Je suis navré, mais vous avez pourri le groove de l'empereur.

Papa est mort hier. Je ne sais pas si ces quatre mots résonneront toujours de la même manière, mais aujourd’hui, j’ai l’impression qu’ils ne sont pas réels. Comme une bulle de savon qu’on titillerait avec une aiguille et qui serait prête à exploser. En fait, c’est vraiment bizarre ce genre de départs, on sait qu’on ne les reverra plus, un peu comme un ami rencontré en vacances, mais c’est le fait de savoir que c’est définitif qui nous rend triste. Maman aussi est très triste. Je le vois dans ses yeux, je ne suis pas sûre qu’elle se relèvera un jour. Ils s’aimaient beaucoup tous les deux, ils avaient cette lueur qui émanait d’eux quand ils étaient ensemble, un jour j’aimerai moi aussi connaître le même genre d’amour. Beau, simple et percutant. Papa et moi on s’entendait bien et je sais qu’il ne voulait pas que je sois triste une fois qu’il nous aurait quitté alors je ne le suis pas. Il me manque, mais je suis presque contente qu’il soit parti, au moins il ne souffre plus c’est le principal. J’aimerai que maman voit les choses de cette manière. Alors je la prends dans mes bras et je la réconforte comme elle a si souvent fait pour moi quand j’étais petite et que je tombais. Je tombe toujours, ça n’a pas changé, et tout tombe dès que je bouge, la maladresse ça ne se rattrape pas. Je ne sais pas de qui je tiens ça d’ailleurs. Maman est peintre, alors ce n’est sûrement pas d’elle et papa était architecte, alors ce gêne doit remonter à plus loin.

Ceci étant dit, maman est devenue un peu folle, elle parlait de se suicider, ses toiles sont devenues de plus en plus sombres et se vendaient bien moins qu’avant. Heureusement l’argent que papa nous avait laissé nous permettait de subsister à nos moyens. A ce moment là, j’ai compris que l’amour aussi beau soit-il finit toujours par vous faire souffrir, ce qui coupa légèrement mes envies d’amour parfait. Pourtant je ne supportais pas de voir ma mère dans cet état. J’avais déjà perdu mon père, il n’était pas question que je l’abandonne elle. M’est donc venue l’idée du psychologue. Mes parents avaient voulu m’en faire voir un lorsque petite je parlais aux fleurs. Ce n’étaient bien entendu que des délires d’enfant et je jure que j’ai bien toute ma tête, cependant elles m’ont confiées pas mal de secrets que je ne répéterai pas, même pour vos beaux yeux. Dire que la thérapie a fait du bien à ma mère serait un euphémisme, elle a réussit à sortir de sa léthargie, le sourire a fini par revenir sur son visage et elle est partie s’installer en France peindre de charmants paysages, attendant que j’eus atteint l’âge de faire mes études dans le supérieur pour me laisser en Angleterre. Je me suis aussitôt tournée vers la psychanalyse, bien décidée à moi aussi aider des gens à aller mieux. Il était de mon devoir de partager avec les autres ce qui m’avait rendu ma mère. Je vous avoue que dit comme ça, ça fait un peu gourou, mais ne prenez pas peur, je suis très gentille.  

Un peu trop même. A l’université, le soir de mes vingt ans j’ai fais la rencontre d’un étudiant en mathématiques. Charmant, séduisant, intelligent, il avait tout pour plaire. Il le savait et en jouait parfaitement. Nous sommes sortis ensemble un peu moins d’un an, jusqu’à que je comprenne qu’il se servait totalement de moi pour avoir l’attention de son père qui de ce fait remplissait plus son porte-monnaie. Il me fallut quelque temps pour le comprendre, un peu plus pour mettre fin à ce stratagème. Durant toute ma scolarité et encore aujourd’hui je n’eus de cesse d’attirer ce genre de spécimens. Ceux qui se servent de vous et qui finissent par vous jeter quand ils ne vous trouvent plus d’intérêt. De ce fait, j’apprécie aujourd’hui ma vie de célibataire.

Je continue à profiter de ce que mes yeux voient, mais j’évite d’y toucher. Les peines de coeurs, j’ai assez donné comme ça. Et puis j’en entends assez parler comme ça au travail. Bon nombre de femmes viennent me voir avec un bagage rempli d’émotions tristes et colériques à propos de l’amour, ce qui me conforte dans ma position. En réalité, peu de gens viennent me voir parce qu’ils sont totalement heureux. Ils ont tous des problèmes, du plus petit au plus gros. De celui qui a du mal à s'intégrer au travaille à celui qui entend son chat lui parler. Je travaille également avec les autistes et personnes victimes de troubles du comportement. Certains patients nous marquent plus que d’autres. Comme Simon. Celui-là m’a donné du fil à retordre, un véritable casse-tête. Je devais le voir pour qu’il m’explique ce qui lui avait prit de montrer son derrière à tout le monde dans la rue. Seulement, nous avons au final très peu parlé de ça. La moitié du temps il partait au milieu de la séance, ou bien il me montrait ses abdos, cherchait à m’attendrir à coup de sourires charmeurs et me prouvait par a+b qu’il était un vrai plaisantin. Seulement, il n’avait pas la tête du délinquant. Il était attachant, un peu trop, mais surtout il était jeune, sept ans de moins que moi. Ce qui est peu en soit, mais pas au niveau du travail. Je dois avouer qu’il hantait mes pensées et que lors de son procès je n’ai pu m’empêcher de le défendre plus que je n'aurai dû. Il avait un bon fond, je le sentais. Mon père m’avait toujours apprit à chercher le meilleur des gens avant de dresser l’entière liste de leurs défauts. Mais il a finit par être condamné aux travaux d’intérêts généraux et nous avons cessé de nous voir. J’ai rangé son numéro qu’il avait soigneusement prit le temps d’écrire sur un bout de papier dans un carnet et j’ai tenté de passer à autre chose.

Les patients défilent beaucoup, comme si la population entière déprimait. C’était assez triste à voir, mais le soir en rentrant chez moi, je ne pensais pas à Miss Katy qui désespérait de trouver quelqu’un pour combler le manque de son défunt mari, encore moins à Mister Travis qui ne me payait clairement que pour avoir une jeune femme à regarder, ce qui est avouons le, dégoûtant. Non, le soir devant Kuzco, mes sushis posés sur mes genoux il m’arrivait de penser à Simon. Cette pensée est dérangeante, c’est un patient, jeune, perdu certes mais il devait rester dans la bulle du travail. Alors forcément quand il finit par frapper à ma porte pour trouver asile, j’accepte de l’héberger. En toute logique…