your heart is all i own (lydia)

« Lydia, viens mettre de la crème solaire. » L’attention de Lydia se reporta sur le visage ensoleillé de sa mère. Ses yeux étaient plissés à cause du soleil, le vent balayé ses cheveux. Sa beauté rayonnait. Lydia hocha la tête, s’élançant vers elle, pour se faire tartiner de crème. La plage de Brighton était grande. La roue surplombait le paysage. La mer était d’un bleu qu’elle n’avait jamais vu. Ses orteils s’enfonçaient dans le sable. C’était la première fois qu’elle touchait du sable, d’ailleurs. Il était granuleux, râpeux. Il tenait tout seul quand il était humide. Elle pouvait faire des châteaux de sable, comme dans ses livres. C’était également la première fois qu’elle voyait la mer. Elle avait l’impression que la mer et le ciel se rejoignaient, qu’ils ne faisaient qu’un. Ses parents n’avaient jamais accordé trop d’importance aux vacances. Elle les avait entendu parler, une fois, l’année dernière. Selon eux, c’était des dépenses inutiles. Ils n’étaient jamais partis plus loin que Londres. Elle s’était plainte de ne jamais partir en vacances. Du haut de ses sept ans, elle ne comprenait pas pourquoi tous ses copains partaient en vacances, et pas elle. La surprise avait coloré les traits de son visage quand le bord de mer était apparu dans son champ de vision. « Maman, on peut aller dans la mer, s’il te plait ? » Un sourire se dessina sur ses lèvres. Elle espérait, sincèrement, que ces vacances ne seraient pas les dernières.


La pièce était silencieuse. Ses doigts jouaient avec un fil qui dépassait des coutures de sa robe noire. Les rayons du soleil illuminaient les feuilles de l’arbre dans le jardin, leurs ombres dansaient sur le parquet de la chambre. L’enterrement avait été calme, pas un mot, hormis les hommages, n’avait été prononcé. Julia aurait détesté. Elle n’avait jamais aimé le silence. Son truc, c’était la musique. Son violon traînait dans un coin de la pièce, parfaitement posé sur son socle. Elle la revoyait, ses mains et gestes précis, la baguette s’agitant harmonieusement. Son rêve était d’aller au Royal College of Music. Parfois, Lydia pouvait encore l’entendre brailler, chanter, rire. Mais ce n’était qu’une illusion. Une larme coula le long de sa joue. Son père ne la regardait plus, ne lui parlait plus. C’est comme si elle n’existait plus. Comme si elle s’était, elle aussi, éteinte dans cet accident. Elle ne l’avait pas vu, le camion. Il était sorti de nulle part. La lumière aveuglante de ses phares était la dernière chose dont Lydia se souvenait. La scène se jouait en boucle dans sa tête. Elle s’en voulait. Le genre de culpabilité qui ne la quitterait jamais. A chaque fois qu’elle fermait les yeux,  le visage pâle de sa sœur apparaissait. Elle était responsable de sa mort, parce qu’elle voulait sortir, parce qu’elle voulait profiter, parce qu’elle n’était pas capable d’assurer son rôle de grande sœur. Petite Julia, de quatre ans sa cadette, avec son visage de poupée et ses grands yeux marrons. Elle attrapa ses béquilles, et tenta de se lever du lit, sa jambe dans le plâtre l’handicapant légèrement. Elle croisa son reflet dans le miroir en pied. Son teint était blafard, accentuant les cernes sous ses yeux. Les cauchemars rythmaient ses nuits. Le visage souriant de sa sœur se transformait toujours en quelque chose de plus sombre et morbide. Elle secoua la tête, quittant la pièce et refermant derrière elle la porte.


Les lumières tamisées du bar, rendaient sa peau légèrement orangée. Ses yeux bruns brillaient avec intensité et des reflets dorés y valsaient. Ses doigts dansaient légèrement sur celle de l’homme, dont elle venait tout juste d’apprendre le prénom. Liam. Des hommes seuls, assis au bar comme lui, elle en rencontrait des tas lorsqu’elle sortait. Liam avait retenu son attention, alors elle avait fait le premier pas. Il ne l’écoutait clairement pas. Peu d’hommes le faisaient. Sa poitrine était délicieusement mise en valeur, et ses lèvres parfaitement peintes d’un rouge vif. Les yeux de Liam étaient rivés sur ces dernières. Son attention était ailleurs, et non dans les paroles qu’elle prononçait. Mais Lydia n’y prêtait pas attention. Elle n’était pas là pour se faire des amis. Son attitude n’avait pas vraiment changé après la mort de sa sœur. Le deuil est une chose bizarre, compliquée. Chaque personne évolue différemment face à la perte d’un être cher. Certains se morfondent, maigrissent, grossissent. Lydia, elle, s’était jurée de vivre pour deux. Et c’est ce qu’elle faisait. Elle laissa échapper un rire à une remarque qu’il venait de faire. Sa chevelure en bataille lui donnait envie d’y plonger ses mains. Inconsciemment, elle se rapprocha de lui, éliminant au fur et à mesure la distance entre eux. Ses doigts continuaient leurs caresses incessantes sur sa main et son avant-bras. « Tu veux qu’on aille ailleurs ? » S’enquit-elle, mordant sa lèvre inférieure. La musique augmentait progressivement, ses vibrations faisaient trembler son corps, mais elle n’avait pas envie de danser. Ses envies étaient ailleurs.


Il pleuvait des cordes. Littéralement. Les filets d’eau qui tombaient du ciel, pour finir par s’écraser sur le bitume. Lydia était trempée. Ses vêtements étaient mouillés, ses cheveux gouttaient. Elle avait froid. Son parapluie était resté dans son appartement, parce que Lydia ne faisait pas partie de ces personnes qui pensent à sortir avec ledit objet dans leur sac. Elle grelottait. Ses mains faisaient des vas et viens sur ses avant-bras, mais c’était inutile. L’arbre sous lequel elle se trouvait ne la protégeait absolument pas. Et pourtant, elle n’arrivait pas à bouger, à partir, pour se mettre à l’abri. Le cimetière était vide. Ce n’était pas étonnant, vu le temps. Ses yeux étaient rivés sur une silhouette qu’elle ne connaissait que trop bien. Son père. Il se tenait debout, face à la tombe de Julia. Un manteau noir le recouvrait, un parapluie noir le protégeait. Sa tête était baissée, ses paupières closes. Elle ne l’avait pas vu depuis presque deux ans. Il avait préféré couper les ponts avec elle, plutôt que de continuer ce jeu d’hypocrisie. La mort de Julia avait crée un fossé entre eux, il ne l’avait jamais pardonné. Lydia n’osa pas s’approcher. Aujourd’hui marquait les sept ans de sa disparition, elle estimait qu’il avait le droit de se recueillir sans sa présence, qu’il considérait probablement comme nuisible. Elle repasserait plus tard, quand il ne pleuvra plus, quand elle sera sèche, quand elle pourra acheter des fleurs sans risquer de les abîmer. Elle lança un dernier regard vers lui, avant de faire demi tour pour retourner à son vélo.


Les salles obscures rendaient tout un peu mystérieux. La toile tissée où était diffusé un vieux film en noir et blanc, était la salle lumière qui brisait l’obscurité. La salle était vide. En milieu de semaine, milieu d’après-midi, ce n’était pas si étonnant. Et puis, c’était un film en noir et blanc. Les gens ne se passionnaient plus pour ce genre de films. Eux, ce qu’ils aimaient, c’était les derniers films de super-héros et de science fiction. Les lèvres de Liam traçaient une ligne de baisers le long de son cou. Les mains de Lydia étaient perdues dans ses boucles, et son souffle était saccadé. Le cinéma était le seul endroit où il acceptait de la voir publiquement. Et encore, ils n’arrivaient jamais ensemble. Les sentiments qu’elle avait pour lui, lui faisaient fermer les yeux sur des détails comme ça. Entretenir une liaison avec un homme marié ne faisait pas partie de ses plans. Tomber amoureuse de lui, non plus. Liam était différent de tous ces hommes qui ne désiraient que son corps. Leur liaison avait débuté en février, alors qu'ils se revoyaient, six ans après leur première rencontre. Elle l’aimait, sincèrement, mais il ne lui appartenait pas. Quand il rentrait chez lui le soir, Lydia n’existait plus, et sa double vie prenait fin. « J’ai envie qu’on aille dîner, un soir. » Murmura-t-elle, alors que ses doigts défaisaient un à un les boutons de sa chemise. Liam arrêta ses baisers pour la regarder. « Tu sais bien que je ne peux pas. » Répondit-il, presque désolé, avant de planter un baiser sur ses lèvres. Evidemment, qu’elle le savait. C’était toujours la même chose. Mais elle l’acceptait, parce qu’une part d’elle devait être complètement sadique. Ou totalement naïve. Elle soupira doucement, avant de faire glisser sa chemise le long de ses épaules.