(helga) + and in my dreams, i meet the ghosts of all the people who have come and gone

Vous ne comprenez pas, vous ne pourrez jamais comprendre. Perdre son enfant, c'est comme perdre une partie de soi. On ne s'en remet jamais vraiment. Après un certain nombre d'année, il y a des moments où on oublie, lorsqu'au milieu d'une conversation, on se met doucement à glousser pour une blague légère et futile. Mais le soir, lorsqu'on vient de remonter ses draps au dessus de son menton, que nos yeux sont clos, et qu'il n'y a plus que le silence ambiant de la nuit, on y repense, indéniablement, inlassablement. J'ai perdu mon enfant, mon bébé, mon petit être à moi lorsque j'avais vingt-six ans. Ma vie n'était pourtant qu'un long fleuve tranquille jusqu'ici. C'est vrai, j'avais perdu mon père seulement une année auparavant, mais il faut dire que j'avais coupé les ponts avec lui depuis déjà trois ans. Sa mort m'avait bien entendu attristé, mais ce n'était pas comparable. J'avais quitté la Finlande, avec mon mari, pour partir à Londres, et ça ne lui avait pas plu. Londres, le Grand brouillard comme on l'appelle parfois. Mon père détestait cette ville sans n'y avoir jamais mit les pieds. Mais c'est vrai que ma vie n'a jamais été aussi morose et floue que depuis que j'habite ici. Parfois, je pense à retourner vivre à Helsinki, la capitale de la Finlande, la ville qui m'a vu grandir. J'ai tellement de souvenir là-bas, je me demande comment j'ai pu partir de cet endroit, comment j'ai pu quitter toute ma vie sans même jeter un regard par dessus mon épaule, sans même une once de regret. J'avais besoin de changement. Mon bébé de six mois dans les bras, Gustav me tenant par la taille de ses bras forts, nous avions embarqué dans cet avion, qui allait nous mener vers une vie nouvelle. Une vie pleine de douleur, et de tourment.

Non, vous ne comprenez pas, vous ne pourrez jamais comprendre. Ce que c'est de se lever un matin, d'aller vers la chambre de votre fils, de sentir un filet d'air frais à travers la porte en bois, qui vous chatouille les pieds, sans pour autant y faire vraiment attention. Parce qu'après tout, que pourrait-il arriver de mal ? J'avais un travail de rêve au British Museum, un mari aimant, un petit garçon adorable. Oh Walter, mon petit Walter, comme je t'aime, j'aimerais encore pouvoir te prendre dans mes bras. Je me rappelle comme si c'était hier, lorsque j'ai ouvert cette porte, cette fichue porte qui me séparait de la dure réalité, tout en susurrant doucement « Walter, réveille toi mon ange », et que j'ai découvert la fenêtre de ta chambre grande ouverte, les rideaux virevoltant au gré du vent. On t'a enlevé, en pleine nuit, et personne n'a rien entendu. Je me rappelle, la panique qui s'était emparée de moi, alors que vainement, j'avais soulevé la couette posée sur ton lit. Pendant plusieurs minutes, dans ma tête, tu ne pouvais pas avoir disparu. Avec une dose d'appréhension, j'avais passé ma tête à travers la fenêtre, pour regarder si tu n'étais pas là, dehors. Je savais que nous n'aurions jamais dû installer ta chambre au rez-de-chaussée, nous aurions dû la mettre au premier étage, à la place de la nôtre.

Personne ne comprendra, personne ne pourra jamais comprendre. Appeler la police, leur dire que votre fils d'à peine trois ans a disparu. Lorsqu'ils sont arrivés chez moi, qu'ils ont commencé à me poser d'innombrable questions, j'avais l'impression que tout se passait au ralenti. Comme si tout ça n'était qu'un cauchemar, un cauchemar horrible, et que j'allais finir par me réveiller. « Ce n'est pas réel, ça ne peut pas être vrai », répétais-je inlassablement dans ma tête. Gustav, sa main rugueuse sur le creux de mon épaule gauche, se retenait de pleurer à chaude larme, tandis que les miennes coulaient en continu sur mes joues sans vie. Sa main sur mon épaule me dérangeait, j'avais envie de la pousser. Sa présence s’insupportait. C'était lui qui avait tenu à installer Walter au rez-de-chaussée, parce que la chambre à l'étage était plus grande. Je savais que ce n'était pas de sa faute, qui aurait pu prévoir ce genre de chose ? Mais je ne pouvais pas me contrôler, je le détestais, je me détestais et je détestais le détester. Le soir-même, nous nous étions disputé comme jamais auparavant. Les horreurs que chacun avaient prononcé ne pouvaient être effacés. Nous nous rejetions la faute dessus, et notre seul espoir était encore de retrouver Walter vivant, de revoir à nouveau ses grands yeux bleus plein de vie, ses grosses joues roses et ses petits doigts potelés. Deux mois plus tard, nous divorcerions.

Même Dieu n'aurait pu comprendre ma douleur. Et je ne veux pas de votre empathie, ni de votre compréhension. Celle de la police m'a déjà suffit. Les rares fois où je sortais prendre l'air, je voyais le visage de Walter partout sur des affiches, collées à des poteaux. Le reste du temps, je priais Dieu, pour qu'il garde notre enfant sain et sauf, qu'importe l'endroit où il pouvait être. Mais deux semaines après notre appel à la police, suite à des recherches de jour comme de nuit, ils sont venus frapper à ma porte. Leur visage affichait un air pénaux qui me glaça le sang. J'eus tout d'abord envie de leur claquer la porte au nez, comme un déni d'avoir la vérité en face. Mais pourtant, elle était là, l'abominable et indéniable vérité. Quelques jours auparavant, la police avait déjà découvert l'identité de la personne qui avait enlevé notre Walter. Il s'agissait d'une femme, âgée d'une quarantaine d'année, qui avait réussi à aligner sa radio sur la fréquence du baby-phone qu'on avait placé dans la chambre de mon fils. Le commissaire m'avait alors confié que c'était une chose de plus en plus courante de nos jours. Lors de sa confession, la femme avait avoué avoir déjà communiqué avec Walter par ce moyen-là, et qu'elle avait décidé de l'enlever car Walter était son enfant, et nous lui avions arraché à la maternité. D'après la police, les choses avaient fini par dégénérer, notre fils s'était sûrement montré très retissant vis-à-vis de la quarantenaire.

Ils ont retrouvé son corps dans un coin boisé à quelques pas de Londres. Son petit corps frêle enterré sous deux mètres de terre, dans un drap bleu clair, comme ses yeux. Sur le pallier de ma porte, à l'annonce de cette nouvelle, mes genoux ont flanché, je me suis écroulée. J'avais l'impression que mes poumons étaient en feu, et que mon cœur s'était arrêté de battre. Gustav avait accouru derrière moi, et en me voyant dans cet état, il a de suite compris. Je n'ai même pas eu le courage d'aller à la morgue le lendemain, c'est lui qui y est allé. C'est sûrement la dernière chose de bien qu'il ait faite pour moi. Lorsqu'il est rentré, je ne lui ai rien demandé. J'ai simplement levé la tête, emmitouflé dans le plaid que j'avais médiocrement tricoté pour Walter, et il n'eut pas besoin de parler pour que je comprenne que c'était bien notre fils, là-bas, allongé sur une table en métal, le corps aussi froid que le matériau qui le soutenait. Deux choses m'ont traversé l'esprit à ce moment-là : si Dieu existe, pourquoi me punissait-il de cette façon? Qu'avais-je fais de mal pour qu'on me prenne mon enfant? Depuis que j'étais en âge de parler et de comprendre les choses, jamais au grand jamais ma foi pour cet être suprême n'avait flanché. Jusqu'à ce jour précis, et ceux qui ont suivi. Je me suis promis à partir de ce moment de ne plus prier, ni de me rendre dans une Eglise.

Et finalement, après m'être faite cette première réflexion, je me suis ensuite dis, mes yeux noyés de larmes et mon coeur de chagrin, que plus jamais je ne verrais ses grands yeux pétillants, ses grosses joues roses, et ses petits doigts potelés. Oh Walter, pardonne-moi. Cette chambre au rez-de-chaussée, de longue nuit j'y ai passé, allongé sur le sol, qui sentait bon le bois et la vieille maison. Pendant des mois j'en ai perdu le sommeil, à me remémorer tous les souvenirs, les moindres petits détails, l'odeur de ton front et la douceur de tes petites mains. Le bruit de tes jouets roulant sur le parquet, ton rire résonnant dans toute la maison. Parfois, lorsque je sors des bras de morphée, j'ai ce sentiment de bien-être, avant de me rappeler la dure réalité. Rien ne sera jamais plus comme avant, mais je continue à vivre, pour toi, et pour perpétuer ta présence à travers mon esprit. ce n'est plus dieu qui veille sur moi à présent, car dieu n'a jamais existé, mais toi si, mon ange.