Zoella ♫ Birds flying high, you know how I feel.

On dit souvent que l'herbe a l'air toujours plus verte chez le voisin. Pour moi, ce n'était pas le cas. Même si nous habitions dans un appartement, notre terre était la plus belle. La plus éclatante et la plus fertile. Elle donnait naissance aux plus beaux moments, aux plus beaux souvenirs. Notre foyer était parfait, cent fois mieux que celui de ceux qui partagaient notre pallier. Je n'étais qu'une gamine, bien trop naïve et innocente, mais je m'en rappelle encore parfaitement. Je me souviens de chaque matin. J'accueillais les rayons du soleil à bras ouvert, puis je quittais ma chambrette pour aller déguster les gauffres de mon père. C'était les meilleurs. Normal, il était le meilleur. Ensuite, j'allais me brosser les dents et m'habiller, en bonne enfant sage que j'étais. C'était chiant, mais je le faisais sans protester, parce qu'après, ma mère m'aidait à faire ma boîte à lunch. Ensembles, on préparait un sandwich en forme de coeur, garni de ce qui me faisait envie ce matin-là. Une fois la petite routine terminée, je saluais mon chat, Sushi, puis j'embrassais chacun de mes parents. Les aurevoirs faits, je sortais attendre mon autobus, même si l'école ne se trouvait qu'à huit coins de rue. Chaque jour était pareil, du levé au coucher. La routine était solidement ancrée dans nos vies, mais ce n'était pas ennuyant. C'était rassurant. Le bon vieux temps, avant que tout ne parte en vrille.   

D'abord, il y a eu la fumée. Elle a envahi ma chambre comme les ténèbres. Un amas informe de braise et de suie qui menaçait de m'ensevelir si je restais immobile trop longtemps. Il fallait que je bouge, mais j'étais pétrifiée par cet air sec et étouffant qui s'engouffrait dans la pièce. J'étais terrifiée. Je n'osais quitter la douceur de mes draps, même si la brume s'approchait rapidement. Ensuite, il y a eu un cri. Non, un hurlement. Teinté de peur et de désespoir, il me ramena à moi-même. Je me souviens m'être levée, puis avoir effectué quelques pas chancelants vers la porte. Je ne voulais qu'une chose, rejoindre mes parents. Du haut de mes dix ans, j'avais du mal à comprendre ce qui se passait. J'avais encore besoin d'eux pour obtenir des réponses, mais je ne les ai jamais trouvé. Je me souviens avoir tenté de me rendre jusqu'à eux. Avancer vers l'horrible cri. Je me souviens aussi les avoir appelés à quelques reprises, malgré l'air irrespirable qui irritait mon corps entier. Puis plus rien. Je ne me souviens plus de ce qui est arrivé une fois que j'eus franchi la porte de ma chambre. C'est le médecin qui m'a tout raconté, lorsque je me suis réveillée à l'hôpital quelques heures plus tard. Il m'a dit que le feu s'était déclaré dans l'appartement en dessous du nôtre. Que mon père avait réussi à me sortir de là, mais qu'il avait succombé à ses blessures dans l'ambulance. Que ma mère, elle, avait péri dans les flammes. Il m'a aussi dit que j'étais chanceuse, même si je n'arrivais pas à le comprendre. Que malgré quelques brûlures sur ma jambe droite et mon dos, j'allais m'en sortir.

J'ai mis longtemps à m'en remettre. Autant physiquement que mentalement. Déjà, j'ai du passer près six mois en pédiatrie pour soigner mes blessures. Après, il y a eu les rendez-vous chez la psychologue. Ils étaient nombreux et réguliers. Une vraie plaie. J'aurais arrêté dès la première séance, mais mon oncle, qui m'avait si gentiment accueillie sous son toit, me les imposait.Je ne pouvais pas y échapper, alors je me prêtais au jeu. Je répondais évasivement aux questions qu'elle me posait. J'essayais de lui donner un minimum de ce qu'elle voulait, pour qu'elle me laisse tranquille. Je me confiais au quart et une fois l'heure écoulée, je retournais m'enfermer chez moi. Ça a duré longtemps. Plusieurs mois, presque une année entière. Jusqu'au jour où je me suis laissée prendre au jeu. J'ai fondu en larme au milieu de la discussion. Étrangement, ça m'a fait du bien. J'ai tout laissé sortir, juste à temps pour mon entrée au lycée. Le moment était parfait. Mon deuil allait de l'avant, en même temps que ma vie. J'avais une chance de recommencer à zéro dans un nouveau quartier. J'avais même espoir de me faire de nouveaux amis, mais au lieu de ça, je suis tombée sur Javadd. Les gens m'ignoraient, certains me lançaient même quelques insultes. Mais lui, il ne se moquait pas. Il n'a même pas posé de questions par rapport à mes brûlures. Il était gentil. Il m'a aidé à reprendre vie.

La vie est belle, vraiment. Maintenant que j'ai tourné la page, ça va mieux. Je ne vois pas la vie en rose, mais je ne la vois pas en noir non plus. Je vais bien. J'ai des gens sur qui je sais que je pourrais toujours compter. J'ai un chien qui est toujours plus qu'heureux de me revoir. Des amis avec qui faire la fête, d'autres à qui me confier. J'ai une bourse d'étude presque complète pour me permettre de réaliser mes rêves. Chaque jour, j'aide de nouvelles personnes. Je fais sourire des gens et ils me le rendent. Je ne manque de rien, vraiment. Au final, ce médecin avait raison. J'ai eu de la chance, ce soir-là. Mes parents m'ont protégée jusqu'à la fin. Ma mère a tenté de me prévenir et mon père m'a sauvé. Ils sont morts, mais pas moi. Ils ont voulu que je vive, alors il n'est pas question que je les déçoive. Si je me démène autant dans mes études, c'est pour eux. Si je reste toujours si optimiste, c'est pour eux. Si je suis toujours si gentille avec les autres, c'est pour eux. Ma vie et mes réalisations leurs sont dédiées. C'est ma manière de les remercier.