Paris, 1988. ♔ Le soleil brillait sans relâche alors que la chaleur venait faire suer le front de la population. Un jour chaud, sans doute le plus chaud du mois d'août, et je l'avais choisi pour pointer le bout de mon nez.
« Wesley, je crois que je perds les os. » En panique, ma mère restait immobile en pleine rue de la ville alors que les passants semblaient alerter par l'ampleur de la situation. Elle était sur le point d'accoucher et sans doute n'arriverait t-elle pas à temps aux urgences si mon père ne réagissait pas dans la seconde qui suit. Paniqué, il ne disait aucun mot, la bouche grand ouverte dévoilant sa prise au dépourvu.
« Mais fait quelque chose Bon Dieu! Appelle un taxi, une ambulance, j'sais pas moi, mais ne me laisse pas accoucher sur un trottoir! » Il avait fallu ces paroles pour que mon père ne se plie aux ordres et décide d'enfin faire quelque chose. Et aussi vite, l'ambulance était venue la chercher. Cette situation semblait être la meilleure. Une petite heure après, me voilà enfin, en chair et en os, criant ces premiers cris absurdes qui annonçaient le début de ma vie. L'accouchement s'était passé comme prévu, sans aucune complication, sans aucun drame que l'on voit souvent dans l'un de ces nombreux films américains. J'étais saine et sauve, et parée à gâcher les nuits à venir de mes parents. Bizarrement, mon père n'avait même pas tourné de l'oeil pendant l'accouchement -sûrement parce qu'il donnait la main à ma mère en prenant soin de fermer les yeux. Il a toujours été comme ça, sensible à la vue du sang au point d'en faire des malaises.
« Bienvenue Faustine. » fini-t-il par me murmurer d'une voix douce et paternelle. Mon prénom avait été choisi depuis bien longtemps, dès l'instant où ils avaient su qu'ils allaient avoir une fille; Faustine Birdy Amethyst Klein-Vallee. Autant dire qu'ils aimaient le compliqué, mais ils n'avaient pas choisi ça par tout hasard. Chaque prénom que je portais se rapportait à quelqu'un de ma famille: Faustine est celui de ma grand-mère maternelle décédée, Birdy de ma grand-mère paternelle et Amethyst est le nom du restaurant où leur histoire d'amour a commencé -ouais, vraiment rien avoir avec une personne, mais tant pis. Je portais et le nom de mon père, et le nom de ma mère. L'Amérique mélangée à la France. J'étais la progéniture de deux patries liées, de deux continents réunis et j'y trouvais une certaine fierté. Mon père, Wesley Klein vient tout droit de New-York, et ma mère, Eléanor Vallee, est une parisienne depuis toujours. Je ne me lasse jamais de l'histoire de leur rencontre. Elle a le don de captiver mon attention, me transportant à travers leur voyage romantique et poétique.
« Ta mère est la plus belle chose qui me soit arrivée avec toi. Elle est sortie de nulle part, le regard en détresse et l'envie de devenir son sauveur était venu instinctivement. » Je pouvais apercevoir ses yeux briller à chaque fois qu'il me contait cette histoire. Et même avec le temps, ces petites étoiles ne s'étaient jamais éteintes et gardaient la même intensité que la première fois. Il était amoureux d'elle, c'était inévitable.
« Elle était la parfaite touriste perdue en plein centre de New-York qui ne demandait qu'à retrouver son chemin. La pauvre, tu aurais du voir ta mère dans tous ses états, c'est comme si on venait de la lâcher en pleine jungle inconnue. » Un sourire se dévoilait majestueusement sur ses lèvres, donnant une touche supplémentaire aux émotions. Se souvenir ravivait toujours sa flamme pour elle. Je la connaissais par coeur leur rencontre avec le temps. Je savais le moindres détails, jusqu'à comment ma mère était habillée ce jour-là.
« J'ai su à cet instant qu'elle allait chambouler ma vie. » Il répétait sans cesse ces paroles, alors qu'il gardait le sourire malgré son absence actuelle. Mes parents représentaient vraiment le couple idéal et avaient toujours idéaliser mes envies de petite fille.
New-York, 2001. ♔ Je n'ai jamais manqué de rien durant mon enfance. Etant issue d'une famille plutôt aisée, mes parents veillaient toujours à ce que je sois comblée tant sur la plan affectif que matériel. J'ai toujours vécu avec des parents présents qui trouvaient un juste milieu pour leur vie de famille et leur vie professionnelle. J'ai d'ailleurs eu la chance de beaucoup voyager et faire le tour d'un grande partie du monde. Chaque années, nous nous envolions vers un autre pays pendant un petit temps avant de revenir à notre domicile, à Paris. Mon père travaillait dans le monde des affaires, désirant à chaque fois m'emmener ma mère et moi lors de ses déplacements.
« L'avion décolle dans deux heures Wesley! » Les valises bouclées et la papiers préparés, ma mère criait après mon père qui avait un très gros problème avec la ponctualité. Il avait souvent tendance à traîner et ne pas voir l'heure passer, et ma mère était toujours là pour le rappeler à l'ordre. Aujourd'hui, nous étions sur le point d'empreinter l'avion pour aller sur le territoire Américain. En cet été, nous nous rendions chez ma famille paternelle pour passer un bonne partie de la fin des vacances. New-York, je m'y sentais comme chez moi, y trouvant mes repères à force de m'y rendre si souvent. Malgré ces milliers de kilomètres, je me sentais tant parisienne que new-yorkaise. Mais cette année-là, notre voyage avait été marqué par un événement connu mondialement: l'attentat des deux tours jumelles. Ce jour restera gravé à jamais dans ma mémoire. Pendant que la plus part des gens avaient assisté aux faits derrière leur écran de télévision, j'avais tout vu de mes propres yeux. C'était le chaos total, une apocalypse s'abattant sur la ville à travers les cris et les pleures de la population. Je n'avais que douze ans à l'époque et j'avais été témoin d'un drame marquant.
« Je ne peux pas restée là à rien faire. Je dois faire mon job, ici ou ailleurs. » Ma mère étant infirmière s'était mêlée parmi cette foule alarmée pour aller proposer son aide. C'était fou, cette solidarité qu'elle portait en elle, cette volonté de vouloir sauver des vies tant qu'elle le peut au risque de mettre la sienne en danger.
« Eléa, reste avec nous, c'est beaucoup trop dangereux! » Elle était tout de même partie, devenant invisible parmi ces gens en folie. Il était trop tard, elle était déjà partie à vive allure pour exercer ce pourquoi elle est infirmière. On avait pas pu retenir ma mère, elle avait été appelée par son instinct de sauver les gens. J'étais en pleure à cet instant précis, paniquée par le départ de ma mère et traumatisée par ce qu'il venait de se passer.
« Ne t'en fais pas ma puce, maman va revenir très vite. » Mon père tenait du mieux qu'il pouvait de me rassurer, et de rassurer lui-même sans doute. Les bâtiments s'effondraient à tour de rôle alors qu'un immense nuage de fumée recouvrait la ville. On entendait des sirènes dans tous les sens, des gens hurler et pleurer. Je guettais toujours les environs, à la recherche de ma mère alors que je ne la voyais pas arriver. Le temps passait, interminablement et son retour se faisait toujours attendre. Elle ne répondait à aucun appel téléphonique ni même à celui de son prénom.
« Pourquoi maman n'est toujours pas revenue? Elle devrait être là maintenant. » Nous étions resté au même endroit, et cela faisait déjà plusieurs heures. La nuit était tombée alors que la situation se calmait peu à peu. Mais elle n'était toujours pas revenue, et n'était jamais revenue. Le risque lui avait ôté la vie, faisant d'elle une victime parmi tant d'autres.
Paris, 2005. ♔ « Allé papa, je te ramène à la maison! » C'était toujours la même histoire, c'était toujours la même chose. Il était là, une fois de plus, affalé sur le comptoir pendant que l'alcool lui détruisait le peu qu'il lui restait. C'est à peine s'il restait debout, et si je ne venais pas ici chaque soir, il passerait ses nuits dans le bar à s'enfoncer plus bas que terre. C'était devenu une habitude depuis la mort de ma mère. J'avais l'impression d'avoir perdu deux personnes ce jour-là, puisque mon père n'était plus le même. Il s'était réfugié dans l'alcool du jour au lendemain alors qu'il avait toujours détesté ça. J'avais beau le résonner, aucune de mes paroles ne réussissait à influencer son indépendance.
« Elle me manque tellement Faustine. Je n'arrive pas à avancer sans elle, je peux pas, je ne suis plus rien... » Des larmes lui coulaient sur les joues, abondamment alors que sa tête venait se réfugier au creux de mes bras. J'avais mal, mal de le voir dans cet état. Il n'arrivait pas à faire son deuil et croulait de jour en jour. Plus les années passait, et plus sa douleur semblait immense. Son absence lui pesait beaucoup sur le coeur, et j'étais en obligation d'être forte pour lui et pour moi.
« Il faut te reprendre en main papa. Je suis là moi, tu ne peux pas m'abandonner pour des verres. Tu es entrain de te détruire plus qu'autre chose, maman aurait voulu que tu continues à vivre pleinement comme tu l'as toujours fait. J'ai besoin de toi papa, pas de quelqu'un qui noie ses peines dans l'alcool. A moi aussi elle me manque, mais on ne pourra pas la ramener et tu le sais très bien. » Quatre ans qu'elle était morte, et c'est comme si ce drame remontait à hier. La douleur était immense, autant pour mon père que pour moi, mais contrairement à lui je réussissais à continuer d'avancer. Je n'avais pas le choix, si mon père ne le faisait pas, il fallait bien que quelqu'un d'autre le fasse pour l'aider à en faire autant. Cette étape était vraiment difficile à traverser, surtout lorsque je le voyais dans cet état, les yeux incessamment humidifiés et le coeur en cendre. Il avait perdu toute motivation à vivre, se laissait aller en oubliant qu'il devait encore prendre soin de moi. Les rôles s'étaient instantanément échangé, faisant de moi la personne adulte qui devait prendre soin de son père. Ma mère me manquait énormément. Tous les soirs j'en pleurais dans mon lit, à l'abris du regard de mon père. Je repensais à ce jour-là, à ce qu'on aurait pu faire pour lui éviter de mourir sous les décombres. Je ne savais que faire pour aider mon père, il ne voulait rien entendre et préférait rester enfermer dans sa bulle de détresse. Il avait même laissé tombé son entreprise familiale, obligeant son frère à reprendre le commandes avant qu'elle ne sombre à son tour. La maison était devenue vide. Plus aucune vie, plus aucun rire. J'avais du mal à me souvenir du sourire de mon père, de son rire transmissible et de ses éclats harmonieux. Ma mère avait emporté l'âme de mon père avec elle, ne laissant plus qu'un corps inactif qui passe ses journées à boire. Je me sentais désarmée, incapable de faire quoi que ce soit pour faire bouger les choses. Cette impasse me semblait interminable.
« Va t'habiller papa, aujourd'hui on sort. On va faire ce qu'on faisait toujours, et pas question de boire quoi que ce soit. » Je ne lui laissais pas le choix. J'en avais assez de rester enfermée dans cette atmosphère pénible et déchirante. J'avais pris la décision de faire une sortie avec lui aujourd'hui, quitte à le prendre par la peau des fesses s'il le fallait.
« Non Faustine, je n'ai pas envie de bouger, je suis bien ici. » Quelle ironie. Je ne voyais rien de bien à rester cloîtrer entre quatre murs.
« Je ne t'ai pas demander ton avis, considères ça comme un ordre. » J'avais dis avec beaucoup de sérieux, espérant qu'il allait se prendre au jeu, juste une fois, juste pour qu'il se sente mieux l'espace d'un instant. Et par miracle, il se plia à mes paroles en ronchonnant, se dirigeant vers la salle de bain pour enfiler quelque chose de plus présentable. Ca changeait de le voir dans cette tenue sans vie qui empestait l'alcool et l'odeur du renfermé. Je décidais alors de l'emmener en ville, profiter du bon temps et de la chaleur estivale alors que mon bras enroulait le sien pour le trainer avec moi vers un endroit particulier.
« Pourquoi tu m'amènes ici? » me demanda-t-il d'une voix brisée.
« Parce qu'il est temps de raviver les bons souvenirs et chasser cette tristesse. » Mon objectif était clair et net: je voulais lui redonner un peu de vie et apaiser son manque. Nous nous trouvions non loin de la Tour Eiffel, juste au devant le manège remplis d'enfants en folie.
« Je devais avoir 6 ans lorsque tu as demandé maman en mariage ici. Je me souviens, j'étais sur ce cheval blanc, et vous sur ces deux autres-là. Tu avais tout prévu pour que ce moment soit parfait... » Mon père fixait le manège en route, statique et attentif à mes paroles pendant que je lui tenais la main fermement.
« ... Il n'y avait personne ce soir-là, jste toi, maman et moi. » enchainais-je.
« Oui, je m'en souviens parfaitement... J'avais payé une somme inimaginable pour que le forain ouvre ce manège à heure si tardive. » Enfin, mon père avait prit la parole, décidant de poursuivre ce souvenir que je venais de lancer.
« Ta mère avait peur de monter dedans, elle avait peur de rester bloquer en hauteur et de ne plus pouvoir descendre. » poursuivit-t-il avant que la naissance d'un sourire ne vienne s'afficher sur ses lèvres.
« Je n'oublierai jamais ce soir-là, surtout lorsqu'elle accepta ma demande. J'étais devenu le plus heureux des hommes. » Je me tournais vers lui, fière d'avoir vu ce sourire se dessiner sur ses lèvres. Ses yeux s'étaient emplis de quelques petites étoiles, celles qu'il avait toujours eues lorsque l'on parlait de ma mère et du bonheur qu'il avait partagé avec elle.
« Oui, le plus heureux des hommes... Et tu dois continuer à garder cette part de bonheur en toi papa. Maman est partie, mais est toujours là, à cet endroit, et elle ne partira jamais de là. » Je plaçais une main sur sa poitrine, et une sur la mienne pour lui indiquer le coeur.
« Ton sourire m'avait manqué. J'aimerai le revoir plus souvent. » lui confiais-je d'une voix rassurante. Mon père restait silencieux, prenant en compte la réalité de mes propos.
« Tu as raison Faustine. Pardonnes-moi pour avoir été absent ces dernières années. Je sais que je n'ai pas été un bon père et... » « Chuuut. Peu importe hier, ou il y a un an. Il faut vivre dans le présent et se projeter dans le futur. Je veux juste te voir mieux, c'est tout ce qui m'importe. » Je ne lui en avais jamais voulu d'avoir été fantôme ces dernières années. Il avait sombré, et je ne pouvais pas lui en vouloir. C'était sa manière à lui de faire face à la mort de ma mère pendant que je construisait mon mur de force de mon côté.
« Je te promets de faire des efforts ma chérie. Je te le promets. Pour toi, pour nous, pour elle. » Ce sont sur ses paroles que, par un élan de bonheur intensif et instantané, je pris mon père dans mes bras, le serrant très fort alors que des larmes de joies ruisselaient sur mes joues. Il était prêt à changer, à remonter la pente et c'était tout ce que je voulais.
Madrid, 2009. ♔ underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco.
Londres, 2012. ♔ underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco.
Londres, 2014. ♔ underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco underco.