Elle trouve ça magique, Hazel. Toutes ces couleurs sur les pancartes et cet arbre majestueux imprimé sur tous les t-shirts, symbole de leur mouvement écolo. Une partie du groupe vient défendre les ours polaires, puis les autres, les verts, veulent sensibiliser les londoniens sur la déforestation en Amazonie. Elle a longtemps hésité avant de choisir le parti qu'elle rejoindrait aujourd'hui. Après tout, elle milite autant pour l'un que pour l'autre. Sa casquette bleue marine plantée sur la tête, elle est presque trop fière d'afficher les couleurs du mouvement pour la défense de la banquise et des ours. Hazel, elle voudrait offrir au monde entier des solutions, des p'tits morceaux de victoire dans cet univers un peu trop sombre. Elle semble consciente des conflits qui peuvent régner dans certains pays et puis, parfois, elle est beaucoup trop perdue dans sa bulle pour ne pas voir plus loin. Sa bulle faite de paysages d'Afrique. Elle aurait souhaité que Solveig soit présente aujourd'hui pour militer mais elle peut comprendre qu'elle ait des obligations ailleurs. Alors, assise sur un banc, elle finit de lacer ses baskets tout en priant pour que cette journée lui occupe assez l'esprit. Depuis des jours, ses pensées ne tournent exclusivement qu'autour de Robbie. Et ça l'épuise, la ronge complètement au point où elle enchaine toutes les activités possibles et inimaginables pour ne plus penser à lui. Poterie, sport, recherches sur les acteurs, son roman, peinture, tout y passe. Pourtant, dès qu'elle se stoppe, le pompier vient à nouveau occuper toutes ses pensées. Elle ne devrait pas se mettre dans un tel état pour lui et c'est bien là tout l'intérêt de ces activités qui l'aident à l'effacer. Elle se plait à croire qu'elle finira un jour par l'oublier, qu'il ne sera plus qu'une ombre dérangeante dans ses souvenirs. Mais pas assez pour qu'il empiète définitivement sur sa vie. C'est ainsi qu'elle finit par rassembler ses cheveux bruns en une queue de cheval avant de remettre sa casquette. Elle se lève et rejoint le reste du groupe, voulant profiter au maximum de son après-midi. Plus tard, elle devra retrouver Jacob à la fin de son entrainement de foot. Mais pour l'instant, c'est les ours et les arbres qui ont besoin de son aide. On lui fait rapidement le topo sur le déroulement du parcours qu'ils vont entreprendre. Elle écoute, attentive, enregistrant le petit itinéraire que son groupe va prendre. Les programmes la rassurent toujours, il n'y a pas d'imprévu, pas d'obstacle et pas de mauvaise surprise, juste une route parfaitement programmée. Arrivée de l'autre côté du parc – Hazel a passé son temps à s'extasier sur le choix de manifester dans Hyde Park, brillante idée, c'était vraiment l'endroit idéal – le groupe se disperse un peu. Chacun se dirigeant vers des inconnus ou d'autres groupes pour débriefer sur leur sortie. Hazel reste plantée au milieu du trottoir pour les observer et resserre contre sa poitrine, sa minuscule pile de prospectus. Il lui reste encore du temps et des papiers à distribuer. C'est à ce moment-là, de l'autre côté de la rue, qu'elle le repère. Un simple inconnu, assis là tout seul depuis que son groupe à quitter Hyde Park. Elle ne lui jette que quelques coups d'œil, comme ça, de temps en temps. Après tout, peut-être attend-t-il quelqu'un. Mais après de longues minutes, Hazel se décide à traverser la route pour venir se planter devant son banc. « Salut. » Elle attend que l'homme daigne lui accorder un regard. Alors elle fait un p'tit pas de plus pour se rapprocher de lui. Mais pas trop quand même. Elle est tellement dans son trip d'écolo qu'elle n'a même pas réfléchi avant de venir le déranger. Finalement le visage de l'inconnu se relève vers le sien et elle lui adresse un sourire tout doux. Sa naïveté est imprimé partout dans ses traits, c'est ridicule. Elle tend le prospectus. « Tu veux sauver un ours et la banquise ? »
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(✰) message posté Mar 7 Avr 2015 - 16:31 par Invité
C’était clope ou rien. Je repensai au maigre bout de pain qui siégeait sur le plan de travail dans la cuisine et que j’avais oublié de manger. Je passai discrètement la main sur mon ventre puis remontai jusqu’à ma cage thoracique et je pouvais sentir mes côtes, bien rangées, bien courbées, parfaitement alignées, là, sous mon manteau, sous ma chemise, sous ma peau. Sauf qu’elles étaient beaucoup trop là, justement. Mais je n’avais toujours pas faim. Ça me soulevait presque le cœur de songer à manger. Je préférais oublier de le faire, quitte à devoir être l’ombre de moi-même durant des jours. Ce qu’il y avait de bien, lorsque l’on était moi, c’était que les autres ne savaient jamais ce que c’était, l’ombre de moi-même. J’étais fondamentalement déjà une ombre et je ne changeais pas vraiment. Alors je ne faisais que me nourrir de tabac, tout simplement. Je finirai peut-être par les manger, ces foutues clopes, le jour où je n’aurai plus assez de force et d’habilité dans les doigts pour craquer mes allumettes sans les casser ou sans que la flamme ne s’éteigne. Il paraît que le tabagisme protège de Parkinson. Je manquais vraiment de chance, franchement. Cancer, empare-toi de moi et fais-moi réagir. Je m’ennuie, Dieu du ciel. Je voulais bien croire en ma mauvaise volonté mais je faisais tout de même quelques efforts, les jours de beau temps. Pourtant, les souvenirs s’envolaient, un à un. Je ne les oubliais pas vraiment – ils étaient juste flous dans mon esprit, sans que je trouve un intérêt particulier à effacer la buée qui les avait recouverts.
Je me redressai, sans cesser de fixer un point sur le sol. Ce banc me semblait toujours confortable. Il m’était fidèle – oh, non, attendez, c’est moi qui ne le lâchais pas. J’étais sûr de pouvoir retrouver la trace de mes chaussures, l’un de mes mégots ou bien une entaille que j’avais fait il y a longtemps dans le bois en attendant sur ce banc. Attendre quoi ? Rien. Le temps lui-même. Je ne portais plus de montre depuis si longtemps : je pensais que ça allait me faire déprimer car ça pouvait me rappeler à quel point ce fameux temps était long. Encore une heure. Soixante minutes. Trois mille six-cent secondes. Et je les comptais une à une. Elles étaient bien alignées, comme mes côtes. Je n’avais pas besoin de montre car j’étais déjà une horloge vivante. Je ressentais le temps passer, se décomposer en moi, devant moi, et je ne pouvais rien y faire, à par me plier à ses exigences. Je jetai un coup d’œil aux alentours. Dommage que personne ne vienne. J’aurais pu tenir n’importe quelle conversation. Je basculai la tête en arrière et fermai les yeux, cigarette plantée entre les lèvres, mes bras posés le long du dossier. C’était tout de même une belle journée de printemps, je ne pouvais pas le nier. Voilà comment je faisais semblant d’aller bien. De ne pas être un alcoolique plus maigre que mes propres allumettes. Je regardai ma plaie avec amusement. Elle guérissait. Cela m’arracha un sourire. Elle m’abandonnait à son tour. Heureusement que les points de suture laisseraient une jolie cicatrice. Je ne voulais pas oublier cela non plus. Une véritable blessure de guerre. Peut-être que j’avais l’allure d’un vétéran désabusé. Misère, moi qui n’aimais pas les soldats. Sérieux, j’aimais qui alors ? Arrête d’être chiant, Tom.
Mon regard se posa sur les passants dans la rue. Les associations écolo étaient de sortie et harponnaient les piétons avec de larges sourires prometteurs et des prospectus couverts d’inscriptions pleines d’espoir. Oh, eux non, ils n’avaient pas conscience du temps qui passait. Mais je comprenais leur engouement et leur altruisme. Heureusement qu’ils existaient, même si leurs actes ne servaient pas à grand-chose. Franchement, l’écologie, c’était comme un vaccin : si tout le monde ne le prenait pas, le virus se propageait. Et allez convaincre l’intégralité des hommes que, oh, sérieux, le tri des poubelles augmentera notre espérance de vie de quarante ans. Allez convaincre un homme comme moi, dont l’espérance de vie était déjà périmée depuis longtemps. Vous le sentez, là, le manque de crédibilité ? Mais j’attendais qu’ils essayent. Lequel me remarquerait en premier ? C’était vrai que je me fondais parfaitement dans le paysage, assis sur mon banc. On passait devant moi mais on ne me voyait pas. On ne remarquait pas les ombres, c’était si naturel. Et puis, quoi, on me parlerait de pollution alors que j’avais une clope au bec ? J’étais égoïste, je ne me sentais pas concerné. Pas de descendance à protéger de l’apocalypse.
« Salut. » Mes yeux glissèrent vers une silhouette fine et élégante qui se tenait à présent devant moi. J’attrapai ma cigarette et la toisai, les sourcils haussés. Hop, un Tom harponné. Restait à savoir ce qu’elle allait me sortir. Un mince sourire se dessina sur mes lèvres. « Tu veux sauver un ours et la banquise ? » Je décollai mon dos du banc, croisai les jambes et me penchai vers elle, amusé, saisissant son prospectus sans le regarder. C’était sacrément loin la banquise. Et j’avoue ne jamais avoir vu d’ours dans ma vie – il était donc possible que je n’éprouve absolument aucune empathie pour ces animaux-là. Je posai ma tête au creux de ma paume et tapotai machinalement le filtre de ma cigarette pour en chasser la cendre. « C’est le premier jour de beau temps, tu veux pas attendre un peu avant de me parler de réchauffement climatique ? » demandai-je dans un sourire. Misère, je ne voulais pas qu’elle s’en aille non plus ! Elle me faisait passablement oublier les secondes qui me martelaient la tête. Qu’est-ce qui se cache derrière le squelette assis sur le banc d’en face, quoi, un cœur ? Tu y crois vraiment à ces choses-là ? Cela ne m’étonnait pas qu’elle garde le sourire et qu’elle se batte pour les ours. Il en fallait bien des gens pour surmonter une connerie comme la mienne ! « Mais je suis sûr que tu arriveras à me convaincre alors je t’en prie, essaie donc. » poursuivis-je avec une malice presque moqueuse. Désolé, mais c’était moi qui harponnais les gens et non l’inverse.