La bombe humaine ( Russell )

Né à Londres le neuf novembre, mille neuf cent quatre-vingt-neuf, alors que toute l'Europe avait les yeux figés sur le mur de Berlin et sa chute, tu as pris tes premières respirations. Russell John Weirn. Russell comme ton grand-père paternel et John comme celui de ton arrière-grand-père maternel. Ce fut la réunification d'un peuple, le déploiement de sa liberté et le début de ta prison dorée. Ceci dit, tu ne peux qu'être reconnaissant d'avoir cette prison, car c'est grâce à elle que tu n'as jamais manquée de nourriture, ni d'un toit. Tu as eu aussi le privilège d'accéder à de bonnes écoles ; Windlesham School dans ton enfance et ensuite l'internat de Strathallan en Ecosse. Et puis finalement, tu as intégré l'université de Cambridge. C'est tout ce que tes parents avaient programmé bien avant ta naissance. Ton père, c'est un homme de loi, oui alors toi aussi. On t'a jamais demandé si tu voulais bien le devenir. Tu as jamais eu trop le choix. Faut bien quelqu'un pour reprendre le cabinet de la famille et forcément, tu es l'ainé. Charlotte elle, elle est plus libre, elle peut s'habiller en punk quand elle revient de l'internat, juste pour faire rager père parce que c'est la petite dernière. Tu envies les libertés qu'elle a. Toi aussi adolescent, tu aurais adoré faire crier tout le monde parce que tu es revenu avec un tatouage. Ce genre de bêtise qu'il t'a été impossible de réaliser. Tu n'es pas réellement propriétaire de ton corps, car il y a ce sang qui appartient au Weirn. Tu es dans le moule qu'ils t'ont formé, qu'ils ont prévu pour toi et tu ne peux t'en défaire. C'est strictement impossible. Tu travailles au cabinet de ton père et tu as ton appartement dans les beaux quartiers de Londres.

Le matin, tu te lèves aux aurores, tu t'habilles pour être cette image qu'on veut que tu sois. Un homme sorti d'une publicité, un homme qui n'existe pas vraiment, un homme qui n'est pas toi qui ne seras jamais toi. Tu vis avec ses chaînes et tes parents peuvent être des plus cruels si tu ne suis pas leurs sentiers. Ça va des employés de maison qui surveille tes faits et gestes, ou quand tu étais plus petit, de la gouvernante, aux professeurs ou aux surveillants. Tu n'as jamais réellement pu « respirer » ou alors si en courant, en courant le plus vite possible de cette étaux. Oui, tu as toujours couru. On appelle cela un sport, toi ta définition, c'est la liberté. Courir vite, très vite ou courir à une bonne allure et pendant longtemps. Loin de cette maison, loin des internats, loin des lois, loin des personnes qui surveillent le moindre de tes gestes calculés par avance. Le piano aussi te permet de t'échapper.

Parfois, tu as des rêves. Bien sûr, ils sont immédiatement démontés par la réalité. Dès ton enfance, tu as rêvé de fuguer. Une fois, Catherine, une de tes gouvernantes, t'a conduit au cirque. Tu étais petit et celà avait déclenché des émotions que tu n'avais jamais éprouvées avant cela. Tu aurais aimé trouver une troupe de cirque comme celle-ci et tu serais devenu un de ses artistes de scène qui virevolte le soir. Tu aurais été au milieu de la piste et tu serais probablement un voltigeur, te lancer dans les airs et te rattraper comme par miracle. Catherine s'est fait renvoyer, bien entendu. Les rêves, ce sont les seules choses que tes parents, ta famille, n'ont jamais pu contrôler, mais jamais les rêves ne gagnent, il faut se réveiller. Mettre son costume et aller au bureau.