussi de peur de voir fermer sur sa progéniture toutes les portes de la profession. Mais dans son audace, Carole avait pris un risque et ce risque lui avait ouvert d’autres portes, avait construit son image médiatique. Elle s’était positionnée en quelque sorte et quand bien même elle était toujours sur la liste noire de Peta pour oser porter du cuir, ses revendications contre la fourrure avaient plu à d’autres professionnels du milieu. Depuis ce jour, il lui arrivait souvent de mener quelques actions coup de poing avec d’autres de ses collègues, qu’elle s’efforçait de ne pas mépriser le temps de leur B.A.

Ce jour-ci, entre deux séances photos pour les collections capsules respectives de Givenchy et Vivienne Westwood, le jeune top s’était rendu au Zoo. Devant l’enclave des ours polaire, pancarte à la main, couverte de faux sang et hurlant avec glamour son indignation envers les tortionnaires d’animaux. Elle y avait rencontré Samael, un soigneur animalier, qui lui avait tapé dans l’œil. Quelques sourires et échanges d’idées plus tard, elle lui avait proposé d’aller déjeuner quelque part après son deuxième shooting. Il avait accepté et Carole était tranquillement repartie faire sa séance, se pointant ensuite au lieu de rendez-vous.

Carole allait porter le hamburger à sa bouche, quand la phrase de Samael la coupa net dans son élan. Elle assumait déjà pas souvent d’aller manger dans des fastfoods, bien qu’elle adorait ça malgré que son manager lui interdisait, mais si même quand elle osait… on lui coupait l’appétit, c’était un signe : elle devait probablement être trop grosse. Elle reposa son sandwich dans son emballage et alluma une cigarette. Elle faisait toujours ça quand elle luttait contre ses pulsions alimentaires, ça lui coupait la faim.

- Ce n’est pas un rencard, lui dit-elle dans un sourire amusé, à peine persuasive. Je…

Elle réfléchit quelques instants à ses passions. Elle en avait très peu, à par sortir faire la fête dans des soirées où elle et ses semblables se retrouvaient, ou encore faire les boutiques. Samael semblait avoir une image très sexiste de sa profession, elle ne voulait pas en rajouter en lui parlant de ses achats compulsifs qui arrivaient très fréquemment. Elle faisait du théâtre à côté de son métier, mais c’était trop cliché à raconter.

- … fais de l’équitation quand j’ai le temps, c’est-à-dire très rarement. Et toi ? A par faire des touchers rectaux à des éléphants, qu’est-ce qui t’anime dans la vie ? demanda-t-elle en se moquant gentiment à son tour.

Carole prit une longue bouffée de sa cigarette alors que Sam était en train de prendre le fou rire du siècle. Elle était impassible, décrochant un petit sourire crispé collé sur son minois de poupée. Elle n’avait pas l’habitude d’avoir un si bon public, encore moins si naturel. Les gens à qui elle avait à faire en temps normal était si froids et hypocrites, qu’ils auraient laissé échapper un petit rire cristallin et auraient répondu par un autre pic. Ces gens étaient un peu comme elle. Carole continuait de le fixer alors que Sam lui demandait si elle n’était pas intéressée par le shopping ou les soirées. Elle l’était bien entendu, mais elle était aussi surtout un peu vexée de renvoyer une image qu’elle jugeait –avec objectivité malgré la réalité de ses passions- si frivole. Elle n’avait pas envie de s’étaler plus sur son sujet et par miracle, elle n’avait pas à le faire car Samael était en train de commenter la bataille qu’il était en train de mener avec sa chevelure. Chevelure que Carole trouvait sexy, comme le principal intéressé, bien qu’ils fussent issus de deux mondes différents visiblement. La jeune libanaise esquissa un sourire quand son interlocuteur lui dit faire partie de la meilleure team du parc animalier. Il était touchant et sa simplicité rassurait un peu le jeune top. Il n’y avait donc pas besoin de porter du Armani, défiler et boire du champagne en guise de petit-déjeuner pour s’épanouir dans son boulot.

- Je fume depuis… commença-t-elle avant de réfléchir un peu au nombre d’année exact. Mes 13 ans, il me semble.

Carole avait expérimenté les vices assez rapidement dans sa vie. Souvent livrée à elle-même quand elle était adolescente, dans son grand appartement du 16e arrondissement parisien, elle n’avait jamais eu de réelle autorité pour se heurter à la découverte des expériences adolescentes de son milieu. La clope à 13 ans, l’alcool au même âge et bien entendu la cocaïne à 15 ans, dans les soirées privées qu’elle et ses amis de lycée organisaient. La routine pour la jeunesse dorée. Ces vices ne l’avaient jamais quitté. Aujourd’hui, elle avait juste remplacé la Vodka par du Champagne ou des cocktails élaborés et était beaucoup plus regardante sur la provenance de sa came, qu’elle prenait quotidiennement, rythme de vie freiné oblige.

- Mais tu ne m’as pas répondu, contrairement à ce que tu imagines, ta vie m’intéresse… dit-elle naturellement. Je ne perdrai pas mon temps à te poser la question dans le cas contraire. Puis je te trouve très craquant avec tes cheveux comme ça, ne change pas la longueur. Utilise de la cire pour les fixer.

Ca faisait un bien fou de pouvoir en placer une, pensa-t-elle.