heads will roll.

« Il n’y a pas de limite à notre ambition à part celles que nous nous donnons et celles que les autres nous donnent. En bref, je pense que tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais. » — Xavier Dolan

Elle tire longuement sur la cigarette et boit une gorgée de café. Bien qu’il fasse encore on ne peut plus froid (janvier oblige), la jeune femme est assise seule à la terrasse d’un de ces petits cafés du centre de Copenhague à attendre les autres avant de partir en cours. « Alors, qu’est-ce que la petite bourge compte faire l’année prochaine ? » Pas un bonjour, alors que la voix ne lui dit rien de bon, le genre de personne à qui elle ne tient pas à faire la causette tous les jours. Pernille lève la tête. La remarque de petite bourge ? Elle s’en moque bien. Avec le temps, on s’y fait ; elle assume même son statut depuis le temps. En guise de réponse, elle hausse les épaules, puis écrase la cigarette. « Qu’est-ce que cela peut bien te faire, de toute façon ? » La blonde hausse un sourcil face à sa grande « amie ». En réalité, elle n’a pas la moindre idée de ce qu’elle fera. Elle a envoyé des dossiers dans quelques prestigieuses écoles et universités du pays et d’Europe, sans prendre la peine d’ouvrir les quelques réponses. « Je me vois bien faire le tour du monde, tu sais une année sabbatique, un truc du genre… » Sourire en coin. Pas dit que ses parents apprécient l’idée : Pernille peut faire ce qu’elle veut, où elle le veut, tant qu’il s’agit d’études. Elle prendra cette voie, tôt ou tard, juste histoire de faire au moins aussi bien que le reste de sa famille, si ce n’est mieux. L’autre fille lève les yeux au ciel avant de tourner les talons. La réaction ne lui fait ni chaud, ni froid. On s’y fait vraiment. Après tout, cette fille – dont Pernille ne se souvient toujours pas le prénom – a toutes les raisons de croire qu’on la prend de haut ; le reste de sa bande est de cette trempe : prendre les gens de haut.


Des sirènes qui approchent. Des yeux qui se referment. Puis des lumières rouges et bleues qui dansent contre ses paupières. Des muscles endoloris. Une douleur aigüe dans l’épaule. Puis grand noir. Puis une sensation d’éblouissement. La blonde écarquille enfin les yeux. « Mademoiselle ? » Elle n’est pas encore apte à réfléchir et reste donc muette. Ses yeux balayent ce nouvel environnement. Beaucoup de blanc, un peu de vert, de bleu. Il y a aussi ce bip régulier, quoiqu’un peu rapide, qui résonne autour d’elle. « Mademoiselle, vous m’entendez ? » Pernille finit par acquiescer et déglutit. « Vous vous souvenez de ce qu’il s’est passé ? » Accusant encore le choc de l’accident, la dernière chose dont elle se souvient est une douleur qui semble s’être évaporée. D’ailleurs, de quand remonte ce souvenir ? La confusion gagne la jeune femme. Elle déglutit, encore. Elle ferme les yeux et grimace à l’idée que le médecin – ou l’interne, peut importe – retourne à ses points de suture. Ce n’est qu’au bout de quelques heures que les choses reviennent. Des bribes. Des fragments. Pernille était fatiguée après un weekend agité, mais on ne peut plus clean, ce qui ne semblait pas être le cas de l’autre conducteur. Ce dernier ne s’en est guère mieux sorti dans cette histoire. Roulant à contre sens, elle a mis une seconde de trop pour réagir et l’éviter. Collision et trou noir. Épaule luxée, deux plaies sans gravité et un sacré traumatisme psychologique. Elle avait dix neuf ans et venait tout juste de s’accommoder à la conduite à gauche des britanniques, après quelques mois sur le territoire. Elle a mis plusieurs mois à ne plus avoir cette horrible boule au ventre dès qu’elle devait monter à bord d’un véhicule. Depuis, Pernille n’est jamais remontée du côté conducteur et les taxis sont devenus ses meilleurs amis. En tant que passager, ce n’est qu’au bout de quelques minutes qu’elle parvient à se détendre pour redevenir elle-même.


Il l’a regarde d’un air ahuri. « Quoi, répète ? » Un éclat de rire retentit dans la chambre. « T’as très bien entendu ! Autant en profiter pendant qu’on est là, non ? » Il hausse les épaules, certainement peu convaincu par les propos de la jeune femme qui saute comme une gosse sur le matelas. L’idée farfelue ? Profiter de leur semaine de libre à Los Angeles pour louer une voiture et faire deux ou trois choses qui sortent du quotidien. Pernille ne dirait pas non à un saut en parachute, ou à l’élastique, ou les deux, une virée jusqu’à Las Vegas. Elle pose ses mains sur les épaules du jeune homme tout en l’implorant du regard. Comment y résister ? Après tout, elle n’a pas tort : ils ne vont pas rester enfermés, et encore moins changer leur billet d’avion, juste parce qu’ils ont terminé leur boulot plus tôt que prévu, n’est-ce pas ? « Sérieusement, est-ce qu’il existe un bouton off, caché quelque part ? » La blonde sort son grand sourire. C’est gagné. Elle a gagné.
C’est entre deux bouchées de son hamburger – vous savez celui que vous prenez dans un de ces Diners le long d’une route déserte – qu’il crache le morceau. « Écoute Pernille… » Elle cligne des yeux, étonnée par ce ton si sérieux. « Si je voulais qu’on rentre plus tôt… » Elle le coupe, encore enthousiaste : « Quoi, tu voulais déjà retrouver ta mère et ton chat ? » Sarcasme, alors que lui semble beaucoup moins rire. Elle ne rajoute rien, attendant la fin de son histoire. « Je savais pas comment te le dire, ça fait quelques jours maintenant. » Quelques jours ? La jeune femme en doute et lève les yeux au ciel. Bien qu’elle ne s’attendait absolument pas à ce genre de discours, tellement cliché soit dit en passant, elle sait déjà à quoi s’attendre. Les trajets suivants – voiture, avion et taxi pour le transfert – ont été quelque peu silencieux. C’était il y a quatre ans de cela. Pernille n’a plus jamais été en couple depuis. Trop contraignant pour quelque chose avec une date de péremption.