« Je l’ai frôlée si fort que toutes mes envies d’étreintes s’en trouvèrent assouvies. »
(Miroir Fumant)
Sous cet air candide d’enfant, on ne se douterait de rien.
Non, on ne se douterait pas qu’elle se considère désormais comme une bombe.
La rouquine se mord la lèvre, tape nerveusement du pied, enfonce ses doigts dans le tissus des accoudoirs : elle n’aime pas cette salle d’attente, ni ce bâtiment, ni le bureau de l’autre côté de la porte. Bien qu’elle soit redevable envers cette personne, elle n’aime pas être questionnée, épiée comme lors des séances.
« Aller, c’est pour ton bien. Une heure et tu rentres chez toi tranquille. » La porte s’ouvre, il faut y aller et affronter le moment. Comme une grande.
Mais elle n’est pas capable d’abandonner son angoisse dans la salle d’attente pour autant.
Quinze mois plus tôt.Elle se souvient de leur première rencontre : elle venait d’être admise à l’hôpital, après un passage par les urgences avec son lot de questions.
Psychiatrie, ce service que tout le monde redoute.
Épuisée jusqu’à l’extrême, elle s’était écroulée littéralement la tête la première sur un trottoir en sortant de l’université. Ivana avait ses périodes de haut et de bas, comme toutes adolescentes selon sa mère. Et puis, c’est devenu quelque peu extrême au fil des mois. Comprenez par là qu’elle n’était plus capable de sortir de son lit pendant une période ou qu’elle ne dormait plus pendant quelque jours, prétextant être trop occupée et au point d’avoir une de ces horribles crises de larmes si elle n’arrivait pas à boucler sa liste.
Alors qu’Ivana avait d’abord été admise pour une éventuelle commotion ou autre traumatise dû à la chute, on l’avait incitée à faire davantage d’examens auprès d’un psychiatre. Le verdit avait fini par tomber : bipolarité.
Absence de réaction immédiate.
Elle n’est plus la même depuis.
Même avec son traitement, elle ne sait plus exactement qui elle est.
Est-ce qu’Ivana est cette fille profondément heureuse ou triste ?
«
Comment allez-vous aujourd’hui Ivana ? »
La question la plus banale et la plus horrible en même temps.
La jeune femme soupire.
«
Je prends mes médicaments. Je n’ai pas eu d’épisode depuis un moment. »
Haussement d’épaules. Il hausse un sourcil.
Tout cela pour dire qu’elle n’a pas répondu à la question.
«
Je viens de passer deux mois en Afrique. C’était… la meilleure expérience de ma vie. Je pense. »
Un sourire sincère chez chacun d’eux.
Il aura fallu quinze mois pour qu’Ivana comprenne enfin le principe de ces séances.
En dehors de son psychiatre, elle n’en parle pas et seuls ses parents sont au courant.
Pour les plus curieux, la jeune fille a eu comme seule explication une crise d’hypoglycémie.
Alors imaginez la réaction des parents – inspecteur et enseignante – quand elle a demandé, supplié de vivre seule, dans Londres. Une simple demande qui avait son lot de questions.
Encore.
Quand bien même sa vie ne tourne pas autour de la maladie.
Quant bien même elle continue à se donner à fond pour les autres, sa vie sociale est une catastrophe : elle n’a jamais dit « je t’aime » et n’a même pas eu l’occasion de perdre bêtement sa virginité tard, même pas pour faire comme les autres.