and i can't stop loving you / lydia

la salle était sombre. l’action était lente. les dialogues monopilsaient l’attention, la concentration. quelques bruits de chips et de popcorn résonnaient, brisant presque la monotonie du film. l’odeur de sucreries lui chatouillaient les narines, lui rappelaient qu’elle n’avait pas encore déjeuné. des acteurs d’avant, d’une époque révolue où les principes étaient plus prudes, moins dévergondés, des années soixante illuminaient l’écran. la beauté de l’actrice était frappante. des traits fins, une coiffure et une tenue impeccable. le genre de beauté inoubliable, qui faisait tourner le regard des hommes. elle l’enviait, lydia. deux hommes se battaient pour elle, pour son amour. deux hommes voulaient d’elle tout en entière, et pas seulement entre les quatre murs d’un studio. une histoire d’amour rocambolesque, comme on n’en faisait plus aujourd’hui. quelques têtes se dessinaient devant l’énorme toile tissée blanche. il n’y en avait que cinq, ou six tout au plus. des passionnés de vieux films, des personnes âgées ou au chômage. des gens avec du temps à perdre. puis il y avait lydia. et liam. lydia et liam. ça la faisait sourire, parfois, de les assimiler à un couple, à un duo inséparable. liam et lydia. ils étaient invincibles, ensemble, emmêlés sous les draps de son lit. ils étaient dans une bulle, où rien d’autre ne comptait. ses doigts étaient enroulés autour des siens. elle aimait le contact de sa peau contre la sienne. un réconfort, dont elle absorbait chaque instant, chaque cellule. c’était leur point de rendez-vous, le cinéma. depuis deux ans, maintenant. un endroit calme, à l’abri des regards indiscrets. les films en noir et blanc étaient leur choix de prédilection. les gens ne se passionnaient plus pour les classiques. eux, ce qu’ils préféraient, c’était la folie des films d’action, l’absurdité des films de science-fiction. la beauté de la romance des vieux films leur échappait. ils étaient tranquilles, dans ces salles. la pénombre camouflait, cachait les secrets dans les ombres qui ondulaient sur les murs, la musique et les dialogues étouffaient les confessions et les non-dits. parce qu’il était toujours marié, parce qu’elle l’aimait encore plus. il s’était ouvert, avait prononcé les mots interdits, ceux qu’elle ne pensait jamais entendre. je t’aime. sa femme savait pour leur liaison. elle les avait vu, dans un moment d’inadvertance, de passion. elle avait vu les baisers, la tendresse et les caresses. elle avait vu l’imprudence. pourtant, ils étaient encore une famille. toujours mariés, et souriants comme sur leurs photos de mariage. et lydia saignait, brûlait pour un amour interdit, pour une vie banale et ordinaire à ses côtés. elle attendait, patiemment. elle n’imaginait pas une vie où il n’était pas à ses côtés. elle était morose, sans lui. énervée et de mauvaise humeur, la langue acérée et tranchante. alors, elle attendait, elle supportait, patientait dans un coin. elle, l’impatiente, celle qui préférait se déplacer en boutique, plutôt que d’avoir des réductions sur internet et attendre cinq à huit jours ouvrés pour ses colis. elle, qui préférait sacrifier son temps précieux, plutôt que de compter sur les autres. un jour, il finirait par lui revenir. un jour.