Moderation is a fatal thing ♠ Shinya

1989 est l'année de naissance de Shinya. Il vit le jour à Tōkyō, capitale du Japon, ce pays dont les extravagances et les dérives fascinent autant qu'elles dérangent. La mère de Shinya était hôtesse, comprenez là que son travail consistait à vendre des "mensonges galants" à des hommes esseulés, qui payaient pour obtenir son amour factice. À cette époque, elle était très jolie et ses clients étaient prêts à dépenser des mille et des cents pour conserver ses faveurs. Les hôtesses ne sont pas dans l'obligation de coucher avec leur clientèle, mais la mère de Shinya le faisait afin de la maintenir. Lorsqu'elle tomba enceinte, ce fut d'un de ses clients. Shinya n'a jamais su duquel et, à vrai dire, il n'a pas envie de savoir qui peut bien être son géniteur. Sans doute un homme trop pathétique pour en arriver à se payer une hôtesse. Lorsque sa mère eut prit conscience de sa grossesse, elle s'empressa de faire croire à ses clients les plus naïfs qu'ils étaient le père de l'enfant. L'un d'eux tomba dans le panneau et, plutôt que d'abandonner sa maîtresse et ses responsabilités, il décida d'épouser la jeune femme et de déclarer sa paternité. La mère de Shinya abandonna alors son hostess club pour devenir femme au foyer, une situation qui lui convint parfaitement car elle n'eut plus à travailler. Son mari gagnait assez bien sa vie pour les entretenir, elle et son enfant, alors à quoi bon vivre autrement ? La famille Nakamura vécut plusieurs années heureuses. Du moins, elle refléta un idéal de réussite social qui, comme toute illusion de perfection, ne dura qu'un temps.

2005 correspond à l'année où la vie de Shinya commença à devenir un enfer. Sans doute lassé par sa femme qui ne l'aimait pas sincèrement, ou parce qu'il finit par comprendre que son fils n'était pas son enfant biologique, son père disparut du jour au lendemain, sans laisser de trace. Cet homme d'apparence effacée et docile devint un "évaporé", ces gens qui choisissent de disparaître pour fuir leurs problèmes. L'adolescent qu'était Shinya vécut mal cet abandon. Ce fut un traumatisme qui, aujourd'hui encore, le ronge parfois. Comment son père, qui s'était toujours bien comporté avec lui, osa disparaître sans le prévenir ? Comment osa-t-il le laisser seul avec cette femme qu'il savait totalement irresponsable ? Devenu le seul homme de la maison, Shinya dû prendre la place de son père car sa mère était incapable de gérer leur foyer toute seule. Or, ce n'est pas à un adolescent de gérer sa famille.

2007 marque la première année où Shinya obtint un emploi. Sa mère ne travaillait pas assez, buvait et dépensait beaucoup trop. Ils étaient constamment dans le besoin, à tel point qu'il leur arrivait de ne plus pouvoir décemment manger à la fin du mois. Cette situation obligea Shinya à rapidement trouver un emploi, en parallèle de sa dernière année d'étude au lycée. Il commença par travailler dans un konbini, ces supérettes japonaises ouvertes vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais le salaire ne suffit pas car il ne pouvait pas travailler à plein temps. Très vite, il abandonna ce poste pour un autre, qu'on lui promit beaucoup plus rentable. Obtenir une place dans un host club lui fut facile. Inviter des filles à boire pour qu'elles dépensent encore et encore n'était pas une tâche très compliquée et, avec son minois tout à fait dans les canons japonais, Shinya arrivait à obtenir quasiment tout ce qu'il voulait d'elles. Il lui suffisait de leur prétendre qu'elles étaient belles ou qu'il les aimait et elles dépensaient sans compter. Il était si doué pour embobiner ses clientes qu'il s'enrichit assez rapidement grâce aux primes qu'il obtint, seulement l'argent ne fait pas le bonheur et Shinya finit par le réaliser. Sa vie, même devenue plus confortable, restait minable. Pour lui qui est d'une nature franche, il était pénible de passer son temps à mentir, à tel point qu'il en perdait parfois le sommeil.

2012 représente l'année où Shinya eut un déclic. Comme il commençait à prendre de l'âge, il songeait de plus en plus à son avenir, lorsqu'il serait trop vieux pour jouer les Dom Juan. Ironiquement, ce fut grâce à l'une de ses clientes les plus récurrentes qu'il découvrit le quartier de Harajuku, temple des excentricités vestimentaires japonaises. La mode devint une passion pour lui et, avec son côté extraverti, Shinya obtint rapidement une multitude de contacts dans ce domaine. Il ne côtoya jamais de grands noms, mais une longue liste de petits créateurs qui lui apprirent les fils du métier et lui donnèrent envie de créer à son tour. Petit à petit, il se détacha du monde des hosts. Il lui fut plus difficile de le quitter que de le rejoindre, car ce n'est pas un emploi dont on se défait facilement lorsqu'on a une bonne place. Autant dire que Shinya dû faire des pieds et des mains pour perdre son poste et que cela ne se termina pas sans heurts avec le club pour lequel il travaillait. S'il y retournait aujourd'hui, il ne donnerait pas cher de sa peau.

2016 est l'année où il décida de tout plaquer pour reprendre sa vie à zéro. Ce fut au cours du printemps que Shinya décolla en direction de Londres, une ville qui le séduisait autant qu'elle lui donnait l'occasion de fuir sa mère - avec laquelle il vivait toujours car il l'entretenait - et sa vie tokyoïte dont il ne voulait plus. Grâce à quelques contacts, il put obtenir un visa pour l'Angleterre, ainsi qu'une situation plus stable qu'au Japon. Shinya s'est quasiment évaporé, comme son père, à la différence qu'il n'a jamais changé son nom car il ne craint pas qu'on vienne le chercher de l'autre côté du globe. En attendant de pouvoir atteindre ses désirs professionnels et personnels, il travaille comme costumier dans une troupe de théâtre nommée la Knight Theatre Company, et continue de créer ses propres vêtements à son domicile. Aujourd'hui, Shinya souhaiterait oublier son passé pour ne se soucier que du temps présent. De sa vie nipponne, il ne lui reste que les mauvais souvenirs et sa terrible tendance à trop boire de l'alcool, un vice récurrent chez les anciens hosts. Rares sont les personnes à connaître sa vie avant son arrivée en Angleterre, car Shinya se garde bien de l'évoquer.