B.B.W.

Mme X, Avril 1978, Allemagne.
Il n’est pas encore là que déjà que j’ai du prendre la décision la plus difficile de ma vie. J’ai pas compris ce qui s’est passé quand le doc’ m’a dit qu’j’avais un gamin dans mon ventre.  Ca faisait cinq mois que j’avais réussi à avoir un ventre plat pour cet été et j’ai tout foutu en l’air. C’pas de ma faute, quand Gustav me propose de la vodka j’peux pas lui dire non avec ces putains d’yeux marrons. Bon, ok je me suis servie quelques verres aussi. Et puis, quand il m’a proposé de dormir dans sa chambre en attendant que mon vieux arrive, c’était trop chou, j’pouvais pas dire non. J’étais dans le brouillard, mais j’avais ma tête sur son oreiller. Bordel, son oreiller avec son odeur ! Qu’est ce que je me sentais bien. Enfin, j’crois que j’étais bien, faut dire que j’étais dans le gaz mais un truc de malade. Ouais, je crois que j’en ai vomi dans son placard mais il le sait pas. Enfin, j’crois !

C’que j’ai pris pour un rêve s’était en fait produit. Moi qui pensais avoir rêvé d’un corps à corps assez sauvage, j’étais bien loin du compte. Je m’en suis rendu compte quand on m’a dit qu’il était là dans mon bidon. Qu’est ce que j’allais faire avec lui alors que j’vis encore chez mes parents. Et puis, j’suis dans la mauvaise partie de l’Allemagne, celle où l’espoir n’existe pas vraiment. Mes profs me disent souvent que j’suis une gamine, que j’suis pas assez si pas assez ça, mais les gens je les emmerde avec mon ventre rond. Il est là, et il est là. Maintenant, si je dois prévoir la suite. Enfin, non, je dois la prévoir, je lui dois. Faut pas qu’il connaisse ce con de Gustav, et faut pas qu’il me connaisse non plus. Par contre, ce qu’il faut c’est qu’il dégage, qu’il aille loin. J’en ai chié mais quand il arrivera, ce sera pas ici. Je me casse en Angleterre et après je reviens. Là bas, je le laisserai. Il saura même pas que j’existe. Ce choix, je l’ai fait. Il va me détester toute sa vie, j’en suis persuadée, mais j’assume ce putain de choix. Il pourra se raconter des histoires, en me traitant de pute camée ou bien de maitresse mal rémunérée. Qu’importe, peu être qu’un jour, il réalisera. Dans sa vie, il aura deux cadeaux de ma part, celui là et mon prénom.

Mme Wellington, Mars 1985, entre deux villages de la campagne londonienne.
Il est assis à l’arrière de la voiture mon fils. Baptist, c’est mon garçon tombé du ciel. Avec mon mari, ça faisait si longtemps qu’on espérait pouvoir avoir un enfant. Enfin, plutôt moi parce que mon mari, il ne voulait que moi. Il a toujours été jaloux des autres personnes importantes dans ma vie. Par amour pour moi, il a accepté et c’est ainsi qu’il est arrivé dans notre grande maison londonienne. Alors oui, je peux rien refuser à mon petit garçon. Absolument rien. Je vois bien dans le regard de mon mari qu’il n’est pas toujours d’accord avec ma méthode éducative. Mais je suis guidée par l’amour. L’amour que je lui porte et l’amour qu’il me porte. Je ne suis pas dupe, il sait bien que je suis capable de tout pour lui, et il en joue. Pour lui, j’irai jusqu’au bout du monde et même bien plus loin. Rien n’est comparable à l’amour que je lui porte.

Alors oui, Baptist a six ans et quand il me demande d’aller sur un lac un jour de pluie, je lui dis oui. Je prends mon sac, de quoi manger, et je prend la route sous la pluie battante. Il faut dire que ce temps est assez courant depuis quelques mois. Alors, pourquoi lui dire non, les voitures sont fermées, il ne va pas être malade. Je pouvais me chercher des excuses, j’avais simplement envie de lui faire plaisir. C’est mon seul fils, je n’en veux pas d’autre, je l’ai désiré, je veux le garder pour moi et pour moi seule. Nous étions sur la route, il était assis derrière. Les essuies glaces se balancent sous mes yeux, une musique entrainante que je fredonne passe à la radio. Je suis heureuse, si heureuse. Plus rien autour de moi ne compte. Je regarde dans mon rétroviseur central cet enfant pour lequel je suis prête à tout, je lui souris, il joue avec la ceinture et la détache. Ca m’agace, je lui demande de la remettre, il obéit mais n’arrive pas à la fermer correctement. Avec ce temps, un accident est si vite arrivé et je ne veux pas qu’il arrive quelque chose à mon petit ange. Du coup, je ralentis, je penche ma main à l’arrière du véhicule, et j’essaye tant bien que mal de l’attacher. Je n’y suis jamais arrivée. Sous la pluie, je n’ai pas vu ce camion qui arrivait sur ma gauche. Le temps que le conducteur s’aperçoive que je ne l’ai pas vu, il était déjà trop tard. Mon cœur projeté dans le véhicule, et mon regard qui se tourne vers mon petit garçon éjecté du véhicule. Mes yeux pleurent.

Plus aucun souvenir après si ce n’est mon mari penché au dessus de moi avec un homme en blouse blanche qui lui raconte ses conclusions sur ce qui s’est produit dans cette campagne londonienne.  Puis, je vois le médecin se pencher vers moi et expliquer que je ne suis plus qu’une coquille vide, que je ne marcherai probablement jamais. Ils ont proposé de me débrancher, mais mon mari a expliqué qu’il était impensable de s’imaginer qu’il n’y avait personne. Ils ont continué à s’acharner sur mon pauvre corps. J’étais reliée à l’oxygène, mon cerveau donnait de faibles signes quand je les entendais parler de mon petit garçon qui n’aurait que quelques vilaines cicatrices. J’ai pleuré, et puis je me suis abandonnée, j’ai atteins mes pensées, mais ils n’ont jamais éteint ces machines. J’étais une coquille auquel il s’attachait.

Mlle Green, 11 Juillet 2001, hôpital de Londres.
Ma mère, cette grande anxieuse, pour cette petite opération. Certes, c’est une anesthésie générale. Certes, ils veulent la garder 3 jours. Mais ce n’est pas comme s’ils allaient lui transférer un nouveau cœur. Enfin, elle a besoin de moi. Alors j’suis là à attendre dans sa petite chambre, un bouquin à la main. L’infirmier m’a dit qu’elle serait de retour vers 15h00 et ça fait une heure que j’attends, il y a du retard dans les plannings, et elle met du temps à se réveiller. Elle a toujours été une grosse dormeuse. Elle arrive dans la chambre, elle est fatiguée, les marques sur masque à oxygène barrent son visage, mais elle me sourit et me fait un clin d’œil. Elle parle pour répondre à l’infirmière, on lui explique que le médecin va passer plus tard. Elle referme les yeux, grimace, et dort. Génial, je suis venue pour rien. Tant pis, je finis mon bouquin et j’attends la fin de l’heure des visites au cas où elle soit décidée à parler, et je m’endors dans ce fauteuil.

Quand j’ouvre les yeux, il est devant moi. Un externe ou un interne, je n’ai jamais compris la différence. Il me salue, il m’a reconnu. Faut dire qu’on se connait depuis le collège. Je crois que je suis devenue toute rouge, j’ai bafouillé. Il me demande comment je vais, mon cœur s’emballe. Il a toujours été si parfait avec moi. Alors que beaucoup de garçons ne se retournent pas sur la fille qui a 25 kilos en trop, lui il le fait. Il fait toujours du tennis et de la course à pied, ça se voit. Et bordel, il est bronzé comme s’il était parti dans le sud de la France. Il parle avec ma mère, c’est donc lui qui la suit. Je l’observe, il s’excuse de ne pas pouvoir discuter, qu’il a du travail. Je comprends, je l’observe.

L’heure des visites se terminent, et je l’ai toujours en tête. Je repense à ses nombreuses années passées ensemble. Je revois son regard triste le vendredi quand il savait qu’il allait passer un week end avec son père. Ca me fendait le cœur. Je le voyais dire au revoir à ses amis, feignant d’être heureux, mais j’savais pour sa mère et surtout pour son père qui lui reprochait son existence.

Quand je quitte l’hôpital, il pleut, je sors mon parapluie, et je repense à lui, je me mords mes lèvres en retrouvant l’arrêt de bus. Merde, qu’est ce que ça me chamboule et à cette idée je souris. Je suis une automate, je me dirige dans le bus, je descends mais je ne pense qu’à lui. En arrivant dans mon appartement, il m’a envoyé un message. Je rougis, pourquoi s’intéresse t il autant à moi ? Je réponds, il me répond. Et puis j’me rends pas compte, il est déjà une heure du matin. Il me propose de nous revoir, j’dis oui. Lui si fort, si parfait, s’intéresse à moi, petite boulote discrète.

Mlle Wellington, Juin 2014, chez son papa.
Je m’appelle Katherine, j’ai six ans. Et je vis une semaine chez ma maman, une semaine chez papa. Il parait que c’est à la mode. Mais en faite, c’est parce que papa il est un peu cassé qu’maman elle m’a expliqué. Quand ils se sont mariés, maman elle venait d’arriver des Etats Unis. Elle est tombé amoureuse parce que mon papa il est parfait : il est beau, il est intelligent, il fait du sport, il a un code d’honneur, et il est surtout gentil. Maman, elle en est restée là et elle est tombée amoureuse. Elle a poussé papa à c’qui l’épouse. Pas pour les sous, ça maman elle s’en fou, j’crois même qu’elle en a plus. Mais, parce que maman c’est une princesse. Alors une princesse, ça va avec un prince. A peine étaient ils marié que ma maman elle a eu le bidon rond. C’était moi.

Ils m’ont appelé princesse. Ils ont toujours dit que j’étais plus belle que Kate, mais moi la princesse Kate je la trouve déjà beaucoup belle. Maman elle a compris que papa il était cassé en vivant avec lui. Elle voyait bien qu’il mettait tout son cœur a aimé maman mais que c’était pas assez, qu’il n’était pas capable d’aimer. Je les ai entendu dire ça, alors j’ai proposé que papa il se fasse opéré par un de ses collègues. Il répare les cœurs, mon papa. Mais en fait, c’pas le même cœur. Ca m’a rendu triste, mon papa, il est malade du cœur, mais on peut pas le réparer.

Une autre fois, je les ai entendu parler d’arrêter, parce qu’ils étaient tristes. Et c’est vrai, je l’ai vu dans le regard de papa que c’était pas normal. Alors je leur ai prêté mon doudou, mais ils étaient toujours pas heureux. C’est là qu’ils m’ont expliqué que j’allais vivre une semaine chez maman, une semaine chez papa. Du coup, j’ai deux chambres : une chez maman, une chez papa. Je les aime tous les deux, mais je préfère chez papa parce que j’ai un hamster, alors que maman elle veut pas. Ca fait longtemps que c’est comme ça. Papa il a eu une amoureuse, mais il a pas réussi à la garder, il est toujours cassé. Je lui ai demandé de m’expliquer comment ça se fait. Il m’a parlé de Mamie Wellington, d’un accident qu’il a eu avec elle, et que dans cet accident, il avait perdu un bout de son cœur. Il m’a expliqué aussi que Papy Wellington, il lui en a beaucoup voulu et qu’il a été incapable d’aimer mon papa comme mon papa m’aime. Papy, il dit que c’est vrai, mais pourtant il m’aime moi papy. Quand papa travaille, c’est lui qui me garde.