Le hasard a de l'humour, non ? Jodie&Galahad

La soirée venait de commencer. Galahad avait passé la journée au HMV et il avait décidé que, pour se changer les idées après sa journée de travail, il irait à un bar sympa de Soho dont on lui avait parlé il n’y avait pas si longtemps que cela. Non pas que bosser le dérangeait ou l’emmerdait, au contraire, il adorait son job et ne changerait pour rien au monde, mais là n’était pas le problème. Le problème, c’était que depuis l’arrivée de son ex, Jodie, en ville, le jeune homme était, comme qui dirait, aux aguets. Sa dernière conversation avec elle remontait à quelques jours déjà et il redoutait le moment où elle repasserait à son lieu de travail pour acheter son fameux coffret DVD. Il espérait sincèrement ne pas être là quand elle repasserait, aussi lâche soit cet espoir. Mais c’est qu’il ne voulait vraiment pas la revoir de sitôt s’il pouvait l’éviter. Son ironie grinçante, son comportement hautain, son mépris évident à l’endroit de Delilah, tout ça l’insupportait au plus haut point et il n’avait pas envie de lui reparler, ça non. Il avait envie de croire qu’elle finirait bien par le laisser tranquille, de même que Delilah, mais ce serait là faire preuve d’une immense naïveté. Quoique, naïf, il l’était, non ? Il voulait croire que tout finirait par s’arranger, que son ex repartirait là d’où elle était venue… Ouais, belle naïveté que cela.

Le pire, c’était bien qu’elle était venue à Londres pour l’emmerder. Ah oui, et pour ses soi-disant études en art. Peut-être étudiait-elle réellement dans ce domaine, oui peut-être. Mais Gal se doutait que ce n’était pas la seule raison. Ça commençait à l’angoisser, en vérité. Lorsqu’il sortait de chez lui, il s’attendait presque toujours à la croiser « comme par hasard », un sourire moqueur plaqué sur sa tête de Barbie. Il devenait légèrement paranoïaque. Et ça ne faisait que quelques jours depuis l’incident au HMV, se rappelait-il alors. Dans quel état serait-il quelques semaines plus tard ? Il allait devenir fou ou quoi ? Eh merde. Il aurait vraiment voulu se confier à quelqu’un – à Delilah pour être plus précis – mais d’un autre côté, il savait que la nouvelle l’angoisserait à son tour. Elle n’aimait pas Jodie non plus, elle ne l’avait jamais aimée. Elle s’en méfiait, même. Gal ne voulait pas l’inquiéter à ce sujet, surtout pendant la période des Fêtes. Il n’était pas égoïste à ce point. Il se disait qu’il allait bien finir par lui en parler, mais… plus tard. Après le Jour de l’An, disons. Ouais, ça lui semblait idéal. Ça ne gâcherait pas Noël ni le Jour de l’An, c’était parfait. Il espérait sincèrement qu’elle ne lui en voudrait pas d’avoir gardé ce secret, cependant. Car si la brunette était fâchée contre lui pour ça, en plus de Jodie qui tournait comme un vautour au-dessus de leurs têtes, ce serait le bouquet. La cerise sur le gâteau.

Mais bon, pour l’heure, il préférait ne pas y penser. Il s’installa au comptoir, commanda une bière et espéra passer une bonne soirée malgré tout. Il aurait dû inviter quelqu’un à le rejoindre, ce serait malin s’il finissait par déprimer, seul au bar, à cause de cette peste de Jodie. Elle n’était même pas dans la même pièce que lui et elle trouvait le moyen de l’agacer, elle était impossible cette fille. C’en était frustrant. Il but sa bière en ravalant sa frustration, cependant. L’ambiance était bonne, les gens étaient heureux d’être enfin en vacances, enfin pour la plupart, et puis il n’y avait aucune raison de bouder ou d’être de mauvaise humeur. Enfin, si, lui il avait une bonne raison de l’être, mais il allait faire de son mieux pour ne pas l’être, voilà, point barre.

C’est alors qu’une conversation juste à côté de lui attira son attention. Il s’agissait de deux mecs qui poussaient de petits rires gras et qui, de toute évidence, parlaient d’une femme. Leurs intentions étaient claires et Galahad les aurait bien laissés faire avec un sourire amusé s’il n’avait pas reconnu la femme qui faisait l’objet de tant de… commentaires obscènes, disons les choses comme elles sont. C’était une jeune femme aux cheveux blonds qui lui arrivaient à l’épaule. Elle était assise au fond, son laptop devant elle. Elle écrivait un texte, de toute évidence. Et dès que Gal posa les yeux dessus, son cœur arrêta pendant une seconde. Jodie. Merde. Jodie l’avait suivi ! Comment osait-elle ? Il n’y avait pas une loi contre ça ? Il avait bien envie de le savoir. Et puis, de quoi pourrait-il bien l’accuser, sans preuve ? Non, il ne pouvait rien faire de concret contre elle. Sauf aller lui parler. Le visage sombre, Gal finit son verre d’un trait et décida donc d’aller lui dire deux mots, à celle-là. « Laissez faire, les gars, c’est moi qui vais l’aborder d’abord, cette fille, » gronda-t-il aux deux hommes à côté de lui. Sur ce, il se leva et se dirigea d’un pas décidé vers Jodie.

Lorsqu’elle sentit sa présence près d’elle, Jodie leva la tête et… lui sourit. Comment pouvait-elle faire comme si de rien n’était ? Ça devait faire partie du jeu, supposa-t-il. De son jeu, qu’elle avait inventé. Pourtant, à la regarder, il se rendit compte qu’elle semblait tout aussi surprise de le trouver là que lui de la trouver là. Étrange. Ah mais attendez, elle devait faire exprès, voilà tout. Il n’allait pas se laisser prendre au piège. Et tant pis si on le prenait pour un demeuré ou un paranoïaque tout droit sorti de l’hôpital. « Je ne suis pas venu pour bavarder du beau temps avec toi, alors garde ta salive. J’aimerais savoir depuis quand tu me suis, Jodie. Et j’aimerais encore plus que tu arrêtes de le faire. » Il avait fait de son mieux pour garder un ton de voix modéré, afin de ne pas attirer l’attention des autres. Pas envie de faire une scène devant tout le monde, quoi. « Je ne sais pas ce que tu espères profiter de tout ça, mais ça suffit. » Ils étaient dans un bar – un lieu public – alors techniquement, il ne pouvait pas lui demander de partir puisqu’il n’était pas le propriétaire. Mais Jodie comprendrait ce qu’il voulait dire. Après tout, c’était son jeu, elle comprenait les règles et le fonctionnement. Oh oui, elle comprendrait.

Tomber sur Jodie dans un bar, c’était vraiment une coïncidence des plus cruelles. Enfin, pouvait-on réellement parler de coïncidence ? Galahad avait envie de dire non. Il avait l’impression que cette peste était prête à tout pour lui pourrir la vie et quoi de mieux pour ça que de le suivre partout où il allait, tout en faisant comme si de rien n’était ? Elle le prenait vraiment pour le dernier des demeurés si elle pensait qu’il allait gober ça. Il avait appris à se méfier d’elle après leur rupture. Il savait à quoi s’en tenir, à quoi s’attendre de sa part. Elle se la joua innocente, naturellement. Il aurait dû le prévoir, le voir venir à des kilomètres. Elle n’était pas suffisamment honnête pour admettre qu’elle n’était venue que pour l’emmerder.

Mais elle jouait le jeu jusqu’au bout, lui montrant son ordinateur ouvert. Effectivement, elle était en train de taper un texte, il le voyait bien. N’empêche, il n’aimait pas la savoir dans la même pièce que lui. Il n’était pas à l’aise, allez savoir pourquoi. Peut-être parce qu’au fond, il savait qu’il pouvait se faire manipuler par elle à tout moment. Il n’était pas stupide, enfin il aimait à le penser du moins, mais il savait qu’il y avait encore en lui une part de naïveté, le tout enrobé d’une bonne dose d’impulsivité juvénile. Ça ne faisait pas un bon mélange, comme lorsqu’il avait larguée la jolie blonde, à Melbourne. Il n’avait pas réfléchi sur le coup, il l’avait plaquée simplement parce qu’elle avait dit du mal de sa meilleure amie. Ouais, sur le coup, ça lui avait paru la meilleure idée, parce que Jodie n’était pas une fille bien. Si ça se trouvait, elle ne l’avait jamais aimée ; il n’avait été qu’un amusement de passage, s’il pouvait dire les choses ainsi. Un jouet ? Non, pas à ce point-là. Surtout qu’avec un tel mot, il repensait inévitablement à toutes les fois où ils avaient couché ensemble, ça le faisait intérieurement grimacer. Enfin, il n’était plus avec elle, de toute façon. Et c’était tant mieux, bon débarras. N’est-ce pas ?

Et pourtant, il la regardait, fière et composée, l’image parfaite d’une femme forte. Il devait admettre que, forte, elle l’était. Salope jusqu’au bout des ongles, certes, mais forte tout de même. Une femme qui ne se laissait pas marcher sur les pieds, une qualité qu’il avait toujours appréciée chez les autres. Il n’aimait pas les gens faibles, trop coincés. Ça devait être pour ça que Jodie lui était tombée dans l’œil, la première fois qu’il l’avait vue. Cette fille dégageait une confiance absolue, à toute épreuve, apparemment. Il sourit malgré lui en rejouant dans sa tête ce qu’elle venait de lui dire. Son sarcasme était toujours aussi tranchant. Il répondit, d’un ton incrédule : « Pour les études, ouais, comme tu dis. Les études et rien d’autre, bien sûr. » Comme si ses études pouvaient l’empêcher de le suivre ! Plus il y pensait, plus il se disait que tout cela, c’était une excuse pour pouvoir le suivre, en réalité. Peut-être qu’il devenait paranoïaque, aussi. Peut-être bien. Tel était l’effet que Jodie lui faisait, songea-t-il avec mauvaise humeur.

Cela dit, lorsqu’elle l’invita à prendre place à sa table, il haussa un sourcil. À quoi est-ce qu’elle jouait, à présent ? Elle voulait lui prouver qu’elle pouvait être cordiale lorsqu’elle le voulait ? Ou alors cherchait-elle à sauver les apparences devant le reste du bar. Enfin, non. Jodie ne se souciait pas de ce que les autres pensaient d’elle, aux dernières nouvelles. Il ne comprenait pas trop où est-ce qu’elle voulait en venir, mais il avait l’intuition qu’il n’allait pas tarder à l’apprendre. Elle lui lança alors un sous-entendu, sans aucun doute à caractère sexuel, et ses joues virèrent au cramoisi. Il ne voulait pas du tout penser aux bons moments qu’ils avaient passés ensemble, parce que oui, il y en avait eu. Il préféra donc ignorer le sous-entendu, ne voulant pas embarquer dans son jeu. Lui aussi, il avait mieux à faire. « D’accord, juste une bière, » consentit-il, un peu à contrecœur. Allons, qui était-il pour refuser un verre ? Il s’assit donc en face d’elle, les bras toujours croisés, les dents toujours serrés. Peut-être qu’un verre l’aiderait à mieux relaxer. Jodie commanda les deux consommations, tandis qu’il se demandait avec une légère inquiétude comment la soirée allait se terminer. Il relança la conversation, méfiant : « Alors, qu’as-tu donc de mieux à faire que de me suivre, Jodie ? Faire de la diffamation dans le dos des gens, peut-être ? Ça te ressemblerait bien. » Autant être direct avec elle et puis, elle le connaissait assez bien pour savoir qu’il ne prenait pas de gants lorsqu’il avait quelque chose à dire.