Milan, bien plus qu'une ville.

Quatrième redbull de la journée, à ce stade il ne compte même plus le nombre de cigarettes. Pourtant, la journée est loin d'être finie pour lui. De toute façon les journées ne finissent jamais dans un hôpital, il y a toujours quelque chose à faire, un patient à changer de chambre, en emmener un autre pour sa chimio. Pour le moment sa mission c'est d'emmener Mme Gerrard à sa séance de rééducation à l'autre bout de l'hôpital, plusieurs semaines qu'il la voit tous les jours, mais c'est toujours de la même manière qu'il se fait accueillir. « Milo ! Je vous attendais. ». Après l'avoir rectifié plusieurs fois, il avait choisi de lâcher l'affaire. Son job est de rendre la situation plus agréable et facile pour les patients de l'hôpital, pas de leur prendre la tête pour un oui ou pour un non. Alors, il essaye de toujours être de bonne humeur et d'avoir le sourire. « Comment ça va aujourd'hui ? Faut que vous me racontiez l'épisode d'hier soir. ». Tandis qu'il l'installe dans un fauteuil roulant, elle se met à lui raconter son feuilleton télé, ce qu'il ne regarderait jamais de la vie en temps normal. Malgré tout il s'intéresse et participe à la conversation à grand renfort de réactions dramatiques et de questions idiotes. « Je vous ais pas encore raconté ce qui arrive à Brandon, vous l'aviez dit qu'il était pas clair. ». Soudain un chirurgien en colère apparaît dans son champ de vision et il prend un virage un peu soudain pour lui échapper, malheureusement il ne peut pas courir avec le fauteuil, cette pauvre dame a déjà eu un accident de voiture, il ne va pas lui rajouter un accident de fauteuil roulant par-dessus. « KOVACIC ! ». Le chirurgien semble un peu essoufflé, c'est qu'ils n'ont pas l'habitude de courir dans l'hôpital à longueur de journée. Milan essaye de l'ignorer, mais sans succès. Il sait déjà de quoi il va lui parler et il essaye de ne pas se mettre à rire tout de suite. « Ça peut attendre ? Je suis avec une patiente là. ». Son expression est calme, sérieuse, on aurait presque l'impression qu'il prend son métier très au sérieux, mais sa réputation le précède et ne fait pas illusion longtemps. « Où est mon stéthoscope ? Je sais que c'est vous, inutile de nier. ». Milan fait mine de ne pas savoir de quoi il parle, même si la seule image qu'il a en tête, c'est le fameux stéthoscope scotcher au plafond d'une salle de repos. Au moins, ça lui apprendra à mal parler aux infirmières. « J'en ai vraiment aucune idée, mais vous devriez aller faire une petite sieste vous avez l'air fatigué, je suis sûr que quelqu'un vous le ramènera. Moi faut que j'y aille sinon je vais être en retard dans mon programme. ». C'est vrai qu'il avait beaucoup de choses à gérer, entre les patients et le matériel, mais il avait toujours du temps pour faire une blague à quelqu'un et mettre un peu d'ambiance dans les services où il passait. Il laisse le chirurgien sur place et reprend son périple. « Donc Brandon, c'est lui le cambrioleur finalement ? ». Il a plus important à faire que d'écouter un chirurgien se plaindre.

Une fois par semaine, il doit se rendre à un dîner familial chez sa mère. Depuis la mort de son père, elle avait eu tendance à le couver, les choses ne s'étaient pas arrangées quand il avait quitté le nid familial. Au moins, elle avait refait sa vie, avec un gars bien, pas le type le plus drôle et extravertie, mais il traitait bien sa mère. Pendant des années, Milan avait vu sa mère mettre totalement sa vie de côté, focalisant toute son attention sur son fils, au point de l'étouffer parfois. Comme si elle s'était sentie coupable d'être toujours en vie, alors l'idée de refaire sa vie avec un autre homme avait mis du temps à germer. Il se rappelait encore le soir où elle lui avait annoncé qu'elle sortait avec Tom, devant sa mine sérieuse Milan s'était imaginé le pire, croyant sa mère atteinte d'un cancer incurable ou pire encore. Milan avait bien pris la nouvelle, il n'avait jamais voulu que sa mère vieillisse seule. Puis sa mère avait toujours été très ouverte, répondant à toutes les questions qu'il pouvait avoir sur son père, le sujet n'avait jamais été tabou, alors il n'avait pas eu l'impression qu'elle cherchait par tous les moyens à le remplacer. Malgré un nouveau mariage, la maison regorge de photos de son père, de leur vie en Croatie.
C'est la fin du dîner, plutôt de son interrogatoire hebdomadaire. Tous les sujets sont passés en revue, parfois sa mère cruellement de limites. Le seul sujet qu'elle n'aborde pas, ce sont les graffitis. Elle n'a jamais apprécié, surtout depuis l'époque du lycée et qu'elle a eu à plusieurs reprises à aller le chercher au commissariat à cause de ça. Ils ont un accord tacite, ne jamais en parler. Il n'y a qu'à Tom que Milan montre quelques photos de ses œuvres sur son téléphone, mais seulement quand sa mère n'est pas dans les parages.
« Prend en encore un ! ». Sa mère lui donnait toujours trois tonnes de bouffe à ramener chez lui et il bataillait pour tout faire tenir dans son sac à dos, celui-ci étant déjà bien remplie par des bombes de peinture. « C'est bon maman, puis je mange à l'hôpital la plupart du temps. ». Sa mère s'imaginait qu'il ne mangeait qu'une fois par semaine, chez elle. Certes son alimentation n'était pas très équilibrée, mais il n'oubliait pas de se nourrir pour autant. « Où est le casque que je t'ai acheté ? ». Milan adresse un sourire timide à sa mère, sa mère s'acharne à vouloir lui faire porter un casque à vélo, mais il s'acharne à ne pas le mettre malgré ses plaintes. « Tu sais bien que ça empêche mes cheveux de respirer maman ! ». Il dépose un rapide bisou sur la joue de sa mère, sinon elle risquerait de le garder encore un moment. « Et va chez le coiffeur bon sang. ».
S'il était pressé de partir c'est parce qu'il a une œuvre à finir, la nuit c'est le seul moment où il peut s'adonner à son art sans se faire trop remarquer. Le mur qu'il avait trouvé était faiblement éclairé par le lampadaire de la rue, assez pour voir ce qu'il faisait, mais pas trop pour ne pas se faire repérer trop facilement. Il essayait de travailler vite, parce qu'il ne se trouvait pas dans la rue la plus discrète du monde. Il ne lui reste qu'à mettre les dernières touches quand une voiture de police se pointe à l'autre bout de la rue. Sans perdre de temps, il ramasse son sac, met sa capuche et se dirige en courant jusqu'à son vélo. Pendant trente minutes, il va pédaler comme un malade sans regarder derrière lui, empruntant des petites ruelles inaccessibles en voiture pour les semer. Ce n'est qu'une fois derrière la porte de son appartement qu'il peut enfin se détendre, encore une fois, il est passé à deux doigts de se faire prendre.

Le réveil est difficile, il n'a pas assez dormi, mais c'est le prix à payer avec ses activités de nuit. Il pénètre l'enceinte de l'hôpital et tout de suite une tête blonde fonce sur lui. « Wahooo t'as une sale tête ! ». Milan l'ignore, parce qu'il sait qu'il doit avoir une tête de zombie et qu'en plus il doit commencer le boulot dans cinq minutes et qu'il n'a pas encore bu sa première redbull. « T'as fais la fête en plus ? T'aurais pu m'inviter merde. ». Il lui adresse un regard interrogatif et elle lui désigne ses cheveux, il essaye d'apercevoir ce dont elle lui parle, mais sans succès. « T'as encore de la peinture dans les cheveux... ». Elle semble un peu vexée que Milan l'ait tenu à l'écart de ses plans, mais il ne veut pas se lancer dans une grande explication de ce qu'il fait pour occuper son temps libre. La plupart des gens ne sont pas hostiles à ce qu'il fait, trouvant même ses œuvres intéressantes, mais d'autres considèrent qu'il s'agit de vandalisme et le prenne pour un grand délinquant. « Ouais une soirée complètement folle... ». C'est un pieu mensonge qui lui permet de ne pas avoir à expliquer comment de la peinture lui est arrivé dans les cheveux. Moins les gens sont au courant, moins il prend de risques.