myAMAZINGroommate.com | Robin & Andrea

Le soleil continue sa course au-dessus de la ville de Londres. Les nuages le masquent parfois, laissant les rues sombrer dans une atmosphère plus terne. Les voitures, les piétons. Les klaxons, les babillages en tous genres. Les sonnettes, les cris. Les feux, les crissements du gravier sous les pas. Les rires des enfants dans les parcs et les bruits de choc des ballons renvoyés à maintes reprises. Les éclats de rires, les éclats tout court. Ceux de colère ou de joie. Ceux de personnes modestes ou des bourgeois.
Oui, Londres c'est un peu tout cela. Beaucoup de vie, un temps parfois lumineux parfois gris. De l'agitation partout. De l'agitation, beaucoup. Et des gens. Une foule. Un flux permanent dans les rues qui leur donne leurs couleurs, leurs accents, leurs odeurs et leurs essences.
Andrea adorait se balader à vélo dans cette ville pleine de vie et débordante de personnalités. Dans sa boutique, elle avait l'occasion d'en découvrir quelques unes souvent très colorées. Les gens étaient parfois souriants, d'autres fois mal-aimables... mais la jeune femme prenait toujours autant de plaisir à se déplacer sur son deux roues noir. Elle croisait la route de personnes dont elle se plaisait à imaginer leurs vies et leurs ambitions, aspirations, vies de famille. Et puis elle finissait par arriver dans un parc, chez celui ou celle qu'elle était allée voir, chez elle, dans sa boutique, dans un magasin... et descendait de son vélo pour se faufiler entre les gens de ce monde sur ses deux pieds.

Là, Andrea entrait dans un café du district de Shoreditch. Elle était en avance, et choisit donc la table qui lui convenait le mieux. Elle était située non loin de la vitre, de façon à ce qu'elle puisse voir le monde passer... mais pas collée non plus, car elle n'appréciait pas spécialement de se sentir exposée. Elle observa les alentours quelques secondes, curieuse. Par la grande vitre elle pourrait repérer Robin, normalement. Alors en attendant, elle sortit le livre qu'elle avait pris soin de laisser dans son sac et se mit à parcourir les pages de son œil attentif mais vif. Andrea n'avait que quelques minutes d'avance, mais ne tenait pas du tout à rester inoccupée bien longtemps.

C'était Des souris et des hommes de Steinbeck. Elle l'avait lu il y avait de cela environ douze ans et, l'ayant retrouvé au fond de sa bibliothèque, n'avait pu s'empêcher de vouloir confronter son regard actuel à sa vision de l'ouvrage à l'époque. C'était un livre qui lui avait beaucoup plu. Elle leva les yeux de celui-ci quand un serveur vint lui demander ce qu'elle souhaitait. Elle déclina l'offre de prise de commande, arguant l'attente d'un ami. Avant de se replonger dans son livre, Andrea laissa vagabonder son regard dans le café. Il se posa d'abord sur une dame d'une cinquantaine d'années qui, affalée sur sa banquette, sirotait un tonic en jouant des ongles sur la table. A quelques mètres – trois tout au plus – Andrea remarqua la présence d'un groupe d'adolescent qui jouaient aux cartes. Elle sourit malgré elle. Non pas que la scène eut été très drôle, mais parce qu'elle était toujours amusée par la jeunesse insouciante dont elle n'avait jamais réellement fait partie.

« Andrea. Salut, tu vas bien ? »

La jeune femme releva le nez de son livre immédiatement, en corna la page en un geste automatique, puis le fourra dans le fond de son sac afin de saluer poliment Robin. Andrea ne savait pas grand chose du garçon qui lui faisait désormais face sinon qu'il était étudiant en médecine et qu'il habitait Shoreditch. C'était, certes, un début... mais cela demeurait toutefois quelque peu léger.

« Je vais très bien oui merci, et toi ? »

Elle accompagna ses paroles de ce grand sourire qu'elle arborait avec joie. Quelque chose attira le regard de la jeune libraire. Elle tourna la tête brièvement, par réflexe. Il ne s'agissait que d'une personne qui posait son vélo non loin du sien. Elle reporta rapidement son attention sur son interlocuteur. Elle se demanda un instant si il valait mieux qu'elle prenne les devants et si elle devait plutôt le questionner sur lui ou sur leur idée de colocation. Après tout, elle se voyait mal attaquer directement avec un "alors, cet appart' ?". Mais est-ce que Robin était vraiment là pour lui raconter que sa boisson préférée était le sirop d'anis et sa couleur favorite le rose fushia ? Probablement pas.
Est-ce qu'il fallait qu'elle lui dise maintenant qu'elle avait un piano ? C'était... oui, non, c'était assez étrange comme précision. Peut-être plus tard.
Quand ils s'étaient rencontrés pour la première fois à la boutique, ils n'avaient pas vraiment eu l'occasion d'aller plus loin que quelques points essentiels de leurs existences respectives. Cela s'était d'ailleurs fait par l'intermédiaire de Maura, amie d'Andrea et cousine de Robin. La jeune femme n'aurait jamais imaginé que la visite de ces deux-là eut pu augurer une possibilité de déménagement. D'ailleurs elle avait encore peine à le croire. En effet, Andrea avait vécu une expérience de la colocation très positive dans son premier appartement et avait attendu avec impatience que de nouveaux candidats se présentent pour occuper les chambres de ses deux anciens compagnons de logement. Cependant les choses n'avaient pas été aussi simples qu'elle l'avait espéré et, bien qu'elle ait pu assumer le loyer complet durant ces derniers mois grâce à des conférences et des séances de dédicaces organisées à la boutique ainsi qu'une aide de son frère, la jeune femme souhaitait trouver une solution rapidement.
Andrea avait horreur de peser sur le dos de Jamie, à lui demander de l'aide au premier souci venu. Indépendant, la libraire aspirait à une existence en totale autonomie. Elle pouvait gagner correctement sa vie grâce à son implantation dans un quartier de choix et aux appuis de quelques maisons d'édition (dont celle dans laquelle Maura travaillait), alors pas question de se faire tenir par la main à nouveau.

« Alors ! Dis-moi un peu, est-ce qu'il y a des choses que tu voudrais savoir en particulier ? Ou me préciser, peut-être ? Je ne sais pas... »

Ce n'était peut-être pas la question à poser, mais on ne pouvait pas nier qu'Andrea faisait là un pas en avant. En-dehors de son repaire de libraire à Camden, il pouvait arriver à la jeune femme de se sentir comme un poisson hors de l'eau. Ici, c'était plutôt son souci de plaire qui l'handicapait. Elle ne voulait pas brusquer Robin en le lançant directement dans le sujet, mais ne voulait pas non plus avoir l'air de tourner autour du pot en lui demandant des choses qui n'avaient rien à voir avec la colocation. En fait, cela ne dérangeait pas du tout Andrea de parler de choses et d'autres. Le seul problème était qu'elle ignorait si Robin avait le temps de bavarder ou préférait aller droit au but, compte tenu de l'emploi du temps que ses études devaient lui imposer.