Je pinçai mes joues avec vigueur devant le miroir de la salle de bain. Cela faisait maintenant dix minutes que je tentais tant bien que mal de redonner un peu de couleurs au visage pâle que me renvoyait la glace. Rien n’y faisait. J’avais recourbé mes cils d’un coup de mascara et teinté mes lèvres d’un rouge discret. Je donnai du volume à mes cheveux d’un geste distrait de la main et lâchai un discret soupir. Peut-être que tout cela n’existait que dans ma tête. Peut-être que les autres ne le voyaient pas, que de l’extérieur, tout ceci passait inaperçu. Et que ce n’était que moi qui, à présent, en faisais une obsession. Peut-être que je n’avais pas l’air si fatiguée, si éteinte, si malade. Cette sensation était omniprésente, elle prenait le pas sur chacune de mes décisions. L’engluement. Et si ça ne s’arrêtait jamais ? Si ça ne revenait plus ? Ces jours où j’étais en pleine santé et où je n’en profitais pas assez ? Cette quiétude généralisée somme tout assez commune qui paraît être une évidence pour beaucoup et dont on n’est pas assez conscient, jusqu’au jour où elle disparaît. Je m’étais forcée aujourd’hui. Je m’étais forcée à aller à mon rendez-vous, je m’étais forcée également à ne pas appeler Adriel pour décommander notre soirée. J’irai mieux une fois là-bas, une fois avec elle. J’irai mieux en sa présence, en société, plutôt qu’enfermée chez moi, à me morfondre dans mon mal-être. Je me répétais, de plus, sans cesse qu’il ne s’agissait ici pas de moi. Adriel était lumineuse et solaire. Durant toutes ces années, nous ne nous étions jamais éloignées, sans doute pour cela. Sans doute pour ces différences qui nous liaient, grâce à ces différences qui nous caractérisaient. Nous avions appris à nous accorder, je trouvais sa façon d’envisager la vie bien plus attrayante que la mienne, je l’enviais même. Sa bonne humeur avait le pouvoir de réchauffer le plus glacial des cœurs. J’avais pourtant su déceler dans sa voix une pointe d’inquiétudes, un léger malaise que je n’avais pas su définir. Ce n’était pas son genre, ça ne l’avait jamais été. Je ne pouvais décemment pas lui faire faux bond, je n’en avais pas envie. Je voulais être présente, être présente pour elle comme elle l’avait été durant toutes ces années sans jamais rien demander en retour. Je glissai mes pieds dans mes bottes en daim et grimaçai légèrement en me relevant, les talons tirant sournoisement le bas de mon dos affaibli. J’attrapai mes clés négligemment juste avant de fermer la porte derrière moi, et de m’engouffrer dans l’ascenseur. Je ne finis d’enfiler mon manteau noir qu’une fois sur le trottoir, au bas de mon immeuble. Le reste du trajet défilait dans mon esprit comme un rêve embrumé, sans que je n’y fasse réellement attention. Je circulai dans les couloirs du métro bondés à cette heure-ci, comme un automate souple, guidée uniquement par ma mémoire des stations et les vagues annonces automatiques étouffées par l’agitation ambiante. Je me pinçai la lèvre à la sortie et pressai le pas volontairement dans la rame pour rejoindre l’extérieur. J’étais en retard, comme à mon habitude. Je plissai les paupières en balayant la salle du regard, à la recherche de la chevelure noire reconnaissable de mon amie, et un léger sourire se dessina sur mes lèvres lorsque je l’aperçus enfin. Je retirai déjà mon manteau distraitement en arrivant à sa hauteur. « Je suis contente que tu sois là Lexie. » Je me penchai vers elle, venant déposer mes lèvres fraiches sur sa joue déjà tiède avant de tirer le siège à ses côtés. « Excuse-moi pour mon retard, c’est une sale habitude. » soufflai-je en m’asseyant au bar. « Je nous commande des verres ? » demandai-je en lui adressant un léger sourire et en attirant l’attention du barman. Je posais la question d’un air entendu, comme si je voyais déjà à son sourire forcé que quelque chose n’allait pas, que son esprit était ailleurs. « Comment vas-tu ? » m’enquis-je enfin en me tournant complètement vers elle, pour lui signifier que j’étais toute à elle, qu’elle pouvait cesser de donner le change et me dire ce qui la travaillait, et si j’avais su lire en elle lors de notre dernière conversation.