Fergus ✈ On a des choses à se dire, toi et moi.

« Bonjour. Monsieur …Harold ? »
« Bonjour, docteur. »
« Je vous en prie, installez-vous confortablement. Ma secrétaire m’a dit que c’était urgent. Etes-vous déjà venu ? »
« Non. »
« Même dans un autre cabinet ? »
« Oui. »
« Très bien. Je comprends que ce puisse être angoissant pour une personne de partager son univers avec quelqu’un, surtout un professionnel. Nous, les psychiatres, avons mauvaise presse. On nous traite parfois de charlatans, quand ce n’est pas pire. »
« Je ne vous juge pas. A chacun sa croix. »
« Hum, oui…bien, commençons, voulez-vous. »

L’homme avait lle bel âge, comme on dit. Il était grand. 1m85 au moins. Une apparence svelte qui cachait une redoutable musculature. Les cheveux en broussailles qu’il avait toujours eu du mal à discipliner. Un regard à la fois distant et perçant. On ne l’entendait pas venir. C’était ainsi que l’histoire avait commencé. Que ce psychiatre apprit toute la vérité. Le dos appuyé contre son fauteuil, les jambes et les bras croisés, les yeux exorbités. Celui qui croyait en une farce au début du récit devint aussi pâle qu’un cadavre en entendant les confessions de son patient. Un meurtrier. Il avait face à lui, très détendu, parfois même le sourire aux lèvres, un meurtrier. Et avec ce naturel qui le caractérisait, l’Anglais, quoiqu’il doutait sincèrement de ses origines, continuait sans être troublé par la vision de son confesseur, complètement tétanisé. Plus les cadavres s’empilaient, plus le flegme de l’Anglais le rendait effrayant aux yeux du médecin. Il avait au préalable demandé à ce que cet entretien soit formel, nullement enregistré à des fins d’études. Le médecin, un dénommé Docteur Gray, avait accepté. Le bureau était envahi par des peintures de toutes époques. Le surréalisme se mêlait au baroque, l’impressionnisme au cubisme. L’Anglais n’aimait pas l’art. Disons qu’il n’y connaissait rien. Il était d’ailleurs très rare qu’un domaine, quel qu’il soit, lui échappe.

Cet entretien, l’Anglais était parvenu à ce qu’il ait lieu le soir, après les séances habituelles du docteur. Il avait même obtenu son numéro privé de sa secrétaire, afin avait-il dit, de pouvoir le joindre plus facilement. La secrétaire, ne dérogeant pas aux qualités féminines de s’éblouir de la voix suave et persuasive d’un homme, avait été convaincue. Ainsi donc, nul n’avait été mis au courant de leur rendez-vous nocturne.  Dans deux minutes, il serait 21 heures. Dehors, le vent soufflait en rafales. Un jour d’hiver comme un autre dans la capitale londonienne.

« Vous souvenez-vous d’une certaine petite ville du nom de Tân An, docteur ? »

A présent, l’homme reprenait ses esprits. Son anxiété grandissante avait laissé place à un masque de surprise, voire, de colère. Comment cet individu osait-il parler du passé ? Qui était-il au juste ? Finalement, il lui apparaissait qu’il ne l’avait pas suffisamment questionné sur sa vie, sur son identité. Qu’il aurait mieux fait de tout enregistrer pour ensuite aller livrer son témoignage à la police. Sans doute cet Anglais croyait-il pouvoir lui soutirer quelques argents en le menaçant de révéler son passé aux autorités ? Et cette histoire de morts, il n’y croyait même plus. Qui, dîtes-moi, irait voir son psychiatre pour lui avouer qu’il tuait des gens, franchement ?

« Vous souvenez-vous d’une certaine Li Yan, docteur ? »

Il pâlit encore. Tenant bon, les poings serrés, il s’apprêta à rosser le malotru pour cette intrusion dans sa vie privée. Oui, Li Yan, et après ? Cette histoire ne datait pas d’hier. De quel droit osait-il venir troubler sa tranquillité ? C’était il y a plus de dix ans, maintenant. Il n’était qu’un jeune soldat à l’époque. Jeune et naïf. Bon, d’accord, il avait mal agi, et alors ? On ne va pas se fâcher pour si peu. Après tout, elle n’était rien de plus qu’une strip-teaseuse. Même les supérieurs l’avaient fait et rien ne leur avait jamais été reproché jusqu’à présent.

« Je prends votre silence pour un ‘oui’. » souffla l’Anglais avec un petit sourire entendu.


« Monsieur le premier ministre. »
« Aaahh, Fergus, où étiez-vous passé ? Je vous appelle depuis plus d’une heure. Ne me dîtes pas que vous cherchez encore un nouveau logement ? Allons bon, pourquoi refusez-vous d’habiter en ville ? Vous n’aimez pas les animaux, ni la nature, et je ne vous ai jamais vu peindre quoique ce soit. Je sais que les artistes aiment vivre à l’écart du monde, mais vous, Fergus ! Enfin…ce n’est pas à moi de décider pour vous, dieu merci. Ohh non, attendez, je sais. Vous étiez chez le dentiste, n’est-ce pas ? Je me souviens que vous aviez rendez-vous aujourd’hui. »
« C’était à 15h00, monsieur le premier ministre. »
« Ah, à 15h00. Fort bien fort bien. Mais, où étiez-vous donc alors ? »
« Je rendais visite à mon psy. »
« Je ne savais pas que vous voyiez un psychologue, mon cher Fergus. »
« Psychiatre, monsieur. Et ce n’est plus le cas. Nous ne nous sommes découvert aucune affinité. C’est bien regrettable. »

Trois ans plus tôt. Il parlait bien anglais, était gentleman jusqu’au bout des ongles et ses vêtements étaient toujours impeccablement cirés. Aussi, lorsque le directeur de l’agence pour laquelle il travaillait à l’époque, agence privée mais non moins réputée sur le sol irlandais et international pour fournir des effectifs à même de remplir certains contrats, et dont les employeurs pouvaient être du gouvernement, de l’armée, ou même des civils, l’avait informé que sa mutation le conduirait dans le pays du thé, Fergus avait accepté. Une fois sur le sol anglais, il avait passé un an au service d’un Lord qui s’était avéré être plus tard bien plus qu’un simple notable. A sa mort, accidentelle d’après l’autopsie, il apprit qu’un anonyme et honnête citoyen – comment en douter au vu de sa profession – avait besoin de ses services d’ « assistant ». C’était ainsi que l’on appelait les personnes qui faisaient ce qu’il faisait, dans le milieu. Un assistant qui comblait pour ainsi dire tous vos désirs, ou presque. L’une des clauses du contrat étant que … mais ne parlons pas de cela, voulez-vous. Quoiqu’il en soit, après quelques petits travaux pour vérifier la qualité des services proposés, Fergus apprit enfin le nom de son précieux nouveau « protecteur ». Le gouvernement lui-même en la personne du premier ministre.