NOAH ❝ Get your heart on ❞

JUILLET1994 - MEXICO + « Tu crois vraiment que tu vas partir? » Je me tournais vers la petite bouille brune qui s'adressait à moi, hochant la tête de manière affirmative avant de concentrer à nouveau mon attention sur le dessin que je coloriais avec application depuis plus d'une heure. Il n'y avait pas grand-chose de mieux à faire ici, et puis j'aimais ça. « Demande-leur pour que je vienne avec toi Noah. » Finissait-elle par lâcher, les larmes aux bords des yeux, après une bonne minute de silence. Je posais mon crayon en l'observant quelques secondes avant de lui répondre. « Ça marche pas comme ça Deliah. On viendra te chercher toi aussi mais on peut pas partir ensembles… » Le ton que j'adoptais du haut de mes six ans se voulait rassurant et sur de moi. On viendrait la chercher, c'était évident… La question était de savoir quand. J'avais attendu six années pour enfin quitter ce centre d'adoption, qui avait été mon unique maison jusqu'ici.  Deliah n'était ici que depuis un an, elle avait encore du temps devant elle, même si je refusais de lui avouer ce détail. La nourriture n'était pas toujours excellente, les personnes qui s'occupaient de nous étaient très froides et désintéressées, mais je ne connaissais rien d'autre et ne me plaignais pas. Je ne manquais de rien. Je restais malgré tout content de partir pour trouver ce qu'ils appelaient une "famille" et découvrir à quoi cela pouvait ressembler de vivre "seul", au centre de l'attention. J'avais pu voir mes "parents" à plusieurs reprises et sentais que je serais bien loin d'ici, même si inévitablement, certains de mes " frères & sœurs " allaient beaucoup me manquer, à commencer par elle. Quatre jours plus tard, je me trouvais à bord du vol Mexico-Londres, quittant définitivement le pays qui m'avait vu naître et m'avait délaissé. Elisabeth Wilde & Joshua Montgomery devenaient officiellement mes parents et je posais les pieds dans la capitale anglaise, dans un appartement qui devait avoir une superficie égale à la moitié du centre d'accueil.

Un an plus tard, Deliah nous rejoignait pour agrandir la famille. Ma Deliah, ma petite sœur de coeur que j'avais laissé derrière moi sans le moindre regret, ne pensant qu'à la vie meilleure qui s'offrait à moi. Mes parents avaient parlé d'une seconde adoption dés mon arrivée, ils envisageaient de partir en Chine mais j'avais tellement parlé d'elle qu'ils avaient changé d'avis,. Pour moi. Même s'ils avaient eut beaucoup d'embûches sur leur chemin, ils avaient obtenu gain de cause pour qu'elle rejoigne la famille. Au milieu de cette joie, la jalousie prenait place elle aussi : si elle allait à présent connaître la belle vie, le monde lui allait s'arrêter de tourner autour de moi et partager ce petit coin de paradis avec elle m'ennuyais un peu. Juste un peu, puisque l'essentiel était qu'elle ne soit plus là bas mais à mes côtés. Notre complicité était aussi forte qu'au moment ou je l'avais quittée, même si elle m'en voulait toujours un peu d'être parti sans elle. Moi je ne lui en voulais pas de ne rien comprendre : après tout, elle n'avait que cinq ans et avant elle, j'en avais voulu à bien d'autres de m'abandonner.

3OCTOBRE2004 - LONDRES + « L'école a appelé… » Je levais les yeux vers ma mère, l'air coupable. Je savais parfaitement la cause de cet appel et ce qui allait en découler. « On est convoqués demain avec ton père pour décider de ton renvoi ou non. » Elle était déçue et se demandait ce qu'elle avait bien pu rater avec moi. La réponse était simple : rien. Elle m'avait tout offert : le luxe, des vêtements plus beaux les uns que les autres, une vie de rêve, une échappatoire de l'enfer, son amour. Ma mère me répétait souvent qu'elle ne comprenait pas mon comportement à l'école, puisqu'il était à l'opposé à la maison. C'était simple, j'étais bien trop redevable envers eux que pour me la jouer salle gosse ici. Je faisais bien une ou deux conneries de temps en temps mais je les respectais, c'était l'essentiel à leurs yeux. Elle me parlait de décider de mon renvoi ou non, car c'était bien le genre d'école ou avec une promesse et un petit chèque de papa, les parents étaient libres de sceller l'avis du directeur ou d'aller à son encontre. « Je déteste cette école, ne te fatigue pas pour sauver ma peau.» Finissais-je par conclure, la décevant un peu plus. Je détestais ça, ce regard qu'elle posait sur moi, mais cette école m'emprisonnait encore plus que le centre dans lequel j'avais vécut mes six premières années. Je ne supportais pas ces gamins, leurs petits costards et leur façon de parler qui remontait sans doute au XVIIème siècle. Ce monde était pourtant devenu le mien, mais j'avais connu la misère bien trop longtemps pour l'oublier d'un claquement de doigts. Je détestais réellement mes "nouveaux amis". Après une longue discutions avec mes parents, ils acceptaient à contre cœur de me transférer dans une école publique, bien que mon père soit persuadé que cela contribuerait à ma chute. Disons que mes nouveaux camarades étaient plus souvent pris en flagrant délit de vol pour se permettre d'acheter la dernière console à la mode, alors que les anciens se contentaient de dealer et de sauver leur peau grâce à papa.

Installé dans le fauteuil du salon, je relevais la tête en voyant Deliah passé dans le hall et se diriger vers la sortie. Il ne me fallut pas plus de quelques secondes pour la rattraper, lui bloquant la porte par la même occasion. « C'est nouveau... ça? » Je laissais mon regard glisser de haut en bas pour qu'elle comprenne bien que je parlais de sa tenue, même s'il n'y avait aucun doute sur la raison qui me poussait à la retenir. « Oui c'est nouveau, je ne l'ai encore jamais portée, tu as l’œil Noah, je ne savais pas que tu prêtais autant d'attention à mes fringues! Inspection terminée? J'aimerais ne pas arriver en retard... » Je l'observais incrédule, cherchant le moment précis ou elle était devenue la peste qu'elle était aujourd'hui. Tout ce qui me venait en tête était notre complicité passée, qui s'était envolée petit à petit et qui faisait de Del' ce qu'elle était à présent. « Si tu ne te fais pas violer avec cette tenue, savoures ta journée, tu n'auras pas deux fois cette chance. » Aux yeux des touristes, Londres était merveilleuse, sécurisée et compagnie, c'était le rêve à l'état pur. Une fois qu'on connaissait la ville de plus près, il n'était pas bien difficile de se rendre compte à quel point celle-ci était dangereuse, les agressions faisaient partie du quotidien. Mes paroles étaient dures mais il était hors de question qu'elle franchisse la porte habillée de cette façon, j’espérais d'ailleurs le soutient de mon père, qui ne se pointait malheureusement pas. « Va te faire voir! C'est pas avec ta bande de connards que je sors. » J'avais oublié que mademoiselle se prenait à présent pour une princesse. Les parents absents, il était assez facile pour elle de filer comme ça, ce n'était pas mon avis qui allait la faire changer, bien au contraire. Quand bien même les parents avaient été présents, je n'étais même pas certain qu'ils lui auraient fait une quelconque remarque. Non pas qu'ils ne se préoccupaient pas de nous, loin de là, mais ils nous faisaient confiance, grosse erreur de leur part. « Entre un connard et une pute, ils sont gâtés! P'tete bien qu'ils auraient mieux fait de nous laisser là bas en fin de compte... D'ailleurs rappelle moi pourquoi j'ai voulu te sortir de ton trou à rat? Rester là bas quelques années de plus ne t'aurais franchement pas fait de tord. » Elle n'y était restée que deux ans et c'était bien suffisant pour savoir ce qu'était la vie dure, sauf qu'elle ne semblait pas en avoir le moindre souvenir. C'était l'instant précis que ma mère avait choisi pour faire son entrée et me gifler, ce qui ne me surprenait même pas. S'ils se moquaient des disputes courantes entre Deli et moi, il était hors de question qu'on se manque de respect l'un l'autre, j'avais dépasser les limites. Le lendemain, je l'entendais rassuré ma sœur, je m'étais énervé et j'avais dépassé le fond de ma pensée. Pas du tout. La personne que Deliah était devenue n'avait plus rien en commun avec ma petite sœur, elle me dégoûtait.

JUILLET2006 - LONDRES & MIAMI + Ma décision était prise, bien conscient qu'elle n'était pas approuvée par mes parents. Miami représentait le mal, de nombreuses tentations mais surtout mon renom à l'université  prestigieuse dans laquelle j'étais intégré. Combien de fois m'avaient-ils répétés que je laissais passer la chance de ma vie ce dernier mois? A vrai dire, j'ignorais la manière dont j'avais pu être accepté avec des notes aussi basses, j'étais certain que mon père y était pour quelque chose, ce qui me donnait d'autant plus envie de ne jamais y mettre les pieds. J'appréciais qu'il veuille m'aider, mais l'université et le marketing, c'était très peu pour moi, ils ne réussiraient pas à me faire changer d'avis. « Tu crois franchement que tu vas te faire un nom dans la musique? Parce que crois-moi bien que je ne jouerai pas de mes contacts pour t'aider cette fois-ci. » En somme, les paroles de mon père se traduisaient par " tu n'es qu'un incapable qui ne risque pas de réussir sans mon aide" mais j'étais prêt à lui prouver le contraire. Je savais que ça ne serait pas facile, je ne demandais pas à devenir le nouveau David Guetta non plus, juste que ma passion suffise à payer mes factures. La relation avec mon père se dégradait de jour en jour pour arriver au plus bas le jour ou je pris cet avion direction Miami. Ma mère me promettait de m'aider financièrement mais je refusais qu'elle le fasse dans le dos du paternel, ils étaient bien ensembles et même si je commençais à voir une autre facette de sa personnalité, je ne désirais pas que mes parents finissent par se séparer. Deliah me reprochait de leur tourner le dos après tout ce qu'ils avaient fait pour moi, mais entre ça et dilapider leur argent, je me demandais franchement ce qui était le pire. Avec les années, j'avais appris à ne même plus prêter attention à ma sœur, qui était devenue une fille aussi banale que la voisine pour ma part.

En arrivant sur place, je me devais bien d'admettre que je n'avais rien prévu : pas de logement, je ne savais pas ou postuler, qui rencontrer, j'étais paumé mais déterminé. En quelques jours, je me retrouvais mannequin chez A&F après avoir été repéré dans la rue par l'un des dirigeants. Je n'avais jamais pensé à ce genre de petit boulot mais après tout pourquoi pas, j'étais payé à me parfumer et prendre des photos vêtu uniquement d'un jeans. Ce boulot me permettait au moins de payer un appartement et surtout de me faire des contacts qui avaient des contacts etc.

SEPTEMBRE2008 - MIAMI + En route vers la discothèque qui m'attendait ce soir, j'avais enclenché le kit main libre, même si à y réfléchir, le mieux aurait encore été de ne pas répondre. « J'ai besoin de toi Noah... ne me lâche pas maintenant... » Je ne pouvais m'empêcher de lever les yeux au ciel en tapotant le volant nerveusement. Elle était la première à qui j'accordais un peu plus d'attention, que j'aimais séduire un peu plus chaque jour et qui avait plus ou moins compté pour moi. J'avais cru bon de continuer dans cette voix, mais comme chaque fois, je m'étais lassé et à présent elle me reprochait notre rupture soudaine. Selena ne supportait pas mes nombreuses soirées et il était hors de question que je les délaisse pour elle, la rupture était la solution la plus efficace et surtout la moins pénible pour moi. La solution logique. « J'ai une grosse soirée prévue, tu le sais. Passe faire un tour, je te promets de mettre une bonne ambiance. » Venir me voir mixer n'était surement pas la solution miracle pour qu'elle passe à autre chose, mais ça ne ma dérangeait pas de prendre la place de l'ami qui tentait de la faire sortir et rencontrer d'autres personnes. Silence, une nouvelle fois, elle ne devait pas être d'accord. « Tu te fous de ma gueule... J'ai besoin de toi, pas d'une vodka dans une de tes soirées à la con! S'il-te-plait, Noah... » Mon prénom prononcé dans un dernier supplice étirait mes lèvres jusqu'à me décrocher un sourire. Ce n'était pas ce qu'il y avait de plus sympathique envers elle, mais Selena m'avait eut beaucoup trop de fois à ce petit jeu. Pour la troisième fois cette semaine, la conversation se terminait par ses envies suicidaires auxquelles je ne croyais pas, son petit chantage enfantin et sa comédie qu'elle jouait d'ailleurs très bien mais qui ne m'atteignait plus. Sauf que je n'allais pas la rejoindre cette fois-ci. J'avais mit des semaines à décrocher ce contrat et elle avait bien assez d'épaules sur lesquelles pleurer sans avoir à me gâcher cette soirée.

C'est à cinq heures cette nuit là que je découvrais l'appel de détresse de ses parents, me signalant qu'elle était hospitalisée et dans le coma. Depuis quand l'on tentait de se suicider pour une histoire de quelques mois à peine qui était vouée à l'échec dés le début? A ce moment précis, je la détestais plus que je ne la plaignais. Il me fallut un long moment pour réaliser le sens et la gravité de ce message, et me décider à prendre la route vers l’hôpital. Les médecins se voulaient rassurants, elle irait bien mais ils tenaient à la garder dans un coma artificiel pour lui éviter de souffrir, le temps que ses reins et son foie détruits par les médicaments ne retrouvent leur vitalité. Quant à moi, je repartais de là sans aucun doute avec une légère commotion cérébrale après avoir été rué de coups par son paternel. Je n'avais pas porté plainte ni riposté, bien que j'estimais ne pas être coupable si leur fille était aussi dérangée. Il leur fallait un responsable et s'ils tenaient à ce que je prenne cette place, qu'il en soit ainsi. Je ne l'avais sans doute pas aidée ce soir là, mais je savais aussi que je n'étais pas l'unique coupable de ce mal-être. Pendant deux années, je m'étais contenté d'animer des soirées 2-3 fois par semaine et de travailler en journée au magasin, ce qui suffisait amplement à payer les factures et à ne pas me priver. Ce soir là, je prenais la décision de rentrer à la maison : mes parents me manquaient, et même si je savais que mon père m'en voulait toujours autant, j'avais hâte de les retrouver et de tourner cette mauvaise page.

OCTOBRE2012 - LONDRES + Assis dans le fauteuil, je dégageais les pieds que Deli venait de poser sur mes genoux en simple signe de provocation, comme toujours. Notre relation s'était légèrement améliorée à mon retour de Miami mais nous avions définitivement perdu notre complicité d'antan. « Tu regardes encore les prestations de ta chère petit soeur? » J'opinais, sans faire de commentaires supplémentaires. Deliah ignorait totalement d’où elle venait, la seule chose qu'on lui avait confirmé au centre était qu'elle s'y était retrouvée après l’assassinat de ses parents et qu'aucun autre membre de la famille n'avait désiré prendre sa charge ou laissé une trace. A ce jour, elle n'avait donc que nos parents adoptifs. J'avais quant à moi le nom de mes parents biologiques, qui l'avaient volontairement spécifié sur les papiers d'adoption, dans le cas ou je me poserais la question un jour. Ça ne m'avait jamais traversé l'esprit, jusqu'à ce que la petite Cléo Garcia-Lopez participe à l’émission X Factor. Son nom avait été imprimé dans mon esprit bien qu'il soit commun et avec une petite recherche internet, j'avais la confirmation qu'il s'agissait de ma "petite soeur". J'avais dans un reportage de présentation découvert la famille au grand complet, famille qui semblait d'ailleurs plutôt heureuse et unie. Même si cela ne m’intéressait toujours pas de les rencontrer, ma vraie famille n'étant autre qu'Elisabeth, Joshua et Deliah, je ne pouvais m'empêcher d'observer chacune de ses prestations en ressentant une certaine fierté. J'étais persuadé qu'il ne s'agissait que de pure jalousie de la part de Del qui se demandait si je n’espérais pas cette petite soeur là plutôt qu'elle. Question que je m'étais moi même souvent posé. Mais non. Malgré le fait que j'en venais à la haïr par moment, qu'elle me décevait quasi chaque jour, elle restait ma sœur, l'unique femme qui comptait réellement à mes yeux après ma mère.

J'ai décidé de quitter enfin le domicile familial pour m'installer seul, gagnant suffisamment ma vie pour me le permettre, grâce à quelques contacts finalement obtenus par papa et un bon CV. Ce n'était pas le grand luxe, mais je gagnais ma tranquillité qui valait tout l'or du monde. Dés mon retour à Londres, j'ai trouvé une place en tant que professeur de sport, tout en continuant à mixer dans certaines soirées, ce qui suffisait à payer le loyer sans nécessiter l'aide de mes parents. Je n'ai pas cherché à retrouver Cléo, préférant ne pas la perturber alors qu'elle profitait de sa gloire naissante.