"Remember us and all we used to be..."

Avec le recul je ne sais pas quand ma vie a pris fin, est-ce là-bas ? Ou avant ce départ ? Je ne sais plus. La seule chose que je sais c'est que les choses sont différentes, beaucoup n'ont plus la même saveur, beaucoup de choses sont devenus trop futiles.

Je ne sais par où commencer, ces années en Irak ? En Afghanistan ? En Lybie ? Ou a Londres ? Je ne sais plus, j'ai vu plein de choses qui m'ont changé, j'ai commis des actes que je n'aurais jamais pu imaginé...

Avant ce départ, je n'étais rien, fils d'une immigrée Irlandaise qui a quittée Belfast pour la banlieue Londonienne alors que je n'avais que quelques printemps. Mon père ? Je ne l'ai pas connu, jamais, elle a toujours refusée de m'en parler comme si prononcer rien que le mot "père" était dire le nom du Diable en personne... Je ne connais même pas son nom, son prénom, je l'ai pourtant durant de nombreuses années de mon adolescence cherché.

Mon adolescence ? Une période lointaine, ah les belles années, une certaine insouciance, je trainais avec les mauvaises personnes mais je m'en portais bien. Quelques larcins, quelques rackets à droite à gauche sur les enfants des quartiers les plus favorisés, quelques bagarres contre des bandes rivales, on faisait les quatre-cents coups ! Était-ce une bonne chose ? Je ne sais pas, mais ces années restent surement les meilleurs de ma vie. J'ai quitté trop tôt l'école avec un petit diplôme d'opérateur de projection cinématographique en poche, rien de bien reluisant mais qui était censé me faire bosser un peu... Censé je dis bien, le boulot se faisait rare dans ce monde qui change, tout s'automatise, tout s'actualise, on perds pied et on est remplacé par des ordinateurs qui font moins d'erreurs que nous. Je n'avais rien et le besoin urgent d'aider ma mère financièrement qui ne s'en sortait plus avec son travail comme femme de ménage.

J'ai donc pris la direction de la rue, fréquenté quelques mauvaises personnes. Ah Joe ! T'étais quelqu'un de bien -enfin si l'on peut dire ça-, tu m'as tout montré, tu m'as élevé, je finissais par rouler sur l'or, la voiture alors que je n'étais pas majeur, les poupées de luxe en soirée, la vrai vie ! Pourquoi as-t-on fait ce dernier coup ? Pourquoi on l'a risqué ? Regarde aujourd'hui où nous en sommes ? Enfin si seulement tu étais encore là pour pouvoir m'écouter ! T'es mort ce jour là, est-ce que moi aussi ?!

J'ai pris la fuite, les types à qui on devait des sous n'étaient pas des plus commodes, t'en a payé le prix immédiatement, moi j'étais en sursis et j'ai du fuir. Et puis ce stand de recrutement de l'armée de la Couronne, moi un enfant de Belfast, dont le nom résonne plus irlandais que n'importe quel cul-terreux de la République d'Irlande, avec l'uniforme pour combattre au nom de la reine Elisabeth II. Tu vois le tableau ? J'étais obligé, soit je fuyais, soit je te rejoignais...

Là-bas tout n'a pas été rose, loin de là, mais je n'en parle pas, je n'ai pas envie de raconter ce qui s'est passé... Une partie de moi n'est jamais revenu, enfin je crois.

Je suis revenu il y a quelques mois, mon contrat prenait fin et la réduction des budgets a conduis le cabinet a fermé mon unité... Démantelé pour manque de budget et me revoilà de retour à Londres, tant d'années se sont écoulés. Je suis revenu vivre chez ma mère, le temps de me retrouver, mais je ne suis jamais retourné dans ce quartier où l'on trainait avant. Je ne veux plus jamais y retourner, le passé est passé et il ne doit pas devenir mon présent ou mon futur.

J'ai trouvé rapidement un job comme projectionniste dans un petit cinéma local, je suis tombé au bon moment, leur vieux qui bossait là-dedans venait de prendre sa retraite, le gérant veut encore bosser à l'ancienne, sur pellicule, donc j'ai saisis la perche. Et me voilà embauché, avec un job, tu crois ça ? un job honnête qui m'oblige à me lever le matin et me fait rentrer tard le soir ? Jamais j'y aurais crû.

Au bout de quelques semaines j'ai été en mesure de quitter ma mère, elle refusait de me parler, je crois qu'une partie d'elle est morte quand j'ai enfilé l'uniforme... Je la comprends, petit elle me parlait toujours de l'Irlande, de ces arrières grands parents qui se sont battus autrefois aux cotés d' IRA, et moi, je trahis ses convictions en revêtant ce treillis... Je lui ai surement infligé une honte incommensurable quelques part. Du coup, je me suis installé dans un petit logement, c'est pas génial, mais ça reste coquet, je m'y sens bien.

Tu vois, ça fait un bon quart d'heure que je te parle Joe, ton corps est là, enterré sous ce morceau de pierre, ton nom est à peine gravée sur ta tombe, ça fait quoi, 7 ans que t'es là ? Et c'est la première fois que je viens ici te rendre hommage, mais là faut que j'aille bosser, l'objectif d'une vie rangée en soit. Enfin je crois

A bientôt mon ami.