rose △ knockin' on heaven's door

Elle l'avait déjà remarqué avant qu'il ne débarque à l'école avec ce manteau jaune. Blaise, qu'il s'appelait. Les autres l'appelaient "le nouveau", vaguement dédaigneux. Rose l'observait, de temps en temps, en classe mais elle ne lui avait encore jamais adressé la parole — et ça n'avait rien à voir avec le fait que Derek Smith avait décidé qu'on ne lui parlerait pas, parce que Rose n'aimait pas Derek Smith ni ses amis aussi bêtes que lui. Puis un matin, Blaise était arrivé avec ce manteau jaune. Et le jaune était la couleur préférée de Rose, en cet instant précis. Ou peut-être l'avait-elle décidée en le voyant. Peu importait. C'était un signe, ce manteau jaune. Elle prit son courage à deux mains durant la récréation de dix heures vingt et c'est d'un pas décidé qu'elle laissa Charlotte et Amy discuter d'Harry Potter pour rejoindre Blaise. « Salut, fit-elle, le cœur battant, une main tendue vers lui, je suis Rose. Comme la fleur. Ou la couleur. D'ailleurs, j'aime beaucoup celle de ton manteau » précisa-t-elle avec un sourire franc. Maman disait souvent que le jaune n'allait pas aux blonds et c'était d'ailleurs pour ça qu'elle interdisait à Papa d'en porter, mais Rose était bien contente que la maman de Blaise ne pense pas la même chose. Elle l'aimait bien, ce manteau. C'était un signe. « Tu viens ? » s'enquit-elle. Un signe qu'ils devaient être amis.

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« C'est bon, casse-toi » lâcha Tommy avant d'allumer une cigarette. Assise très droite sur son lit, les draps remontés jusqu'à sa poitrine dans un faible élan de pudeur, Rose arqua un sourcil. Avait-il bien dit ce qu'elle pensait avoir entendu, une heure à peine après qu'elle se soit offerte à lui ? « Pardon ? » articula-t-elle, la gorge sèche. Déjà, les larmes lui montaient aux yeux. Pas des larmes de tristesse ni de déception, pas des larmes de crocodiles que pouvait lui arracher L'Homme Qui Murmurait À L'Oreille Des Chevaux. Non, des larmes de rage. « T'as très bien entendu Murphy, marmonna-t-il dans un nuage de fumée, t'as eu ce que tu voulais, maintenant tu dégages » Comment osait-il ? Comment osait-il dire ça, ce sale petit con ?

Tirant les draps, l'adolescente bondit sur ses pieds et attrapa sa robe, qu'elle eut bien du mal à enfiler. En pensant au plaisir qu'elle avait eu de la choisir, de la mettre pour cette soirée d'anniversaire, en songeant de nouveau à sa hâte provoquée par l'idée qu'il la verrait, lui, Tommy Richards, elle se sentit idiote. Au fond, cet imbécile que toutes les nanas du lycée idolâtrait n'était qu'un enfoiré de première. Elle se fichait bien de ce qui avait pu le rendre ainsi et ne le trouvait plus si mystérieux. « Oublie pas de fermer- » Il n'eut pas le temps d'achever sa phrase cette fois. « Ta gueule ! » cracha-t-elle, les yeux brillants de rage et de larmes. Qu'avait-elle imaginé ? Qu'il prendrait sa virginité avec tendresse et lui tiendrait la main le lendemain ? Ce n'était pas la première fois qu'il faisait ça, Rose le savait. Elle avait entendu les rumeurs, les ragots mais elle avait préféré les ignorer, pour la seule et unique raison qu'elle aimait à croire que les gens n'étaient pas toujours ce qu'ils semblaient être. Dieu qu'elle était naïve ! « Te fâches pas » ricana-t-il en se levant, indifférent à sa propre nudité. Elle le regarda de haut en bas, non sans mépris et, fort de ses certitudes après la nuit passée avec elle, Tommy dût s'imaginer qu'elle avait envie de lui ou une connerie dans le même genre. S'avançant, il passa un bras autour de sa taille. « On peut remettre ça, si tu veux.. tu partiras plus tard » susurra-t-il, mielleux, dans son oreille. Rose retint mal un frisson furieux. Quelle ordure. « Et moi qui croyais que tu avais un balais dans le cul. Comme quoi, les vierges sont pas toutes si coincées que ça... » remarqua-t-il en riant. Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Rose n'hésita pas et remontant un genou d'un coup sec, envoya ce cher Tommy s'effondrer sur le sol, tordu de douleur. Sous cet angle, il n'avait plus rien du joli cœur qui charmait toutes les filles de sa classe. Satisfaite, Rose ramassa ses sous-vêtements qu'elle fourra dans son sac avant de déguerpir.

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« Et je t'aime ! Tu le sais, hein ? » Il lui semblait avoir déjà dit ça mais en voyant le sourire de Blaise, elle réalisa que ce n'était pas grave. Il était content, alors elle pouvait bien le répéter encore et encore. Après tout, ce n'était rien d'autre que la vérité et dans  son esprit déréglé par l'alcool, ça semblait tout à fait normal de faire pareille déclaration à son meilleur ami, au beau milieu d'une rue qu'elle ne se souvenait pas avoir déjà vu, alors qu'il devait être deux ou trois heures du matin. « Les autres, tu sais Blaise, les autres... on s'en fout » marmotta-t-elle, s'agrippant à lui. Il la soutenait tant bien que mal, un air moqueur peint sur le visage. « Je suis sérieuse Blaise ! » s'écria-t-elle, réalisant qu'il devait se payer sa tête. Elle ponctua son cri d'un coup de poing sur son torse, manquant de leur faire perdre l'équilibre à tous les deux. Ils titubèrent un instant et Rose, complètement oublieuse des lois de la gravité à ce moment précis, se laissa totalement aller contre son meilleur ami. « Tu sens bon » murmura-t-elle, le nez contre le col de sa chemise. Sa joue trembla tandis qu'il riait et une grande chaleur envahit Rose, naissant au creux de son ventre. « Tu réalises que tout ce que tu dois sentir là maintenant, c'est un mélange d'alcool et de transpiration ? C'est dégueulasse comme odeur et si tu étais sobre- » « Ce qui n'est pas le cas ! » l'interrompit-elle avec un éclat de rire, lui arrachant un soupir. Ils s'arrêtèrent et Blaise fouilla ses poches, à la recherche... de quelque chose. Rose leva une main, un peu tremblante, pas très sûre et caressa sa joue, ce qui attira son regard. « Je t'aime » dit-elle, pour la énième fois de la soirée. Ça sonnait différemment cette fois, pourtant, et ça n'amena pas un sourire sur le visage de Blaise cette fois. « On devrait rentrer » souffla-t-il après un moment, détournant les yeux. Oubliant pourquoi et comment elle en était arrivée là, la jeune femme le laissa la conduire. Peu importait où.

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C'est avec un grand sourire que Rose avait passé la porte de l'appartement qu'elle partageait avec Blaise depuis plusieurs années déjà. « Je suis rentrée ! » lança-t-elle, sans toutefois obtenir de réponse. Fronçant légèrement les sourcils, elle gagna la cuisine — vide — puis le salon — vide — avant de courir dans la chambre de son meilleur ami. Il était là, sur son lit, et elle s'étala à ses côtés. « Devine qui fait partie des chœurs et qui a également dégoté le poste de doublure de Cosette et Eponine de la nouvelle production des Misérableees ? » dit-elle, d'un ton chantant. Blaise lui lança un sourire un peu faiblard mais son regard était chaleureux, aussi Rose ne pipa-t-elle mot. « C'est génial ! » Quelque chose lui disait que cet enthousiasme qu'elle entendait dans sa voix était en grande partie feint mais pourquoi diable Blaise ne serait-il pas heureux pour elle ? Il était son meilleur ami, l'une des rares personnes qu'elle savait incapable de lui faire du mal. Pourtant, quelque chose ne tournait pas rond depuis quelques temps et Rose le savait. Elle mettait volontairement de côté cette désagréable impression, ce nœud dans son ventre, mais il était indéniable que Blaise n'était plus comme avant. Avant quoi, là était toute la question, mais quelque chose avait changé. Et ça n'était pas seulement désagréable mais effrayant. Rose avait passé toute sa vie — ou presque — à vivre aux côtés de Blaise, à tenir sa main au cinéma lorsque le film devenait trop dur pour elle, à l'entendre rire, à sentir son regard sur elle à chaque instant. Il était son meilleur ami, son partenaire depuis qu'ils étaient mômes. Et aujourd'hui, les choses semblaient changer. Doucement mais sûrement, Blaise s'éloignait. « On sort pour fêter ça ? » proposa-t-elle, désireuse de passer du temps avec lui. Peut-être était-ce juste passager, peut-être était-ce parce qu'elle s'était concentrée sur sa carrière inexistante et ses aspirations. Peut-être était-ce juste une impression, après tout, et passer une soirée ensemble, rien que tous les deux, pourrait sans doute remédier à tout ça. « Je suis fatigué. Et tu devrais fêter ça avec Jack » répliqua-t-il, sans même un coup d’œil. Rose sentit son cœur rater un battement. Jack l'avait laissée tomber depuis des semaines déjà et ça, Blaise le savait très bien puisqu'il avait passé tout un week-end à lui remonter le moral. Ou avait-il oublié ?

Avant de faire quelque chose de stupide, comme craquer et fondre en larmes ou lui hurler dessus, elle se releva et avant de quitter la chambre, lança par-dessus son épaule : « tu as raison, oui, je devrais passer la soirée avec mon petit-ami ! » C'était idiot et totalement puéril, et pour tout dire, tout à fait minable comme contre-attaque mais face à un Blaise aussi distant, Rose était démunie.

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Elle n'arrivait pas à y croire. L'appartement était vide, silencieux en dehors de ses sanglots. Il était parti, Blaise était parti. Elle était rentrée une heure plus tôt pour trouver leur appart dénué de leurs photos, de leurs souvenirs et sa chambre, complètement vidée. A croire qu'il avait emporté tout ce qui les concernait tous les deux, tout ce qui le rattachait à elle. L'enfoiré. « Je ne comprends pas » balbutia-t-elle dans les bras de Caroline. Elle l'avait appelée dès qu'elle avait compris, avant d'être submergée par ses larmes. « Pourquoi est-ce qu'il m'a laissée... comme ça ? Sans un mot ? » Elle ferma les yeux, très forts, comme lorsqu'elle était môme, comme lorsqu'elle venait de tomber et que ses genoux écorchés étaient douloureux. Cette fois, la douleur était dans sa poitrine, dans son ventre. La douleur était dans cet appartement vide, cet appartement sans Blaise. « Vous vous êtes disputés ? » demanda doucement Caroline, caressant ses cheveux avec douceur. Contre l'épaule de son amie, Rose secoua la tête. Blaise était distant, oui, et elle avait eu dans l'idée de le confronter à ce sujet mais il l'avait évité à tout prix ces derniers jours. « Peut-être qu'il a juste besoin de prendre l'air » suggéra la jolie blonde, se voulant sans doute réconfortante. Sa réflexion fit redoubler les sanglots de la comédienne. « Mais je lui en donne, de l'air ! Ça fait des jours qu'il m'évite Caro, des jours ! » cria-t-elle presque, les joues humides et le nez rouge. Son amie prit son visage entre ses mains, essuyant ses larmes, un sourire compatissant aux lèvres. « Je ne sais pas, il en a peut-être eu assez de- » « De quoi ? Assez de quoi ?! Ça fait dix ans qu'on se connaît et on ne s'est jamais rien caché, rien ! Alors pourquoi maintenant ? » Elle se sentait trembler spasmodiquement sous les sanglots, des sanglots qu'elle ne contrôlait pas. « Chérie, tu avoueras que ça n'a jamais été très clair entre vous. Ta mère est la première à le dire » glissa Caroline. C'était là les mots de trop. Les mots qu'elle ne voulait pas entendre. Quittant le canapé et les bras de sa meilleure amie d'un bond, Rose courut jusqu'à sa chambre pour se jeter sur son lit, enfouissant sa tête dans le premier oreiller disponible. Un oreiller qui avait l'odeur de Blaise. Elle revoyait encore ses boucles et son visage, appuyé contre cet oreiller, alors qu'il venait la réveiller le dimanche matin. C'était fini, il était parti.