(Jasper) Une rencontre par hasard

Patienter en ligne n'était pas mon genre. Levant les yeux au plafond et soupirant, je signifiai rapidement aux gens qui se trouvaient en face de moi que le service était long, trop même. Et que ce n'était absolument pas nécessaire de commander une quinzaine de cafés tout aussi compliqués les uns les autres. Ma patience avait ses limites, très courtes d'ailleurs. Mais bon, j'avais beau taper du pied, pianoter sur mon cellulaire et lever les yeux au ciel, la file n'avançait pas plus vite. J'allais finir par prendre racine....

Un long moment plus tard, j'arrivai finalement devant la serveuse pour commander mon smoothie avec calories réduites. Cela allait constituer mon repas. J'allais l'agrémenter de fibres et de caféine pour tenir. Après tout, il fallait que j'étudie.... Oui... étudier. Un mot qui ne fonctionnait pas avec moi-même.... Manger non plus d'ailleurs. Mais bon, je n'avais qu'avaler deux-trois carottes au déjeuner... De toute façon, je prenais le format le plus petit... « Il est prêt, mademoiselle... » me dit la serveuse quelques instants plus tard avec un sourire. Sans lui dire merci ni lui lancer un regard, je pris mon breuvage pour me diriger vers une table dans un coin. Je n'avais pas envie d'être dérangée par des abrutis qui parlaient trop forts. Parce qu'il y en avait tout prêt de la fenêtre. Et j'avais la forte envie de leur lancer quelque chose en arrière de la tête. Oui, j'étais colérique! Et alors?

Je m'assieds donc dos au mur et observai les gens autour de moi. Pour la plupart, ils venaient de la classe moyenne. Après tout, un café chez Starbucks, ce n'était pas donné. Une chance! Je ne voulais pas voir des gens pauvres par ici. Cela agressait ma vue. Bref, je déposai mon téléphone sur la table, et sortit mon livre.

Le dégoût se lut immédiatement dans mon regard. Je n'avais aucune réelle envie d'étudier. Je commençai donc à envoyer des sms à Damian. D'ailleurs, ce dernier venait de me dire qu'il venait d'être largué. « Quoi? » m'exclamais-je haut et fort. J'entrepris de lui répondre que s'il avait besoin, que j'allais venir à sa rescousse. Mais il ne semblait pas beaucoup affecté par la nouvelle, bien que je savais pertinemment qu'il n'en était pas tout à fait heureux non plus.

Mais alors que j'allais prendre mon livre pour tout de même aller le rejoindre, j'entendis une voix familière dans le restaurant. Je levai le regard. Effectivement, Jasper était là. Je levai les yeux au ciel, mais je n'étais pas déçue de le voir. Simplement une habitude. Mauvaise. Mais bon. J'étais jolie. Je ne pouvais pas avoir toutes les qualités, non? « Jasper? » lui dis-je, lui faisant signe qu'il pouvait s'approcher.

Sur le coup, j'avais été sotte en lui faisant signe, parce que Jasper avait le don incommensurable de me taper sur le système, comme un grand frère embêtant. Mais il allait au moins servir à quelque chose, me détourner de ce bouquin encore plus irritant que lui. Lorsqu'il me vit, il vint dans ma direction. J'étais surprise, puisqu'il y avait une fille avec lui. Sacré profiteur! Bref. Lorsqu'il fut en face de moi, il me sortit une réplique qui me fit lever une nouvelle fois les yeux au ciel.  « Je suis presque étonnée de te voir là, Juliett. Ton allergie au bas peuple ne s’est pas encore réveillée ? » me dit-il. Je lui fis un sourire sarcastique. « Je pense qu'elle est en train de se réveiller... » lui dis-je en faisant semblant d'éternuer, lui signifiant fort bien qu'il en faisait parti. « Qu’est ce qui t’amène dans le coin ? Hormis prendre un café évidemment… T’es pas du genre à aimer les lieux aussi bondés, non ? » me demanda-t-il. J'haussai les sourcils. « Et une boite d'après toi, c'est pas bondé? » lui dis-je, toujours aussi sarcastique. J'avais le don de faire sentir les gens complètement cons face à leur question. D'ailleurs, c'était un de mes défauts qui feraient de moi une excellente avocate si jamais je me décidais à enfin prendre mes études au sérieux. Mais bon, ce n'était pas prêt d'arriver au regard du peu d'effort que je mettais à étudier. « Et tu ne vois pas mon livre? Je fais semblant d'étudier....  J'y arrive presque! » dis-je en haussant les épaules.

Jasper avait l'air extrêmement surpris de me voir ici. « Dis-moi, tu enlèves cette expression de poisson mort de ton visage ou quoi? » lui dis-je, relevant ce fait. « Au fait, c’est toi qui t’es exclamé à haute voix ? J’ai cru entendre ta voix au loin en train de t’indigner… » me demanda-t-il. « Oui, ce devait être moi! Y'as mon meilleur pote qui s'est fait largué par un connard. » lui dis-je, reportant mon attention sur mon téléphone. J'envoyai un nouveau texto à Damian, parce qu'il ne me répondait plus. Mais bon, c'était un grand garçon, il allait s'en sortir! J'en étais convaincue! « Et toi, que viens-tu faire ici mise à part obtenir des numéros à droite et à gauche? » lui demandais-je à mon tour en serrant mes bras contre ma poitrine. Je faisais référence à ce qu'il faisait seulement quelques minutes plus tôt.

« Parce que si on suit ton raisonnement, il faut avoir une bonne raison pour venir dans un Starbuck.... » lui dis-je avec un nouveau sourire sarcastique. Bref, Jasper m'emmerdait. Discuter avec lui était tout un sport, mais au final, j'aimais bien. Parce que je ne pouvais pas m'empêcher de recommencer, encore et encore....

Jasper m’emmerdait, mais c’était quelqu’un que j’appréciais malgré tout, parce qu’il était capable de me répondre. Il avait une de ses réparties et je ne pouvais m’ennuyer avec lui. Mais il ne fallait absolument pas qu’il sache, parce qu’il aurait les chevilles enflées et ce n’était certainement pas bénéfique pour lui.  « J’imagine que si tu vas en boîte de nuit, c’est pour montrer au commun des mortels à quel point tu leurs es supérieure, qu’ils ne peuvent pas t’arriver à la cheville même si ils le voulaient… Attention, Juliett, à force de prendre la grosse tête, tu vas finir par chuter de ton magnifique piédestal. » me répondit-il enfin. J’eus un sourire amusé. « Une reine ne tombe pas de son piédestal. Mais bon, promis, je ferai attention.... » lui dis-je en lui faisant un clin d’œil. « Comme tu l’as si bien fait remarquer, je viens récolter de nouveaux numéros pour mon répertoire téléphonique et récupérer quelques bons plans au passage. Sois pas jalouse de mon succès. Un jour, tu connaîtras la gloire aussi. Quoique non, tu la connais déjà. T’es jolie et t’as une cuillère en or massif dans la bouche. Pour la moitié des mecs, c’est suffisant pour que tu fasses parti de leurs tableaux de chasses. Ils pensent t’avoir alors qu’au final, tu es un des filles les plus inaccessibles de tout Londres. » me dit-il. Je n’étais pas prête à l’admettre haut et fort, mais il avait raison. «  Au moins, tu sais reconnaitre la vérité... » glissais-je tout de même. Les mecs étaient à mes pieds, mais même s’ils pouvaient me gouter, ils ne me consommeraient jamais vraiment. Personne n’était assez bien pour moi... J’étais d’une inaccessibilité irrationnelle. Mais bon, cela ne m’empêchait pas de me sentir seule, même si j’aimais cette attention excessive de la part des mecs, et parfois des filles. Je serrai les mains à cette pensée. Mon esprit venait de dériver vers Lemon. Et cette fille me mettait excessivement en colère. Bref.

« Bon, sérieusement, si je suis venu dans le coin, j’ai juste parce que j’avais envie d’une boisson chaude un peu plus élaborée que le basique chocolat chaud et j’espérais revoir la fille qui m’a donné son numéro, justement. Désolé de briser le mythe du Don Juan en cinq minutes d’écart. Ne va pas croire que je suis le genre de mec à prendre toutes les filles pour des bouts de viandes. » me dit-il. Une expression de surprise s’étala sur mon visage, mais je la cachai rapidement. « OH MON DIEU! TU VIENS DE CASSER LE MYTHE! » dis-je, m’exclamant un peu trop de façon excessive. « Je pensais sérieusement que tu t’enfilais toutes les filles une par une. Je ne vais pas dormir de la nuit! » ajoutais-je, mais je levai les yeux au ciel. En fait, je m’en fichais qu’il soit un bon gars ou pas. Tout ce qui m’intéressait, en fait... je n’avais aucune idée de ce qui m’intéressait dans notre relation. Étrange, non? Bref. « Elle t’intéresse tant que cela? C’est juste une serveuse... » dis-je d’un ton dédaigneux. Peut-être allais-je le blesser, mais à vrai dire, je ne pensais absolument pas à ça.

Prenant une gorgée de mon smoothie, mon regard dévia de Jasper à la fille en question. Elle me semblait gentille, mais sans plus. Pas vraiment d’avenir devant elle. Mais peut-être jugeais-je trop vite? Haussant les épaules, je reportai mon attention sur Jasper, le fixant droit dans les yeux.

 « Une reine ne voit jamais sa chute arriver. Elle s’en rend compte que trop tard. » me dit le jeune homme. J'haussai les épaules. À vrai dire, je me fichais pas mal de ce qu'il pouvait penser sur le sujet. « Pense ce que tu veux. » lui dis-je simplement d'un ton calme. J'avais des idées bien arrêtées et ce n'était certainement pas Jasper qui allait me faire changer d'avis.   « Sincèrement, j’espère que tu ne comptes pas devenir actrice… Parce que si c’est le cas, va falloir vraiment que tu prennes des cours. Enfin, au moins, ta manœuvre a réussi. Tout le monde te regarde. Félicitation miss-je-ne-peux-pas-vivre-sans-être-le-centre-du-monde. » me dit-il lorsque je m'exclamai haut et fort. Je lui fis un petit sourire satisfait. « Lorsque je souhaite qu'on me remarque, je réussis haut la main, comme tout ce que j'entreprends d'ailleurs.... » lui dis-je avec un clin d'oeil. « Tu sais quoi? Je pense que justement, je ferais une très bonne actrice, parce que dans le rôle de la fille qui est capable de te supporter, j'excelle! » ajoutais-je toujours avec un sourire étalé sur les lèvres. J'aimais bien l'embêter, l'insulter à ma guise. Cela me défoulait totalement. Et me faisait un bien fou, étrangement.

Mon attention se reporta alors sur la fameuse serveuse qui parlait à Jasper il y avait de cela quelques minutes à peine. « Cette serveuse comme tu dis… C’est l’ex de mon demi-frère. Donc, non, je ne la draguais pas même si le fait qu’elle travaille dans un café ne me dérange absolument pas. Tout le monde ne s’intéresse pas qu’à l’élite, vois-tu. On n’est pas tous issus d’une famille pleine aux as qui souhaite que tous leurs enfants choisissent un bon parti. Je voulais juste savoir comment elle allait. » me dit-il d'une traite. Je croisai alors les bras sur ma poitrine, sur la défensive. « Je te trouve très proche d'elle pour l'ex de ton demi-frère. Mais bon... » lui dis-je en haussant les épaules. « Tu fréquentes ce que tu veux, hein? Tant que je ne suis pas obligée de les approcher... » ajoutais-je. Mais bon, je me fichais de qui il pouvait fréquenter. Je n'étais pas assez souvent à ses côtés pour que ça ait une quelconque impact sur ma popularité envers les gens de ma classe sociale.

« Tu sais que tu t’entendrait parfaitement avec ma demi-sœur ? Ça ne m’étonnerait même pas qu’on apprenne que vous soyez des jumelles séparées à la naissance… » ajouta-t-il. « Ah oui? Tu me la présenteras, alors? » dis-je, mais évidemment, je m'en fichais pas mal.    « Dis-moi… T’as déjà réussi à garder un mec plus de deux mois d’affilée dans une relation ? ou tu les jettes après usage dans les vingt-quatre heures ? » me demanda-t-il alors.

Je le toisai quelques instants. La conversation dérivait vers un sujet que je n'aimais absolument pas. Et quelque chose me disait que Jasper en jouait. Mais bon, c'était de ma faute. C'était moi et moi seule qu'il fallait blâmer. J'avais amorcé la discussion dans cette direction... « Je ne crois pas qu'il s'agit de tes affaires... » lui répondis-je, tout simplement.