Junroy O'Flahery - Life is a b*tch

En enfilant le harnais de sa paire d'ailes blanches sur son dos nu, Jun fixa de longues secondes le miroir mural qui lui renvoyait son image. Son corps fin quoique musclé dans un boxer argenté étriqué, ses épaules couvertes de paillettes, ses yeux infiniment bleus cernés de crayon noir... tout lui semblait atrocement ridicule ce soir. Et dire que dans quelques minutes, il ondulerait le long d'une barre en essayant de ne pas repousser les mains dégoûtantes tendues vers lui pour effleurer ses abdominaux et ses fesses. En fait, il les laisserait même écarter l'élastique de son sous-vêtement pour y glisser quelques billets. Il écouterait les propositions indécentes de leurs propriétaires et, si l'un d'eux annonçait un prix qui retenait son attention, il se pencherait à son oreille pour lui dire de l'attendre dans la ruelle derrière le club après la fermeture. Certains soirs, il était chanceux et gagnait de quoi acheter de la viande. Quand cela se produisait, la plus grande de ses sœurs regardait toujours longuement le sac du boucher avant de lever un regard désolé vers lui, comprenant ce qu'il avait fait pour eux, pour qu'ils puissent manger un repas équilibré et ainsi mené une vie saine.

Citation :

DOSSIER O'FLAHERY

Témoignage de Coleen O'Flahery
« Vous ne pouvez pas comprendre. Jun, c'est plus qu'un grand-frère pour nous. C'est comme notre père. Faut dire aussi que notre vrai père n'a jamais exactement été une figure paternelle. Je ne crois pas l'avoir jamais vu sobre plus d'une journée. C'était toujours Jun qui s'occupait de nous. Vous savez, avant de se sacrifier pour nous, il avait un rêve. Il voulait faire de la danse moderne. Il était sacrément doué pour ça en plus. Sauf que c'est fichu maintenant. Il sera obligé de nous avoir sur le dos 24h/7j. Le pire c'est qu'il ne s'en plaindra jamais. Il nous aime trop. Nous aussi on l'aime. Plus que tout. Il s'est battu pour être crédible dans vos petits papiers afin de nous récupérer. Si on fait cette interview, c'est parce qu'il a presque réussi, non ? Allez, ne nous faîtes pas poireauter plus longtemps, s'il vous plaît. Signez ce maudit accord, pour qu'on soit de nouveau une famille. Ce sera presque le paradis. »

Témoignage d'Alvan O'Flahery
« Si je me suis battu avec les autres enfants de la famille d'accueil, c'est parce qu'ils me tapaient sur le système, m'dame. Mais ce sera pas pareil avec mes sœurs et mes frères, hein. Eux, je les aime. C'est normal quoi. C'est ma famille. Y a que sur eux qu'on peut compter dans la vie. C'est ce que dit Jun. J'aimais pas trop quand il me forçait à faire mes devoirs mais finalement, je préférais ça à ne plus le voir du tout. Promis, je serai super sage si vous signez le papier pour qu'on puisse vivre avec lui comme avant. Croix de bois, croix de fer, si j'mens, j'vais en enfer... Je cracherai bien mais je sens que je vais encore me faire engueuler... »

Témoignage de Demetra O'Flahery
« Il est où Jun ? Vous avez dit que je pourrais le voir. Bon d'accord, je vais répondre à vos questions avant. Allez-y, je vous écoute. Quoi ? Bien sûr que je veux habiter avec lui et mes autres frères et sœurs. C'est bête comme question. Bah parce que c'est ma famille. On devrait jamais être séparé de sa famille. En plus, Jun prend bien soin de nous. On a toujours eu à manger et un lit pour dormir. Je crois pas qu'on aura de quoi acheter des bonbons mais tant pis. Je préfère pas en avoir et être avec ma famille. »

Témoignage de Brent O'Flahery
« Ça veut dire quoi qu'il a réclamé not' garde ? Qu'il veut nous avoir avec lui ? Tous ensemble à la maison comme avant ? Ouais, je me souviens, il a dit qu'il voulait ça. Il a promis qu'on serait tous ensemble bientôt. Alors faut que je vous dise quoi ? Des trucs gentils sur mon frère ? Hé bien une fois, je me souviens que j'étais malade alors je suis pas allé à l'école et lui il est pas allé au travail et on a passé la journée dans le canapé à rien faire. Il voulait pas allumer la télé parce qu'il disait que ça allait me faire mal à la tête. Il m'a raconté des tonnes de choses amusantes. Je m'en rappelle parce que, Jun, c'est pas vraiment quelqu'un qui perd son temps à dire des bêtises juste pour rigoler. C'est pas comme Alvan. Il voulait que je guérisse vite. »

En garant la voiture dans l'allée devant la maison vers les quatre heures du matin, Jun sut immédiatement à la porte grande ouverte que son paternel et sa belle-mère étaient de retour. Trois semaines qu'ils leur avaient fiché la paix. Le jeune homme avait presque cru qu'ils avaient fait une overdose dans une ruelle mal-éclairée et qu'il ne les reverrait plus. Dommage...
Il rejoignit la petite bâtisse en courant. Coleen se tenait dans l'entrée et berçait un des jumeaux dans ses bras en lui chuchotant des mots doux pour calmer ses pleurs. Demetra était assise dans l'escalier avec l'autre que Brent essayait de divertir en faisant une marionnette avec sa main et une chaussette trouée. Alvan se tenait debout contre le mur, étrangement muet. Le couloir était dans un sale état. Tous les tiroirs du meuble avaient été fouillés et laissés en bazar. Il y avait des débris indéterminés sur le sol et, à ce qu'il pouvait voir de là où il se trouvait, le salon un peu plus loin n'était en guère meilleur état. « Qu'est-ce qui se passe, Col' ? » demanda Jun en posant une main réconfortante sur la tête bouclée de sa plus grande sœur. D'un calme olympien, comme souvent dans les situations les plus explosives, la demoiselle lui expliqua tout : « Ils sont rentrés il y a quelques minutes et Cheryl s'est mise à gueuler comme quoi tu lui avait tiré sa dope. Elle a retourné tout le rez-de-chaussée à sa recherche. » Jun serra les dents. La dernière fois que sa belle-mère était rentrée, elle avait laissé traîner un sachet plein de meth qu'il s'était fait une joie de foutre dans les toilettes dès qu'elle avait eu le dos tourné. « Et p'pa ? » « Il s'est écroulé dans la cuisine. Il est pas mort, il dort. J'ai vérifié. Cheryl est pas loin de tomber aussi. Mais avant, elle a retapissé tout le sol de vomis. » Cette fois, l'aîné des O'Flahery vit rouge. Il donna un coup de menton en direction de l'étage. « Monte recoucher les enfants, je m'occupe des adultes. »
Sans attendre, il se dirigea vers le salon. La pièce était effectivement dans un piètre état et il repéra bel et bien des galettes odorantes aux couleurs douteuses sur la moquette. En passant dans la cuisine, il découvrit le corps de son père allongé sur le carrelage. Ce spectacle déjà trop vu ne l’émouvait même plus. Avisant sa belle-mère accroupie, la tête dans un placard à casseroles, il l'attrapa par les cheveux pour la forcer à se relever et lui fourra un seau en fer sous le nez. « Ecoute-moi bien, Cheryl, parce que c'est la dernière fois que je le dis. Si je te reprends à gerber ailleurs que dans ce putain baquet, c'est avec ta tête que je nettoierais. Pigé ? » La junkie émit un grognement et se débattit un peu avant d'avoir un haut-le-cœur et de dégobiller dans le récipient cette fois-ci. C'était pas elle qui faisait le ménage. Quand elle eut la bouche libre, elle crapota : « T'en as fait quoi de mon paquet, Junny ? » Mentir, surtout à cette femme, c'était comme une seconde nature pour lui alors il n'eut aucun mal à se faire croire quand il lâcha : « Tu t'es déjà tout enfilé. Tu t'en souviens pas. » La femme hésita un instant puis, réalisant que c'était tout à fait probable, elle ne protesta plus pour le moment. A la place, elle grimaça en se tenant la tête : « Aide-moi à monter à l'étage. J'ai trop envie d'un lit. » « Pas question ! » rétorqua-t-il immédiatement en faisant quelques pas en direction de la sortie. « Tu restes là pour cette nuit. Tu vas dégueulasser tout l'étage et réveiller les jumeaux. » « Hey ! » Braya-t-elle sans gêne « Ce sont mes morveux ! J'fais c'que je veux d'accord. Si y braillent trop, j'vais les vendre ces ptits cons et puis c'est tout. » Jun fit demi-tour et attrapa sa belle-mère par la gorge. Il prit son air le plus menaçant pour l'avertir : « Si tu touches un seul de leurs cheveux, je te découpe en petits morceaux et on te bouffe. Au moins, comme ça, tu nous auras nourri une fois dans ta vie. »
Furibond, Jun la laissa s'écouler par terre et rejoignit l'étage à grandes enjambées. Les jumeaux pleuraient toujours, malgré la berceuse que Coleen leur chantait. Le jeune homme déposa un baiser sur la tempe de sa sœur et l'envoya se coucher. Il prit les petits corps de Zoe et Mickey dans ses bras et alla les allonger dans son propre lit. Quand il se coucha à coté d'eux et caressa avec beaucoup de douceur leurs tempes en leur murmurant des paroles rassurantes, les bébés se calmèrent et finirent par s'endormir. Jun veilla une bonne demi-heure sur leur sommeil avant de les y rejoindre, finalement épuisé.