Lily-Rose {Push it down, Push it down}

Puerto Rico, Caraïbes; 01 Mai  1990

Il se tenait à l'écart. Là-bas, loin de toute l'agitation environnante. Le regard fiévreux et les bras croisés. C'est comme s'il luttait contre la fraîcheur extérieure ou un subit mal de ventre. Ironique compte tenu de la situation. En réalité c'est comme s'il s'agrippait à lui même pour ne pas chuter. La silhouette gracieuse, son visage était étonnamment beau, coloré, aux traits fermes et nets. Ses yeux d'un vert topaze se paraîent d'une belle barbe châtain de quelques jours. Une apparence brillante qui respirait un tempérament adéquat, influencé par une exceptionnelle éducation, qui, au premier coup d'œil, suscitait l'envie de quiconque. Au début ce fut facile, il avait pris une décision. La décision. Le temps efface tout lui avait-on dit. Malheureusement, certaines cicatrices sont plus résistantes que d'autres. Ce coup de fil avait tout changé. Cela aurait pu être quelques mots sur un bout de papier, la légèreté d'une plume sibylline, mais, il n'aurait alors pas entendu le son de sa voix. Un timbre mielleux qui lui rappelait la chaleur du sud et tous ses moments privilégiés qu'ils avaient partagé. Il aurait tant donné pour entendre à nouveau cette voix, mais seuls les bips stridents du monitoring lui revenait aux oreilles. Il ignorait ce qui l'attendait mais il ne le craignait pas. Il ne craignait plus rien. Comment aurait-il pu après tout ? Non. Aujourd'hui était peut être le premier jour du reste de sa vie.

Les minutes semblaient être des heures. Les moments d'affliction ou d'accalmie se succédaient en silence. Seul dans le couloir, il respirait cette odeur propre aux hôpitaux. Une odeur âcre qui lui évoquait une sorte de souffrance indicible. Il s'imaginait des petits corps tout frêles, abîmés. L'association blouse blanche, bistouris et sondes lui donnait envie de prendre les jambes à son cou. Cette peur des centres hospitaliers était insensée mais elle lui ordonnait de sortir tout de suite d'ici.
C'est les cris déchirants, propres aux nouveaux nés, qui bloquaient le mécanisme de ses pas. Enfin. Ce moment tant attendu par des millions de personnes dans le monde. Peut être la seule émotion universelle commune à chaque parent. Le cœur battant à tout rompre, son corps se redressait instantanément. Était-ce elle ? L'attente devenait de plus en plus insupportable. Il devait absolument savoir . Sa main plongeait dans l'intérieur de son costard afin d'attraper son téléphone portable. Aussi curieux que cela puisse paraître, l'endroit ou il se trouvait était démuni d'horloges. Il avait perdu toute notion de temps. Les quelques chiffres sur son mobile étaient l'unique indice temporel. Cinq heures qu'il était là à se morfondre dans ce couloir sombre, désert. C'était trop, il devait savoir, c'était devenu plus une nécessité qu'une possibilité. Décidé, sa main tirait légèrement sur la poignée de la porte lorsqu'une voix s'élevait derrière lui. Monsieur Fitzgerald ? Elle est née Il en était sur. Si l'instinct maternel était considéré comme une primauté, l'instinct paternel n'en était pas moins négligeable. Elle va bien ? C'était ce qui lui importait avant tout. La santé de son petit être. La chair de sa chair, le sang de son sang. Son propre enfant. Elle va très bien, ne vous en faites pas. Vous êtes sûr que vous ne souhaitez pas ... Il balayait le reste de sa phrase d'un hochement de la tête. Il n'en était pas question. Il devait lui laisser du temps. La valeur de ce qu'avait été leur couple en dépendait. Et même s'il lui en coutait plus que sa propre vie de ne pas la prendre dans ses bras, il se devait de refuser ce contact. Juste ... S'il vous plait ... Dites moi son nom... L'unique chose qu'il lui était possible d'extirper de ce précieux moment. Votre fille s'appelle Lily-Rose . Il sentait bien que la sage femme ne lui disait pas tout. Quelque chose dans sa façon de fuir son regard la trahissait. Dites moi Son ton était impérieux, sans appel. Votre fille s'appelle Lily-Rose ... Fitzgerald Sa main se posait instinctivement sur son cœur, comme s'il tentait de l'empêcher de sortir de sa poitrine. L'émotion l'étreignait de toute part. Le choix de ce nom n'était pas anodin, il symbolisait toute une lignée. Toute une histoire . Merci. S'il vous plait, comme convenu, ne lui dites rien. Ne dites rien à personne. Je n'ai jamais été ici. Je lui dirais en temps voulu ... La sage femme baissait les yeux, sans doute peinée de cette décision mais néanmoins résignée. Elle n'avait pas véritablement le choix. Le silence était d'or et ce dans tous les sens du terme. Elle ne devait pas savoir qu'il était là, pas maintenant c'était trop tôt. Elle ne lui avait sans doute pas encore pardonné.

Paris, France ; Décembre 1994

On avait une Austin mini, avec votre maman. C'était une voiture minuscule comme un wagonnet de montagnes russes. A la simple évocation de ces célèbres attractions, il sut tout de suite qu'il avait pleinement l'attention de ses petites têtes blondes à côté de lui. Naissait alors un discret sourire à la commissure de ses lèvres qu'il tentait vainement de dissimuler. Votre maman s'asseyait ici, sur ce banc, et elle passait des heures à observer la tour Eiffel. Parfois il lui arrivait de sortir ses fusains pour y dessiner de beaux croquis.   Il fit une pause dans son récit qui lui fut particulièrement fatale Papa ... Tu l'aimes comment maman ? Et maman elle a fait comment pour nous faire naître dans des choux ? L'intonation presque chantante, caractéristique aux jeunes enfants, lui étreignait encore un peu plus la poitrine. Il sentait sa cage thoracique se soulever rapidement, une vitesse  irrégulière comme preuve de sa gêne imminente. Comment répondre à une telle question sans entrer dans des détails scabreux ?  Le silence gêné fut un peu trop long pour la petite Lily-Rose, quatre ans, qui se trémoussait sur le banc. Mais non, tu as rien compris ! Nous, c'est un cygne qui nous a déposé dans la cheminée ! Cette fois, c'est une voix mielleuse, mature qui répondait. Pas tout à fait en réalité. Tu confonds ma puce. C'est le père Noël qui descend dans la cheminée. June, venait d'apparaître dans leurs dos. Une vraie beauté. De la racine des cheveux jusqu'à la plante des pieds, elle respirait la grâce, la pureté. En entendant leur mère, les enfants se retournaient d'un seul bloc. Je veux bien tout vous raconter mais ... je vais devoir jeter ces glaces aux chocolat alors. Elles vont refroidir ... Bah ce n'est pas grave, une prochaine fois ! Sa main se précipitait faussement vers la poubelle la plus proche. Un sourire carnassier au bout des lèvres, elle connaissait déjà la suite. Toutes les petites têtes blondes se mirent à piailler à l'unisson afin de réclamer leurs dus. Et voilà, le tour était joué. June adressait discrètement un clin d'œil à son mari avant de venir se poser à ses côtés. Je suis arrivée à temps apparemment Le regard qu'ils s'échangèrent à cet instant n'eut d'égal que l'amour qu'ils se portaient l'un envers l'autre.  James lui attrapait la main avec une douceur infinie tout en ne quittant pas ses enfants des yeux. Sa plus belle réussite. Leur plus belle réussite. Le soleil ne se couchait pas mais semblait planer longuement au-dessus de l'horizon. Quelques rares oiseaux s'ébattaient au-dessus de leurs têtes. Finalement, le soleil finit par disparaître et ils rentrèrent, sereins. C'était un moment particulier , ce genre de moment suspendu dans le temps. Un souvenir parmi tant d'autres, peut être banal, mais qui resterait définitivement ancré comme l'un des plus beaux de leurs vies.

Londres, Angleterre ; Novembre 2012

 Ah ! La délicieuse Naya. Ils étaient allongés sur le tapis prussien de la chambre d'Avery.  Un tapis qui coûtait surement un bras mais qui leur servait avant tout de zone de détente. De nombreuses réflexions transcendantales s'étaient construites ici. Un rituel étrange propre aux Fitzgerald. A croire que ce bout de tissu était propice aux révélations.Ravie que tu te souviennes d'elle Avery. Je n'ose plus compter le nombre de proies à ton tableau de chasse. Ils partageaient la même maison, en colocation avec quelques uns de leurs frères et sœurs, dans l'une de leur nombreuses demeures familiales. Le bon plan c'était l'interdiction de séjour de leurs parents dans ce domaine. Un point essentiel pour Avery qui ne se privait pas pour ramener ses conquêtes. Cependant, si c'était un vrai foutoir pour le reste du monde, c'était un cocon pour eux. La fratrie Fitzgerald était connue pour être indissociable. Moi ? Je ne vois pas de quoi tu parles ... Avery avait plus ou moins la tête de l'emploi : Un visage aux traits impeccablement dessinés, beau visage de patricien, bronzage de golfeur, regard bleu océan. Il portait un pantalon kaki hors de prix et son blazer bleu Lilly Pulitzer . La décadence faite homme ... Avery était un homme irrésistiblement séduisant. La combinaison adéquate du charme et de la beauté à l'état pure. Sa sœur n'avait rien à lui envier, belle blonde sulfureuse à la peau aussi pure et fragile qu'une poupée de porcelaine. Des lèvres charnues, couleur de la rose et ce sourire ... Sourire qui, actuellement, en disait long. Inutile de me faire ton numéro de charme. Je le connais par cœur ... et il ne marche pas sur moi. Un rire cristallin éclatait dans le gymnase désert tandis que l'homme à ses côtés, son double au masculin, posait tendrement la main sur son épaule. Tu es certaine de ce que tu avances ? J'ai l'impression que c'est pourtant toi qui fait trembler les murs de la maison Son sourire provocateur ne trompait pas, il avait très certainement une idée derrière la tête : Celle de la mettre mal à l'aise. Avery ! Les joues de Lily-Rose s'empourpraient tandis qu'elle tentait de cacher son mal être. Avery avait le don de la déstabiliser, d'autant qu'il connaissait son point faible.  C'était une constante chez eux de se taquiner de cette façon. Une sorte de quotidien dont ils ne pouvaient se passer. La famille Fitzgerald, des gens estimés dans leur université même s'ils préféraient l'anonymat. Pourtant, ils étaient connus de tous. Fitzgerald, c'était un nom qu'on n'oublie pas si facilement. Ils étaient surtout réputés pour leur complicité, et leur beauté, qui n'était non pas des moindres. Oui, ils auraient facilement pu devenir des êtres exécrables, imbus de leurs personnes et méprisables. Ici dans cette université, cela ne manquait pas. La richesse amène bien des privilèges mais elle a aussi son lot de désagréments. Il est facile de perdre pied et la chute est souvent irréversible. Heureusement pour eux, ils étaient tous restés les mêmes. Rose ... Elle levait la tête lentement vers lui, plongeant ses iris bleus lagon dans les siens. Un sourire familier sur le visage Moi aussi Avery. Balayant une mèche rebelle de la figure angélique de sa sœur, il déposa délicatement ses lèvres sur son front. Plus besoin de mots. Ils s'aimaient, tout simplement. Voilà ce qui symbolisait la famille Fitzgerald.

Newcastle, Royaume-Uni ; Novembre 2014

Il avait réussi à la séduire, elle, la plus "sauvage" des Fitzgerald. Brillante, elle n'accordait aucun regard à la gente masculine. La tête dans les bouquins, comme un véritable rat de bibliothèque, elle s'extrayait du monde entier. Les lèvres pincées, le regard absorbé par sa lecture, seul son doigt s'enroulant autour d'une mèche blonde comme l'or la tirait de son ataraxie. Excuses moi, la place est libre ? Il avait brisé  le silence environnant, risquant le tout pour le tout afin de l'aborder. Elle, qu'il observait depuis tant de temps. Il lui avait fallu du courage, une bonne dose même, avant de lui bredouiller ces quelques mots.  Son petit sourire timide, ses yeux bleus lagon étaient sa récompense. Enfin, elle levait la tête de ce maudit Code Pénal. Or , ce moment privilégié allait être le premier d'une très longue liste. Depuis cette rencontre à la  bibliothèque universitaire, ils ne s'étaient plus quittés. Et même s'il avait ramé pour obtenir une moindre parcelle de son cœur, il y était parvenu. Aujourd'hui leurs vies se conjuguaient au pluriel. Il était désormais celui qui tournait les pages de son livre. Tu veux savoir hein ?... Debout au milieu de la foule, elle lui rendit son sourire. Elle ne savait pas très bien ce qu'elle faisait là, agglutinée à ses côtés dans l'aéroport mais tant qu'il était là elle gardait sa sérénité habituelle. Aujourd'hui est un jour particulier. Deux ans. Deux belles années jour pour jour que ton regard s'est posé sur le mien. Et ... je veux l'immortaliser. Je t'ai promis que notre histoire serait un long voyage, il est temps de le commencer. Nolan lui tendit une enveloppe. A l'intérieur ? Deux billets pour Puerto Rico, sa ville d'origine. Un lieu ou elle  n'avait pas foulé le sol depuis longtemps. Trop longtemps pour elle et il le savait. Sous le coup de l'émotion, elle lui sauta dans les bras. Elle se fichait bien des regards en biais, des sourires en coins des autres voyageurs. Elle était heureuse tout simplement. Je t'aime Lily-Rose. Pour toute réponse, elle se contenta de sourire tendrement. Les prunelles de ses yeux ancrées dans les siennes. C'était tout bête mais il était compliqué pour elle d'offrir ces mots. Il le savait, il ne relevait pas. La question était : Pourquoi avait-elle tant de mal ? Même elle n'avait pas la réponse. Du moins, pas encore.