jace (++) un titre à trouver

« Arthur, c'est la seconde fois qu'on se voit, je ne pense pas qu'il est judicieux de votre part de garder le silence. Le tribunal  veut que vous veniez à ces entretiens mais vous pourriez parler. » « ... » « On a évoqué votre passage devant le tribunal Arthur, vous avez eu des mois difficiles, vous faîtes souffrir vos proches de cette manière... » « Quels proches ? » La voix hargneuse et rocailleuse, Arthur leva la tête vers la psychologue qui était censée le recevoir lors de cinq séances pour déterminer son état psychologique. Il avait le teint terne, il avait les yeux fatigués et cernés, il avait énormément maigri durant les derniers mois. Sa mère ne s'en était même pas rendu compte. « Votre mère pourrait s'inquiéter... » « Ma mère ne s'inquiète que pour elle depuis que mon père a quitté la maison pour retourner vivre à New-York. » La psychologue ne prononça pas un mot, elle savait qu'elle avait touché une corde sensible et que c'était à présent Arthur qui allait l'exploiter de lui-même et devenir aussi bavard qu'elle le souhaitait. Parce que le sujet de sa mère était ce qui le faisait le plus réagir, elle l'avait très vite compris. Et le jeune garçon qu'il était ne s'arrêta pas là, en effet. « Alcoolique, elle ne sait même pas rester une journée sans une goutte d'alcool dans le sang, elle est incapable d'être sobre et elle invite tous ces hommes à la maison comme s'il s'agissait d'une maison close ! » Il la détestait, tout en lui l'indiquait. Il serrait les poings pour calmer ses nerfs, sa mâchoire était crispée, ses yeux fixés sur un point dont il ne pouvait se détacher. Il restait concentré pour ne pas s'énerver davantage, pour ne pas casser quelque chose, comme il avait tendance à le faire depuis le jour où sa mère avait cessé d'en être une pour lui et sa sœur. « Elle préfère son alcool et ces hommes, elle dépense l'argent pour elle, elle a obligé Jillian à voler sur le marché, elle était bien trop ivre morte pour lui donner ses cours de conduite ! » Un silence s'installa alors qu'il s'interrompait, la gorge nouée, les larmes aux yeux. Pire que la colère, la tristesse et le désarroi l'envahirent et il se retrouva pris dans un étau, au bord de la crise d'angoisse. « Jillian, votre sœur ? » La voix de la psychologue le laissait particulièrement accroché à la réalité, loin de ce souvenir qui menaçait de l'envahir, loin de tout ce qu'il ressentait sous la surface de son chagrin. Cette voix était douce, comme celle de sa sœur, elle incitait au calme, à l'apaisement. Tout l'effet que Jillian avait sur lui, elle le calmait, elle l'apaisait. « Jillian était votre petite sœur, vous aviez un an de plus qu'elle ? » L'emploi du passé était comme une lame aiguisée contre son cœur meurtri, encore ouvert de ses blessures, mal pansé. Il déglutit, incapable de parler, incapable de prononcer le moindre mot. On venait de l'achever, de faire ressortir la base de son problème, le cœur de ses ennuis avec la justice. S'il était aussi insolent, s'il s'était mis à piquer une voiture et faire tout un tas d'autres bêtises, ce n'était pas pour rien. Pas de quoi l'envoyer en prison pour l'instant, son passé avait joué en sa faveur mais il avait des ennuis avec la justice et il lui fallait remettre de l'ordre dans sa vie. Tout juste âgé de dix-neuf ans, il ne parvenait pas à faire face au problème qui le suivait au quotidien, comme une ombre néfaste derrière lui, prête à surgir à n'importe quel moment et à le frappe à terre. « Elle a eu un accident... » La psychologue avançait doucement, elle n'attendait aucune réponse, elle essayait de le mettre face à la réalité. « Vous étiez présent vous aussi, Arthur, racontez-moi. » Elle avait l'air si gentille, lui qui détestait les femmes habituellement, il se surprit à la regarder réellement. Il tourna les yeux vers son regard clair et se plongea à l'intérieur. Comme hypnotisé, il finit par ouvrir la bouche, sans se rendez compte qu'il pleurait déjà. « Elle ne voulait pas attendre, elle voulait son premier cours de conduite mais je ne pouvais pas lui en donner, elle devait attendre que notre mère le fasse mais elle m'a supplié, elle m'a demandé de l'emmener. Elle voulait conduire, c'était son rêve depuis que j'avais obtenu mon permis. Elle m'a fait ce regard auquel je ne peux pas résister, on était tellement proches, depuis toujours. J'ai toujours voulu la protéger, elle était plus petite, plus fragile, elle était trop gentille, elle se laissait marcher sur les pieds alors je voulais l'aider, toujours. Notre mère n'était pas capable de lui enseigner la conduite alors je l'ai emmené aux abords de la ville, y a jamais personne d'habitude. » Il fit une pause, des larmes silencieuses ne cessaient de couler le long de ses joues, il avait du mal à simplement articuler, tout lui faisait mal. « Elle était tellement heureuse, l'endroit était désert, elle avait le volant. Il est arrivé, elle n'a rien pu faire, la voiture nous a foncé dessus comme si elle ne nous voyait pas. Il roulait trop vite et elle n'a pas pu l'éviter. Je me suis réveillé à l'hôpital, ils m'ont dit qu'elle était morte sur le coup. Notre mère n'a répondu au téléphone que le lendemain matin. » C'était au dessus de ses force, il se tut finalement, complètement pour ne plus ouvrir la bouche. Il en avait assez dit, il avait trop parlé et la séance l'avait épuisé. Il avait enfin dit ce qu'il n'osait pas raconter, il avait parlé à voix haute de ce qui lui était arrivé, de la mort de sa sœur, des cicatrices qui restaient sur son corps comme dans sa poitrine. Des blessures ouvertes, béantes qu'il ne refermerait qu'avec le temps. La douleur le déchirait, l'enfonçait, l'aspirait dans un cercle vicieux dont il n'arrivait pas à se sortir.

« Arthur, quelle relation vous entretenez avec votre père ? » « Des lettres, uniquement des lettres, jamais un coup de téléphone, ça coûte trop cher ! Il est parti de la maison quand j'avais trois ans, il ne supportait plus les déboires de ma mère, il en avait assez d'être trompé et il a traversé l'Atlantique pour s'éloigner d'elle. Il n'est jamais revenu, il m'envoie des lettres, un peu de liquide mais il a toujours refusé de s'impliquer, il pense que je pourrais donner l'argent à ma mère pour l'aider à payer son alcool ! » Sa voix était plus détendue. Arthur avait l'habitude de ces visites, c'était déjà la cinquième et il ne savait pas vraiment s'il avançait mais en tout cas, il arrivait de mieux en mieux à parler. Doucement, il apprenait des choses à sa psychologue qui faisait chaque semaine un rapport au tribunal à chaque fois qu'ils réévaluaient son cas. Mais deux mois sans la moindre frasque après presque un an et demi sans jamais arrêter de collectionner les nuits au commissariat, il pouvait se présenter dès maintenant aux délinquants anonymes et en devenir le parrain. Mais il savait qu'il n'avait pas le droit à l'erreur. Sa colère et sa peine l'accompagnaient chaque jour mais il n'y répondait plus en se précipitant dans les ruelles sombres pour fumer et simplement oublier son histoire. Sauf quand son médecin le forçait à l'étaler sur une table gigantesque pleine de dossiers et de mal être. « Votre mère a-t-elle arrêté ses activités avec les hommes ? » Il haussa les épaules. b» « Vous aimez la mécanique ? » « J'ai rencontré Andrew alors que j'essayais de voler des pièces pour les revendre plus chères, il m'a attrapé par le cou et a hurlé que si je devais voler quelque chose, il valait mieux que je sache ce qui fonctionnait ou ce qui était susceptible de lâcher demain ! Il m'a obligé à travailler pour lui pour rembourser la vitre que je lui ai cassé et maintenant, il me paye ! Il m'a appris un tas de choses, comment réparer les voitures, j'ai appris à aimer son métier. Il a une pièce derrière le garage, il a installé un lit d'appoint pour les soirs où je souhaite y rester. »  Un léger sourire s'étala sur ses lèvres. Andrew était un ami, il l'avait épaulé, aidé, sorti de la misère dans laquelle il se trouvait émotionnellement, il le faisait rire, il lui changeait les idées et surtout, il ne le jugeait pas, jamais. Il avait lui-même eu des soucis dans son enfance, il avait réussi à les surmonter et maintenant, il aidait Arthur avec ces propres soucis. Il se sentait bien en sa présence, si bien que sa tête devait en dire long sur son affection puisque la vieille psychologue le regarda par dessus ses lunettes. « Vous êtes amoureux de cet homme ? » La perspicacité de cette femme l'étonnait toujours, lui qui ne croyait pas aux bienfaits de la thérapie et pensait que tous les psychologues étaient des charlatans. Elle savait lire en lui comme s'il était un livre ouvert à la bonne page, quand il se pensait indéchiffrable. « Je n'ai jamais dit que j'étais gay. » La femme eut un sourire, presque attendrissant, un sourire qui lui fit malgré tout, grincer des dents. Il était un jeune homme de vingt ans, il n'avait pas besoin qu'on s'attendrisse devant lui. « Et il a quinze ans de plus que moi ! » Le sourire s'élargit et il eut la soudaine envie de se fondre et ne faire qu'un avec son fauteuil. « Vous n'aimez pas les femmes, vous l'avez laissé échapper lors d'une de nos rencontres. Nous en restons là pour aujourd'hui. Je suis contente que quelqu'un vous aide Arthur, continuez comme ça. » Son père, son petit ami, il en avait assez dit, son alcoolique de mère n'avait rien changé de ses habitudes mais lui pourrait bientôt partir loin d'ici pour vivre sa vie.

« Alors comme ça, vous quittez Londres ? » « J'ai longuement parlé à mon père, il a de quoi m'aider pour financer mes études, je veux devenir flic, inspecteur. Je veux résoudre des crimes et envoyer tous les salopards de ce monde en prison. Je veux pouvoir me rendre utile, je veux changer de pays, Londres ne m'a apporté que des ennuis. » « Vous partez pour New-York ? » « Oui, je rejoins mon père là-bas, je n'ai pas parlé à ma mère depuis six mois, elle n'a pas pris de mes nouvelles, elle préfère rester terrée dans son trou. Je vais entrer à l'école de police, et j'ai bien l'intention de percer dans le milieu. » « Je suis très fière du chemin que vous avez accompli en un an. Vous avez complètement changé. Quand vous êtes arrivé, vous étiez perdu, déboussolé, vous étiez en colère. Vous êtes aujourd'hui épanoui, déterminé, ambitieux. » Arthur sourit, elle avait raison. Il avait en plus de ça, créer un lien fort avec sa psychologue. Malgré tout, il y avait un dernier point qu'il voulait aborder avec elle, il avait encore une heure avec elle, ils avaient le temps. « Vous avez relevé que je n'aimais pas les femmes. » « Vous les méprisez, je suppose que ça a un rapport avec votre mère et son comportement. » Arthur tourna la tête vers la fenêtre qu'il avait souvent contemplé cette dernière année à évoquer son enfance troublée par le départ de son père et l'alcoolisme de sa mère. Ses frasques, son manque d'intérêt pour sa progéniture, le manque d'argent, la mort de sa sœur dans un accident dont il s'était longtemps senti coupable, ses propres déboires avec la justice, sa rencontre avec Andrew et sa rupture malgré les bons contacts qu'ils ont fini par garder. Toute cette année avait été une rétrospective de sa vie, tout y était passé, de son premier bulletin scolaire plus que satisfaisant à ses matières préférées. De sa relation fusionnelle avec sa sœur cadette à sa son odorat extrêmement peu développé. De la fois où il avait fumé pour la première fois au jour où il avait perdu sa première dent. Tout y était passé, sa vie avait été normale, pauvre et trouble mais relativement normale. Il n'y avait qu'un dernier point noir à élucider, une dernière pierre à ajouter à l'édifice de sa psychanalyse. La clé de son homosexualité, le mystère dévoilé de sa haine pour la gente féminine. Le regard rivé vers la fenêtre, les yeux tournés vers la pluie battante qu'il contemplait pour la dernière fois depuis Londres, Arthur se souvint. « J'ai été attiré par un homme pour la première fois à quinze ans. Il était plus vieux, plus fort, plus grand. Il était protecteur, je me sentais bien dans ses bras. Je ne comprenais pas d'où venait cette attirance, je pensais aussi que ça venait de ma mère. » Pour la dernière fois, il l'espérait, sa gorge se noua, un souvenir qui lui tordait les tripes et pour la première fois, la psy ne l'interrompit pas pour qu'il s'exprime davantage, il le fit de lui-même, confiant et en sécurité. « C'était sa meilleure amie, Beth. J'avais huit ans quand elle est venue la première fois pour boire avec ma mère. Elle étaient toutes les deux ivres mortes et j'étais dans mon lit. Elle a dû trouver la force de traverser le couloir, parce qu'elle est entrée dans ma chambre et s'est approché de moi. Je sentais son haleine, elle croyait que je dormais et je faisais semblant en pensant qu'elle allait partir. Mais elle n'est pas partie. Elle a déboutonné mon pyjama, elle.... » La respiration saccadée, il ne put pas continuer et il ne se rendit pas tout de suite compte qu'on lui tenait la main. Il tourna la tête et eut un mouvement de recul. Ce souvenir-là, il l'avait enterré au plus profond de lui et son corps tremblant encore aujourd'hui se souvenait pourtant de chaque détail de cette nuit passée avec Beth. « Arthur, il y a eu d'autres fois ? » Il savait qu'il allait bientôt s'en aller, qu'il n'aurait plus à raconter ça à qui que ce soit, il n'avait plus besoin de le faire puisqu'il venait de se délivrer de tout ce poids sur ses épaules. Alors doucement, il hocha la tête pour lui répondre avant de se taire définitivement pour ne jamais plus évoquer ces parts noires de son enfance, de sa vie.

« Jace Malone, c'est bien ça ? » « Ça me plait ! » Un sourire satisfait sur les lèvres, il contempla son nouveau passeport, assez satisfait. Malone était le nom de famille de sa mère et même si aujourd'hui, il ne savait pas ce qu'elle était devenue, il avait envie d'utiliser ce nom pour sa couverture. Quant au choix de son prénom, Jace, il ne l'expliquait pas. Jace était le diminutif de Jason, son second prénom, un surnom affectueux que lui donnait sa sœur. Une signification qu'il taisait à présent, parce qu'il ne souhaitait pas faire part de sa vie à son nouveau boulot. Et aujourd'hui, il lui était donné la chance de faire ses preuves, après deux ans de bons et loyaux services, la porte des enquêteurs n'était plus bien loin. Il le savait. « Tu sais Jace, que le précédent flic de ce témoin a foiré, il ne fait plus confiance au système et on a eu du mal à le convaincre de rester dans le truc. Le procès avance doucement, il faut qu'il soit protégé, il est le témoin clé de l'affaire, il faut que tu assures. » Il avait l'habitude qu'on le sous-estime, même son patron faisait souvent cette erreur. Il le savait, il devait faire ses preuves, comme le jour de son entrée à l'école de police, le jour où il a passé ses examens, celui de sa première mission. Il était toujours montré du doigt, regardé bizarrement en raison de sa carrure peu conventionnelle. Il savait qu'il devait sans cesse se donner à fond pour assurer, il le faisait depuis plus de six ans, il pouvait encore le faire pour obtenir le job de ses rêves, il était trop proche du but pour abandonner, il n'allait pas tout faire foirer comme son prédécesseur. « Il faut le changer d'endroit, un autre pays, il a des origines anglaises ? ça tombe bien, moi aussi ! » L'idée semblait saugrenue mais pas si idiote que ça et la décision fut prise. Mais il savait que tout ne serait pas simple, comme tout ce qu'il entreprenait dans sa vie, il le ferait à fond et sans se plaindre un seul instant. La sécurité de son protégé passait avant tout, il avait passé ces derniers années à apprendre ce métier, il était prêt, il était l'homme de la situation.