Ryan □■ I'm free as a bird when I'm flying in your cage

I'm always ready for a war again

BELFAST, Irlande ❖ 2001

« T’es qu’un pauvre type, Elijah ! Ne me touche pas ! » Les cris résonnent, lui vrillent les tympans. Cachée sous la couverture, elle plaque ses mains sur les oreilles de Micah pour qu’elle en entende le moins possible. C’est comme une litanie qui tourne en boucle. Tous les soirs c’est la même chose mais le timbre de la voix diffère selon l’homme que Moreen fréquente. Mais tous les soirs une dispute éclate et tous les soirs elle protège sa sœur en bouchant très fermement ses oreilles pendant qu’elle, elle continue de tout en entendre. Sans cesse la même histoire. Sans cesse la même raison : l’alcool. Que ce soit son beau-père du moment ou sa mère, tous boivent à en devenir mauvais. La porte de la chambre s’ouvre et se referme. Pas besoin de regarder pour savoir que sa seconde petite sœur est arrivée aussi discrètement que possible. Sasha se glisse contre Micah qui la serre dans ses bras. Les trois sœurs restent ainsi des heures et des heures jusqu’à s’endormir toutes les trois les unes contre les autres. Ryan, elle déteste cette situation. Elle déteste aussi Tomas, son frère. Ce lâche qui les a abandonnés trois ans plus tôt. Ce salaud qui l’a laissé tout gérer à la maison parce qu’elle ne peut pas compter sur sa mère. Lorsqu’elle n’est pas en train de travailler, elle boit encore et encore, somnole sur le canapé et il n’y a plus que les jumelles pour s’occuper de Sasha. Ryan, elle a neuf ans et elle gère tout à la maison ; les repas, les devoirs de ses sœurs et ses propres leçons. Et ce ne sont pas ses beaux-pères qui aideraient. Tout aussi alcooliques que sa mère, ils ne restent jamais bien longtemps dans la vie des filles et, en général, les traites comme des esclaves. L’un de ces nombreux hommes de passage est le père de Sasha alors que les jumelles avaient un véritable père, sans doute très aimant mais elles ne le savent pas. Deux ans, c’est l’âge qu’elles avaient lorsqu’il est mort, lorsque leur mère a sombré dans cette dépendance à l’alcool et à cette poudre blanche qu’elle nettoie souvent sur la table basse du salon. Cette vie, ça la fatigue mais elle fait tout pour ne pas craquer. À l’école, elle a entendu plusieurs fois cette histoire des gens venant dans les familles difficiles pour séparer les frères et sœurs. Elle, elle ne veut surtout pas être séparée de ses sœurs, elle ne s’en remettrait pas. Alors, Ryan fait tout pour ne jamais attirer l’attention de ces adultes sur sa famille, elle s’occupe même de faire en sorte que sa mère paraisse sobre lorsque les voisins se mêlent de ce qui ne les regardent pas. Réveillée par son radioréveil, elle repousse la couverture, regarde ses deux sœurs paisiblement endormies et se glisse hors du lit sans les réveiller. Dans le salon, elle retrouve son beau-père, bras ballant hors du canapé et aucune trace de sa mère. Comme tous les matins. Et aussitôt elle s’affaire à faire un peu de nettoyage avant que Micah et Sasha ne se lèvent après quoi elles déjeuneront et partiront à l’école … une routine.

gimme shelter

LONDRES, ANGLETERRE ❖ 2008

Les mains de ses sœurs dans les siennes, elle ne les lâche pas alors que la voiture se gare dans l’allée d’une jolie maison. Fatiguée, malgré les cernes sous ses yeux, elle n’a pas voulu dormir. Trois nuits sans fermer les yeux. Trois nuits à veiller sur le sommeil calme de ses sœurs. Une fois arrivée à Londres, Ryan n’a pas plus dormi, dévorée par l’angoisse. Ses grands-parents paternels, elle n’en a jamais entendu parler. Sa mère n’a jamais voulu parler de son père ou du reste de sa famille et, de toute manière, étant donné son état d’ébriété les trois quarts du temps l’adolescente n’aurait pas été sûre qu’elle lui dise la vérité. Maintenant, elle va la connaître et elle ne sait pas si elle est excitée ou complètement apeurée. Le seul point positif c’est qu’elle n’a pas été séparée de Micah et Sasha. C’était sa plus grande crainte lorsqu’on l’a informé que les services sociaux avaient débarqué chez elle. Un appel de Sylvia une amie et voisine dont les parents sont les responsables du coup de téléphone à ces personnes que la blonde craint depuis l’enfance. Bien qu’étant assidue en cours, elle est partie comme une furie pour rentrer chez elle, s’est agrippée à ses sœurs une fois qu’elle les a rejointes pour finalement partir avec elles et leurs maigres affaires pour un foyer le temps de contacter la famille. Deux jours plus tard, ses grands-parents acceptaient de prendre les trois filles sous leurs ailes y compris Sasha qui n’est pas leur petite-fille. Vol direct pour Londres ensuite un peu de route pour atteindre une grande maison dans le quartier de Wimbledon. Le regard des trois filles se tourne vers la maison ancienne et entourée de verdure, bien loin de l’appartement miteux auquel elles étaient habituées. Sous le porche, un couple d’une soixantaine d’années visiblement aussi angoissés que les trois demoiselles les attendent. Elles sortent du véhicule sans se lâcher, Sasha serrant fermement la main de chacune de ses sœurs tandis que le couple s’avance vers elles. « Bonjour les filles. » Lance d’une voix tremblante l’homme habillé aussi impeccablement que sa femme. « Je m’appelle Henry et la charmante femme ici est mon épouse, Annie. » Bien plus timide que son mari, Annie se contente de sourire aux demoiselles. S’en suit une visite de la maison si immense que Ryan est persuadée de passer des années avant de parvenir à s’y retrouver … à moins de rester enfermée dans sa chambre. Après quelques consignes, les trois sœurs sont laissées avec leurs grands-parents, tous les cinq assis autour de la table de la cuisine. « Ce n’est pas grand-chose cette maison, mais ici vous recevrez tout l’amour que vous méritez les enfants et si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous ne devez jamais hésiter. » Si Micah et Sasha agitent vivement la tête, Ryan reste suspicieuse. Avec les années elle a appris à devenir méfiante, surtout lorsque les choses luis semblent être trop belles comme cette maison. Comme ses grands-parents et cet amour qu’ils leur promettent alors qu’elle n’a jamais connu ça.

Baby, can you play with fire

LONDRES, ANGLETERRE ❖ 2013

« T’es certaine de pas pouvoir ce soir ? J’aurais vraiment besoin que tu me remplaces. » Une grimace déforme les traits de Ryan. Elle aimerait vraiment pouvoir dire oui – ce qu’elle fait à chaque fois, trop bonne âme qu’elle est – seulement elle ne peut vraiment pas. Face à son miroir, elle passe ses cheveux blonds derrière ses oreilles et laisse ses boucles tomber en cascade sur ses épaules. Sa veste en cuir ne cache en rien son corps qu’elle sait parfait et elle inspecte une dernière fois sa tenue sous le regard curieux de sa sœur. « Ce gars doit vraiment en valoir le coup pour que tu refuses de m’aider. » Aussitôt, Ryan se tourne vers son double en tout point. Son regard rencontre le reflet du sien et un sourire étire doucement ses lèvres. Micah la connaît par cœur. Elles ont grandi ensemble et partagent ce lien particulier qu’ont certains jumeaux. Sans être ensemble, elles savent ce que l’une et l’autre ressent, lorsque l’une ou l’autre va mal. Forcément qu’elle sait qu’elle prend son pied avec sa conquête du moment … enfin qui dure déjà depuis un an. « Au lit il vaut le coup, oui. Et tu sais que moi c’est tout ce que je demande. » Qu’elle affirme en quittant la salle de bain pour aller enfiler ses bottes. Sa sœur sur les talons, elle sait sans la regarder qu’elle vient de lever les yeux au ciel. C’est probablement l’une des nombreuses choses sur lesquelles elles sont devenues différentes. Micah, c’est la fille studieuse et sérieuse. Toujours fidèle, elle sort avec le même type depuis qu’elles sont étudiantes – enfin même si Ryan ne l’est plus. La blonde, en revanche, c’est tout le contraire. A force d’avoir vu les hommes de leur mère défiler enfant et adolescente, elle n’a jamais pu avoir confiance. A ses yeux les hommes sont tous les mêmes tant et si bien qu’elle ne s’est jamais posée. Non, elle préfère les sexfriends. C’est bien plus intéressant selon elle. Son régulier est marié, détail qu’elle n’a pas confié à sa sœur. C’est ce qui l’a attiré ; l’interdit. D’ailleurs c’est le même homme qui leur a trouvé leur appartement et si ses souvenirs sont bons – ils le sont toujours – c’est dans ce même logement qu’ils l’ont fait pour la première fois. A ce souvenir, un petit sourire apparaît sur ses lèvres. « Tu penses qu’un jour tu me feras la joie de m’annoncer que t’es en couple ? Même fiancée, je ne serais pas contre. », « Je crois pas, non ! Ça c’est toi … comme les enfants d’ailleurs. » Parce qu’elle ne serait pas surprise que dans quelques mois Micah lui annonce être fiancée et enceinte de son premier enfant. Elle serait heureuse pour elle, vraiment, mais ça n’est pas son truc. La confiance, elle peut en avoir mais pas en amour. De toute manière, elle n’y croit pas. Enfin prête, elle embrasse sa jumelle sur la joue et s’empresse de quitter l’appartement.

Assise sur le bord de son bureau, elle attrape sa chemise et l’attire entre ses jambes. En un éclair, leurs lèvres se scellent dans un baiser passionné, du genre à lui couper totalement le souffle au bout de quelques secondes à peine. Et elle voit juste. Respiration saccadée, elle éloigne un peu son visage, pose ses mains sur les épaules du blond et sourit. « Moi qui pensais que tu allais préférer la sécurité de ton logement … » Elle le cherche, le taquine comme elle adore le faire parce que le goût du risque, elle adore ça. Ryan ne devrait pas être fière d’elle, pas alors que sa relation est avec un homme marié. Mais la honte, elle n’en a jamais été eue. Si les hommes sont faibles, elle n’est pas franchement mieux et elle l’assume parfaitement. « Ça se fera plus tard ça, c’est prévu. Pour l’instant, j’étais bien trop impatient pour me retenir. » Qu’il souffle en déviant ses lèvres en direction de son cou. L’irlandaise sourit de plus bel, largement satisfaite par cette réponse à laquelle elle s’attendait. Ils ont les mêmes attentes, les mêmes envies, toutefois il est plus agréable de l’entendre le dire de vive voix et elle compte en profiter encore et encore toute la nuit.

i'm bulletproof, nothing to lose

LONDRES, ANGLETERRE ❖ janvier 2018

« Mais … c’est quoi ça ? » Qu’elle demande d’une voix hystérique, les cheveux en bataille, à moitié réveillée. Après avoir passé la soirée à servir client sur client, retrouver son lit à cinq heures du matin était une véritable bénédiction … jusqu’à entendre des pleurs d’enfant dans tout l’appartement. Jusqu’à preuve du contraire Micah n’avait pas prévu de débarquer à l’improviste avec son fils de cinq ans et, en plus de ça, ses pleurs là sont totalement différents de ceux de Nathanaël. C’est ce qui la sortie du lit alors que le sommeil lui manque et qu’elle voudrait rester au chaud sous sa couette. Micah n’est pas la personne qu’elle retrouve dans le salon avec un bébé dans les bras, non il s’agit Sasha. Sasha qu’elle n’a pas vu depuis quatre ans, depuis qu’elle a décidé de tout claquer pour s’envoler pour elle ne sait où. Sasha qui a lâché ses études payées par leurs grands-parents pour partir avec un type sorti de nulle part. « Ça c’est un bébé ! T’es devenue stupide ? » Sourcils froncés, elle se retient de lui en coller une pour son insolence. Elle sait ce qu’est un bébé, elle a dû s’occuper de son neveu à de nombreuses reprises en cinq ans, mais c’est ce bébé-là qui lui semble être une inconnue qu’elle ne parvient pas à résoudre. « Comment t’es rentrée avec ce truc qui pleure ? » Insiste-t-elle en passant une main sur son visage. Ça ne la réveille pas plus mais au moins elle ressemble moins à une étudiante ayant trop fait la fête hier. Sasha la fusille du regard et cette expression, Ryan la lui rend bien. « C’est ma fille, Ryan. Et Micah m’a passé son double. J’ai besoin que tu m’aides, je ne pouvais pas aller voir les grands-parents après mon départ … », « Ah parce que moi, oui ? Je ne suis pas nounou et je suis pas là pour réparer tes merdes. T’as voulu jouer la grande, assume. » Et puis, pourquoi elle l’emmerde alors qu’elle n’a toujours pas pris son petit-déjeuner ? Elle a oublié à quel point c’est un ours tant qu’elle n’a rien avalé au réveil ? Un soupire lui échappe en voyant l’air qui s’affiche sur le visage de sa cadette. C’est ce petit air de chien battu qu’elle sait si bien faire depuis son plus jeune âge, celui qui la faisait toujours craquer enfant. « Ça va, de quoi t’as besoin exactement ? » La question à peine posée qu’elle lui tend la gamine qui a enfin arrêté de pleurer si fort qu’elle est surprise que ses tympans aient survécu. Par réflexe, elle la prend dans ses bras, la berce comme elle le faisait avec Nate lorsqu’il était petit. « J’ai besoin que tu t’occupes de Lena quelques temps. J’ai fait des conneries, Ryan, je dois les réparer avant de pouvoir m’occuper d’elle. » La jeune femme ouvre la bouche mais est aussitôt interrompue par sa sœur. « S’il te plait, Micah a déjà Nate et le futur bébé à gérer, sans compter que t’es la seule qui accepterait de m’aider. », « Mais … je peux pas. J’ai mes études et mon boulot … Sasha, comment tu veux que je gère ta gamine ? », « Trouve un moyen ! Je ferais en sorte que ça soit rapide. » À son regard suppliant, elle finit par céder même si gérer un bébé de trois ans seule ça risque d’être compliquée, très compliquée. Et surtout Ryan elle ne sait pas. Elle ignore que la rapidité de sa sœur n’existe pas, que les semaines vont se transformer en mois sans la moindre nouvelle de sa cadette et Lena toujours sur les bras.