[Tinseltown's Diner] Nova Era

Décembre 2018

Je crois que j'ai rarement eu des yeux de merlan frit à ce point quand Kassie m'a demandé si je pouvais passer au Lucky Star et qu'avec Nate, ils m'ont demandé s'il pouvait y avoir de la place pour le mec du patron au diner. Le type qui est né avec une cuillère en argent dans la bouche, là. Encore plus que nous. Ok, c'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité, mais... mais nos vieux, ils sont pas nés richards, ils sont taffé comme des tarés pour ça, d'ailleurs c'était bien le problème, c'était tellement important de réussir et de bien se faire voir de la bonne société que les gamines, on les laissait aux bons soins de gouvernantes qui restaient pas - l'aurait pas fallu qu'on s'attache trop, hein.

Bref. Je suis restée comme une con à les observer, en me demandant une minute si c'était une blague. Mais non, bien loin de là. Alors vu comme on est en sous-effectif au diner et que j'aurais vraiment besoin d'un peu plus de temps libre pour bosser mes cours et surtout mon méga-projet de fin d'année, j'ai fait du forcing pour que les nouveaux patrons acceptent de recevoir en entretien Mr Alastair Pratt jr. Avec une main dans le plâtre, ouais. Mais ça va pas être éternel, et on a besoin de lui. C'est comme ça qu'il l'a vendu, c'est ce que j'ai appuyé. Et évidemment, qui c'est qui se colle à la formation du gars ? Et bah c'est moi, bien sûr. Il y a pas eu besoin de former Charles - je vais jamais réussir à pas l'appeler Derek, c'est trop bizarre - fallait bien qu'on me colle le nouveau nouveau. D'ailleurs Marlon est mort de rire en cuisine quand il débarque le jour J.

- J'ai trop hâte de voir ça.
- Eres un tonto !

Il se fout de ma gueule, évidemment. Mais c'est de bonne guerre, vu le nombre de fois où c'est moi qui me paie sa tête. C'est le jour de repos de Charles, et Betty reste en salle pour les clients. C'est le début de l'avent, mais c'est assez calme, heureusement, on devrait pouvoir s'en sortir. C'est pas sorcier comme boulot, après tout, si moi j'ai pu apprendre à servir des gens même quand j'ai juste envie de les foutre dehors à coups de pied au cul, c'est que tout le monde doit pouvoir le faire, non ? C'est ce dont j'essaie de me persuader en tout cas. Et quand il débarque au diner, je sors de derrière le comptoir pour m'approcher de lui. On s'est pas rencontrés, mais j'ai vu sa photo sur le CV et y a pas douze mecs avec un bras plâtré qui passent tous les jours.

- Salut, Alastair, c'est ça ? Je suis la petite soeur de Kassie, on n'a pas trop eu l'occasion de se croiser. Je m'appelle Sharona, mais Sha, c'est plus court, et ça me convient mieux.

Je le guide vers le comptoir avec moi, tous mes efforts mobilisés pour avoir l'air civilisée et sociable - ce qui doit faire tellement marrer Marlon derrière nous !

- Bon. Tu verras, c'est pas bien compliqué. Le truc le plus compliqué pour moi, ça a été de pas coller mon poing sur la tronche des clients trop relous, le reste c'est franchement pas sorcier...

Bon, il est pas obligé d'être aussi caractériel que moi non plus cela dit. Et j'ai pas mal envie de rajouter quelques trucs persos dans la conversation, mais je me fais violence pour pas le faire dès les trois premières minutes de conversation. N'empêche, je peux pas m'empêcher de me sentir obligée de montrer un peu les crocs quand il s'agit de mes proches... et Nate en fait partie à présent...

@Alastair H. Pratt
cité @Charles D. Thompson

Lundi.

L’alarme de son téléphone avait sonné un peu trop tôt à son goût. Vers les 9h00 du matin. Il l’avait mit en veille une fois, deux fois, avait ronchonné et s’était retourné sur le canapé, en plongeant la tête sous les couvertures. Il avait dû se rendormir. Puis on avait finit par le secouer pour qu’il ferme son alarme. Hagard, il avait regardé la date et le jour. Lundi, 10h04 et s’était précipité dans la salle de bains, pris de panique. Il ne lui restait que 25 minutes pour enfiler une chemise blanche et un pantalon noir et se rendre à Farrington, pour son premier quart de travail.

La façade du diner ne payait pas de mine, de l’extérieur. Une simple enseigne ronde, une pancarte un peu trop criarde annonçant les spéciaux du jour, sponsorisé par Heinz et un escalier qui descendait au sous-sol de l’édifice.

Serait-il jamais entré dans ce genre d’endroit, auparavant, même pour déjeuner entre potes? Il ne savait pas trop. L’escalier qu’il s’apprêtait à descendre semblait peu engageant. Il imaginait mal Nate s’y sentir à l’aise. Il soupira. Ce n’était pas comme s’il avait vraiment le choix, n’est-ce pas?

C’était son copain qui avait eu l’idée. Il l’avait assis sur le lit, lui avait pris la main et lui avait fait un monologue sur le fait qu’il comprenait ses besoins d’indépendance et son orgueil. Qu’ils savaient tous les deux que le Lucky Star le rendait trop nerveux, maintenant, pour y travailler et qu’il savait que ça n’allait pas du tout, côté finances. Il avait serré davantage la main en lui parlant de la sœur de Kassie qui recherchait quelqu’un, pour la remplacer. Puis Nate avait prit une grande inspiration et avait sourit, d’un air faussement guilleret avant de lui apprendre que c’était un poste de serveur. Alastair avait ouvert la bouche pour exprimer tout le non-sens et l’horreur de l’idée. LUI?! SERVEUR?! DANS UN VULGAIRE DINER AMÉRICAIN?! Puis, il avait refermé la bouche. Avec sa main dans le plâtre, sans véritable expérience de travail et sans son diplôme complété, qui l’engagerait, maintenant que cette putain de tournée était mise sur pause?

Il avait baissé la tête et acquiescé, sans un mot.

À l’intérieur, c’était ok. Propre, avec un style bien rétro. Les banquettes de cuir vert le long des murs, les tables au centre, des affiches de films d’Hollywood encadrées et le gigantesque téléviseur accroché au mur qui passait des vidéoclips. En cuisine, on s’affairait pour l’ouverture du resto, pour 11h. Il entendait les gens discuter et blaguer, au fond, dans la cuisine.

Il s’avança, un peu mal à l’aise dans le resto calme. Une serveuse préparait les couverts dans un coin, remplissait les bouteilles de ketchup et lui fit signe vers la porte des cuisines. Une autre fille finit par en sortir, avec le sourire pincé. Nul doute qu’on lui avait donné la corvée de s’occuper de lui, aujourd’hui. Et quelle corvée! Alastair eut un soupir amer. Savait-elle qu’il n,avait jamais travaillé de sa vie? Elle lança un regard circonspect vers son plâtre et se présenta. Sha. Alastair l’avait déjà vue quelques fois, au bar, assise au comptoir du bar. Il lui fit un grand sourire, bien charmeur et faussement confiant et tendit sa main valide, comme à l’entrevue.

« T’es la sœur de Kassie, c’est ça? On s’est croisé sans vraiment se parler, je crois. Ali. Je… je suis un ami de Nate. Servir… servir les clients avec le sourire… crois-moi, c’est ma spécialité… On… On commence par quoi? »

Qu'est-ce que je sais de ce type ? Que c'est le mec de Nate. Que ses vieux sont plein aux as mais lui ont coupé les vivres. Qu'il galère, après l'agression au diner, avec son bras dans le plâtre. Que c'est un sacré beau gosse, qui joue parfois au Lucky avec Nate. Et puis ? Et puis pas grand chose, au fond. Juste que ça fait un moment qu'ils sont ensemble, avec le patron du bar maintenant, quelques mois, quelque chose comme ça, et que ça lui a permis de se remettre de Tyler.

Alors quand je sors des cuisines pour le récupérer et lui montrer ce qu'il doit savoir ici, je me demande s'il est dans le même état d'esprit, lui, que l'est mon pote. Une poignée de main ferme, je lui rends vaguement son sourire, me demandant un peu s'il croit que ça va me faire du charme, là, ou je sais pas trop quoi du genre.

« T’es la sœur de Kassie, c’est ça? On s’est croisé sans vraiment se parler, je crois. Ali. Je… je suis un ami de Nate. Servir… servir les clients avec le sourire… crois-moi, c’est ma spécialité… On… On commence par quoi? »

Je fronce les sourcils, ma main toujours dans la sienne. Et la maintient volontairement fermement encore quelques instants.

« Un ami ? Il me semblait que vous étiez plus que "juste des amis". Tu vois... Je suis une de ses amies. Et à moins que je me trompe - mais c'est pas le cas -, pour lui t'es clairement plus qu'un ami. »

J'ai fini par le relâcher pour le guider vers la caisse, dans l'optique évidente de lui montrer son fonctionnement, et je lui sors une des cartes du diner au passage.

« Je vais te dire un truc. Quand j'ai rencontré Nate pour la première fois, il était avec Tyler, qu'était mon pote. Et la première chose que je lui ai dite, c'est que je me ferais un plaisir de lui défoncer sa jolie petite gueule s'il faisait du mal à mon pote. »

Je pousse la carte sur le comptoir, la tend sans la relâcher dans un premier temps à Alastair.

« Aujourd'hui, c'est Nate mon pote. Je suppose que j'ai pas besoin de te faire un dessin, n'est-ce pas ? »

Et l'air de rien, je retire ma main de la carte.

« Un conseil : mémorise la carte. Au moins en gros. Ca te simplifiera la tâche ensuite. Viens voir, je te montre comment ça marche là. »

Comme si je venais pas juste de le menacer de lui défoncer la gueule, je lui fais signe de me rejoindre derrière le comptoir, lui montre la caisse enregistreuse, et où trouver les principaux items de la carte - ceux qu'on nous demande le plus - comment rendre la monnaie aussi. Je pars du principe qu'il sait suffisamment lire et compter, vu que de ce que j'ai compris, il faisait des études supérieures jusque-là, et vu le milieu dont il sort.

« La plupart du temps, Marlon est en cuisine, et on se partage la caisse et la salle avec Betty. On a un autre collègue qu'est en repos aujourd'hui, tu le verras sans doute demain. Et dans un premier temps, je vais être avec toi pour servir et te guider. Le maître-mot : zen. Je suis la première à péter un câble facilement, donc je parle en connaissance de cause : Si à un moment tu sens que ça part en live, refile le bébé à Betty, elle calmera le jeu. File en cuisine écouter Marlon dire des conneries, ça détend assez facilement normalement. Ca ou lui coller une serviette imbibée d'eau dans la tronche, ça dépend des fois. »

Marlon a protesté derrière ses fourneaux, mais on sait tous que c'est la vérité. Et qu'il rend facilement la monnaie de sa pièce à ceux qui viennent l'emmerder, aussi. Charles en sait quelque chose, d'ailleurs.

« Pour le reste, comme je te dis, c'est pas sorcier. Prendre la commande, l'enregistrer dans la caisse, encaisser et filer les infos à Marlon derrière pour la préparation... Et remplir les tasses de cafés quand on te le demande. C'est pas vraiment le taff le plus valorisant du monde, je sais bien, mais au moins ça paie les factures quand on n'a pas trop le choix... »

Et là aussi, je parle en connaissance de cause, même s'il ne le sait pas forcément...