I wanna believe there's beauty here + Theodore

“ The night city grows and I can’t seem to see around.  I feel shame and cowardice, weakness and strength. I know terror and indifference, self-hate and general disgust. ” ✻ Je serrais les poings sur la barre en fer, menant mon corps jusqu’au sang. Mes muscles se contractaient dans la douleur avant de connaitre le répit. Alors que mes pensées cheminaient vicieusement autour de ma tête ; j’avais un million de responsabilités et aucune ambition personnelle. Je m’étais doucement élevé vers l’absolution pour découvrir  qu’en fin de compte,  tout n’était qu’un ramassis de conneries ! J’étais né afin de servir un destin. Mes études, mon choix de carrière et mes aptitudes … Rien n’avait été laissé au hasard. Je déglutis en me laissant tomber sur le sol, à bout de souffle. Mes yeux étaient fixés sur le plafond de la chambre d’ami. Mes parents avaient insisté pour que je m’installe quelques temps dans la demeure familiale, le temps de finaliser quelques transactions frauduleuses. Il s’agissait d’énormes sommes d’argent qui transitaient par mon district avant de finir dans les caisses de fonds électoraux.  Je portais tous les espoirs d’un père, qui de toute évidence ne voyait en moi qu’un pion parmi tant d’autres. Je soupirai en épongeant mon torse nu. La femme de chambre toqua à la porte.

_ Mr, votre père vous attend pour le petit déjeuner. Annonça-t-elle de l'extérieur.
_Dites- lui que je le rejoindrais après avoir pris ma douche, Bridget. Répondis-je, sans l'inviter à entrer.

L’eau bouillante s’écrasait contre ma vanité. Je bafouais tous mes principes au nom du père, de la mère, et du saint esprit. Les  vapeurs entouraient mon visage crispé. Je me sentais pris au piège sans la présence réconfortante d’un ami. Je passai un doigt sur mon épaule, mon tatouage grouillait sous les pressions du savon; un trèfle à trois feuilles, une pour chaque clan de la famille. Je songeais à Jamie et à nos dernières escapades nocturnes. Nous avions réussi l’école de police ensemble, puis il avait disparu. Mon âme se noyait dans la torture cuisante d’un deuil impossible ; je l’avais tué par mégarde.  Je visualisais parfaitement chaque détail du hold-up qui lui avait fauché la vie.  Je m’étais lancé à l’aventure avec mon meilleur ami depuis l’enfance et le digne successeur du clan O'Connor, croyant bêtement suivre les traces de James Bond. Je m’étais vite retrouvé à terre, mais il s’était arrêté pour moi. La protection de mon arme n’était pas enclenchée, je n’avais entendu le coup de feu qu’à moitié. Le cri strident qu’il avait poussé m’avait retenu en suspens. ‘’Tu m’as pété le pied !’’avait-il blagué avec un accent irlandais horrible. La blessure que je lui maladroitement infligé n’était pas mortelle, mais elle l’avait rendu vulnérable dans la foule en délire. Il était mort en vain. Un soupir m’échappa. J’enroulais une serviette autour de ma taille.

_ Tu es en retard Theodore. Grinça une voix sèche dans mon dos. Je fis volteface afin de découvrir mon père un cigare à la main, le visage rivé sur le parc du domaine.
_Il n’est pas 7h du matin. Fis-je remarquer en me dirigeant vers le dressing.
_ Le vieux O’Connor n’attend pas. Depuis la mort de Jamie, tu es le seul à pouvoir lui parler.
Mon cœur rata un battement. J’enfilai un T-shirt, sans un mot.
_ Les affaires vont mal. Continua-t-il avec un calme déroutant.
_Elles reprendront bien assez vite. Lançai-je, peu convaincu. Je lui parlerais. Il me considère comme un fils.
_ Mais tu es mon fils. Corrigea-t-il, me rappelant subtilement que ma dévotion lui appartenait. Je ricanai avec impudence.
_Ce sera tout ? M’enquis-je.
_ Oui.

“ My heart. I’m looking for my heart – There’s a blackhole in my chest. I feel crippled. Desperate and out of control. And it keeps getting worse. This feeling is terrible, horrible, paralyzing.” ✻ Je découvrais les délices du cœur avec un effarement certain. J’avais longtemps bataillé contre les lois universelles de la niaiserie, mais le regard terriblement bleu d’Elliana, et son sourire étrangement éclatant me rendaient fébrile. J’étais incapable de choisir entre la raison et le sentiment – alors j’avais fini par trancher en faveur du devoir. Elle avait débarqué après des semaines d’absence afin de quémander ce que je ne pouvais lui offrir ; un peu de considération. Je la regardai d’un air absent, pris entre deux feux ardents. Ses confessions me touchaient au-delà du nécessaire, mais ma vanité, et certainement ma peur de l’engagement, me poussaient à lui refuser cette faveur.

_ Tu ne peux pas être heureuse avec moi. Je te suggère de partir.

Mes paroles tournaient en boucle dans mon esprit. Je n’étais pas l’homme d’une seule femme. A vrai dire, je n’étais l’homme d’aucune femme. Je ne faisais que succomber à mes instincts bestiaux en m’adonnant à quelques pratiques sexuelles singulières. J’adorais les étreintes physiques et les récompenses qui en découlaient. J’aimais le sexe et l’illusion de pouvoir qu’il me vendait. C’était un fait !

Je serrais la mâchoire en lui rendant la liberté. Sa chevelure dorée vasaient dans l’horizon lointain. Elle était à présent hors d’atteinte, là où je ne pouvais la retenir. Je me contentais de la suivre discrètement chaque soir après le travail. Mes émotions se mourraient en moi, et je ne semblais trouver de réconfort qu’en la regardant marcher dans les rues de Londres. Son agression m’avait complètement déchiré. Je l’avais conduite à l’hôpital in extremis avant de disparaitre à tout jamais. Les O’Connor avaient découvert ma plus grande faiblesse, et je payais le prix de mon insubordination. Notre idylle avait duré quelques mois, et pourtant Elliana n’avait aucune idée de l’homme que j’étais réellement. Elle ne voyait en moi qu’un coureur de jupon psychorigide et maniaque, ce qui était vrai au fond.

Le Terre s’était arrêtée de tourner à l’instant précis où j’avais réalisé toute l’ignominie de mes actes. J’étais condamné …

“ I wanna hide the truth. I wanna shelter you, but with the beast inside there’s nowhere we can hide. No matter what we breed, we still are made of greed. ” ✻ Je sirotais ma bière en me laissant bercer par la transcendance des quatre saisons de Vivaldi. Mon cœur était suspendu dans le vide, incapable de grandes poésies ou de mouvements romanesques. La culpabilité me rongeait jusqu’à la moelle. Je feuilletais quelques documents en survolant les grandes lignes du parafeur. Le gout de l’alcool me changeait de l’amertume mais il n’avait aucun effet sur la solitude. Je souris en me laissant tomber sur le canapé. Le vent froid sifflait ardemment contre ma fenêtre avant de s’évanouir dans un son mat. Je penchai la tête en secouant mon oreille bouchée, avant de replonger dans mes lectures. Les chiffres glissaient suavement sur le papier, me narguant presque. Je soupirai en rayant une ligne toute entière.

Les heures se consumaient à une vitesse affolante. Je n’avais pas vu le temps passer. Je me redressai afin de me diriger vers la cuisine, lorsqu’une ombre m’interpella à travers la porte vitrée.

_Qui est là ? M’écriai-je en fonçant vers l’extérieur. Je baissai brusquement les yeux afin de découvrir un couffin abandonné. A l’intérieur un nourrisson aux joues cramoisies dormait paisiblement. J’arquai un sourcil en me penchant.

Elle est de toi Theodore, je le jure. Amelia a eu un accouchement difficile. Elle est morte et je ne peux plus la garder. Je sais qu’elle est née le 13 Novembre, et qu’elle aurait voulu que je te la ramène plus tôt. Je suis désolée. M -

Je ne réalisais pas sur le moment. Les idées se bousculaient dans ma tête ; rien – strictement rien n’avait de sens. Je saisi le panier à bout de bras afin de le mettre au chaud. Mon cœur tambourinait violemment contre ma poitrine, menaçant de me sortir par la gorge. Je fis un pas à reculons, incapable de toucher la petite. Mes mains se plaquèrent contre mon visage avec ébahissement.  Je saisi les clés de ma voiture, et sorti en trombe de la maison.

Je me dirigeai presque instinctivement chez Julia. Je cognai contre sa porte avec acharnement, comme si ma vie en dépendait. Les lumières du couloir s’allumèrent tout à coup.

_Julia... Couinai-je à bout de nerfs.

Elle m’apparut comme un enchantement divin, enroulée dans un peignoir grossier, les cheveux tirés en ce qui semblait être un chignon. Elle me regarda interloquée, et je lui tendis le bébé d’un air affligé. Je traînai des pieds dans le hall.

_Il faut que tu m’aides. Je n’ai personne. Tu l'as dis ... Je serais un père terrible !Ma voix se brisa dans la nuit. Jamais encore, je ne m’étais laissé aller à l’angoisse de la sorte. Mes avant-bras étaient paralysés, incapables de lâcher l’enfant. Je ne sais pas quoi faire. Sifflai-je panique.
_ Mais elle dort comme un ange. Répondit-elle avec une profonde douceur. Il n’y rien à faire. Calme-toi.
_Ah bon ? Je ne dois pas prendre sa température, ou son rythme cardiaque ? Elle ne bouge pas. Je ne sais pas qui elle est …  
Elle arqua un sourcil. Je lui montrai la note.
_ Tu es sûr que c’est la tienne ? S’enquit-elle, toujours d’un ton neutre. Tu connais cette Anna ?

Je me contentai d’hocher la tête. Nous étions sortis ensemble quelques fois, mais je ne la connaissais pas plus que ça. Je savais qu’elle était très jeune, et qu’elle suivait des cours d’art dramatique dans une école privée. Julia s’approcha de moi. Elle saisit la petite et l’examina rapidement. Elle fit glisser ses couvertures et remarqua une tâche de naissance sur son pied.

_ Elle te ressemble beaucoup. Souffla-t-elle en pointant la tâche. Elle a l’air en bonne santé, mais il faudrait me la ramener à l’hôpital demain pour des examens plus approfondis. Je dois vérifier qu’elle n’a aucune anomalie congénitale, et l’inscrire pour des vaccins. Elle marqua un silence. Tu vas la garder ? Elle serra la petite qui gazouillait en remuant la bouche.

Mon premier réflexe fut de secouer négativement la tête, puis je me ravisai en remarquant ses yeux bleus, gris sombre, presque noirs, identiques aux miens.

_Je … Oui …  Balbutiai-je.
_ Il faudra l’enregistrer alors et lui trouver un prénom. J’eus une absence. Julia posa délicatement sa main sur mon épaule. Theodore, ça va ? Je lui adressai un sourire pâle.
_Je ne peux pas – Ils ne peuvent pas savoir que j’ai une fille. Je déglutis. J'étais au pied du mur. Il fallait bien que je lui explique. Je viens d’une famille compliquée, Julia.   Je fis quelques pas dans l’allée. Tu as déjà entendu parler des  irlandais sanguinaires ou des bandits romantiques … Je suis affilié au gang O’Connor. Je ne peux pas t’expliquer ; les irlandais sont assurément le peuple sur lequel la psychanalyse n’a aucun effet. Ils ne sont pas très violents. Leur spécialité c’est les braquages de banques et de fourgons blindés, le perçage de coffres-forts. Ils prônent le crime sans victimes – C’est comme voler au plus riches et donner aux plus pauvres. Ma famille gère les activités légales, et dissimule le reste. Tu ne cours aucun danger, tu as ma parole. Je passai une main tremblante dans mes cheveux. Je veux juste la protéger ; Jasmine.  

Elle me regarda longuement, avant de cligner des yeux.

_ Bienvenue à Jasmine alors. Se contenta-t-elle de répondre.