"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici You can't resist making me feel eternally missed _ Moira&James 2979874845 You can't resist making me feel eternally missed _ Moira&James 1973890357
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You can't resist making me feel eternally missed _ Moira&James

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James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
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() message posté Ven 14 Avr 2017 - 12:55 par James M. Wilde



« I just don't care if it's real
That won't change how it feels
No it doesn't change
And you can't resist
Making me feel eternally missed
And you can't resist
Making me feel »

Moira
& James




Il a fallu attendre. Attendre et résister, résister à l’appel continu et niché tout à l’intérieur de lui, devenu presque indicible tant il occupait toute la place, interdisant ainsi à tout autre de se glisser pour en éteindre ses feux dévastateurs. Tous les autres furent repoussés, repoussés et presque haïs de ne pas être celle qui devait enfin assécher l’infamie, la recevoir pour ce qu’elle fut, un présent disgracieux troqué pour évader le pire, le pire qui l’aurait atteinte et rongée, jusqu’à la recracher évidée de ses lueurs, évidée des firmaments qui furent peints à deux, pour ne plus qu’être habillée du néant d’un deuil qu’elle n’avait plus à porter seule. Pas cette fois-ci. Surtout pas cette fois-ci. Il se l’était promis dans l’étreinte de leurs retrouvailles, il s’était promis de ne plus jamais l’abandonner aux ombres s’il ne s’agissait guère de les habiter avec elle, de la protéger dans la possessivité apposée à sa personne, arrimée à son âme, la protéger du choix qui devait être contracté pour les sauver, l’un et l’autre, l’un par l’autre. Une fois encore. Une fois encore mais pas dans l’horreur du contre-temps de l’absence, du contre-temps d’une détermination qui s’est déguisée pour l’éloigner d’elle, elle de lui, les rendre à une prison devenue solitaire, pour qu’elle comprenne lorsque les dés rouleraient qu’ils les avaient lancés ensemble, liés par leurs serments, liés par une vision devenue unique, commune, indéchiffrable par tous, et pourtant abyssale pour eux. Il a attendu, dans le noir du studio, dans l’éloignement d’une retraite qui n’acceptait plus personne, au fil des jours, dans les heures succédants au travail. L’appartement partagé avec celle qui savait encore apaiser la tourmente fut déserté, il n’a pas pu rester et maquiller ce qui le rongeait de plus en plus, il n’a pas pu affronter ce qui bouffait chaque sensation pour la rendre placide, éteignant toutes les douceurs dans des sons presque aphones, ceux d’un manque qui devenait maladif, presque malsain. Il a fallu comprendre les pensées qui tournoyaient en lui, les comprendre pour mieux les tromper, pour les affronter sans doute lorsqu’elle reparaîtrait, car il lui est difficile de poursuivre le mensonge quand a éclaté dans ce bureau tant de lui, tant de ses vices qu’il est incapable d’assumer et qu’il porte malgré tout. Qu’il porte sur ses lèvres quand il lui parle, qu’il dessine dans ses gestes lorsqu’il élève sa main jusqu’à elle. Il y a eu l’évasion d’une sensation honnie, d’une sensation recouvrée du fond des âges, celle de ses premières armes qui versèrent le sang d’une innocente. Le désespoir est inextinguible dans sa gorge, il ne peut plus parler, il évite Gregory dès lors qu’ils clôturent une répétition, ne compte plus les questions qui fusent parfois, pour chercher à comprendre, des questions qu’il fait taire dans des fébriles « Pas maintenant. Pas maintenant. » Quand ? Quand lui demande son âme qui hurle, qui continue de hurler à ne pas se satisfaire d’un silence devenu un ennemi, qui continue de se noyer dans l’incertitude d’être allé bien trop loin, de ne mériter que la froideur, la froideur et la négation de tout ce qui fut. Mais à chaque fois qu’une telle pensée s’invite, il ne peut la subir, il la renie lui-même, s’occupe que ce soit dans les secrets du studio qu’elle ne visite plus, à composer une nouvelle oeuvre qu’il identifie encore mal, ou aux côtés de l’équipe de graphistes qu’il se plaît à tyranniser depuis des semaines, maintenant que le travail sur les visuels de l’album a été entamé.

Une échappée bienvenue que cette occupation supplémentaire, il connaît les trois personnes qui le subissent bravement, chaque jour où il s’invite pour vérifier sur place ce qu’ils trouvent à trafiquer sur leurs tablettes graphiques. Le seul client qui veut absolument venir jusqu’à eux et qui ne se contente pas d’un contact distant par le truchement des échanges de mails. Jacob, le plus jeune d’entre eux, prétendait, un brin bravache, qu’il faudrait davantage de clients aussi pointilleux que Wilde, que cela changeait toute la dynamique et les enjeux. Un discours qu’il a su tenir les trois premiers jours, avant de l’écrouler les jours suivants, maugréant des imprécations pour qu’il parte plus vite et qu’il ne revienne pas. Il faut dire que c’est une vieille histoire entre Diametral Graphics et les Wild, c’est même une histoire passionnelle, qui ramène des heurts au gré des souvenirs étiolés du premier album, qui poursuit sa valse endiablée le long des autres opus, une passion sans doute trop fidèle qui fait que l’on se connaît comme les membres d’un clan indissoluble, croyant que l’on pourrait pousser le vice jusqu’à habiter ensemble en grande fraternité, avant de s’apercevoir que l’on ne se supporte plus et que la seule idée qui demeure au milieu des souvenirs oubliés, c’est cette envie de buter son vis-à-vis pour qu’il se taise enfin.
_ Là. Ce n’est pas centré.
« Et pourtant, si, ça l’est. »
_ Je me tape de ce que raconte ton logiciel, à l’oeil, c’est moche.
« C’est au centre, là. Regarde. »
_ Justement, je regarde, et je te dis que c’est moche.
Il est affalé dans le fauteuil de bureau qu’il fait tourner en tous sens jusqu’à rendre la petite équipe complètement chèvre, il n’en démordra pas, chacun le sait, chacun pourtant essaye de tenir la position le plus longtemps possible avec le fol espoir d’être à l’aube de quelque miracle, ce jour où James Wilde aura cédé face à l’argumentaire étayé à coup de pixels et de grille centimétrique. Il tapote son long doigt directement sur l’écran, une fois, deux fois, trois fois, rien que pour emmerder Jacob qui renâcle à entendre raison.
_ Ou alors tu vires cet effet ici, et ça sera plus équilibré.
« La petite nébuleuse ? Tu te fous de ma gueule, j’ai mis 8h à la dessiner ! »
_ Eh bien au moins tu ne mettras pas 8h à l’effacer. C’est pas merveilleux la technologie ?
Il grommelle mais venir martyriser ces trois jeunes gens (qui ont tous plus ou moins son âge en vérité) modèle ses idées sombres pour les éclairer d’un projet concret qui lui permet de fixer son esprit et de le concentrer sur un objectif bien précis. C’est un jour de pause pour l’ensemble des musiciens du Philharmonique, il faut bien qu’ils puissent souffler au lieu de s’exténuer avant même le triomphe. Une journée grise, qui a porté Ellis jusqu’aux griffes de Marcy certainement, et qui a donné à Greg une excuse pour aller régner sur les quelques réfections que Phil vient d’entamer en plein Viper, une conduite électrique ayant décidé de griller la veille, manquant de foutre le feu à la réserve. James a longuement balancé, entre l’instinct d’aller protéger sa création, son club, ses territoires, de l’idée d’une rencontre hasardeuse entre son régisseur et une pince coupante, et l’envie de reprendre ce qu’il a dû délaisser quelque peu à cause des répétitions. Ils se sont mis d’accord avec Wells, à lui les dominos et les raccords, quand l’esthète se garde la partie la plus raffinée. Partie qui n’intéresse guère ses deux comparses qui entendent moins que lui dans les atours qu’il faut donner aux visuels des musiques, un temps considérable qu’ils jugent souvent inutile, tandis que lui les entrevoit avec une clarté toujours étonnante, prompt à décrire avec une minutie exemplaire ce qu’il souhaite, tout en ne sachant absolument pas le schématiser lui-même au moyen d’un crayon. Jacob vient de prendre sa tête dans ses mains et de supprimer d’un seul clic le détail qui lui fit verser sang et eau la veille, pour compléter l’harmonie du paysage spatial qu’il souhaitait obtenir, adieu beauté, adieu. James se penche en direction de l’écran puis cesse de s’agiter pour considérer la proposition finale de l’artiste qui accepte toutes les remontrances, en bronchant certes, mais en évitant de tomber totalement dans l’alcool ou les anti-dépresseurs pour les supporter, ce qui est déjà une preuve de grande force de caractère.
_ Tu vois quand tu veux ? Là c’est… bien.
« Juste bien ? »
L’autre suspecte quelques heures supplémentaires à s’agacer quant à des détails que personne ne saurait voir, pour passer de bien à très bien voire frôler la mention excellent quand le rockeur opine, toujours fixé sur ce qu’il voit :
_ C’est même parfait.
L’artiste a l’impression de mourir de plaisir, il pense à la pression qui fut appliquée sur sa carcasse pendant des jours, des jours consacrés non pas aux visuels dans leur ensemble mais à celui-ci en particulier, ce titre que James semble imaginer autant dans le contenu que dans son emballage numérique. Alors quand le dirigeant de Diametral lui a demandé s’il s’agissait du premier single à sortir, ce qui aurait paru tomber sous le sens vu le tel empressement du créateur pour la mise en valeur de sa création, il fut véritablement surpris d’apprendre que ça n’était pas le cas. Il n’a pas osé demander pourquoi. Pourquoi fallait-il que celui-ci soit terminé au plus vite, pourquoi les yeux de James détouraient-ils chaque centimètre de l’ensemble, se reculant pour mieux voir la totalité, revenant au détail le plus infime, changeant les couleurs au moins 12 fois, demandant au départ quelque chose d’assez neutre, pour toucher ce qui semble être à Jacob une porte ouverte sur l’intime. Il y a quelque chose de trop familier, de presque sensuel dans ce qu’il a fini par dessiner, il est presque gêné d’avoir dû y participer. James se recule dans son fauteuil, visiblement satisfait, un peu absent soudain, comme s’il ne pouvait plus réellement se raccrocher à l’instant présent qui vient d’échoir, la mission terminée, il s’agit d’abandonner un navire qu’il avait oublié être depuis longtemps en perdition. Il se sent mal, sans repère, ses yeux reviennent aux deux tableaux qu’il contemple, puis il serre ses doigts autour de l’épaule de Jacob, et murmure :
_ Tu peux me tirer le premier exemplaire de la pochette, non assemblée s’il te plaît, j’aimerais encadrer le diptyque.

Le graphiste opine, aucun soucis, il lui fera livrer le tout à son adresse en fin d’après-midi. Ils s’entendent sur la taille, sur les mentions longuement discutées entre eux avant de se quitter et Wilde retourne dans les frimas de cet hiver qui s’accroche à la vie comme pour usurper le rôle des autres saisons, installer son royaume dans les coeurs et étendre sa poigne gelée pour froisser les visages et les rendre fermés aux autres, fermés à l’extérieur qui ne vaut plus la peine d’être contemplé. Il évite l’entrée principale du Viper, choisit d’emprunter celle qui le mènera directement chez lui, il a presque oublié d’y retourner, entre l’appartement d’Isolde et le studio, et lorsqu’il tourne la clef dans la serrure, il est presque surpris d’y découvrir Maria, en grand ménage, menant son aspirateur d’une main de fer, à la manière de ceux qui ont l’habitude de voir l’électroménager leur résister fort peu de temps. James ne sait même pas exactement où l’aspirateur est rangé à vrai dire, une considération qui le frappe, substituant ses préoccupations à des questions qui ne lui importeraient absolument pas d’habitude. Il laisse tomber ses clefs dans le vide poche sur le guéridon, et dévoile ses yeux à l’espagnole bientôt sexagénaire qui lâche son instrument de torture pour moquette afin de le rejoindre aussitôt. Comme à son habitude, elle s’arrête à quelques pas et met les mains sur ses hanches. Il sait exactement ce qu’elle dira, il pourrait la couper mais il ne le fait pas, il attend la sentence se sachant déjà condamné par les hautes autorités pseudo-maternelles :
« Tu as encore oublié de manger, querido. »
Il pose un baiser affectueux sur sa joue avant de conclure sur le chapitre de sa maigreur aggravée par cette dépression qui s’installe, jour après jour, tel le condamné qui sait pertinemment qu’il n’aura sans doute plus jamais la chance de contempler la lumière du jour. Où est-elle… Le fuira-t-elle encore ? Devrait-il devancer toutes les procédures pour la rejoindre plus tôt, mettre fin au supplice, cesser de boire les poisons instillés par ses manoeuvres ? Joe le lui a déconseillé, il lui a rappelé que céder ce serait avoir tenu jusqu’ici pour rien, que délivrer la vérité avant son témoignage, c’était la condamner à l’endosser dans une solitude encore plus cruelle. Qu’elle se nourrisse encore de la haine, qu’elle se nourrisse de son image absente, rejetée, qui dépérit à s’échiner dans des répétitions trop longues, des nuits trop courtes. C’est une juste rétribution.
_ Ne t’en fais pas Maria, je tiens encore debout.
Elle secoue la tête, un mouvement animé par la désapprobation la plus totale et, avant de retourner à son aspirateur, elle se souvient d’un détail qu’elle délivre, ne mesurant sans doute aucunement la teneur de l’annonce :
« Il y a un certain monsieur Gyte qui veut que tu le rappelles. »
Il s’isole aussitôt dans sa chambre pour saisir son portable d’une main presque tremblante, il n’ose compter de nouveau les jours dans sa tête, il a bien trop peur de s’accrocher à une joie qui saurait aussitôt le quitter lorsqu’il réaliserait la méprise quant au calendrier. Tout s’accélère et se mélange, impossible de se souvenir du jour exact des délibérations, il n’a jamais su se rappeler les dates ou les heures avec exactitude, tout sonne pareil, ce ne sont que des chiffres. Il compose le numéro abrégé qui le renvoie immédiatement à Joe, le numéro sans doute le plus composé de son répertoire ces derniers temps, le pauvre avocat ayant endossé tous les rôles, de celui du soutien inébranlable à celui de psychanalyste bienveillante, en passant par l’incontournable punching-ball de service.
« James, justement je souhaitais vous dire que… »
_ Alors ? S’écrie-t-il comme pour accélérer la marche du temps, expirant une nervosité qui va croissant, et Gyte comprend qu’il ne peut pas s’encombrer de détails qui passent toujours largement au-dessus de cet artiste qu’il vient de tirer de l’ornière :
« Alors ? Alors, je vous avais fait une promesse. Et je l’ai tenue. »
Wilde ferme les yeux, il coupe toute connexion avec le monde extérieur pour n’écouter que les battements saccadés de son coeur, qui vont staccato dans sa poitrine tandis que le soulagement bataille avec un irrépressible besoin. Besoin de lui dire… De lui dire enfin. De la revoir, de lui parler, de la délivrer du malaise dans lequel il l’a lui-même plongée, et peut-être parvenir à recoller ce qu’il n’a pas réussi à briser. Il y a des espoirs immodérés lorsque les événements corrèlent pour venir vous délivrer, vous porter sur les rivages qui furent habités avant que vous ne les désertiez par devoir, par obligation donnée à la fatalité. Joe parle, mais James ne l’écoute plus, il y a le bruit de l’aspirateur au loin, et le battement de son coeur. Un. Deux. Un. Deux. Ne plus être esseulé dans ses compositions, recouvrer le duo de deux altérités, et les rêves qui furent jurés. Un. Deux. Deux. L’univers entier disparaît, l’élan possessif qu’il a fallu noyer à force de silences galope de nouveau jusqu’à ses doigts qui serrent le téléphone à l’écraser :
_ Excusez-moi Joe, excusez-moi. Il faut que j’y aille. Il faut que j’y aille.
« Faites ce que vous avez à faire. »
_ Merci.
Souffle-t-il pour tout, pour y avoir cru à sa place, pour avoir soutenu les volontés, pour avoir louvoyé entre les précipices et n’y jamais tomber, pour avoir été là, pour avoir tenu parole, pour le reste aussi. Et l’à venir sans doute. Il raccroche et sa respiration ne parvient plus à se calmer, il peine à réaliser l’heure qu’il est. Trop tôt pour se précipiter, trop longtemps à attendre pour tourner en rond dans cette chambre. Il stoppe sa marche, incertain quant à la suite, sclérosé par ces secondes trop languides pour être supportées, les joies de certaines retrouvailles ne peuvent tolérer de se voir reportées. C’est un coursier qui vient à son secours, Maria part au moment où l’homme se présente à sa porte et il remet son rendez-vous avec ses devoirs pour en remplir d’autres. Les visuels sont étonnants, sur ce papier cartonné et glacé, les jeux de couleurs parfaitement calibrés, ils sont encore plus magnifiques que dans la pâleur artificielle de l’écran. Il sourit. Il sourit pour la première fois en ces semaines moroses, un vrai sourire, un sourire qui gagne tout son corps, réveillé de l’hibernation imposée, donné de nouveau à toutes les harmonies qui pourraient rejoindre celles qui furent abandonnées dans ce bureau. Le livreur a également apporté ce cadre en verre simple et sobre qu’il a souhaité, il ne lui reste plus qu’à écrire ce qu’il renferme, ce qu’il envisage comme la plus éclatante des évidences sans y noter tous les replis de son âme compliquée ainsi exposés. Dans un jour de liesse, il n’est pas possible de conserver les secrets qui frappaient trop fort pour former des failles qui leur permettraient de s’évader. Les failles sont partout, partout, il s’est dévoilé dans ses cris, dans ses gestes inconsidérés, dans cet ultimatum craché sur elle avec un mépris d’une froideur la plus totale. Il a souffert chaque mot, les mots pour lui sont comme une musique qui ne s’éteint jamais, il a souffert leur chant et leurs rires malsains. Il a subi aussi ce qu’il a laissé échapper, cette autre partie de lui-même, dérobée à tous les autres, soigneusement cachée car dessinée dans la perversion qu’il ne parvient pas à contrer. Cette perversion de sa nature s’est fait la belle, et au milieu de tous les prisonniers plus fantoches les uns que les autres, il y a celui qui porte le crime capital en son corps ainsi gracié dans la brutalité.

Il met beaucoup de soin à son écriture, qui a toujours été assez élégante mais qui est devenue paresseuse depuis qu’il s’agit de signer des autographes sur n’importe quoi et n’importe quand, des morceaux de carton, des pochettes de CD ou des nibards. Quoique l’on fait quand même plus attention quand il s’agit de signer sur la peau veloutée d’une fille, il faut le souligner, mais ce n’est pas franchement la question. Il glisse lentement son marqueur noir sur le recto de ses chimères puis les enferme sous verre avant qu’elles ne lui échappent. Il emballe le présent qu’il transporte dans un sac à dos, avec le soin des objets fragiles, car fêler l’hommage à la paix, ce serait en briser les atours et la donner symboliquement à la guerre à peine gagnée. C’est en descendant par l’ascenseur qu’il rencontre Gregory, visiblement empoussiéré par les travaux dans lesquels il s’est lancé sans trop en mesurer l’ampleur, James a un sourire en coin, l’autre cligne des yeux comme ébloui.
« Il se passe quoi ? »
Tout. Il se passe tout. Il se passe que je peux sortir de l’éther pour reparaître dans le monde de mes sensations. Il ne répond qu’un placide :
_ Rien. J’ai quelque chose à faire. Tu vas t’en sortir ? Sinon, tu appelles un électricien. Ne joue pas à te toaster la gueule.
« Hmm. C’est que Phil dit qu’il sait, et que très visiblement il ne sait absolument pas ce qu’il fait. »
_ Je ne suis plus là…
Il a repris sa marche afin de s’évader par la porte de service et ne reporte pas une seule seconde son attention sur son régisseur, à plat ventre dans la réserve, en train de dénuder des fils pour les raccorder avec ceux qui voulurent se suicider la veille. Greg l’observe, la tête penchée sur l’épaule, il ne l’a jamais vu aussi guilleret depuis deux bonnes semaines, et il a eu loisir de le regarder de la tête aux pieds pendant les répétitions. Il a ce regard, ce regard plus acéré qui semble distinguer les horizons que personne ne saurait prévoir, cette fébrilité aussi lorsqu’il s’agit de se jeter à corps perdu dans des événements qu’il doit braver, sa sobriété muette s’est comme très soudainement envolée. Le batteur est suspicieux, il y a beaucoup de sautes d’humeur qu’il ne parvient plus à analyser ces derniers temps, trop de changements, trop de silences aussi. James s’est renfermé, il souffre sans le dire, il s’exalte sans totalement le partager, il y a un cloisonnement des sens qui l’inquiète quelque peu. C’est une sorte de secret qui bruisse dans l’air, un secret dont il est étranger, lui qui a l’habitude d’être dans les confidences de son ami. James est sur le parking, il remonte la fermeture éclair de sa veste en cuir pour empêcher tous les sursauts de son caractère de se tirer tout autour, il y a trop de sentiments qui se bousculent, c’est une danse dont il a trop l’habitude et dont il craint malgré tout les premières mesures. Le retour en grâce… Cette fois encore, une fois de plus, une blessure qui n’était pas gratuite, une blessure qui n’était qu’un leurre pour qu’elle ne porte pas seule ce qu’il déleste sur ses épaules dans ses passés complexes et ses présents alambiqués. Une blessure qui suinte encore car il la porte en son sein, elle murmure tout ce qu’il doit, tout ce qu’il doit déposer à ses pieds pour cesser de transiger. Le trajet en moto se fait bien trop lentement, la nuit s’abaisse sur son front qui redevient soucieux plus il approche de sa destination, et il faut que la pluie couvre entièrement les verres de ses lunettes pour qu’il s’aperçoive que le temps est en train de tourner à l’orage. Il se glisse dans la circulation, grille allègrement un feu en faisant un signe à la caméra au passage, sa patience qui s’amenuise le rend fantasque. Une preuve supplémentaire qui viendra joncher le bureau du Viper qui compte déjà de nombreuses amendes impayées mais tous ces détails deviennent accessoires, comme tout le reste qui s’affadit déjà en toile de fond alors qu’il roule dans les rues de Camden. Il n’est venu qu’une seule fois jusqu’ici, il n’a jamais franchi le mur d’enceinte de sa propriété, il ne s’est très bizarrement jamais invité jusqu’à ce qui renferme son univers privé, n’ayant frayé que sur les territoires connus et éprouvés de la production. Lorsqu’il se gare, il met un petit moment à se décider à descendre, alors que la pluie s’accentue et qu’elle vient peu à peu plaquer ses cheveux sur son crâne, le ciel l’encourage à ne pas demeurer stoïque et vu qu’il brave les dieux en permanence, il demeure quelques secondes interdit, en coupant le contact. Il sait son sac à dos complètement étanche, c’est tout ce qui importe, de ne point noyer les seules beautés qu’ils ont tracées ensemble, sa personne peut sombrer, il ne fait que cela depuis des jours, à désespérer.

Il pousse le portail avec soin, soudain étranger dans un pays qu’il a l’impression d’envahir sans y avoir été convié et toutes les angoisses qui s’étaient tapies sous l’euphorie reviennent frapper à l’intérieur de lui, en des bruits sourds et menaçants. Chaque coup est un mot, un mot qu’il a lui même prononcé. Il marche, il marche avec une lenteur maladive, les eaux cherchant à le contraindre, la pluie gifle son visage, rend l’opprobre à son front, il sent encore son bras qui est venu entraver ses épaules, et il frissonne. « Ce visage-là te déplaît… Et si c’était le vrai ? » Et ses traits se sclérosent, se fixent en une expression froide, alors qu’il se voit envahi par la honte, cette honte qui a persisté à le ronger, malgré tous ses efforts pour donner des justifications que le monstre pourrait mâcher jusqu’à se taire. Il marche et son coeur frôle la tachycardie, aurait-il dû appeler, prévenir plutôt que de s’imposer, plutôt que de venir l’acculer jusque dans son bastion et la contraindre à l’affronter ? Il perd son souffle, la pluie l’étreint, perce sa peau de milliers d’aiguilles, il a véritablement froid tout à coup, de se montrer tel qu’il est demeuré, après qu’elle l’ait chassé de son bureau. Car il n’a pas changé, non, il n’a pas changé, il est resté à l’identique de ses fautes et elles se voient toutes, dans ses doigts qui tremblent, dans sa bouche qui se pince, dans ses joues qui se creusent et son regard qui s’agrandit à distinguer les feux des luminaires qui indiquent qu’elle est là. « Qu’est-ce que tu crois ? Que j’ai besoin d’être ici pour rêver ? » Il ôte son sac à dos, le tient comme une sorte de rempart, le protège de ses songes et des éléments qui se déchaînent tout autour de sa silhouette qui s’englue dans une précipitation trop ralentie par la peur. Comment a-t-il pu mentir ainsi, alors qu’il les tient, qu’il les tient dans ses mains, ces rêves qu’il n’aurait jamais pu faire sans elle, sans qu’elle ne pose ses regards jusqu’à eux et qu’elle les modèle ? La colère si éternelle qui tonna entre eux apparaît telle une entité détestée, il réapprend à se haïr sur le chemin de sa contrition, et son excitation crève sous l’impact de la déraison qui surgit. « Mais si tu veux cesser de te corrompre et de mentir, si tu veux enfin assumer ce que tu ressens dès que je suis dans la pièce avec toi… » Son coeur fait une embardée, il réalise que toutes les sensations sont intactes, celles dont il est fier, celles dont il a peur, celles qui le dégoûtent et celles qu’il ne parvient pas à tuer, car il s’est surpris à les assumer ce jour-là. Sa gorge se serre, la pluie cesse ses injures sur sa silhouette qui dégouline déjà sur le paillasson de l’entrée, et avant de ne plus pouvoir se décider à le faire, avant de se croire même indigne de porter sa main jusqu’à elle en ce dernier appel, il frappe. Trois coups. Trois battements. Trois certitudes qui se confrontent : la honte, la peur, l’envie. Il attend qu’elle se dévoile à lui, ses doigts tremblants passent dans ses cheveux pour en chasser l’humidité la plus installée, et lorsqu’elle ouvre, il est toujours dans l’incertitude qu’elle puisse condescendre à le faire, il ne réalise pas que la lumière le baigne, et que ses longs cils abaissés emprisonnent les gouttes de pluie qui scintillent comme ces pleurs qu’il s’est interdit de verser depuis qu’il les lui a offert dans la pénombre du studio, alors qu’elle le détestait pour cette fuite qui avait bafoué leurs serments. Je ne fuis plus, Moira, je ne fuis plus. Je suis resté là, j’y suis resté chaque jour où tu t’es éloignée de moi, j’y suis resté à t’attendre, dans les ombres qui sont nôtres, je les ai nourries pour que tu les retrouves à l’identique de ton départ. La voix le cingle, dans sa tête, il l’entend, inflexible, glaciale, terrible : « Tire toi. » Sa respiration se bloque et il comprend qu’elle est apparue. Il relève ses paupières pour la voir et s’aveugler, les gouttes emprisonnées se libèrent et roulent sur ses joues blêmes, rejoignent les autres accumulées par le trajet, continuent de noyer l’épiderme qui se hérisse, autant de la considérer si proche que par crainte d’une réaction qu’il n’est pas certain de pouvoir encaisser alors qu’il se rend démuni, contracté sous sa veste, une main gantée encore agrippée au sac qu’il tient près de sa jambe. Il ne dit strictement rien, il ne fait que la regarder… La pluie s’est étanchée dans les mailles de son pull, elle a continué de dévaler le long du cuir de sa veste, et pourtant, elle s’est versée dans ses iris qui brillent de tout ce qu’il continue d’entendre, de cette disharmonie installée qu’il a fallu surpasser pour faire semblant chaque heure. Faire semblant d’être le rescapé d’un naufrage, quand il sait qu’il en est la seconde victime.
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Anonymous
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() message posté Jeu 20 Avr 2017 - 20:58 par Invité





Elle regarde Joe. Elle ne regarde que lui dans cette salle où trop de visage semblent tournés vers elle. Le coup de grâce, le voilà. Il résonne dans ces murmures qu’il silence, il rebondit entre les murs du tribunal qui s’est tu dès l’instant où l’avocat a sorti cette carte, cette carte qu’il lui avait promis de n’utiliser qu’en dernier recours, que s’il ne pouvait définitivement pas s’en sortir sans. Tous ces regards… Moira les sent rivés sur elle. Et elle sent le sien, elle le sent comme si elle pouvait le voir. Elle sent cette incompréhension viscérale qui s’est emparée des prunelles de Welsh. Elle sent la crispation qui a tendu ses muscles. Elle sent sa gorge serrée à rompre qui retient ce cri qu’il aimerait lui lancer. Elle le sent s’effondrer comme Joe le lui avait promis, et la douleur qu’elle redoutait vient lui déchirer les entrailles, plus cinglante encore qu’elle ne l’imaginait.
- T’as pas dit ça…
Moira ferme les yeux. Et Sebastian répète comme une prière :
- T’as pas dit ça. T’as pas pu dire ça…
Le juge tente de le faire taire, mais l’injonction le fait exploser et son murmure se meut en hurlement alors qu’il se lève si violemment que sa chaise se renverse en un fracas qui fait sursauter toute l’assistance.
- T’as pas dit ça, Moira ! T’as pas pu dire ça ! Tu sais ce que je suis pour toi ! Moira ! Regarde-moi ! T’as pas dit ça !
Des mains empoignent ses épaules et il se débat comme un démon sans jamais cesser de l’appeler.
- Tu peux pas faire ça, Moira ! Pas à moi ! Pas après tout ce que j’ai fait pour toi ! T’as pas pu oublier ! Tu le sais ! Regarde-moi ! Moira !
- Qu’on le fasse sortir ! s’égosille le juge.
- Moira !
Et elle le regarde. Elle le regarde pour la première fois depuis l’ouverture du procès. Welsh se tétanise, plonge dans le bleu de ses yeux qui brillent à trop retenir les larmes qu’elle s’interdit de verser. Sebastian lit tant de choses dans son regard, tant de colère, tant de peine, tant de culpabilité qu’il ne sait plus qui se fait bourreau quand il crie à l’assassinat. Le temps se suspend de longues secondes, finalement rompues par le juge qui se lève à son tour en criant aux gardiens :
- Je vous ai dit de le faire sortir !
Sebastian se laisse porter dehors, sans plus résister. Il disparaît dans le ventre de la machine judiciaire qu’il a eu le tort de réveiller et Moira se lève à son tour, traverse l’allée entre les bancs jusqu’à la sortie. Elle repousse violemment la porte comme si elle manquait d’air, s’enfuit dans le couloir sans plus un regard vers la salle entièrement tournée vers elle. Et le claquement du battant résonne comme le coup final d’un combat qui la recrache à jamais mutilée.

Joe a mis de longues minutes à la retrouver, perdue sur un banc quelque part dans le bâtiment. La séance a été interrompue le temps de laisser se calmer les esprits, mais sa conclusion ne fait maintenant plus l’ombre d’un doute. Sebastian a réagi exactement comme Gyte l’attendait et ses excès ont prouvé toute la possessivité malsaine dont il l’accusait, une possessivité qui a perverti son jugement au point de vouloir détruire son rival coûte que coûte, quitte à le diffamer pour le faire tomber en disgrâce. On n’attend plus que l’annonce du jugement qui doit se faire dans une demi-heure, juste le temps pour lui d’aller relever celle qui a subi en même temps que Welsh le coup qu’il a porté. Moira ne le voit pas arriver, et sursaute quand elle aperçoit le café qu’il lui tend après s’être adossé au mur à côté d’elle. Elle lève une seconde les yeux vers lui, attrape mollement le gobelet qu’il tient, et regarde à nouveau droit devant elle sans s’accrocher à quoi que ce soit. L’avocat ne dit rien un long moment, boit à intervalles réguliers comme pour montrer l’exemple que Moira finit par suivre. Elle grimace. Il sourit.
- Ça ne vaut pas le café kenyan, hein ?
- Non.
Elle ne lui rend pas son ton mutin, et Joe ne s’en formalise pas. Elle boit encore, avec lui cette fois, et il finit par murmurer.
- Ça devait être pire.
Les sourcils de la productrice se froncent et ses yeux viennent s’arrimer à lui. Elle ne comprend pas. Comment le pourrait-elle ? Mais cette incompréhension le rassure tant qu’il la regarde avec une infinie douceur pour être parvenu à la protéger jusqu’au bout du coup plus violent qui lui était destiné.
- Il a eu peur que tu souffres plus encore si tu avais eu à prendre cette décision seule. Il voulait que la responsabilité soit sur lui, pas sur toi. Et la seule manière de le faire, c’était d’être celui qui te forçait la main.
Moira cligne des yeux, complètement perdue, et l’avocat baisse les siens, accablé par la honte qui revient peser sur ses épaules, celle de n’avoir pas su trouver un autre moyen que celui-là, celle d’avoir laissé James et Moira se déchirer pour que la productrice ne tombe pas avec Welsh dans cette salle d’audience. Joe se tasse contre le mur, les épaules basses. Il glisse sa main libre dans sa poche pour se donner une contenance, mais sa voix tremble de tous les regrets qui demeurent malgré la certitude d’avoir atteint le but qu’il s’était fixé avec Wilde.
- James a été convainquant, n’est-ce pas ?
Il retrouve son regard, et en quelques secondes, il sait qu’elle a compris. Il n’a jamais su comment Wilde était parvenu à la faire céder, quelle arme avait eu raison de ses dernières résistances et surtout, laquelle était parvenue à la faire le haïr quand elle n’avait jamais eu la moindre rancune envers lui, même face à ses pires travers. Joe n’a jamais voulu savoir, comme s’il avait déjà trop bafoué leur intimité pour vouloir l’envahir encore. Mais alors qu’il plonge dans les yeux de Moira, il y croit lire toutes les blessures qu’elle a subies ce jour-là. La main libre de la productrice se crispe sur le banc. Elle se perd de longues secondes dans des pensées qui s’embrouillent, dans des sentiments qui se mêlent et les émotions qui s’abattent sur elle depuis plus de deux semaines. Trop de questions. Trop d’incertitudes. Et pourtant, le besoin de trouver enfin les réponses qu’elle n’a jamais su atteindre, qu’elle a parfois même évitées de peur de ne pas savoir s’y confronter. Sa gorge se serre si brusquement qu’elle se force à déglutir et sa voix s’éraille :
- Je ne pensais pas que tu en aurais besoin, Joe. J’étais sûre que tu t’en passerais. Je… Si tu me l’avais dit…
- Tu m’aurais donné ce que je te demandais.
- Bien sûr.
Il sourit encore en quittant son regard et gronde :
- C’est pour cela qu’il devait le faire.
Le souffle de Moira se saccade tant les souvenirs lui reviennent, aussi durs qu’auparavant, et pourtant teintés d’une nuance devenue si évidente aujourd’hui qu’elle ne comprend pas comment elle a pu ne pas la voir dans ce bureau. La culpabilité la retrouve comme une amie devenue trop fidèle, et elle décrypte un à un tous les signes qu’elle aurait dû lire et que son aveuglement a continué de lui cacher jusqu’au bout. Elle réentend ses attaques trop humiliantes pour lui ressembler, ce tremblement dans son regard lorsqu’elle le tenait contre la vitre, cette distance qu’il aurait mille fois pu braver, et cette main sur son bureau, cette main qu’il a passée sur le bois comme une caresse alors que son père venait de se retirer. Elle frissonne, se tourne à nouveau vers le défilé des greffiers et des procureurs qui gagnent leurs arènes, sa voix retenue par sa gorge qu’elle ne parvient pas à dénouer. Elle reste trop longtemps immobile, mais Joe n’intervient pas. Lentement, elle vient passer ses mains sur son visage. Elle respire profondément, sans savoir si elle manque soudainement d’air ou si trop lui en est donné d’un coup. L’avocat jette un œil à sa montre, il faut qu’il retourne en salle d’audience avant le retour de la cour. Il regarde la productrice une brève seconde avant de glisser une main sur son épaule et il murmure :
- Rentre chez toi, Moira.
Elle lève les yeux vers lui.
- Je ne peux plus rien faire ?
- Tu as déjà tout fait.
Elle ne parvient pas à lui rendre son sourire quand il se décolle lentement du mur et vide son gobelet de café d’une traite. Alors il ajoute d’un ton toujours aussi doux :
- Ne te torture pas à te demander pourquoi tu y as cru, pourquoi tu aurais dû ne pas y croire, à chercher ta responsabilité quelque part quand il a tout fait pour que tu ne puisses rien voir. Et moi aussi…
Sa voix défaille sur la fin de sa phrase et il passe sa main dans ses cheveux pour dissimuler son trouble avant d’amorcer quelques pas vers l’arrière. Il se racle la gorge et souffle avant de s’éloigner :
- Ne lui en veux pas. Ne t’en veux pas à toi non plus. Il l’a fait pour toi. Et il a eu raison de le faire.
Joe se détourne sans parvenir à dissimuler son pas légèrement trop rapide et Moira le suit du regard jusqu’à ce qu’elle le perde dans le dédale des couloirs. Elle demeure de longues minutes inerte sur le banc, perdue dans des visions qui s’enchaînent et se ressemblent toutes. Elle se tue à décrypter les mêmes scènes, réentendre les mêmes cris. Mais chaque seconde qu’elle passe plongée dans ses souvenirs la voit ployer davantage sous une nouvelle certitude : celle de n’avoir jamais cru en cette allégeance que James lui avait promise alors qu’il la prouvait jour après jour, juste sous ses yeux.


Le parquet flottant du salon grince sous ses pieds nus à peine protégés du froid par ses fines socquettes grises. C’est comme un gémissement qui lui rappelle les trop nombreux allers et retours qu’elle lui fait subir depuis qu’elle est rentrée du tribunal. Son téléphone à la main, l’autre passant de son front à ses cheveux lâchés dans des gestes trop maladroits pour paraître sereins, elle déverrouille à nouveau l’écran, retrouve le numéro de James qu’elle frôle de son pouce depuis près d’une heure sans jamais oser appuyer. Ses doigts se crispent sur l’appareil à l’écraser alors qu’elle reste suspendue devant les chiffres. Sa main tremble. Elle n’entend plus que les battements assourdissants de son cœur dans ses tympans alors qu’elle manque une dernière fois de mettre fin au silence qui l’étouffe depuis trop longtemps. Mais elle lâche prise une fois encore, laisse le noir envahir l’écran, et un soupir profond s’échappe de sa gorge alors que ses ongles raclent son crâne en passant à l’arrière de sa tête. Elle fait les derniers pas qui la séparent de la table de la salle à manger où elle abandonne son cellulaire et elle appuie ses deux mains à plat sur le bois, respire par larges bouffées dans un effort qui lui coûte trop pour calmer ses pulsations. Deux semaines qu’elle dépérit à refuser de le voir. Deux semaines qu’elle s’abrutit à retourner dans sa tête les mêmes phrases, les mêmes gestes, les mêmes regards, qu’elle s’est enfermée dans des certitudes biaisées pour avoir été incapable de comprendre ce qu’il tentait de faire. Alors que Joe lui a enfin donné toutes les clés pour le lire, elle ploie sous la honte de s’être si aisément laissée flouer, d’avoir un seul instant pu croire en ce visage que James a revêtu. Elle s’est noyée sous tant de colère, tant de terreur, tant de raisons de se perdre dans la rudesse des coups qu’il n’avait encore jamais utilisés contre elle… Où se trouve la frontière entre les aveux et les mensonges ? S’est-il adonné à grossir les traits qui le façonnent ou les a-t-il imaginés ce jour-là, tracés juste devant elle pour faire taire ses vérités derrière des leurres ? Moira inspire, frotte ses yeux épuisés par le sommeil trop léger qui perturbe toutes ses nuits depuis qu’il l’a forcée à le haïr. Lentement, elle se glisse jusqu’à la baie vitrée qui donne sur sa terrasse, derrière le piano. Une pluie violente cingle dehors. Elle se noie dans le bruissement de l’orage. Elle n’a même pas vu le soleil se coucher et la lumière qui baigne sa maison fait apparaître son reflet sur le verre. Elle se découvre presque aussi pâle que lui, dans sa chemise bleue aux manches relevées sur ses coudes. Même sa douche brûlante n’est pas parvenue à gommer les stigmates de l’épreuve finale qu’a été ce procès. Elle se trouve épuisée. Ses doigts passent sur ses paupières qui se referment sur ses yeux trop rouges. Elle souffle. Et sursaute, soudain.

Trois coups. Trois coups qu’elle reçoit en plein ventre. Trois coups qui résonnent dans sa maison un temps infini. Elle met de quelques secondes à trouver la force de se glisser jusqu’à l’entrée, le cœur si lourd qu’il menace de se décrocher de sa poitrine à chaque pas. Sa main blanche caresse la poignée. Elle ne regarde pas par le judas, craint la déception qu’elle pourrait y trouver, la peur de ne plus savoir ouvrir, cette angoisse qui lui tord le ventre alors que ses doigts se font plus fermes sur le métal. Elle respire encore. C’est trop long, elle le sait. Alors elle cesse de réfléchir, tourne la poignée et fait pivoter la porte si lentement qu’on croirait que le battant lui-même s’inquiète de ce qu’il s’apprête à lui montrer. Son cœur lui saute à la gorge dès l’instant où elle dévoile la silhouette de James et ses deux mains se crispent de chaque côté de l’embrasure pour l’empêcher de vaciller. Il ne la regarde pas et elle reste tétanisée face à lui. Elle ne remarque pas le sac qu’il tient. Elle ne fixe que son visage ruisselant, le supplie de la regarder, qu’elle puisse enfin lire dans ses yeux les réponses qu’elle ne supporte plus d’attendre. La pluie continue de s’abattre tout autour d’eux en un bruit continu qui couvre les battements de son cœur dans ses tempes. Elle compte les secondes pour s’éviter de s’effondrer, serre les dents à trop lutter pour ne pas baisser le regard, et lorsqu’il lui offre enfin le sien, ce sont toutes les émotions qu’elle a bannies depuis deux semaines qui semblent exploser dans tout son corps. Le mal qui s’est emparé de ses traits la traverse comme s’il n’existait entre eux aucun rempart. Elle détaille son visage avec une avidité fébrile et se voit terrassée par ce qu’elle lit dans ses prunelles. Ses ongles griffent le bois de la porte à laquelle elle s’agrippe toujours. Elle mord sa lèvre avec tant de force à retenir les larmes qui perlent au coin de ses yeux qu’elle pourrait la fendre d’une seule pression supplémentaire. Mais cette douleur à laquelle elle se raccroche maquille une autre qu’elle ne supporte plus au creux de sa poitrine, une souffrance qu’elle ne tolère pas à la découvrir en reflet dans les yeux de James. Alors, elle abandonne la chaleur rassurante de sa maison pour faire les deux pas qui la séparent de lui, et dans une lenteur infinie, elle passe son bras par-dessus ses épaules pour le guider jusqu’à elle. Sa tête glisse contre sa pommette humide et ses paupières se referment, laissent échapper les larmes qu’elle s’autorise enfin à verser. Elle respire si profondément que ses côtes se lèvent en un mouvement saccadé. Elle se surprend à s’enivrer de son odeur, réalise toute la prégnance de ce manque qui a vicié ses chairs des semaines entières. L’eau sur son blouson imprègne le tissu de sa chemise mais elle se presse encore davantage conte lui, le serre à l’étouffer. Elle ne sait plus si elle frissonne d’émotion ou de froid. Elle s’accroche à lui, imprime sur l’ossature saillante de ses épaules le poids de la peine qui a trop pesé sur les siennes. Elle met de trop longues secondes, peut-être des minutes entières, à retrouver un semblant de pouvoir sur ses sens, et elle force sur sa gorge nouée pour laisser échapper des mots qui se fêlent dès qu’ils franchissent ses lèvres.
- Tu es là.
Elle rappelle la promesse qu’il lui a faite dans les ombres d’un studio ravagé par leurs colères. Elle rappelle cette promesse en laquelle elle a tant honte d’avoir douté et qu’il a tenue pourtant de la plus douloureuse des façons, à se faire la cible unique de toute ses rancunes pour l’empêcher de les tourner contre elle. Tout lui revient avec tant d’exactitude, tant d’intensité, et ses mains s’impriment sur ses omoplates, appuient toutes les excuses qu’elle lui doit.
- J’aurais tant dû comprendre… J’aurais dû le voir. J’aurais dû le voir, James. Je suis tellement désolée…
Sa gorge s’étrangle encore et elle respire brusquement, combat les tiraillements qui continuent de parcourir son corps quand elle se hait pour tant de choses et quémande un pardon qu’elle ne pense pas mériter. Elle aurait tant à lui dire, tant à lui demander, tant à effacer dans les blessures qu’elle a vues dans ses yeux. Sa main droite remonte doucement sur sa nuque dans un réflexe étrange qui lui fait retrouver les gestes qu’elle a eus ce soir-là, dans le secret de ces serments arrachés aux tourmentes. Ses doigts se frayent un chemin dans la naissance de ses cheveux, en délogent la pluie qui ruisselle le long de son bras, et elle appuie davantage sa tête contre la sienne dans une étreinte qui ne saura jamais durer assez longtemps pour pardonner ses offenses. Les mots échouent au creux de son oreille, à peine soufflés :
- Tu es là. Je sais que tu es là… Je le sais. Pardon, James.
La pluie et les larmes se confondent tout contre sa peau. Elle tremble sans jamais le lâcher, le retient de peur qu’il ne s’éloigne encore car elle sait, elle sait désormais à quoi ressemble son monde quand il n’en fait plus partie, et dans le refuge qu’elle retrouve au creux de ses bras, elle sait qu’elle ne saurait plus y survivre sans lui.

© ACIDBRAIN
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James M. Wilde
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() message posté Ven 21 Avr 2017 - 13:07 par James M. Wilde



« I just don't care if it's real
That won't change how it feels
No it doesn't change
And you can't resist
Making me feel eternally missed
And you can't resist
Making me feel »

Moira
& James




Il surprend son sang pulser sous les phalanges qui sont venues s’entrechoquer à la porte, son coeur semble s’être déplacé dans sa main, l’élément coupable du dernier geste qui trace leurs destins. Sa poitrine s’oppresse, son souffle est encombré par cette angoisse qui refuse pertinemment de le quitter, trop bien installée dans sa tête pour réaliser qu’il est pourtant largement temps de sonner l’heure de la libération. Elle continue de planter ses griffes, il en sent les infimes soubresauts qui ondulent sur sa peau, à la manière des entrées sur scène, cette peur dévorante que l’on finit par oublier dès lors qu’il est l’heure d’exécuter la partition connue par coeur. Mais cette partition-là, il ne la connaît guère, elle s’écrit à l’instant même où l’attente devient diffuse et où les souvenirs encombrent le présent pour le rendre presque irréel. Il a chaud, il a froid, il sonde le sol sans pour autant le voir, à imaginer des scénarios multiples qui animent Moira dans des attitudes de plus en plus blessantes, le rejet hurle, le monstre susurre tout le pathétique dont il cherche à l’accabler, la démarche est trop élevée pour qu’elle le complaise. Pourquoi abjurerait-elle la retraite esquissée pour se garder de lui, pourquoi oublierait-elle les mots et les cris grâce à la manigance victorieuse ? Victoire ou défaite, il n’en demeure pas moins qu’il interpréta l’horreur devant elle pour qu’elle puisse s’en persuader, et que la conviction a dégouliné sur sa peau pour s’y insérer presque entière, il se confond à tous les rôles qui marquèrent sa vie, il se souvient des sensations si emmêlées qu’il est presque incapable de les dénouer pour les décompter. Les plus prégnantes d’entre elles défilent sur son visage baissé, elles inscrivent la peur, elles peignent la honte toujours, elles font briller les yeux d’une douleur qui s’ancre trop profondément pour se lever au rythme d’un coeur effréné par l’incertitude, et sur la langue, il y a l’amertume d’avoir été capable de tenir, d’avoir été celui qui fit ployer toutes les défenses, d’avoir été le vecteur d’une haine qu’il sait mériter quelque part, et qui l’horrifie à chaque fois qu’il s’observe. Il y a eu des mensonges, mais des mensonges qui se destinèrent à des vérités dévoilées, ce sont ces vérités-là qui le rendent mutique, fébrile sur le pallier, ces vérités qu’elle pourrait lire sur ses traits si elle ouvrait un jour, à moins qu’elle ne se décide à simplement se refuser. Sa main serre la bride du sac plus intensément, pour se raccrocher à la réalité qui tangue, et cette pluie continue de l’harasser, fustige l’importun que dévoile la porte qui s’entrouvre sans qu’il ne le réalise. Combien de secondes avant qu’il ne parvienne à sortir de ses ténèbres et des questions qui les renforcent ? Combien de secondes pour lui revenir enfin, encore sclérosé par la froideur qui força un châtiment de quelques jours à paraître quelques éternités ?

Il peine à respirer lorsqu’il relève la tête et il embrasse son éblouissante découverte en manquant de tracer un pas en arrière, réflexe qu’il arrête quand il comprend qu’elle ne fait que le lire, que chercher dans son expression les mots qui se taisent encore, qui pèsent entre eux comme des injures à ne pas s’élever, le silence est une menace qu’il choisit d’ignorer, car tous ses sens se tendent dans sa direction, ses yeux la sondent et cueillent pourtant chaque détail : la lumière qui joue dans ses cheveux qui cascadent en une pluie d’or sur ses épaules, la pâleur de sa carnation qui rappelle que la peine fut partagée sans qu’ils ne puissent alléger la douleur en se rejoignant entre les murs de leur prison devenue si immense qu’il était impossible de se distinguer l’un l’autre, le malheur qui atteint ses prunelles et les tremblements diffus qui viennent blanchir les jointures de ses mains. James demeure à sa place, il s’interdit tous les mouvements qu’il aimerait esquisser pour ne faire que caresser le portrait de Moira qu’il a déjà peur de voir se transformer en mirage et toute la souffrance déborde de sa posture, toute cette souffrance qu’il est venu avouer devant elle et qui s’éprend de lui en des vagues immenses, bien pires que les assauts de la pluie qui continuent toutefois à tenter la noyade quand il dérive déjà, mais pas au loin… Il dérive dans sa direction, ses yeux étoilent la peine de l’avoir si longtemps attendue et appelée quand l’interdit pesait sur les journées qui furent identiques à n’être pas parées de ses lueurs, des journées inutiles, des journées qui disparaissent toutes à présent qu’il pourrait la frôler et frôler par elle les harmonies qui ne peuvent exister que lorsqu’ils se retrouvent. Il tremble toujours, mais le froid disparaît, et sa mâchoire se serre sous le coup de l’émotion débordante qui l’assaille. En la voyant, il sait, en tombant dans les profondeurs de ses prunelles qui portent le désespoir qui chercha à le tuer, il sait. Il sait déjà qu’elle lui revient, il sait déjà qu’elle n’est jamais totalement partie de son corps qui ploie sous des sensations plus terribles que ne furent celles qu’il rechercha dans ses souvenirs. La liberté brûle les peurs au front de toutes ses angoisses qui se voient balayées par une fièvre dévorante, Moira enterre toutes les distances qui ne peuvent exister maintenant que les promesses furent prouvées par les actes, les yeux de James la traquent, son souffle s’accélère car les grilles se referment au moment même où elle l’étreint. Un son sourd, fatidique, que celui de leur liberté qui continue de les enfermer au milieu de ténèbres communes, partagées, qui les accueillent comme ces êtres maudits et toujours enlacés. Le geôlier a récupéré sa créature, les rôles ne sont plus distribués sous la pluie qui fait fondre les masques pour en former d’autres qui ne peuvent être portés qu’à deux. Son corps toujours peuplé de cette folie qu’il ne peut que mater se tend de se sentir entravé, le réflexe ancestral toujours présent, réflexe qu’il étrangle aussitôt pour accepter les liens qui reviennent percer sa chair, se réinsèrent dans des blessures laissées ouvertes, rendues béantes par la séparation. Il accepte l’étreinte de ses bras et se modèle à son corps, il y a des fers que l’on finit par choisir car ce sont les seuls qui peuvent encore vous rappeler à la vie, une vie qui brûle, une vie qui lance, une vie qui hurle dans sa tête entièrement remplie par les saveurs qui l’enivrent déjà. Le contact le fait légèrement frissonner, le cuir humide crisse au moment où ses mains se lovent dans son dos, imbibant plus encore sa chemise sans même le noter, son nez trace une caresse contre sa tempe en un sursaut si intime qu’il paraît viscéral et ses lèvres se posent sur sa peau pour y goûter la certitude de l’avoir retrouvée. Il embrasse les frissons qui la ceignent, s’alanguit plus encore dans l’étreinte qu’elle lui donne alors que ses mains la resserrent contre lui, ses lèvres tracent un sourire si léger sur la douceur de sa joue pour étioler le besoin d’elle qui ne peut entièrement se repaître, il faudrait d’autres éternités pour qu’il soit rassasié. Il sent ses larmes se mêler à la pluie, la tempête dans son corps, l’orage dans sa tête, il la garde contre lui sans mot dire comme pour bercer ses pleurs, ses lèvres encore qui rencontrent l’épiderme, au secours des secrets dévoilés par l’élan qui les animent de nouveau, pour enrayer la peine qui pourtant le traverse aussi. Les mots l’accueillent si brutalement que son souffle esquisse l’émotion en une vague saccadée contre sa joue, il la laisse s’accrocher à la certitude de l’assertion, il ne se fait que l’écho presque rauque de sa propre tristesse, la vérité gracie son oreille d’une caresse :
_ Tu m’as manqué.

Une sincérité qui le surprend à peine, une évidence murmurée pour renouer l’allégeance. Je suis là. Je suis là, je te l’ai dit. Il ferme les yeux à son tour, glisse ses doigts gantés dans son dos pour la garder du froid autant que de cette tristesse qui continue de la ravager dans le silence brisé. Redécouvrir le grain de sa voix à distance des décors qui leur sont familiers lui paraît être une expérience touchante, chaque geste qu’il esquisse est arrimé d’une précaution ténue, il tient sa fragilité entre ses bras et il a l’impression quant à lui de ne tenir debout que parce qu’il lui faut la garder de tout le trouble qui demeure dans leurs non-dits. Les mots se bousculent, il sent le scintillement du doute dans ses répliques qui projettent des excuses quand il ne se sent pas digne, sa gorge se serre, il enfouit son visage dans son cou au milieu des cheveux pour quérir ses parfums et y chercher la force de la détromper, ses doigts ont remonté la droite de son échine, ils glissent dans les mèches à portée pour tisser d’autres preuves des tremblements qui l’animent encore. Des mots tout aussi saccadés que les siens :
_ Non… Non… Je t’ai forcée à t’aveugler, ne t’en veux pas, ne t’en veux pas Moira, rien n’est de ta faute, c’est terminé.
Presque terminé, il sait ce qui lui reste à faire, les aveux qui brûlent encore sa gorge à s’y silencer, les explications qu’il faudrait donner en partage pour qu’elle comprenne n’être que la victime d’un stratagème où la maîtrise monstrueuse et tyrannique n’est guère empruntée. La douleur est plus vive encore au souvenir de toutes les occasions qui auraient pu l’amener à tendre la main pour effacer les blessures portées, au moment même où il l’achevait, ou bien quelques jours plus tard alors que Wyatt venait de rouvrir le passé qui continue de le hanter, ou encore chaque heure où il se recueillait dans la solitude du studio et où il aurait pu violenter sa porte pour lui dire qu’il ne supportait pas la douleur dans laquelle il l’avait lui-même plongée. Il se souvient du visage affaissé de Holly, au moment même du constat qui dessinait le malheur, il sent sa main se frayer dans ses cheveux trempés, il se penche plus volontiers pour rejoindre leurs peaux embrassées et ses yeux se rouvrent, les paupières lourdes de ce qu’elle ne cesse de répéter, il renforce son étreinte comme pour l’y faire disparaître, la greffer à son corps pour qu’ils ne revivent jamais les terreurs d’une séparation qu’ils se seront infligée.

La porte demeurée ouverte baigne leurs corps de lueurs accueillantes, et un frisson supplémentaire qui semble les secouer de concert le force à cesser ce qu’il aurait aimé pourtant prolonger un peu plus, il est en train de baigner ses vêtements de la pluie qui redouble tout autour et il se recule sans pour autant briser totalement les lignes de leurs corps enchevêtrés, avec lenteur il recouvre la vision de son visage baigné de larmes, et sa peine est si intense, si intense qu’elle éclaircit ses iris en miroir des siennes, comme pour se rapprocher plus encore de l’union des émotions qui ne cessent de transiter entre eux, depuis qu’ils se connaissent. L’un de ses bras abandonne les rivages de son dos pour se libérer, il utilise ses dents pour déganter sa main avant de la porter avec douceur jusqu’à son visage, en frôler un contour, et y effacer les larmes qui l’emperlent, une caresse qu’il réitère, ses yeux dans les siens, abîmés par les peurs qui s’enfuient, laissant le soulagement envahir leurs horizons. Son sourire dessine les larmes qu’il n’a pas pu verser, laisse planer la seconde qui les donne encore l’un à l’autre, avant de laisser retomber ses doigts qui au passage viennent trouver les siens. Il l’accompagne jusqu’à chez elle, ne disputant guère la préséance en amorçant un mouvement qu’il lui laisse compléter, et récupère le sac à dos abandonné sur le seuil. La porte se referme, l’écho de la note fatidique qui les retient et qui pourtant leur réapprend la ferveur de cette liberté qui n’existe que dans leurs regards. Il balade ses yeux sur le décor avant de revenir à elle, ne déguise guère son observation alanguie qui remonte sa silhouette pour découvrir les dégâts du naufrage sur son chemisier qui colle à sa peau, dévoilant plus d’elle qu’il ne lui fut jamais donné de voir en d’autres circonstances. Un instant, sa déglutition se fait plus alarmée, avant qu’il ne se concentre sur le désordre qu’il est en train d’opérer dans son entrée, à dégoutter l’ensemble de la tempête sur le sol. Il passe une main dans ses cheveux, pour les plaquer en arrière afin qu’ils ne cessent de baigner son visage, et se débarrasse de sa veste qui, alourdie, a pris le plus gros des ravages, laissant son pull beige presque préservé, si ce n’est le col qui dessine une corolle humide tout autour de son cou. Il est presque gêné soudain de balader son attention sur les détails de sa vie qu’il vient de pénétrer pour la première fois, la luminosité lui semble trop crue, sa curiosité se fait mutine, il la laisse entièrement le précéder alors qu’il la suit, quelques pas en arrière, à distinguer les photos sur les murs, les couleurs de l’ameublement, et chaque détail qui rend unique un univers qui trahit celle qui l’électrise. Il a toujours son sac en main, qui lui paraît plus lourd à mesure qu’ils débouchent dans le salon où un feu crépite, donnant des atours orangés au théâtre de son domicile. Il se tient encore à la frontière du couloir quand il se détermine à meubler son silence presque pieux :
_ Je suis venu t’apporter ça.
Une tournure vague autant pour préserver la surprise que pour ne pas trahir l’émotivité qui la destina, il ne fait que peu de présents, c’est une coutume qu’il ne suit que lorsque le don à un sens, cette symbolique unique qui fait que le plaisir se partage dès lors qu’il s’agit de l’imaginer. Il délaisse le sac qu’il ouvre, posé sur le mur du couloir, avant de la rejoindre, tenant entre ses mains un paquet noir et brillant, qui semble avoir été refermé avec une attention millimétrée. James ne peut supporter que certaines choses ne soient pas symétriques, ou qu’on y trouve une harmonie géométrique qu’il excave des angoisses qui continuent de le malmener depuis sa période d’enfermement. C’est ce même soucis maladif du détail qui le pousse à torturer Phil, chaque jour que dieu fait, à cause des spots et de leur sacro-saint alignement. Sa main ne tremble guère alors qu’il lui remet un objet rectangulaire, d’une taille qui n’est pas trop imposante, plat, d’un poids modeste. Dans une sorte de pudeur, mêlée de cette gêne qui retourne l’assaillir, il s’approche de la cheminée pour y chercher une distance qui lui permettra au moins de cesser de ressembler à un cabot qui a traîné trop longtemps à l’extérieur. Il fait mine de regarder les flammes qui sont déjà ancrées dans les secrets de ses iris, mais revient à elle avec une régularité qui acère ses prunelles. Il ne lui dit rien d’autre, il voit des visages sur le linteau, celui d’un enfant et d’un homme, vraiment très bruns, le petit ressemble un peu à Moira, le petit partage en fait ses traits entre l’homme et celle qui dévoile précautionneusement ce qui lui fut confié. Son esprit pénètre une information qui le frappe, celle de l’existence d’un peu de Moira quelque part dans un autre corps, un corps qu’il n’a jamais aperçu ailleurs. L’idée qu’elle ait un enfant le traverse, l’incertitude tiraille longuement une analyse qui cherche des failles où s’engouffrer. Il ne sait que statuer quant à une histoire qu’il ignore, mais reviennent les ombres qui provoquèrent cette attirance irrépressible pour elle et il se demande si leur source ne se trouve pas sous ses yeux trop avides. Il range les questions qu’il ne veut pas porter en préambule avant de ne songer encore à cette découverte symbolique. Les quelques secondes qui déroutent son stress permettent à Moira de se débarrasser de l’emballage, ses yeux reviennent à elle et s’aimantent malgré eux.

Elle découvre la pochette d’Explorers, démontée pour que le cadre entièrement transparent en enferme chaque face et qu’il ne vienne pas gâcher le tableau dont il se fait l’écrin. Les graphismes des Wild sont toujours épurés, James aime cette simplicité tirée au cordeau qui ressemble à l’environnement de son appartement, le nom du groupe est dans un coin, dans une police très simple, blanche, le titre du single est plus finement inscrit encore, juste en dessous. Le recto ne porte rien d’autre si ce n’est le paysage spatial sur fond de néant, où quelques étoiles s’égrainent alors que les nébuleuses tracent deux mains tendues qui cherchent à se rejoindre au milieu de cet espace trop vide, presque oppressant. Le verso est plus habillé, et si l’intimité des mains portaient à imaginer une étreinte, les protagonistes révèlent ici leurs visages tout aussi éthérés, des visages si proches que leur communion semble vaincre les abysses du temps, de toutes les éternités que l’on devine chercher à les séparer. C’est le coin inférieur droit qui porte une police identique à celle que l’on lisait précédemment. Une mention unique cependant dans toute la carrière du musicien, qui voit le très classique « Written and composed by James M. Wilde » remplacé par « Dreamed by Moira A. Oaks & James M. Wilde ». Une offrande pour la nuit qui les lia. Une offrande pour ce rêve qui le meut, qui le retrouve dans ses terreurs, qui le garde de ses noirceurs les plus vives. L’écriture de James se cache et se découvre si l’on retourne le cadre, un message qui n’est adressé qu’à elle et qui ne cherche pas à être exposé, ses lettres allongent dans une écriture entièrement noire ce qu’il a rêvé de lui dire depuis longtemps et qu’il aura fini par lui écrire pour qu’elle ne puisse jamais l’oublier : « Et apprendre à aimer une prison parce que tu la partages… Les murs deviennent indistincts, j’ai la certitude que tu sauras les repousser avec moi. Je suis là. À jamais. J.M.W. »
Le coeur de James repart dans un rythme oppressant quand il comprend qu’elle est en train de lire, et il cueille chaque sursaut de ses découvertes sur son visage, chaque signe qui pourrait trahir l’émotion qu’il a cherchée à déclencher chez elle, l’émotion qu’il lui confie car elle leur est commune, elle demeurera préservée tant qu’ils sauront poursuivre l’inaltérable marche de leur collaboration devenue trop proche pour continuer d’être qualifiée de professionnelle. Il se sent mis à nu, et la distance ne suffit plus réellement pour le préserver de ce qu’il a su dévoiler à force du manque d’elle, plus croissant le jour, quand se terminait la nuit, pire et plus avide encore la nuit quand mourait enfin le jour. Son souffle est perturbé, il la regarde toujours, délaisse une boutade sur un ton précis, pour la laisser s’évader de cette contrainte si elle le souhaite :
_ Avec ma signature, sachant que c’est le premier exemplaire, je pense que tu peux en tirer un prix très raisonnable. Mais ça me froisserait de te découvrir vénale soudain.
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() message posté Sam 6 Mai 2017 - 23:05 par Invité





Le cuir de sa veste crisse sous ses doigts et rien ne lui fait desserrer sa prise, pas même la tension qu’elle sent dans les muscles de James au moment où elle l’amène à elle, comme la première fois. Elle attend que sa crispation disparaisse, qu’il se donne à cette étreinte qu’il ne peut pas lui refuser, pas ce soir, il le sait, et elle s’abandonne complètement aux sensations qu’elle redécouvre lorsqu’elle sent ses mains se glisser dans son dos, accepter de retrouver les liens si douloureusement défaits, redessiner la communion trop longtemps bafouée et qu’elle n’a jamais su abandonner tout à fait. Son esprit lui paraît si lourd tout à coup, comme embrouillé par toutes les émotions qu’il libère quand elle le sent embrasser sa joue. Le sourire presque timide qui nait sur ses lèvres bataille pour atteindre ses yeux qui se troublent à ne plus savoir retenir les émotions qui la submergent. Elle ne dresse plus aucune barrière pour les retenir, épuisée de les avoir trop bridées pendant les semaines interminables qui les ont vus se déchirer tous les deux. Moira serre encore ses épaules, s’accroche à toutes les convictions retrouvées. Les mots lui échappent et elle sent son sourire, son sourire qu’elle a tant craint d’avoir à jamais perdu dans les douleurs qu’ils se sont infligées. Ses mains se pressent plus encore dans son dos quand elle l’entend souffler en réponse cette phrase si simple qui dit à elle seule tout ce qui n’a cessé de la meurtrir, ce manque qu’elle peine encore à effacer alors même qu’elle le tient dans ses bras. A sentir les sentiments si profondément ancrés dans sa chair et dans ses gestes à lui, sa voix ne vibre que des excuses qui l’étranglent tant elles s’accumulent dans sa gorge, toujours plus nombreuses à chaque souvenir qui revient la hanter, lui crier tous ces signes qu’elle n’a pas su voir à trop douter de ses promesses, à s’être si facilement laissée flouer par ses masques. Les bras de James la serrent plus encore alors qu’il laisse sa tête reposer dans son cou. Elle entend les mêmes fêlures dans sa voix, sent la même fébrilité dans ses mains, cette harmonie des sens que même leur séparation n’est pas parvenue à déformer. Elle remonte une caresse à l’arrière de sa tête et James se laisse faire, accentue une dernière fois cette étreinte venue si tard, cette étreinte qui pourrait ne jamais finir si le monde extérieur ne cessait de se rappeler à eux. L’orage gronde tout autour et ses bourrasques viennent s’immiscer sous sa chemise relevée sur la peau nue de son ventre et dans le bas de son dos. Elle se tend sous la morsure du froid et sent les muscles de James lui répondre. Il s’écarte lentement, sans jamais la lâcher tout à fait, et son regard revient croiser le sien. Moira s’apprête à baisser les yeux, rappelée à cette pudeur que ses larmes viennent de trahir pour la première fois devant lui. Mais elle continue de le fixer quand elle sent une de ses mains quitter son dos et elle suit chacun de ses gestes avec l’immobilisme de ceux que trop d’émotions ont traversé en trop peu de temps. Ce n’est que lorsque son pouce vient quérir ses dernières larmes qu’elle s’autorise enfin à se mouvoir, abaisse les paupières pour échapper à ses prunelles et ne laisser qu’un sourire gêné prendre place sur ses lèvres. Elle ne recule pas pourtant, le laisse réitérer son geste avec la même douceur et la guider enfin jusqu’à la lumière qui baigne son entrée pour échapper aux noirceurs dans lesquelles ils ont failli s’oublier. La porte se ferme sur l’agitation au-dehors et pour la première fois depuis des semaines, le calme de sa maison s’accorde à celui dans sa tête.  

Elle respire lentement pour recouvrer ses esprits et se met à suivre d’un regard espiègle l’observation de James qui n’épargne aucun nouvel environnement auquel il est confronté. Son sourire la fait mutine alors qu’elle lui laisse tout le temps de disséquer la pièce, comme s’il était naturel qu’il puisse tout étudier, qu’il prenne un moment pour trouver ses premières marques et se sentir en confiance. Elle ne lui fait un geste que pour lui désigner le porte manteau quand il ôte sa veste avant de lui ouvrir la voie vers le salon pour aller chercher près du feu de quoi retrouver le bleu d’origine de son chemisier. Elle se perd un instant à observer les flammes qui dansent silencieusement dans l’âtre quand la voix de James lui fait lever les yeux vers la porte vitrée qu’il n’a pas encore tout à fait franchie. Elle penche la tête légèrement sur le côté alors qu’il se dérobe le temps d’ouvrir le sac qu’il semble précieusement garder depuis son arrivée et un drôle de frisson vient jouer dans le bas de son dos lorsqu’il s’approche avec un paquet noir aux lignes trop parfaites pour qu’il ne se soit pas appliqué à l’emballer lui-même. La surprise qui l’étreint la paralyse un instant avant qu’elle n’achève les derniers mètres qui lui permettent de le rejoindre à mi-parcours. Ses mains s’emparent timidement du paquet qu’elle fixe avec une fascination étrange, son cœur à peine calmé repartant de plus belle à l’intérieur de sa poitrine pendant que James s’éloigne pour rejoindre la cheminée. Ses iris reviennent à lui une dernière fois avant qu’elle ne s’aventure à ouvrir un côté de l’emballage, retenue par une précaution étrange qui lui fait déchirer le papier le moins possible. Elle sent le regard du musicien se poser plusieurs fois sur elle mais ne perd pas une seconde de la découverte qu’elle opère, jusqu’à sortir un cadre qui aimante immédiatement son regard des secondes entières. Avec une lenteur infinie, sa main laisse retomber le papier noir sur le canapé près d’elle sans qu’elle ne laisse une seule fois ses yeux se désolidariser des lettres blanches qui dessinent l’origine de tout ce qui a conduit James à être là ce soir. Explorers.

Lentement, sa main gauche vient glisser à l’arrière du cadre et ses doigts libres parcourent le dessin, effleurent le verre sans le toucher, tracent chaque courbe comme pour se les approprier. Elle découvre l’appel de ces deux mains perdues dans le noir, les rares nébuleuses qui illuminent un univers qu’on ne peut tout à fait voir, et la proximité de ces visages qui frôle l’intime sans s’y plonger tout à fait. Son regard ne quitte pas une fois l’allégorie ainsi offerte, l’essence de cette première main tendue qu’il a acceptée de prendre ce soir-là, pour l’enfermer ensuite dans cette prison de verre et se permettre de la lui donner en retour. Les secondes s’étirent sans qu’elle ne parvienne une fois à décrocher son regard du cadre, jusqu’à ce qu’elle remarque un dernier détail sur la face arrière de la pochette, quelques caractère trop petits pour attirer immédiatement l’attention, mais qui tracent chez elle un sourire qui tremble de toute l’émotion qui la traverse à la lecture de ces quelques mots. « Dreamed by Moira A. Oaks & James M. Wilde ». La formulation est aussi touchante qu’elle est juste alors qu’elle se remémore les quelques heures qui les ont vu pour la première fois emprunter un chemin duquel ils ne sont jamais revenus, duquel ils n’ont jamais dévié malgré ses  obstacles qui les ont plusieurs fois fait trébucher. Explorers, leur appel conjoint à une réalité qui n’est plus la leur, l’espérance qui demeure toutefois tant qu’ils ne s’y perdent pas seuls. Son sourire se fait plus franc lorsqu’elle inspire pour se redonner une contenance, mais son souffle se bloque à nouveau quand la curiosité lui fait regarder de l’autre côté du cadre où une note manuscrite capte immédiatement son regard. Elle retourne l’objet avec une précaution manifeste, hésite un instant à lire lorsqu’elle sait James présent pour détailler toutes ses réactions. Mais sa pudeur ne peut rien pour contrer l’élan qui la fait dériver vers les courbures d’une encre noire qu’elle imagine minutieusement travaillées pour donner la calligraphie qu’elle découvre ainsi pour la première fois quand elle n’a connu que l’écriture abrupte disséminée dans les marges de ses partitions. Et ses yeux reviennent enfin trouver les siens lorsqu’elle en déchiffre le sens. Ses prunelles tremblent d’une émotion qu’il ravive alors qu’elle vient à peine de s’adoucir et les mains de Moira se crispent de chaque côté du cadre sans qu’elle en ait même conscience. Elle le regarde, cherche des mots qui refusent de lui venir, combat les battements de son cœur qui s’affole à se voir incapable de cacher les impressions qui la ravagent de l’intérieur et c’est James qui lui offre une porte de sortie pour faire passer le malaise dans lequel elle s’enfonce à se savoir si aisément lue par celui qui l’observe. Le ton badin de sa réplique lui fait échapper un soupir amusé quand elle se raccroche à la tension qu’elle distingue dans sa posture à lui pour se rassurer et se dire qu’il n’est finalement pas bien plus à l’aise qu’elle.
- En douterais-tu encore quand tu as osé me demander le Royal Albert Hall à notre première confrontation ?
Son sourire s’élargit encore quand elle se  remémore ce premier jour duquel tout à découlé, cette première communion ressentie sur un titre, puis diffusée sur tous les autre jusqu’à l’apogée trouvée sur ce morceau qu’elle a l’impression de tenir contre elle. Elle a demandé les preuves qui lui manquaient lorsque tout les a opposés dans son bureau et a la sensation aujourd’hui de toutes les avoir entre ses doigts. Elle revient au cadre, regarde encore l’illustration qu’il a choisie, se laisse à nouveau porter par les émotions qu’elle en retire, trop prégnantes pour qu’elle ne doute une seconde de leur nature. Il y a dans ces images la puissance des non-dits, et la délicatesse des secrets qu’ils conservent. L'incertitude enfin qui lui fait un instant questionner les rivages sur lesquels ces deux personnages les emmènent.
- Il est… parfait. souffle-t-elle enfin. Merci, James.
Son premier élan voudrait le rejoindre mais elle le musèle pourtant, ne se permet pas de braver une nouvelle fois cette distance  qu’il les sépare quand elle l’a déjà trop offensée sur son pallier. Alors elle prend le chemin inverse, se coule lentement vers le buffet à droite du canapé et y dépose précautionneusement le cadre qu’elle laisse appuyé sur le mur en attendant de prendre le temps de l’accrocher quelque part. Elle caresse encore ses contours du regard et sent progressivement s’imposer les souvenirs d’une attention qu’elle a également eue pour James des semaines plus tôt, une idée étrangement similaire qui demeure depuis tout ce temps dissimulée quelque part dans les secrets de sa chambre à l’étage, attendant l’heure où elle pourra enfin sortir de l’ombre pour se donner elle aussi à celui qui en a toujours été l’unique destinataire. Jamais encore elle n’avait trouvé de moment propice à le lui offrir et un drôle d’instinct lui dit qu’elle ne trouvera pas de meilleure occasion qu’aujourd’hui. Lentement, elle se retourne vers James, le même sourire toujours glissé sur ses lèvres. Ses cheveux toujours trempés lui donnent soudain le prétexte rêvé pour s’éclipser, et elle lui lance, déjà en chemin pour qu’il n’ait pas le temps de refuser :
- Je vais te chercher une serviette. Attends-moi une seconde.
Elle s’enfuit par la porte vitrée et glisse sa main sur la rambarde de l’escalier qu’elle monte d’un pas vif, tant pour ne pas le faire patienter trop longtemps que pour s’empêcher de réfléchir et de douter de son geste. Ses pieds rencontrent la chaleur du parquet de l’étage et elle ôte ses chaussettes mouillées une à une sur le chemin de la salle de bain. Une fois jetées à la corbeille, elle s’empare d’une serviette blanche dans un meuble sous le lavabo avant de rejoindre sa chambre et de passer côté dressing. Elle tire une paire de socquettes blanches d’un tiroir et les enfile d'un geste avant de pousser une porte coulissante qui dévoile l’une de ses penderies. Lentement, elle se hisse sur la pointe des pieds pour atteindre la dernière planche et attraper le bord d’un cadre entièrement noir, plus imposant que celui de James, qu’elle récupère avec une infinie douceur. Ses yeux se posent sur les lignes qu’elle connaît par cœur tant elle les a détaillées dans ses moments solitaires, fascinée par chaque rature, chaque annotation griffonnée sur les pages qui ressortent sur le fond noir. Un demi-sourire étire encore le coin de ses lèvres. Il est temps…

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() message posté Dim 7 Mai 2017 - 14:48 par James M. Wilde



« I just don't care if it's real
That won't change how it feels
No it doesn't change
And you can't resist
Making me feel eternally missed
And you can't resist
Making me feel »

Moira
& James




Il n’y a que le crépitement du bois donné aux flammes qui le rongent, le rongent jusqu’à le dévorer. Le crépitement et le bruit du papier délicatement froissé entre ses mains. La chaleur le fait frissonner, son coeur martèle son âme pour mieux la façonner, la dessiner telle qu’elle doit être en une soirée de deuil, tous les masques brisés à ses pieds, alors qu’elle tient celui qui recouvre sa chair au creux de ses doigts. Il sent les derniers revers de sa brutalité quitter sa peau, glisser le long de son cou pour tracer d’autres maux qui s’inscrivent dans les dénivelés de son souffle. La douleur de cette attente devenue hargneuse concubine vient côtoyer le plaisir qu’il retire à observer Moira abîmée un instant par les feux de sa convoitise. La découverte caresse ses traits qu’il cherche à fasciner, qu’il fascine par ses mots et ses intentions plutôt que par les gestes qu’il vient de s’interdire en s’oubliant à pénétrer sa demeure. Il boit les signes de son vagabondage et sa respiration se tend quand son écriture se déploie sous ses yeux, des mots qu’il porte depuis si longtemps qu’il sent leur brûlure dans sa gorge serrée. Il interroge le sourire sur ses lèvres, il inspire la tension qui dessine soudainement sa posture en une immobilité presque parfaite, et l’image devient souvenir, enfonce la porte de la mémoire pour gagner les secrets d’un passé qu’il ne pourra que chérir quand l’avenir apparaît encore si incertain. Le deviner ce soir serait une folie quand il reste tant à confesser, tant à exposer. La chair mise à nue, il reste encore à l’écarteler pour en faire jaillir la plus infâme des vérités. James vacille, le bois mugit et s’écroule dans les braises, chauffée au rouge des infamies la peau du rockeur se hérisse dans le silence qu’il ne parvient pas à briser. Pas avant qu’elle ne l’ait regardé, qu’elle ne puisse le voir à présent qu’il lui est donné de le savoir. Il demeure dans un immobilisme conjoint à celui qu’elle a adopté et cueille l’émotion de ses iris lorsqu’elles reviennent se connecter aux siennes. Le crépitement disparaît, le coeur emballé va chanter sa déraison dans la trivialité de son corps, ce ne sont plus que des murmures étouffés qui poussent son âme jusqu’à s’imprimer sur son visage, et ne plus chercher à rien dérober au miroir qu’il a choisi lorsque sa main s’est pour la première fois entrelacée à la sienne. Cette main qui se referme sur le vide quand celles de Moira étreignent le cadre à le briser. Il dévore l’absolu de sa réaction avant d’y mettre un terme, avant de se laisser submerger lui-même et de risquer de la rejoindre dans un combat qui ne devra jamais être le leur et qui pourtant déploie dans ses entrailles l’ivresse des sens, celle que l’on goûte à l’aube du champ de bataille.

Il sourit à son tour, son visage plus apaisé après avoir donné en gage de sa sincérité une boutade qui s’apparente à un rameau d’olivier. Il ne doute pas, il ne doute plus. Il secoue la tête, un mouvement infime qui fait perler une goutte de pluie sur sa tempe qui s’écrase sur son col. La chaleur commence à assécher ses troubles, ses épaules ne ploient plus dans l’horreur de sa mise à nue, il rattrape le déguisement de ses chairs et reparaît dans la simplicité du quotidien qu'ils construisirent. Avant les hurlements, avant toutes les injures. Il les balaye à les avoir trop brassés en son esprit pour les supporter à présent qu’il n’aspire qu’à rétablir la communion qui fut leur. Il demeure muet, il n’a rien à ajouter mais ses yeux se dérobent le temps d’une seule seconde où ses remerciements mettent en exergue cette timidité si peu coutumière qui le fait se tenir presque mal à l’aise. Le sourire qu’elle porte en parure devient contagieux, il l’accroche à sa bouche, avant de chercher à protester quand la suite de ses idées le frappe. Il n’a pas le temps d’argumenter, une phrase à peine formée devient un murmure étouffé qui ressemble à un piètre « pas la peine » qui s'éteint au mur du silence habillé par ses pas dans l’escalier. Ses prunelles reparaissent acérées, suivent son échappée, tracent des peut-être d’une toute autre réalité. Les pensées s’évadent à sa suite sur le seuil de l’intime tentateur qui se replie en haut des marches, un intime qu’il a de plus en plus envie de percer. Il se détourne brusquement, abandonne la cheminée qui enflamme d’autres territoires que ceux qu’on lui a affiliés, et il se met à dessiner quelques pas qui le portent à contourner le canapé qu’il frôle de ses doigts avant de naturellement s’orienter vers l’objet de ses amours, le grand piano blanc qui trône au milieu du salon. Balise à ses harmonies ravalées… Tant à dire encore, tandis que les instincts de fuite doivent tous être étranglés.

Vaincu par ce tourment qui reparaît dans son abandon temporaire, il laisse choir son émotivité sur les touches qu’il dévoile, cajole puis enfonce pour faire chanter un accord majeur qui élève sa rondeur bientôt brisée par les quelques disharmonies d’un instrument trop souvent boudé. Elle n’en joue donc pas… Ou très peu. Il se fiche des frottements, il les substitue aux autres qui crissent dans sa respiration toujours légèrement saccadée, et ses pensées trouvent la mélancolie de Rachmaninoff pour tout secours, dans une maladresse bientôt oubliée dans les souvenirs et les automatismes. La mélodie s’infléchit dans le recueillement innocent qu’il découvre à utiliser un piano qui n’est pas à lui, mais à elle. La surface blafarde et angélique tranche les reflets d’ébène de ses ruminations, celles qu’il échoua sur le même morceau dans la solitude implacable du studio. Des jours… Des jours… À confier ses peurs à la musique et à la terreur d’une voix devenue aphone pour ne pas savoir se livrer. Ses yeux quittent les touches et suivent les ténèbres orageuses délivrées par la baie vitrée, qui donnent des horizons obscurs à ses pensées. Et elles se brisent au-delà de ses premières résolutions… Il pourrait encore se taire. Se taire ce soir et croire que le pardon offert par l’accueil de Moira enterrera l’horreur. La mélodie hésite et se perd sur la fin en une lenteur incertaine, il observe toujours les choix qu’il cherche à saisir et qui continuent de lui échapper. Il pourrait encore se taire. Il pourrait. Les derniers accords se plaquent en une dureté qui menace la douceur jusqu’alors ménagée. Il pourrait mais il ne le fera pas. Il est largement temps…
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() message posté Lun 8 Mai 2017 - 10:53 par Invité





Un discret sourire habille encore ses lèvres lorsqu’elle sort de son dressing, les yeux toujours accrochés au cadre et la serviette glissée sur l’épaule. Elle sent progressivement son cœur reprendre sa course folle dans sa poitrine alors qu’elle se retrouve dans la même position que James quelques minutes plus tôt. Son regard caresse une dernière fois les partitions originales d’Explorers, celles qui les ont liés tous les deux le soir où elle a refusé de le perdre, les seules sur lesquelles elle ait jamais écrit. Elle les avait conservées sans le lui dire une fois retranscrites au propre sur ordinateur, après avoir recueilli les serments que James avait réitéré dans ses bras, à l’intérieur du même studio qui avait vu naître le morceau de leur alliance des semaines plus tôt. Alors qu’elle les contemple encore une dernière fois, elle se surprend à en connaître chaque annotation, chaque ligne rayée puis réécrite en dessous à la hâte, chaque coin de feuille froissé dans la frénésie de l’écriture. Elle se souvient de chaque note ajoutée en sa présence, de chaque inflexion de la ligne mélodique décidée au bout de ses doigts que James guidait d’un simple mot prononcé entre deux accords sur son piano. Et le sourire de Moira s’élargit au moment où son regard passe sur le titre de la chanson, retrouve cette ligne au crayon de papier venue barrer ce qui fut « Space and Time » pour inscrire le seul mot capable de les décrire dans ce monde qu’ils parcourent à la recherche d’un but qu’ils ont depuis longtemps perdu de vue tous les deux, à traquer une délivrance qui s’éloigne chaque fois qu’ils pensent l’approcher. Elle s’abandonne pourtant à la croyance de la tenir, là, entre ses mains, une folie ravivée encore par l’émotion qui l’a envahie sur son pallier quand elle l’y a trouvé. Son inspiration l’alourdit un instant lorsque ses yeux balayent les quelques mots ajoutés au feutre blanc sur le fond noir du cadre, dans le coin en bas à droite, des mots qu’elle aurait tant voulu lui dire s’ils avaient pu leur épargner les déchirures, mais qui lui semblent résonner plus encore maintenant qu’ils les ont connues.

Elle sursaute légèrement lorsque ses pas l’amènent dans le couloir et qu’elle perçoit le son fragile d’un instrument auquel on n'a plus rendu depuis longtemps les honneurs qui lui sont dus. La surprise l’arrête un instant, mais c’est un sourire attendri qui revient se frayer un chemin jusqu’à ses lèvres. Il est presque étrange que James ne se soit pas perdu à cet endroit précis du salon plus tôt. Un drôle de pincement au cœur lui rappelle les mois entiers passés sans accorder son piano, un devoir toujours repoussé par d’autres plus urgents quand plus aucun musicien n’a eu besoin de travailler chez elle depuis longtemps, et elle a presque honte maintenant qu’elle entend ses cordes faire chanter maladroitement un air qu’elle n’est pas sûre de connaître. Lentement, elle se glisse en bas de l’escalier, presque féline, et s’arrête près de la porte sur laquelle elle appuie sa main, silencieuse. Elle le regarde jouer alors qu’il ne peut la voir, un privilège dont elle n’a que rarement profité et qu’elle respire à l’orée de son monde qu’elle veut laisser inviolé. Les notes s’écoulent entre eux, plus lentes à mesure qu’il les appelle, et le cou de Moira s’infléchit légèrement sur le côté. Elle aimerait tant savoir les pensées qui bataillent dans sa tête et qui laissent ainsi ses doigts s’alanguir sur les touches. Les harmonies se font plus tremblantes, la mélodie moins sûre, et la productrice se repose davantage sur le bois, attentive au moindre frisson qu'elle sent jouer dans ses muscles. Elle le regarde tracer des douceurs de plus en plus fragiles qu’il finit par mater d’un geste soudain plus dur, comme un coup de grâce donné aux dernières hésitations. Les sourcils de Moira se froncent un instant. Il y a tant de chemins qui lui semblent encore inaccessibles quand ils se dessinent pourtant juste devant elle, tant de signes qu’elle aimerait savoir lire et qui disparaissent si rapidement qu’elle ne sait plus si elle les a seulement rêvés. Elle laisse les derniers sons s’éteindre dans la chaleur de sa maison, bientôt étouffés par le bruissement de l’orage qui continue de gronder au-dehors. Elle s’approche enfin et souffle avant qu’il ne se retourne :
- Il y a longtemps que plus personne n’était venu pour lui. Je crois qu’il se sent abandonné…
Son sourire se fait soudain plus timide quand elle sait l’objet qu’elle ne peut pas cacher derrière elle malgré tous ses efforts. Alors elle baisse les yeux un instant en découvrant précautionneusement le cadre qu'elle garde tourné vers elle, et murmure :
- Il y a quelque chose que je voulais te donner depuis longtemps, déjà.
Un cadeau sans emballage. Une demande sans fioriture. Et en bas, quelques mots pour tout ce qu’elle lui promet encore. « Parce que tu m’as libérée de ce monde pour m’en offrir un autre, mais qu’il me faudra un guide pour y trouver ma place. Reste encore. Je t’attendrai. M. ».
- Pour vous remercier de votre coopération, monsieur Wilde.
Un ton si semblable au sien. Une partie d’elle qu’elle ne lui reprendra plus, parce qu’elle ne vit que dans cette folie vécue à deux et qu’elle ne peut plus la laisser mourir sans s’éteindre avec elle.
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() message posté Lun 8 Mai 2017 - 12:24 par James M. Wilde



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Moira
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La pluie déchaînée bat encore la vitre de ses assiduités quand il s’aperçoit qu’elle est redescendue jusqu’à lui, arrachée des hautes sphères de l’intime pour retrouver le terrain vague de ses songes endiablés. Son ton de voix les dissipe et il glisse un regard par dessus son épaule pour l’apercevoir, embrasser sa silhouette avec une lenteur conciliante, ses doigts caressant le piano comme un dernier hommage, l’hommage rendu à l’abandon dont il est la victime. Un abandon qu’il ressent encore inscrit sous sa peau, distillé par la musique qui se fit l’écrin de souvenirs trop récents pour qu’ils ne soient guère douloureux. Cependant, c’est la timidité de son expression qui attire bientôt sa curiosité sur l’objet que ses mains cajolent et le visage de James s’illumine peu à peu lorsqu’il réalise qu’il s’agit d’un présent. Dans ses yeux pétillent l’appréhension nerveuse des enfants quand ils reçoivent un don qu’ils n’attendaient pas, le plaisir se mêle à la surprise, l’anticipation qui galope dans son souffle le laisse pantois et il récupère précautionneusement le cadre qu’elle lui donne, en se levant pour se porter à sa hauteur. Il ne le retourne pas aussitôt, il joue avec sa propre frénésie, et préfère la couvrir d’un regard approfondi par cette joie brutale qui ne cesse de revenir le mordre depuis que la porte de sa demeure l’a dévoilée devant lui. Il rompt le contact sans précipitation aucune, pour manipuler le cadeau dont il ne devine pas encore l’objet, mais il ne faut pas une seconde pour qu’il ne comprenne ce qui se présente entre ses doigts serrés. Une violente chaleur se niche dans le creux de son ventre alors que la partition griffonnée le pousse à revenir aux origines de sa création, la musique s’élève à ses oreilles et toutes les sensations de cette nuit tutoyée côte à côte jusqu’à l’aube étreignent son corps. Il a l’impression de replonger au coeur du secret de leurs ombres, les cris résonnent, les harmonies susurrent, il sent sa main dans la sienne, et leurs souffles enlacés, il profite de la chaleur de son corps, si proche du sien, derrière le piano du studio. Les doigts de James suivent les annotations et les ratures, mais ce sont les lignes de sa mémoire qu’il recouvre sous la pulpe de son index, et lorsqu’il s’attarde sur le titre qu’elle trouva pour tout calice à cette aventure qui les maintient encore reliés, l’un à l’autre, dans la folie de leurs colères et dans la douceur de leurs rencontres, il ferme un instant ses paupières, accueille pleinement le soubresaut de cette symbolique. Elle l’a conservée… Elle l’a conservée tout ce temps, elle a sauvé de leurs naufrages les signes de la certitude. Cette même certitude qui l’a mené ce soir jusqu’à chez elle. Empreintes par l’émotion, ses prunelles se dévoilent pour joindre par hasard la dédicace qu’il n’avait pas remarquée au premier abord, la phrase violente plus encore des sensations rendues déjà extrêmes par l’attention, les mots rejoignent les doutes pour leur rendre leur carcasse évidée et fantoche. L’évidence soulève son coeur, ses yeux reviennent brutalement vers Moira et se plongent dans les siens.

Une longue seconde, une longue seconde où son visage trahit bien plus que les simples remerciements qui ne quittent pas encore ses lèvres. Il est bouleversé, la carnation dessinée dans la dureté du ressenti, le serment alangui dans ses entrailles qui redevient telle une bête fauve qui déchire les chairs et ralentit son souffle. Une longue seconde où il la cherche, une longue seconde où il la trouve et l’arrache à leur pantomime sortie d'un passé devenu obsolète. Une longue seconde où il n’y a que lui, où il n’y a qu’elle, et cette note diaphane élevée dans leurs silences, qui geint à son ouïe pour encombrer toutes ses pensées qui s’entrechoquent. Le futur devient idolâtre, ses iris enflammées viennent profaner le divin pour excaver ce qui se profile derrière, derrière les promesses, derrière leurs phrases et leurs échos brutaux. Une seule seconde. Avant qu’il ne l’entende le rappeler au présent de ses chimères. L’orage s’éteint dans son regard, au dehors la pluie hurle encore, et le grain de sa voix est d’abord brisé par la sensation étranglée :
_ Tu l’as gardée… Merci.
Les mots sont suaves, ils flottent entre eux, dans cette banalité qui masque ce qu’il ne peut pas dire sous peine de déraisonner. La déraison n’aura pas lieu, il ne peut plus opérer le rapt de sa victime en la maintenant dans l’ignorance de toutes ses frasques. Les promesses n’effaceront jamais leurs violences. Les promesses ne se substitueront jamais aux envies dévorantes. Il les tient en tenaille, reprend peu à peu emprise sur sa voix, avant de rejoindre l’aube de leurs jeux de jadis :
_ Enfin ! Je commençais à me languir, madame Oaks, c’est à presque regretter mon comportement si égal depuis que nous avons débuté notre collaboration.
Il hausse un sourcil, et c’est en effet le James qu’elle a rencontré ce premier jour, celui qui a entériné leur accord dans ses piques mutines, mais il n’en reste que le masque, quand l’homme s’est depuis longtemps laissé découvrir et deviner. Cet homme qui tient désormais le cadre contre lui, comme pour le protéger, cet homme qui la regarde avec tendresse tandis qu’il la contourne pour aller abandonner son trésor près de son sac, tout en le frôlant une dernière fois, avec la parcimonie apposée aux objets les plus précieux. En quelques pas, il reparaît à ses côtés et saisit d’autorité la serviette éponge qu’elle porte à l’épaule comme une écharpe de concours, et c’est plus détendu qu’il frotte ses cheveux pour les débarrasser de leur humidité. Il retrouve une coiffure déstructurée, qui rappelle leurs quotidiens où il apparaît toujours sorti de son lit ou du canapé, et tout en jouant avec la serviette qu’il passe autour de son propre cou à présent, il lance, l’espièglerie glissée sur son visage :
_ Et pour t’assurer ma coopération future, vu que le concept est encore un peu flou pour moi, vois-tu, j’ai le droit à quoi ?
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() message posté Mar 9 Mai 2017 - 17:52 par Invité





Le cœur de Moira cogne dans sa poitrine quand elle laisse James s’emparer du cadre, et la pudeur lui fait fixer ses mains plutôt que d’aller quérir ses yeux. Elle se force presque à respirer quand il le retourne avec une lenteur étudiée, et ce n’est que lorsqu’il s’abîme entièrement dans sa découverte qu’elle trouve le courage de relever le regard. Mais dès l’instant où les prunelles du musicien embrassent les souvenirs ainsi offerts, elle sait qu’elle a visé juste. Elle ne perd pas un seul frémissement de sa peau, un seul tremblement de son souffle. Elle suit ses doigts qui parcourent les ratures laissées comme autant de cicatrices sur leur alliance en construction, comme les siens ont caressé auparavant les contours de ces mains tendues pour échapper au vide. Mais la tension de la productrice ne la quitte pas tant qu’elle sait qu’il n’a pas dérivé vers ce coin en bas du cadre et ces quelques mots qu’elle lui a laissés comme un gage de cet avenir incertain mais duquel elle est incapable de l’éloigner. Il y a dans cet emploi du futur toutes les promesses enfin délivrées, tous les échos aux serments qu’il lui a faits et qu’elle ne peut accepter sans les lui donner à son tour. Elle inspire encore, combat le frisson qui lui remonte l’échine, et tout son corps se tend enfin lorsqu’il revient brutalement croiser son regard.

Son souffle se bloque. Elle ne parvient pas une seconde à détourner ses yeux des siens. L’instant se fige comme leurs gestes alors qu’elle lit chez James une nuance qu’elle n’est pas certaine de comprendre et qui résonne en elle avec une puissance qui la laisse un moment absolument interdite, perdue dans des impressions qui se déchaînent dans sa poitrine. Ses moyens lui échappent comme sa voix qui se fane et le flottement dure un temps trop long pour qu’aucun d’eux ne doute qu’il ait lieu. Ses paupières finissent par cligner enfin et la morsure d’une ultime crispation lui donne la force de prononcer les mots qui viennent les cueillir comme un dernier secours. James se reprend à son tour, et le poids lourd d’un soulagement qu’elle ne se laisse pas le temps d’interpréter vient lourdement peser sur ses épaules qui se contractent sous sa chemise. La voix de James se brise dans l’effort qu’il fait pour la rappeler, et son murmure touche une fibre si sensible en Moira qu’elle baisse le regard et laisse la timidité de son sourire adoucir les traits de son visage. Bien sûr qu’elle l’a gardée. Comment aurait-il pu en être autrement ? Le rockeur se redresse, retrouve son aplomb dans le jeu qui n’a jamais pris fin depuis qu’ils l’ont entamé dans son bureau le tout premier jour. Elle retrouve avec amusement ce légendaire haussement de sourcil qui n’appartient qu’à lui et répond par ce sourire en coin qui demeurera à jamais le sien. Elle le suit du regard alors qu’il la contourne pour aller déposer son cadre près de son sac avec toute l’attention que l’on donne aux objets les plus précieux et son air se refait mutin lorsqu’il vient récupérer la serviette qu’elle tenait encore à l’épaule. La badinerie illumine les prunelles de James et la productrice ne peut s’empêcher de se laisser envahir par la même insouciance lorsque sa provocation lui fait immédiatement penser à une réponse si naturelle qu’elle s’entend presque immédiatement prononcer :
- Tu as mangé ?
Et lorsque ses yeux lui laissent deviner la réponse, elle tourne les talons en faisant un signe de tête pour l’emmener à sa suite jusqu’à la cuisine.

Elle le guide jusqu’à l’îlot central avant de disparaître derrière la portière du réfrigérateur.
- Tu veux boire quelque chose ? demande-t-elle, le nez dans ses étagères. Regarde dans le buffet de la salle à manger, à côté de la table. Prends ce que tu veux. Oh, et tu veux  bien me ramener un verre à vin ?
Ses yeux parcourent un moment le peu de réserves ayant survécu aux dernières semaines qui ont vu son manque chronique d’appétit lui faire jeter les aliments les uns après les autres sans même lui donner l’idée de se réapprovisionner. Quelques légumes, à peine un morceau de viande… Sa bouche se pince et elle se retourne finalement au moment où James réapparaît dans la cuisine.
- Tu n’as rien contre les champignons ? s’enquiert-elle avec un sourire alors qu’elle se hisse sur la pointe des pieds pour récupérer une planche à découper qu’elle pose sur l’ilot devant James avec un couteau, une gousse d’ail et deux échalotes.
- En piste, monsieur Wilde, lui lance-t-elle avec un air de défi avant de récupérer une barquette de champignons de Paris qu’elle s’en va rincer dans l’évier.
Elle profite du silence un instant, savoure sans un mot la légèreté qu’elle redécouvre après tant de soirées comme celle-ci à se sentir étouffer sous les remords, rongée par la peur de ne jamais plus pouvoir partager des moments aussi simples avec celui qui s’est lentement accaparé l’essentiel de son monde. Ces quelques minutes arrachées à l’orage de leurs existences donnent à son regard des reflets presque reconnaissants lorsqu’elle vient parfois chercher le sien en faisant mine de ne surtout pas juger le résultat de sa découpe. Le tonnerre continue de gronder dehors, et pourtant elle semble ne plus rien craindre ce soir, rien que de voir le temps lui arracher trop vite ce petit gout d’éternité laissé sur sa langue.

Elle récupère deux saladiers, puis une bouteille de Riesling au frais dont elle remplit la moitié de son verre avant de s’installer sur le plan de travail près du réfrigérateur.
- Ce morceau tout à l’heure, c’était de qui ? souffle-t-elle en regardant James par-dessus son épaule en épluchant le pied de son premier champignon.
Un morceau pour signer la trêve. Encore un. De quoi dessiner les prémices d’une délicieuse habitude.

© ACIDBRAIN
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James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
You can't resist making me feel eternally missed _ Moira&James 1542551230-4a9998b1-5fa5-40c1-8b4f-d1c7d8df2f56
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() message posté Mar 9 Mai 2017 - 18:49 par James M. Wilde
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« I just don't care if it's real
That won't change how it feels
No it doesn't change
And you can't resist
Making me feel eternally missed
And you can't resist
Making me feel »

Moira
& James




​Il se laisse emporter. Emporter par le rythme et emporter par le ton de légèreté qui vient dissiper les sursauts encore arrimés à son coeur. Emporter par la simplicité de son invitation, alors qu'ils n'ont en réalité jamais véritablement partagé de repas si ce n'est dans la frénésie des enregistrements, ou encore lors de ce réveillon qui s'est improvisé au Viper avec l'ensemble de la production. Le tête à tête, après tant de privation, s'impose de lui-même, un léger sourire apparaît sur ses lèvres pour toute réponse. Non il n'a pas mangé, à vrai dire, la question se pose à peine lorsque l'on considère son état de délabrement physique qui trahit une diète sur fond d'alcool pour ponctuer les insomnies à répétition.​ Il la suit avec spontanéité, emboîte un pas qu'il se surprend à observer, légèrement en retrait, alors qu'elle continue de marcher avec ses chaussettes à même le sol, détail qui l'enchante sans qu'il ne sache même pourquoi.
_ Toujours.
Ponctue-t-il lorsqu'elle offre un rafraîchissement et il n'est pas long à disparaître jusqu'à la salle à manger, pour revenir armé de deux verres, l'un à vin, l'autre à whisky, ainsi que d'une bouteille de Glendronach de douze ans d'âge à peine entamée, un choix d'exception qui convient aux goûts de notre pointilleux musicien, ce qu'il souligne d'ailleurs aussitôt :
_  Excellent choix, madame Oaks.
Il pose délicatement le verre à côté d'elle avant de secouer la tête pour indiquer que les champignons ne lui posent aucun soucis, mais c'est son air qui se renfrogne faussement quand elle lui assigne un travail dont non seulement il n'a pas l'habitude, mais pire encore, dont le caractère presque trop prosaïque lui donne l'apparence d'un animal en milieu hostile. Où sont donc mes partitions et mes grandes mélopées ? Enfuies, enfuies, au théâtre culinaire où la batterie de cuisine est reine. Il brandit le couteau et raille :
_ Si j'avais su que c'était l'antre de l'exploitation... J'imagine qu'il faudra que je supporte tout, ta tyrannie au travail, ta tyrannie en dehors.
Il se donne du courage en graciant sa langue d'une longue gorgée puis semble s'appliquer à détailler l'ail et l'échalote dans un silence presque pieux, ses sourcils un brin froncés parce qu'il émince sans science aucune, ce qui donne des morceaux irréguliers, prompts à choquer son amour des proportions égales. Souvent il tranche un détail pour faire pire, parfois il laisse tomber, alors que ses yeux retournent à elle sans doute bien plus intéressé par ce qu'elle opère dans son coin. De nombreuses fois, leurs yeux se trouvent et il sourit doucement, il ne note d'ailleurs pas le naturel d'une situation pourtant éminemment nouvelle, il ne note pas que dans sa phrase précédente, il a sous-tendu un quotidien fait de jours et de soirs partagés. Il ne note rien, il ne fait que se laisser bercer par la pluie déchaînée et le mouvement plus régulier du couteau maintenant qu'il commence à prendre le coup de main.

Leurs silences se distillent dans l'air, ils se goûtent également. Il y a dans leurs secrets une innocence touchante qui les laisse s'appréhender au rythme de la trêve. Il oublie presque qu'ils furent rendus si longtemps à la solitude quand il a l'impression de ne l'avoir jamais véritablement quittée. Il la connait dans les sourires distingués qu'elle revêt, il la connait dans cette classe non carcantée qui la caractérise quoiqu'elle fasse, qu'il s'agisse de mener une réunion ou de dessiner leur dîner. Il se sent mieux, un apaisement étrange se love dans sa carcasse trop maigre et la chaleur de son regard ou de ses joues ne trouve pas uniquement sa source dans le liquide ambré qu'il porte de nouveau à ses lèvres. Elle se détourne pour continuer, il en a terminé avec sa tâche maladroitement menée et il se plaît à observer son dos ainsi que l'ébauche de sa nuque quand elle demande l'origine du morceau qu'il jouait un peu plus tôt. Il laisse le whisky flatter ses papilles avant de répondre :
_ C'est une élégie de Rachmaninoff. Je ne sais plus lorsque je l'ai entendue mais je l'ai jouée régulièrement depuis...
Il s'interrompt, sa main balaye l'air pour ne pas avoir à compléter un constat qui ne les ramènerait qu'à la douleur de leurs heurts. Il penche la tête pour mieux tasser les angoisses qui menacent toujours de reparaître dans son esprit pour l'engluer, allège déjà l'atmosphère qui ne peut souffrir de se voir embrumée par un passé qu'ils portent comme une blessure encore ouverte :
_ Je sais ce que tu vas dire... Pourquoi ne te concentres-tu pas sur le concerto James, plutôt que de te laisser distraire...
Il l'imite en portant sa voix vers des aigus suffisamment posés pour lui ressembler et son rire se fait le préambule d'un geste si inconscient qu'il n'en analyse pas les dangers. Tout en parlant, il marche, accompagné de sa planche à découper, et il pose sa main libre dans le creux de sa taille, se penchant pour déposer son oeuvre devant elle, murmurant un « Tiens » presque chantant, encore habillé de son rire. Ses doigts entrent en contact avec son chemisier, froissent légèrement l'étoffe, son souffle est tout contre sa joue, la proximité de leurs corps soudainement trop prégnante pour les laisser dans l'inconscience béate. C'est trop tard. Trop tard pour comprendre, trop tard pour se freiner. Ce sont de ces gestes qui appartiennent à la génèse de leur relation. Combien de fois a-t-il glissé sa main sur sa taille, combien de fois a-t-il refermé ses doigts sur son épaule. Combien de fois ont-ils été ainsi dans une proximité qui n'avait alors rien de troublant, combien de fois s'est-il permis de broyer les frontières d'une relation saine pour en brouiller les marques, et inviter une sensualité diaphane sur leurs jours professionnels ? Combien de fois...
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() message posté Mer 10 Mai 2017 - 17:55 par Invité





Elle ferme les yeux pour entretenir l’illusion, respire l’accalmie pour la cheviller à son corps. Il y a dans les gestes familiers qu’elle exécute l’apparence rassurante d’un quotidien qu’elle contrôle, la saveur tronquée d’une duperie qu’elle choisit d’entretenir en s’efforçant de croire au naturel d’une situation si fragile qu’elle manque pourtant de chavirer à tout instant. Les sourires qu’ils échangent la persuadent de continuer ce semblant de mensonge dont ils sont tous deux conscients, préférant ignorer les blessures qui demeurent et espérer qu’elles se refermeront d’elles-mêmes à choisir de ne plus s’y confronter. Elle répond à ses appels, sourit à ses piques, garde le ton chaleureux dont elle s’est trop longtemps départie pour le laisser lui échapper ce soir. Ses railleries au moment où il s’empare du couteau lui font lever vers lui un regard faussement désabusé :
- Et pourtant tu reviens en demander encore…
Le sourire en coin qui habille sa pique s’accentue légèrement lorsqu’elle admire les premiers mouvements expérimentaux de son couteau, un détail qui ne la surprend guère mais qu’elle se garde bien de souligner, préférant noter qu’il se ploie à l’exercice et avec un soin plein de bonne volonté, de surcroît. Elle se laisse séduire par une première gorgée de vin blanc qui coule le long de ses papilles avant de réchauffer sa poitrine. Les silences n’ont plus rien d’oppressant. Ils lui laissent réentendre les notes qui ont fait vibrer les accords imparfaits de son piano un peu plus tôt. Elle s’empare d’un couteau à son tour lorsqu’elle demande au musicien dans quelle œuvre il s’est perdu juste avant, et c’est sans surprise qu’elle entend filtrer dans l’air le nom de Rachmaninoff tant elle sait James touché par ses compositions. Le choix lui fait amorcer un sourire complice qui se fissure pourtant lorsque le rockeur ponctue d’un geste la phrase qu’il n’a pas besoin d’achever pour qu’elle en comprenne le sens. Les souvenirs s’immiscent sournoisement entre eux, les ramènent au jour qui a vu se fendre tous leurs masques et suinter ce qu’ils renferment de pire dans les secrets qu’ils taisent au monde qui les entoure. Elle ne détourne pourtant pas le regard, reste accrochée à James en réponse à ce jour où elle n’a pas su le retenir. Le malaise s’échappe quand il fait l’effort de les en tirer tous les deux, alors que sa voix anormalement haut perchée s’attire une moue faussement offusquée de la productrice :
- Non, mais regardez-le…
Un soupir s’échappe entre ses lèvres alors qu’elle refuse de se laisser attendrir par son rire et ses yeux se plissent d’un air qui lui signifie clairement qu’il ne perd rien pour attendre. Elle revient à ses champignons de Paris alors qu’il s’achemine vers elle avec sa planche à découper. Mais elle ne sent pas le danger qui rôde, les ténèbres revenir s’engouffrer dans leurs brèches quand ils viennent à peine de se tirer de leurs griffes. Elle ne sent pas les risques revenir par centaines. Elle ne voit pas cette main qu’il tend avec un naturel qui n’aurait jamais être perverti par des feux d’une toute autre nature. Elle ne la sent pas avant qu’elle ne se referme sur sa taille…

Moira se contracte violemment sous ses doigts comme s’il l’avait brûlée et son sursaut lui fait lâcher son couteau qui tinte d’un son criard sur le plan de travail. Elle se retourne brutalement, croise son regard par-dessus son épaule, et elle reste tétanisée devant ses yeux qui s’alarment aussi vivement que son corps l’a repoussé. Immédiatement, les blessures à peine refermées se rouvrent, saignent tous les non-dits qui restent gravés dans sa chair. Les mots cinglent son esprit, aussi claquants qu’ils l’ont été ce jour-là, aussi coupants qu’il les a prononcés dans son bureau. Ils ne devraient pas revenir si aisément. Elle ne devrait pas les rappeler pour se défendre d’un comportement qui n’a jamais eu les desseins qu’elle craint. Mais la réaction est si brutale qu’elle se perd elle-même dans une incompréhension qui lui tenaille le ventre. Elle demeure interdite une seconde à peine, assez pour réaliser la douleur qu’elle vient de lui infliger et qui résonne en elle dès qu’elle distingue le tremblement de ses yeux. La honte lui fait détourner le regard et elle passe une main sur son front en inspirant trop profondément pour dissimuler le malaise qui lui retourne ne cœur. Le silence glisse entre eux comme une insulte, et elle se force à articuler des mots qui tremblent autant que ses certitudes :
- Excuse-moi, James. C’est…
C’est tout, ce n’est rien. Rien que les fissures qui marquent un lien dont elle ne sait plus la nature. Rien qu’une angoisse qui ne veut pas abandonner sa chair. Rien que les souvenirs qui refusent de libérer sa tête. Rien qu’un instinct qui veut le fuir quand tout le reste ne demande qu’à le suivre. Et une confiance qui s’ébranle à se voir menacée par des forces qu’ils ne semblent pas entièrement contrôler.

Elle respire, calme les pulsations de son cœur quand elle se force à relever les yeux vers lui. La culpabilité qu’elle lit dans ses traits se fait miroir de la sienne mais les mots s’éteignent dans sa gorge quand elle ne sait plus sur quoi faire reposer ses croyances. Elle ne devrait pas revenir à ce jour-là. Elle ne devrait pas. Ce n’était qu’un masque. Joe le lui a dit. Un masque de plus. Un qu’elle n’a pas su reconnaître à temps. Il ne change rien. Il ne doit rien changer. Elle le regarde encore, plonge dans le bleu assombri de ses yeux pour y trouver la force de se détromper. Mais le frisson qui la parcourt reste le même après tout ce temps. Et cela change tout.


© ACIDBRAIN
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