"Fermeture" de London Calling
Après cinq années sur la toile, London Calling ferme ses portes. Toutes les infos par ici « Night of times. » Pv. James.  2979874845 « Night of times. » Pv. James.  1973890357
Le Deal du moment : -26%
Bosch BBS8214 Aspirateur Balai Multifonction sans fil ...
Voir le deal
249.99 €


« Night of times. » Pv. James.

 :: It's over :: Corbeille :: Anciens RP
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Ven 18 Nov 2016 - 23:18 par Invité

« Te montrer à l'univers, le temps d'un éclair, puis m'enfermer avec toi, seul, et te regarder pendant l'éternité. » Barjavel, La Nuit des Temps.
james & isolde




La complainte résonne encore, entre en écho avec les palpitations de son cœur qui n’ont guère voulu se mesurer, même les tonalités entièrement passées. Sa respiration en est courte depuis des heures, à s’alanguir de l’impossible, à trahir l’oppression qui maintient son contrôle entre deux étaux avides qui menacent de la briser. Les paroles lui reviennent. Encore. Toujours. L’émotion est si troublante qu’elle ne parvient pas à s’en départir, et que tout se distille dans l’épouvantable affolement qu’elle ressent à se rappeler ses mots, sa voix, cette mélodie qui l’avait enveloppée toute entière comme il l’avait fait de ses bras, de ses appels, de ses tourments, de ses séditions et de ses luttes lors de cette nuit d’un onirisme imparfait qu’ils avaient créé ensemble. L’effervescence du concert était encore brûlante lorsqu’elle était partie, toute chamboulée qu’elle était d’avoir à la fois entre-aperçu l’âme de James, et redécouvert celle de cette amie d’autrefois. Elle n’avait pas cherché à le confronter tout de suite, trop ébranlée dans ses certitudes pour se lancer dans l’arène sans filet, avec pour seule arme des sentiments écorchés vifs qui n’auraient fait que lui fournir des armes pour l’agonir, et se dérober à ses interrogations. La prise de distance avait semblé plus prudente, plus sage aussi, rendue indispensable pour apaiser la brûlure de l’effroi exalté. Dans le taxi qui les ramenait, Leela s’était naturellement éteinte, sa tête venant se lover au creux de son épaule pour mieux s’alourdir à mesure que le sommeil la happait toute entière. Elle avait déployé tant d’entrain, tant d’énergie ce soir. Ce concert resterait probablement gravé dans sa mémoire enfantine comme le premier auquel elle aurait véritablement assisté, et suffisamment « participé » pour s’en souvenir à travers les âges. Isolde, elle aussi, s’en souviendrait. Plus que jamais, sa voix semblait se graver dans sa peau, la marquer au fer rouge, rognant son indépendance et lui révélant peu à peu l’étendue de cette empreinte qu’il avait réussi à laisser en elle. Elle le détestait toujours pourtant. De son comportement, de cette attitude détestable, de l’avoir abandonnée à la surface pour la trahir avec les ombres qui bataillaient en lui, et qui avaient été plus fortes que l’appel de son étreinte. Mais elle ne pouvait plus se résoudre à le haïr tout à fait quand la douloureuse complainte du regret, voilée par les atours presque langoureux de cette chanson, venait faire fléchir tout ce qu’elle avait résolument essayé de recomposer.

La nuit avait enveloppé la ville de sa torpeur, les lueurs urbaines vacillaient derrière la vitre, étaient rendues brumeuses par la fine bruine qui recouvrait tout d’une moiteur glacée. Guidée par le chauffeur jusqu’au rez-de-chaussée de son immeuble, c’est avec précaution qu’elle monta les marches une à une, prenant appui sur le mur alors que Leela ne soulevait toujours pas une paupière, son pouce résolument fourré dans sa bouche, le suçotant avec avidité jusqu’à le flétrir. Ses parents étaient toujours là. Ils avaient prévu de passer la nuit sur place, pour garder le lieu pendant qu’elles s’aventuraient dans les tumultes des festivités extérieures. Sa mère veillait. Rien de surprenant. Et à peine eurent-elles franchies la porte d’entrée qu’elle se précipita vers elles. « Alors, c’était bien ? » Isolde lui intima le silence en posant son index contre ses lèvres. Ellen comprit tout de suite, venant l’aider à se débarrasser de son sac tandis qu’elle portait Leela jusque dans son lit. Lorsqu’elle revint, se massant la nuque, puis les tempes, elle semblait rompue de fatigue. « Tu ne dors pas ? » - « Non je n’étais pas rassurée de vous savoir dehors toutes les deux. » La jeune femme lève les yeux au ciel. Esquisse un sourire en demi-lune. « Tout va bien, tu devrais aller te reposer. J’ai promis à … Une amie de la rejoindre pour aller boire un verre. Ça … Ça ne te dérange pas de veiller sur Leela pendant mon absence ? » Ellen hausse les sourcils, flaire d’ores et déjà le mensonge à peine dissimulé comme s’il se dessinait au milieu de sa figure. Mais étrangement, elle n’insiste pas. L’expression qui cisaille les traits de sa fille, à la voix distraite et douloureuse, la fait se raviser instantanément. « Non, bien sûr que non. Fais attention. N’hésite pas à nous appeler s’il y a quoi que ce soit. » - « Oui, c’est promis. » avait-elle répondu en disparaissant dans l’ombre de la porte, son sac à main à bout de bras, glissant sur ses épaules la première veste qui lui était tombée sous la main dans l’entrée.

L’air était vif, humide, venant entortiller au-devant de ses traits les boucles qui ne semblaient plus vouloir se carcanter tout à fait dans un chignon mesuré. Le trottoir était linéaire, ligne directrice qu’elle suivait avec cet indicible espoir d’y trouver un chemin à suivre, à fréquenter pour ne pas sombrer. Mais l’appel était sans égal. Sa voix la hantait comme un rêve, venait la caresser comme un cauchemar, l’appelait pour mieux la repousser. A quoi cela pourrait bien servir, qu’elle s’aventure de nouveau dans son univers ? Pourrait-elle de nouveau accepter de se heurter à ses abîmes, de prendre le risque d’essuyer le revers de l’absence comme la dernière fois ?  Avait-elle assez de force pour l’affronter de nouveau après l’aveu ? Et cet aveu, qu’en pensait-elle au juste ? Il la terrifiait. La faisait trembler d’envie et d’effroi mêlés. Une partie d’elle avait envie de se consumer en ses tourments, de continuer à pourfendre ses barrières pour en apprivoiser les contours cachées. L’autre ne songeait qu’à l’inexorable fuite en arrière. A toutes ces choses qu’elle avait peur de ne pouvoir donner de nouveau, qui dans sa chair, n’étaient plus ressenties comme au temps jadis. Alors dans l’indécision, elle errait, ses épaules sursautant au bruit de verre brisé, aux éclats de voix nocturnes et aux klaxons intempestifs. Sa silhouette vagabondait au gré de cette obscurité sur laquelle elle régnait en maître, penaude quant aux carrefours à traverser et aux rues à sillonner. La bruine était devenue pluie fine, puis pluie un peu plus drue. Mais aucun élément extérieur, qu’il soit naturel ou non, ne semblait pouvoir la perturber ou la contredire. Ses vêtements changeaient peu à peu de texture. Sa robe collait à ses jambes, se confondant à son épiderme comme une seconde peau, et sa veste n’était plus étanche depuis longtemps. Trempée, ses membres commençaient à trembler, se secouant de soubresauts léger qui eux-seuls avaient le mérite de lui faire retrouver une contenance, si terrée dans l’absence qu’elle était jusqu’alors. Un taxi s’était arrêté à son niveau, le chauffeur abaissant sa vitre pour l’interpeller d’une voix grave : « Vous voulez que je vous dépose chez vous ma petite dame ? Il fait un sale temps, et ce n’est pas une heure pour une dame pour vagabonder dans les rues. » La mine renfrognée qu’elle avait affiché l’avait refroidit légèrement, mais tout plein de bonne intention qu’il semblait être, elle avait fini par consentir à monter dans le véhicule en haussant les épaules. « C’est quoi votre adresse ? » Son temps de réflexion fut court, alors que du bout ses doigts, elle s’efforçait de dégager ses mèches trempées qui lui collaient au front, et sur les tempes. « Vous connaissez le Viper Room ? » - « Bien sûr ! C’est super tendance en ce moment ! D’ailleurs j’en viens, il y avait un concert ce soir, en sont ressortis pas mal de jeunes gens éméchés plus tôt dans la nuit. Une étudiante a d’ailleurs failli refaire la banquette arrière avec son-… » - « Parfait, déposez moi à côté dans ce cas. » l’avait-elle coupé avant qu’il ne s’étende dans les détails de fin de soirée arrosée.

Le véhicule s’était arrêté devant l’entrée du Viper. Il y avait encore un peu d’agitation aux alentours, mais beaucoup moins qu’en début de soirée. Visiblement, les passions liées au concert étaient retombées, et beaucoup d’âmes avaient quitté le nid. Les bruits de l’extérieur étaient atténués depuis l’intérieur de la voiture par la pluie qui battait désormais drue au dehors, clapotant sur le pare-brise un refrain qui entrait en cacophonie avec les battements de son cœur, qui eux, cognaient contre sa poitrine avec force. « Vous êtes sure que vous ne voulez pas attendre un peu que ça se calme ? » - « Non, ça ira. Merci beaucoup. Ne vous en faites pas, je ne vais pas loin après. » le rassura-t-elle en sortant enfin du véhicule, la rafale de l’extérieur étant plus vigoureuse encore que ce qu’elle avait pu imaginer. Les épaules légèrement repliées pour parer la morsure des gouttes sans merci, c’est dans un état lamentable qu’elle avait franchit enfin le seuil de la porte du hall, qui lui avait été ouvert par le concierge nocturne. Ils ne s’étaient croisé qu’une seule fois, lorsqu’elles avaient dormi chez James il y a de ça quelques semaines. Mais il s’était souvenu d’elle, allez savoir pourquoi, et l’avait laissée entrer. Plus elle se rapprochait de l’issue, plus ses pas se faisaient lents, presque traînant. Non, elle n’avait pas fait tout ce chemin pour rien. Elle ne se défilerait pas. Pas encore. Il avait fait l’effort, elle se devait de le lui rendre. Mais … S’il n’était simplement pas là ? Elle aurait dû y penser … Après un tel concert, ils avaient dû se plonger dans les déboires nocturnes jusqu’à l’aube … Et s’il était là, mais en bonne compagnie, de quoi aurait-elle l’air ? Elle réfléchit. Un peu, encore, toujours, de plus en plus vite. Son souffle se fait court, rejoint les tremblements incontrôlés de son corps glacé du froid de l’extérieur, mais aussi de la perspective du rejet qui se profile comme une évidence. L’ascenseur s’arrête. Elle s’avance dans le couloir à reculons, compte les portes. Une. Deux. Trois. C’est celle-ci. Aucun bruit, pas d’éclats de voix à l’intérieur. Rien de suspect à première vue. Mais elle hésite. Sa main s’élève pour sonner, ou même frapper, mais se rétracte au dernier moment alors que le bout de ses doigts effleure la texture de cette ouverture sur un abstrait terriblement effrayant. Isolde se recule une première fois, puis une seconde fois, malmène ses défenses jusqu’à leur point de rupture, se souvient de ses paroles. Et enfin elle frappe, son poing entrant en collision avec la porte, doucement, imperceptiblement au début. Comme si elle avait peur qu’il puisse répondre. Et l’attente la fait languir, et bouillir à la fois. La tension qui s’éveille en elle est aussi palpable que ses tremblements, et ensemble ils se répondent pour lui donner le sentiment extrême de ne pas être à sa place, d’être un intrus dans une temporalité étrange. Quelle heure pouvait-il bien être d’ailleurs ? Elle n’en avait pas la moindre idée. Tard. Probablement. Quelle importance au fond ? Qu’il n’aille pas lui faire crois une fois encore que cela en avait. Cette fois-ci, elle n’y croirait plus.  


© ACIDBRAIN
Revenir en haut Aller en bas
James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
« Night of times. » Pv. James.  1542551230-4a9998b1-5fa5-40c1-8b4f-d1c7d8df2f56
» Date d'inscription : 30/09/2016
» Messages : 527
» Avatar : Matthew Bellamy
» Âge : Trente six ans
» Schizophrénie : Nope.
() message posté Sam 19 Nov 2016 - 1:48 par James M. Wilde



« Te montrer à l’univers, le temps d’un éclair,
puis m’enfermer avec toi, seul,
et te regarder pendant l’éternité »
- Barjavel, La Nuit des Temps

Isolde
& James




Que reste-t-il du corps lorsque le vide l’étreint, et que seuls les battements infimes, dus à la douleur et à la fatigue trop accumulée, se répercutent pour ne plus vous laisser en repos ? Que reste-t-il du vide, lorsque la musique s’est dissipée, et qu’elle s’est étiolée dans les quelques paroles échangées devant des caméras ou des micros, à répéter la même chose, sans cesser, les mots perdant peu à peu de leur substance, prononcés tel un automate ? Que reste-t-il de la musique lorsqu’elle a été exposée, déchaînée, confiée aux ombres et aux silences… Que reste-t-il de leur musique lorsqu’il est seul et qu’il s’aperçoit que le manque d’elle n’a jamais été aussi abyssal. Croire une seule seconde que le terme lui apporterait le repos a été illusoire, voire d’une bêtise affligeante. Ni son corps, ni son esprit ne parviennent à trouver le calme, et depuis qu’il n’est plus forcé d’endosser le personnage qu’il balance à la foule, il se sent dériver, traversé par des sensations désagréables qui sont amplifiées par la mélancolie. La peine n’est pas immense, l’effroi n’est pas revenu apposer sa marque dans son regard, mes les remords se déploient tout autour de lui, et son appartement se met à dessiner des ombres qui furent celle de son trop rapide passage. Les paroles de la chanson l’accompagnent, comme une complainte, presque désincarnée à présent, et il est appuyé au bar américain, depuis des dizaines de minutes, sans bouger, essayant d’oublier les tremblements de ses muscles et la brûlure qu’il ressent sur toute sa peau. Il reconnaît aisément les symptômes de ses excès… Le pouls trop rapide, la douleur pernicieuse dans chaque parcelle de son corps, les frissons. La cocaïne ne pardonne pas à un système nerveux déjà rendu trop fragile par le stress, les insomnies et l’énergie puisée dans les dernières réserves. Il ne parvient pas à maîtriser les assauts, comprend que Greg fit bien d’apparaître avant qu’il ne précipite encore plus la déviance chimique dans son corps, et qu’il aurait mieux fait de ne pas se vanter quant à sa résistance légendaire. La descente est trop longue, trop lente, la nervosité artificielle jouant avec chacun de ses nerfs pour les glacer puis les enflammer tour à tour. Il reconnaît les signes… et depuis des dizaines de minutes, considère la solution la plus rapide qui trône sur le bois ciré du plan de travail. L’antalgique le plus efficace qui soit, le shoot d’endorphine pour dissiper le mal-être, et dormir enfin, se confier au sommeil pour cesser de courir. Peut-être même rêver. Ses yeux caressent la seringue qui repose toujours dans son emballage clinique, puis se rivent à la pâleur cristalline de ce sachet très soigneusement planqué, puis évité pendant des mois entiers. Il n’a pas oublié les gestes, ni les précautions, encore moins la voracité de son corps qui se remémore chaque éclat de la délectation, particulièrement dans cet état affaibli, alors que la douleur le nargue. Mais ses mains demeurent à distance, l’esprit encore trop calculateur pour céder aux appels d’une jouissance qui connaît toujours un prix infâme. Ce prix aux atours de tourments constants, il le connaît également, sa mémoire le lui rappelle sans devoir se forcer très longtemps sur la piste des souvenirs exécrables. Alors, son organisme avide de cette délivrance reniée, combiné à son esprit arqué sur des principes qui semblent soudain vouloir le préserver, le laissent dans cet état de sclérose, à considérer toutes les possibilités, ne parvenant à en choisir aucune, car elles ne revêtent que des impasses qu’il connaît par coeur.

Les voix de Greg et d’Ellis reviennent en toile de fond de son conciliabule, peut-être aurait-il dû les suivre, se convaincre que fêter un succès finirait par le rendre serein, peut-être un peu moins malheureux. Il aurait dû trouver la force de composer une attitude falsifiée quelques heures supplémentaires. Peut-être serait-il rentré ivre mort, et ne se serait alors confronté à aucun questionnement hormis la position de son lit dans des lieux où il aurait fini par s’écrouler. Le problème étant qu’à cet instant précis, il est très loin de l’écroulement, le souffle court, les pupilles dilatées, la déglutition délicate. Et qui plus est se souvient-il parfaitement de comment se diriger jusqu’à sa chambre, sauf qu’il n’a strictement rien à y foutre. Alors oui. Il entretient un délicat monologue avec lui-même, fait de tentations susurrées et de mises en garde de plus en plus éculées. Il ne voit pas pourquoi il repousse l’inéluctable, sachant pertinemment qu’il achèvera le débat en cédant à la perspective de l'oubli du mal-être, physique, mental, quitte à ce qu’il revienne aggravé dès le lendemain. Mais comme une ultime barrière, il pense à elle, pour se prémunir de ses appétits et des facilités. Il tente d’alléger la souffrance physique en se remémorant chaque détail qu’il parvint à cueillir de ce seul coup d’oeil qu’il a osé en direction du bar. L’allure qu’elle revêtait, sa proximité étonnante avec Moira, la présence de la petite, juchée sur les épaules d’un inconnu, le rouge de sa robe, l’expression de ses traits. Elle repousse un instant les ombres, mais ravive la cruauté de son absence, navre d’autres pensées, déjà distillées dans son pessimisme naturel. Il déchire l’enveloppe stérile de la seringue, la tient en équilibre sur ses doigts, murmure un sombre :
_ C’est donc toi et moi ce soir. Terminons le tête-à-tête repoussé de notre matinée.

Il fait taire la partie censée de sa tête qui s’alarme de l’échec, reprend une méthodologie presque chirurgicale lorsqu’il s’agit de se donner la mesure de ses récréations ténébreuses, mesure, façonne, transforme la poudre en un liquide translucide, dont les quelques nuances jaunâtres rappellent tous les poisons dissimulés sous une surface épurée, presque banale. Il dépose un regard morne au creux de son bras gauche, où les veines pulsent sous sa peau blême. Il termine de nouer le garrot, toujours avec ces gestes précautionneux qui trahissent une expérience dont il ne se flatte pourtant guère quand il lui semble que l’on frappe à la porte. Il se tend légèrement, dissipé dans ses oeuvres, et ne sait pourquoi il dénoue rapidement l’élastique qui retombe, telle une entité amorphe sur la surface du bar, dans un petit son mat, et se dirige aussitôt vers cette porte, comme si la tentation de s’écarter de l’écueil était si grande qu’il avait seulement fallu la manifestation d’un bruit quelconque pour l’arracher à l’entreprise mortifère. Il ne regarde pas par le judas, il n’a jamais ces précautions ridicules. Soit il ne répond pas, soit il ouvre. L’entre deux qui suppose de se préparer à une présence étrangère le ferait se considérer comme un pleutre, surtout que pour arriver jusqu’à sa porte, il faut avoir passé le reste de la sécurité du vestibule, ce qui au final le garantit de ne jamais tomber nez à nez avec une groupie psychopathe qui souhaiterait le dépecer pour faire de sa peau un manteau… Il marche doucement sur la moquette épaisse, tandis qu’en toile de fond, la pluie bat les baies vitrées, d’une régularité presque alarmante. Un son dont il s’était totalement coupé alors qu’il était en pleines tergiversations de camé. À cette hauteur, dès qu’il y a de l’orage, les éléments semblent se déchaîner bien plus virulemment qu’au sol, et il aime particulièrement la sensation que cette sorte de combat titanesque se joue autour de lui, alors qu’il demeure à l’abri. Il s’aperçoit qu’il ne porte pas de t-shirt, uniquement le pantalon noir qu’il a passé juste après sa douche, et fait fi des convenances dont il se contrefout de toute manière 365 jours par an, pour aller ouvrir et dévoiler l’importun qui se voit gratifié d’une phrase qui ressemble à :
_ Bordel, qu’est-ce qu’il y a…

Un ton où filtre l’agacement bien que tamisé par la fatigue, mais la phrase s’étrangle et son regard s’anime en découvrant Isolde, trempée, lui apparaissant aux confins de la nuit, comme si ses pensées avaient fini par la matérialiser sur son seuil. Il demeure un brin sonné par cette apparition, ses yeux la détaillant rapidement comme pour vérifier qu’elle est entière, qu’hormis l’humidité qui détrempe ses vêtements, il n’y a aucune indication trahissant une quelconque blessure. Il peine à recouvrer la faculté de s’exprimer, ouvre la bouche, la ferme aussitôt, comme interdit. Il comprend tout à coup tous les avantages d’un judas justement, qui lui aurait sans doute permis de ne pas passer pour un demeuré à 2h du matin, qui ne sait même plus comment dire bonjour. Sa peau se hérisse du choc qu’il encaisse peu à peu, la surprise se substitue à une sorte de trouble où se mélangent les espoirs moribonds avec de nouvelles craintes. Il cherche sur son visage les signes d’une guerre imminente, n’y trouve que les échos de sa propre nervosité et le silence s’éternise jusqu’à ce qu’il le brise.
_ Isolde.
Son nom s’est glissé entre ses lèvres avec tant de soulagement mâtiné de stupeur qu’il se reprend aussitôt, s’en voulant un instant d’avoir montré aussi ouvertement tout l’espoir incertain qu’il a pu nourrir de la revoir après cette confession, chantée devant tous mais confiée à la seule délicatesse de son âme. Il s’efface du seuil pour ouvrir complètement sa porte :
_ Entre. Entre, je t’en prie.
Il parle avec précaution, comme si ses mots avaient le pouvoir de la faire s’évanouir dans l’éther d’où il a su la convoquer, jette un regard aux preuves flagrantes de ses écarts, mais ne se précipite pas pour les faire disparaître. Que vaudrait une dérobade quand il a souhaité faire le sacrifice de la confidence quitte à tout perdre dans l’éclat de la vérité crue de ses doutes et de ses espérances déchues. Il préfère souffler, en esquissant un geste, une simple caresse sur son bras recouvert de sa veste imbibée des tempêtes londoniennes :
_ Tu as froid. Attends.
Il referme derrière elle, avant d’aller chercher un plaid sur le canapé, qu’il lui tend plutôt maladroitement, n’osant pas vraiment le glisser autour de sa frêle silhouette, même s’il en ressent l’envie et l’instinct. Puis il la regarde, elle encore dans l’entrée, lui posté près du guéridon où gisent pêle-mêle ses clefs, des pounds, des paquets de clopes entamés, et son portefeuille. Le joyeux bordel à l’image de celui qui se déchaîne dans sa tête. La douleur de son corps reflue entièrement depuis qu’elle est apparue, et il est uniquement focalisé sur des dizaines de questions qui s’accumulent sans qu’il ne parvienne à en prononcer aucune. Il glisse ses yeux sur les contours de son corps, tente de déchiffrer chaque geste, posture ou expression, qui lui permettrait de comprendre l’état d’esprit dans lequel elle est plongée, afin de savoir si elle vient entériner la détestation ou répondre à l’appel qu’il ne peut plus maquiller à présent. Dommage que l’éventualité de la voir apparaître ne lui ait guère traversé l’esprit si ce n’est en fantasme, sans doute trouverait-il mieux à lui dire que :
_  Tu es venue.
Un constat doux, précipité par son souffle qu’il maîtrise à présent beaucoup moins, trop désarçonné pour convoquer une parure inutile de plus dans ses attitudes qui ne sont plus qu’instinctives à présent. Il aimerait briser cette distance, la réduire à néant, balayer le malaise, plutôt que de les subir tous ensemble, jusqu’à se retrouver dans un état presque second, abîmé par une nervosité croissante. Il s’appuie sur le meuble derrière lui, y agrippe sa main, qui pianote sur le bois, trahissant la danse enfiévrée de ses nerfs, et la regarde toujours, redécouvrant chaque détail de sa physionomie qui a su le captiver. Derrière eux, sous la couche épaisse de verre et d’acier, les éléments rugissent, comme pour meubler les silences qu’ils projettent. La symphonie des cieux, pour rappeler le déchaînement que fut la leur.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Sam 19 Nov 2016 - 19:36 par Invité

« Te montrer à l'univers, le temps d'un éclair, puis m'enfermer avec toi, seul, et te regarder pendant l'éternité. » Barjavel, La Nuit des Temps.
james & isolde




Devant la porte, ses pensées s’égarent, commencent à se scléroser dans l’envie de fuir inexorablement loin de cette ouverture qui n’a pas encore déployé toutes ses abîmes. Son souffle est si saisissant qu’il contraste avec la tiédeur du couloir. Peut-être même vient-il teinter l’air de volutes blanchâtres.  A-t-elle vraiment froid en réalité, où sont-ce ses inquiétudes qui viennent immoler toute sa chair d’un feu glacé ? L’attente est terrible en tout cas, et son ouïe ne peut s’empêcher de se tendre pour tenter de distinguer s’il y a bien âme qui vive à l’intérieur, ou non. Alors lorsqu’enfin des pas s’animent et se rapprochent, et que la porte s’ouvre dans un léger courant d’air, Isolde a un mouvement de recul. Ses épaules se soulèvent, ses yeux s’agrandissent quand sa silhouette lui fait enfin face, qu’elle reprend une étrange conscience de sa présence, de son odeur, de son animosité quasi naturelle. Le personnage scénique se rappelle à son souvenir, le souci de la performance, et l’énergie déployée jusqu’à l’extrême point de rupture. La volupté de sa voix qui en elle seule, sait trouver les accords pour enivrer et agonir dans un même élan. Isolde demeure interdite, figée dans ce silence qui lui sied comme une seconde nature, une peau derrière laquelle se murer pour éviter les heurts. Les syllabes de son prénom se réverbèrent dans le couloir, viennent heurter sa conscience léthargique qui brusquement, s’aperçoit que l’échappatoire n’existe plus, qu’il est trop tard pour songer à reculer. La chance de fuir trépasse. Il n’y plus que lui. Elle. Leurs incompréhensions. Leurs désaveux. Leurs amertumes. Ses mains cherchent un refuge lointain dans la profondeur des poches de sa veste. Tel un automate, elle entre quand il l’invite, reste dans l’entrée dans oser s’avancer davantage. Comme si entrer tout à fait, c’était tirer définitivement un trait sur l’échappée belle. Elle a l’impression de l’interrompre, d’arriver à un moment inopportun alors qu’il était accaparé ailleurs. Alors son esprit jette un regard biaisé sur la pièce, tente d’y trouver un autre souffle, une autre présence. Mais il semble, à sa plus grande surprise, seul, malgré les circonstances. « Je … Je ne pensais pas que tu serais là. Après un tel événement, je m’attendais à … » A quoi ? A le trouver dans un état second d’ébriété ? Entrain de rouler dans les excès festifs qui auraient pu naturellement découler d’un concert aussi magistral ? A s’enticher encore de jambes fuselées et de silhouettes félines ? Tout, sauf la solitude apparente qu’il avait montré en lui ouvrant la porte. « Je ne sais pas à quoi je m’attendais. » Reprend-elle en faisant rapidement le constat de sa propre ignorance. De sa volonté aussi de se trouver des excuses pour ne pas avoir à l’affronter dans ce qu’il avait de plus cru. Ses lèvres se pincent légèrement, s’ourlent discrètement en sentant de l’eau ruisseler le long de leurs commissures. Cela ruisselle à présent complètement entre ses cheveux alourdis, collés à ses tempes, ses joues, même ses paupières, lui donnant probablement une mine épouvantable. La dévastation de l’apparence physique par la pluie drue se conjugue aux émotions violentes qui s’emparent de sa contenance avec animosité, la malmène, et la font trembler.  

La prévenance prudente dont il fait preuve scarifie encore plus ses volontés et ses certitudes. Ses doigts se referment autour du plaid tendu, ne savent sur le coup pas quoi en faire tant la conscience de son propre état lui est encore lointaine et secondaire. Un « Merci … » fugace vient fendre le silence, se conjugue au geste quand elle ignore encore ce qu’elle peut dire. Alors la banalité l’étreint, lui fait dire n’importe quoi, lui donner envie d’ôter les derniers doutes, et elle ajoute : « Si je t’interromps dans quelque chose … Je peux repartir. » Mais en réalité elle ne peut pas. Elle ne peut plus. Doucement ses pensées se focalisent, s’enhardissent, se tournent vers cette nervosité qu’il trahi en pianotant sur la surface innocente du bois. Le constat qu’il émet est si évident qu’elle ne le relève pas, se contentant de faire quelques pas plus avant. Elle sait que c’est son tour de faire un pas vers lui, d’avancer dans sa direction, se mettre en danger comme il l’avait fait ce soir sur cette scène, à lui exprimer ses sentiments et ses incertitudes. Ses regrets aussi. Surtout ses regrets, qui l’avaient touchée jusqu’au plus profond de son être, jusqu’à lui faire perdre conscience de tout, sauf de cet être qu’il pouvait être parfois et qu’elle sentait agonir en lui, se flétrir sous une torture constante dont elle ne comprenait pas encore toutes les tournures. Une part d’elle voulait pouvoir le soulager, partager avec lui le poids de sa conscience, communier entièrement quitte à se détruire entièrement. Mais elle avait si peur. Si froid aussi tout à coup. Chaque bourrasque qui venait fouetter les vitres était agressive, chaque grondement à l’extérieur apparaissait comme une menace et venait compléter ce qui la tourmentait  toute entière.

Le silence s’installe. Devient pesant. Elle s’avance encore, vers cette pluie fracassante qui s’insurge au dehors. S’immobilise. Attends, avec ce plaid entre les mains qui ne lui sert toujours à rien quand le froid ne vient pas que de l’extérieur, et qu’il est aussi tapi tout à l’intérieur de ses entrailles. Un soupire de sédition s’échappe de ses lèvres, tremble légèrement sur la fin quand sa main vient frotter nerveusement d’un de ses bras. « Cette chanson … Elle était si belle … » Il saura de laquelle elle veut parler, évidemment. Toutes les autres avaient été magistrales elles aussi, mais plus impersonnelles, plus promptes à déchaîner les foules anonymes qu’à venir faire vibrer son cœur à elle. Et après le soupire de l’aveu, elle sent enfin le courage de le questionner, de l’affronter qui renaît de ses cendres. L’amertume d’avoir été laissée de côté s’essouffle, son orgueil mis à mal se tait pour leur laisser cette chance, même infime, de se retrouver avant de s’être perdu tout à fait. « De quoi as-tu eu si peur James ? Ce soir-là … Qu’est-ce qui t’a fait heurter le point de rupture ? » La question est entière, enfin. Exige une réponse sans que la tonalité soit incisive. Par magnétisme elle s’était retournée, sa silhouette se rapprochant de la sienne jusqu’à ce que ses doigts puissent venir effleurer ses avants bras, s’assurer de sa présence, l’empêcher de s’échapper à son tour. « Une fois, quelqu’un d’inconscient m’a dit que sous cette chair, sous ce voile, il y avait quelqu’un de perdu. De perdu, et de terrifié, qui aurait cessé de respirer un jour tragique. Après ce jour, respirer … cela aurait été comme une trahison, un leurre … Et alors, quelque chose s’est arrêté, oublié dans les ombres, condamné à l’abîme éternel. » Ses doigts étaient remontés le long de sa chair, traçant un sillage à peine effleuré qui s’était achevé au creux de ses veines alors qu’elle ré-invoquait les paroles qu’il lui avait murmuré, dans les murs évanescents de ce théâtre de brume. Elle s’était arrêtée au creux des cicatrices indicibles, pas plus épaisses qu’une tête d’aiguille. « Je ne veux pas de ta caricature James. Je veux celui dont la voix et les paroles ont réussi à me bouleverser ce soir. Celui qui compose jusqu’à la déraison, qui s’inflige une partition délirante, et qui s’acharne jusqu’à réussir à en maîtriser toutes les subtilités.  Celui qui ne contrôle pas ses colères, et dont l’orgueil est facilement outragé. Celui qui craint, celui qui fuit, celui qui peut de sa voix créer la violence et la langueur. Je veux celui que tu caches au fond de l’abîme, car sans lui, il n’y a rien, à part des impostures. Et ces impostures, je n’oublierai rien pour elles, je ne risquerai rien non plus. Jamais. »


© ACIDBRAIN
Revenir en haut Aller en bas
James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
« Night of times. » Pv. James.  1542551230-4a9998b1-5fa5-40c1-8b4f-d1c7d8df2f56
» Date d'inscription : 30/09/2016
» Messages : 527
» Avatar : Matthew Bellamy
» Âge : Trente six ans
» Schizophrénie : Nope.
() message posté Dim 20 Nov 2016 - 2:01 par James M. Wilde



« Te montrer à l’univers, le temps d’un éclair,
puis m’enfermer avec toi, seul,
et te regarder pendant l’éternité »
- Barjavel, La Nuit des Temps

Isolde
& James




Elle est ici, avec lui. Tout son être s’éveille à cette présence, les douleurs deviennent incertaines, les pensées s’exaltent dans un tumulte qui ne l’oppresse pas encore, les rêves reviennent dans un galop effréné. Il ne fait pas un bruit, s’est retranché dans une sorte d’espace neutre, non trop loin de l’endroit où elle se tient, mais sans envahir d’une quelconque manière son espace qu’il s’est déjà tant de fois égaré à violenter de sa présence anarchique. Il la regarde, il la dévore. Son souffle s’emballe peu à peu, soulevant sa cage thoracique dans des mouvements plus rapides, contractant ses muscles, venant emporter ses aigreurs dues à la solitude pour les remplacer par une chaleur nouvelle, mais tout aussi dévastatrice. Il n’ose croire et pourtant il se passionne déjà à la vision qu’elle lui offre, sortie des brumes glacées de l’extérieur hostile, les cheveux assombris de son évasion dans la nuit, la peau rendue plus fine et pâle encore à cause de la morsure du froid, ses yeux agrandis qui demeurent dans le vague pour mieux se fixer sur son essence, qu’elle distingue si facilement à présent, comme si dans les silences, elle savait entendre tout ce qu’il ne dit pas. L’angoisse tente de l’étreindre et il parvient encore à la maintenir en respect, comme une vieille compagne que l’on sait mater car l’on connaît ses vices et ses armes. Mes se tracent les souvenirs de leurs derniers échanges, dans une très lente réminiscence, de celles qu’il a dans les heures perdues convoquées, afin de communier de nouveau avec elle, même si ce ne fut que dans un songe éveillé. Les mots qui n’ont pu se dire ni se graver dans la bousculade de ce centre commercial. La violence du départ et la passion de l’étreinte dans les ombres de la réserve du théâtre. Sa bouche, ses quelques rires, ses frissons, sa voix, le grain de sa peau, la vibration de ses doutes dans son timbre, sa colère, sa peine, les cicatrices d’une vie qu’il ne connaît pas et qui lui manque pourtant à un point inimaginable. Il déglutit péniblement, tant les émotions se contredisent jusqu’à fusionner dans son corps, tandis qu’elle jette un regard opaque à son environnement, qui trahit pourtant toute sa déraison. Cherche-t-elle le constat de sa solitude empesée ? Sa phrase demeure en suspens, la mâchoire de James se serre légèrement de l’évocation glissée dans ces mots inachevés. Elle choisit de revenir sur les probabilités pour les laisser dans l’oubli, mais il complète ce qu’elle préfère taire, d’une voix posée, sans aucune animosité. Il se force à se décontracter, et pour la première fois, n’emprunte pas le sentier des guerres faciles pour se protéger. Peut-il réellement lui reprocher de croire qu’après ce concert réussi il irait confier les restes de sa nuit à des alcôves où coulent l’alcool et où la chair se dénude. Il inspire avant de confier :
_ Tu pensais que j’irai me perdre dans les débauches qui me sont habituelles. J’aurais pu. Je n’en avais pas l’envie. Pas ce soir… Pas après…

Il soupire. C’est lui qui laisse à présent sa phrase interrompue sans la compléter. Se sert de son état pour joindre des gestes au secours de ses tremblements, même si les gestes ne sont pas achevés non plus, et qu’il se sent frustré de ne pas oser lui offrir l’asile de ses bras pour qu’elle y oublie la déferlante empreinte de la nuit tempétueuse. Son remerciement cisèle sur ses traits l’ébauche d’un sourire presque triste, et alors qu’ils ne disent encore rien de ce qui pourtant occupe tous leurs esprits, elle cherche la faille. Lui donne l’opportunité de la rebuffade comme ultime terme à leur histoire. Il l’a par trop habituée aux départs dans les cris et les heurts… Il la considère un instant, avant que son regard ne vienne caresser la surface du bar où gît encore tout son matériel consacré aux envolés pathétiques de ses instants de solitude. Il statue, dans un murmure :
_ Tu as interrompu quelque chose. Mais je préfère que tu restes.
Il troquerait toutes les évasions faciles, charnelles, chimiques, aux saveurs de la perdition, pour une heure avec elle. Pour frôler ses mots des siens, pour imaginer qu’ils peuvent être encore plutôt que de s’écorcher dans un paraître infâme. L’envie n’a jamais été totalement repoussée, il n’y est pas parvenu, il a pourtant essayé, tous les jours depuis qu’il a connu son corps, depuis qu’il s’est condamné à ses stigmates. Mais l’on ne peut effacer certaines rencontres qui se subliment dans la communion la plus viscérale. Il ne peut gommer ce qu’elle lui inspire, la colère de vouloir qu’elle lui appartienne et la peine qu’elle ne puisse jamais être totalement à lui. Ni lui totalement à elle, trop habité de ses blessures et envahi par son passé. Il ne peut oublier ce qu’elle a scarifié à son âme, y faisant naître l’ébauche d’un sentiment sublime, bienveillant, presque trop doux pour celui qui n’a goûté que les tourments. Il l’observe rejoindre la baie vitrée qui ouvre sur la nuit déchirée par la pluie. Londres est plus sombre, ses lumières ne parvenant pas à totalement percer l’onde déversée par un ciel bas, chargé de nuages épais. La Lune ne se devine nulle part, ayant choisi de vagabonder loin de la misère humaine confinée à l’orage. Il demeure appuyé au petit meuble, dessine sa silhouette de ses iris, pense à cette nuit où ils se sont retrouvé dans cette même pièce, à l’ébauche des premières confidences. Il commence à ressentir le froid du vide, comme si la chaleur diffusée par les radiateurs ne suffisait plus à le garder de la nervosité qui s’insinue en lui. La cocaïne n’a plus de prise depuis qu’Isolde est entrée, et il redescend peu à peu, ses nerfs ne diffusant plus la brûlure d’une douleur synthétique sous sa peau. Dans le silence, le vent, la pluie et les grondements de quelques ténèbres qui n’ont pourtant pas l’opacité des leurs, le chant des éléments pour leur tenir la main. Elle laisse passer des secondes entières. Il laisse passer des éternités d’espoirs et de doutes. Son coeur bat de plus en plus vite. Jusqu’à la délivrance. Lorsqu’elle évoque la chanson, il sent le sang battre violemment ses tempes, et sa respiration s’approfondir d’une terreur bientôt ployée sous l’intensité d’un soulagement ineffable. Il ferme les yeux, inspire longtemps la saveur de cette confession, cherchant à calmer son corps secoué d’un frisson presque délectable.

Il comprend que depuis des heures il s’enferme dans l’impossibilité de recevoir l’absolution tant recherchée dans cette chanson. Que la donner est illusoire si elle ne peut pas être reçue. Et jusqu’alors, il lui était interdit d’en connaître les effets sur la seule personne qui comptait dans cette salle. Qu’importe les applaudissements, les murmures charmés ou encore quelques cris de passion si elle demeurait froide à ses mots, à sa mélodie, à son âme qui cherchait une dernière fois à pénétrer l’intimité de la sienne. Sa gorge se serre mais il rouvre des yeux brillants, captivés par celle qui est venue jusqu’ici pour le délivrer. Quelques mots quittent sa bouche :
_ Sans toi, elle n’aurait jamais existé.
Elle fait soudain volte-face, se permet de le confronter jusqu’à venir glisser ses mains sur sa peau, qui s’éveille à son contact, s’enflammant peu à peu, comme si elle avait su la captiver dès les premiers instants. C’est sans doute le cas et tout son corps qui cherchait les abysses de l’héroïne crève à présent d’une autre étreinte, moins délétère mais pourtant tout aussi fatale. S’il a fait un pas vers elle pour dessiner l’irréel, elle parachève le trait, lui rend toute sa matérialité dans cette question qui ne peut se voir esquivée à présent. L’esquive serait la négation de ce qui n’est plus possible de dissimuler, ce serait pire que mentir, ce serait brandir la folie et s’y enfermer totalement. Il ressent la certitude de ne plus vouloir d’échappatoire. Pas ce soir. Pas vis à vis d’elle. C’est dorénavant impossible sans que pour autant l’alternative soit simple. Il souffle, sans équivoque, ne cherchant pas à se dérober à son contact ou à ses exigences :
_ De me souvenir de ce que cela peut être de vouloir communier à quelqu’un jusqu’à la déraison. De ressentir de nouveau toute la délectation d’un échange qui n’est plus égoïste, ni dénaturé par un désir superficiel. Pendant quelques instant Isolde… pendant juste quelques minutes alors que tu étais dans mes bras, j’ai cru être quelqu’un d’autre. Je me suis senti délivré de ma colère, protégé de ma violence.
Elle poursuit, alors qu’il se confond à lui dire ce qu’il n’aurait su avouer quelques jours plus tôt, lui dire ce qui le traverse, chercher à l’exprimer, lui donner un poids différent, à la fois plus lourd dans sa trivialité, mais aussi moins terrifiant dès lors qu’il se trouve confié à quelqu’un d’autre. Il ne peut nier la peur qui l’a étreint en ce soir qu’elle évoque. Cette peur bientôt masquée par la cruauté les a envahis tous les deux tant elle était palpable, et la délectation s’est muée en ignominie. Il s’est senti à un point indigne d’elle que c’en était insupportable, il lui fallait partir, plutôt que de subir le dégoût qu’il conçoit de lui-même. Ses doigts caressent sa veste, comme pour l’arrimer à lui, et lui faire comprendre qu’il reste là, qu’il n’est plus à imaginer des affronts pour échapper à la conversation qui pourtant le plonge dans une nervosité plus intense, qui fait frissonner sa peau. Elle le cite à présent, et les mots qu’elle se charge de lui renvoyer sans relâche ne rend que plus ironique la situation, car la description qu’il lui fit est également celle qui lui correspond le mieux. Depuis la mort de Rebecca, il s’est dénié le droit d’aspirer à la tranquillité, ou encore au bonheur. Il a pris une vie et il a donné toute la sienne en échange, il s’est oublié dans un deuil qui le poursuit encore, il n’a plus respiré qu’en se souvenant de ses soupirs, il n’a plus qu’aspiré à la violence des étreintes pour ne pas oublier la douceur de sa peau, a refusé toute complicité avec une femme pour ne conserver que les échos de leur intimité, ne jamais la corrompre à l’oubli, ne jamais la voir mourir une fois de plus en continuant à vivre. Isolde caresse les cicatrices de cette pénitence, des cicatrices anciennes, des excès de souffrance qui ne furent pas réitérés, ou très peu. Elle les frôle comme si elle avait la conscience que ces mêmes cicatrices eurent pu se réouvrir ce soir et en retour ses doigts s’agrippent encore plus au tissu détrempé de sa veste qui paraît bien trop grande pour son corps, si proche du sien, trop dénudé pour échapper aux assauts qu’elle mène à présent sans relâche avec une ferveur qui le fascine tout à fait.

A-t-il fait naître ce soir toute l’envie qu’elle clame, ou n’a-t-il fait que lui donner la force de venir la lui cracher en face ? Il l’écoute, il l’entend, chaque mot l’atteint comme elle a toujours su si bien le faire, mais il ne se débat pas pour échapper à ses convictions, il se laisse déchirer par ses désirs, se laisse bercer par ce portrait qu’elle trace de lui, dans toutes ses noirceurs et dans ses quelques vertus. Elle pourfend les armures, brise les masques, les jette à la voracité de ses feux passionnés, et cherche à en délivrer l’homme tel qu’il est, tel qu’il est devenu et non tel qu’il devrait être. Dans ses failles, ses doutes, ses folies, ses rêves, ses idéaux, ses intensités. Elle semble tout vouloir dans la nudité la plus totale, sans les parades inutiles ou les dérobades assassines. Son coeur suit la rapidité de ses mots, bat à se rompre dans sa poitrine, mais il ne voit qu’elle, ne sent que ses doigts sur sa peau, n’entend que les termes qu’elle lui voue et les souffles qu’elle ménage à ses aveux. Les cauchemars dépeints dans sa composition reprennent les atours des rêves, qui ébauchent à leur tour des lendemains jusqu’alors interdits. Au creux de sa nervosité, il y a cette invincible voix qui cherche tant à la rejoindre, cette envie inaltérable de se montrer à elle sans le secours de cette seconde nature qui empoisonne son existence, Comment peut-elle faire naître en lui ce qui le terrifie le plus ? Et comment peut-il songer à déchaîner toute la palette virulente de son essence pour lui complaire, pour la retrouver dans l’ultime face à face ? Les mots de Malcolm lui reviennent en mémoire… Il peut demeurer spectateur d’une vie qui glisse entre ses doigts ou choisir d’en reprendre les rênes, d’être pleinement l’acteur de ses déraisons, d’assumer ce qu’il est devenu car c’est la seule façon de la rejoindre dans la splendeur du dévoilement total et cru. Il n’y a pas de compromis envisageable et il ressent la morsure de la certitude qui est née dans son esprit depuis qu’il lui a promis de ne jamais la laisser échapper. Et en cherchant à s’évanouir lui-même dans la froideur de l’absence, il n’a fait que la lier d’autant plus à ses ombres. Ses mots retombent dans un silence de plomb, qui ne sont traversés que par sa respiration toujours plus erratique. Il bat des paupières, chasse l’émotion qui vient troubler sa vue, sans pouvoir la dissiper de son être qu’elle étreint d’une chaleur dévastatrice, jusqu’à venir se lover dans le creux de son ventre. La femme qu’il a choisie vient de jurer d’accepter l’homme qu’il est, aussi brisé qu’elle l’imagine. La sensation est d’une intensité qui le prend aux tripes, le ravage jusqu’à ce qu’il échappe une inspiration saccadée par la beauté de la déclaration sans fard qu’elle vient de prononcer. Ses mains cessent d’enserrer ses bras pour glisser dans son dos et l’attirer à lui, dans une étreinte qui trahit tout de l’émotion qu’il ressent et qui lui serre la gorge. Il caresse son dos, sent le tissu froid en contact avec la peau de son ventre, les doigts de sa main gauche suivent la ligne de la cicatrice qui orne son épine dorsale, se font un instant explorateurs dans la moiteur des cheveux alourdis autour de sa nuque, puis viennent frôler sa joue, pour qu’elle relève son regard encore animé par sa confession vers son visage. Les traits de James sont bouleversés, ses yeux toujours légèrement embués, ses joues creusées, ses lèvres blêmes. Lorsque sa voix lui répond, elle est brisée par ce qu’elle a su réveiller à l’intérieur de lui. And I've had recurring nightmares, that I was loved for who I am… Les paroles se distillent, revêtant une nouvelle profondeur.
_ Je n’ai pas su te laisser partir Isolde. Toutes tes cicatrices sont devenues les miennes, et ce soir-là, lorsque je me suis condamné à l’enfer de ton absence, j’ai cru te préserver de ma propre corruption quand je ne faisais que craindre que tu puisses la deviner. À cause de ma lâcheté, j’ai cru devenir fou, j’ai cru de nouveau perdre pied, chaque jour à te repousser ne faisait que te graver un peu plus en moi. Je ne dors plus, de peur que l’inconscience m’arrache aux pensées qui te sont toutes destinées. Je n’en peux plus de me dissimuler à toi, jamais… je n’aurais dû te dire les mots qui ont franchi mes lèvres ce soir-là, ils m’ont hanté, tu ne peux pas savoir comme ils m’ont hanté. Si tu me veux, je me laisserai atteindre. Et alors risquerons-nous ensemble ce qui doit être mis en péril. Je te promets toutes les nuances que tu as distinguées… et celles qui te sont encore inconnues. Je te les promets comme je me suis damné aux tiennes.

Sa main tremble le long de sa joue, sa voix s’est enhardie, soulevée par cette ferveur intense qu’il a déjà su dévoiler en sa présence, mais il n’a jamais été aussi ébranlé, ne s’est jamais montré aussi vulnérable devant elle, hormis pendant ces quelques délectables minutes où il s’est donné à son corps. Son front vient s’appuyer contre le sien et un soupir de soulagement ému quitte ses lèvres, sa poitrine moins mise à mal par sa respiration peu à peu approfondie par ses serments, et il ferme un instant les yeux pour s'imprégner de sa présence, inspirer le parfum de sa peau légèrement modulé par les quelques notes boisées arrachées à la pluie. L’héroïne n’est plus qu’un lointain souvenir, la douleur s’est évadée dans l’acceptation qu’elle a su prodiguer, et contre elle, il sent tant d’infinis se lier à sa sombre destinée qu’il n’en connaît plus les exactes cheminements. Un murmure, une prière :
_ Reste avec moi.
Dans le creux de la nuit tempétueuse, reste auprès de mon être fracturé, car tes blessures communient aux miennes, et elles les rendent moins effroyables. Toi seule sait dessiner les ombres des nuits que je peux accepter sans heurts. Toi seule peut animer mon être mort et le confondre aux délicats tourments de la vie que je renie.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Dim 20 Nov 2016 - 18:23 par Invité

« Te montrer à l'univers, le temps d'un éclair, puis m'enfermer avec toi, seul, et te regarder pendant l'éternité. » Barjavel, La Nuit des Temps.
james & isolde




La lourdeur du silence entre eux n’avait jamais été si enveloppante. Elle prenait les atours d’un joug, se modelait dans leurs corps qui en peu de temps, avaient oublié comment se conjuguer l’un à l’autre. Ou alors n’avaient-ils jamais vraiment réussi, communiant leurs âmes entre-elle tout en ayant conscience de leur asymétrie profonde. Tous les deux, ils n’étaient pas formés dans le même alliage, ils ne venaient pas d’un même moule. Leurs formes ne s’imbriquaient pas sans violence, sans que l’un ne courbe ses angles pour se plier aux arrondis de l’autre.  Alors pourquoi trouvait-elle en leur imperfection absolue quand ils étaient ensemble un baume, aussi brûlant qu’apaisant, qu’elle n’avait u trouver en nul autre jusqu’au aujourd’hui ? Dans l’attente du silence, son univers lui revenait. Son énergie mélodique, et acharnée. Le génie créatif qui frôle la rupture chaque fois qu’il se donne à sa composition. Les frasques, les travers, les harmonies, les grésillements, les complaintes, les acclamations, elle revoyait tout avec une infinie précision, comme pour se rappeler à quel point elle y était étrangère. Elle se souvenait avec une objectivité troublante de ce sentiment qui l’avait endormie, momentanément, juste après cette chanson qui l’avait tant touchée. Ce bref instant où tout semble irréel, rendu possible par l’impression grisante et troublante d’exister, si ce n’est pour soi, au moins pour quelqu’un d’autre. Puis la réalité frappante de la scène. S’apercevoir qu’il vivait pour lui, pour le fard ostentatoire apporté par le public, pour la musique, et certainement pas pour quelqu’un d’autre. Elle ne parvenait pas à l’imaginer s’astreindre à des carcans, se plier à des éducations longilignes sans grandiloquence et conduites versatiles. Alors elle avait compris. Compris qu’elle ne pouvait pas espérer le changer, qu’elle-même ne changerait pas, mais que si elle le voulait, elle pourrait l’accepter tel qu’il était, dans ce qu’il avait de plus cru et de plus imparfait. Se contenter de l’essence, se soumettre à ses noirceurs pour pouvoir le garder à ses côtés, ou s’y refuser totalement et rompre le lien tout de suite.  Et si à ce sujet le choix s’était imposé comme une évidence, plus les minutes avaient défilé sous cette pluie battante, plus elle s’était demandé ce qu’elle était réellement capable de donner et de recevoir. Encore tiraillée par les affres du deuil, toujours dévolue en son âme à une entité qui ne prendrait plus jamais que les allures du souvenir, elle ne savait plus comment se mouvoir auprès d’un autre. Comment nourrir le lien, s’y adonner entièrement pour que l’union soit pleine et exclusive. L’exclusivité. Cela, elle ne pourrait jamais la lui offrir. Jamais. Même s’ils parvenaient à se supporter, il y aurait toujours cette part cachée en elle qui le fuirait, qui se dissimulerait à son regard farouchement pour ne s’offrir qu’au regard d’un autre. Et plus elle y songeait, plus elle convoquait les bribes d’informations qu’il lui avait donné à la dérobée, plus l’évidence qu’il ne lui appartiendrait jamais entièrement non plus se dessinait en toile de fond. Peut-être que la clef, leur clef, résidait en cela. S’appartenir dans un présent discordieux pour accepter que chacune ait une part de lui qui n’appartient à personne, à part à un passé qui les a forgé tels qu’ils sont : imparfaits, scarifiés, perclus de failles, suppurant d’un mal que l’acceptation seule pourra cicatriser en surface.

« Oui … J’y ai pensé … C’est vrai. » Elle décide d’assumer aussi, de lui avouer ce qu’elle avait pensé de lui, même pendant un bref instant. Car si la chanson lui a permis de tempérer son jugement et de remettre en question le portrait détestable qu’elle s’était fait de lui après le gala, elle ne peut s’empêcher de garder ce souvenir en elle. Un avertissement tapi dans sa chair qui maintenait ses barrières prêtes à encaisser un autre choc, une autre injure. Car elle savait qu’il y en aurait d’autres. Que si elle se complaisait à ses ombres, des violences, elle devrait en parer de multiples, aux visages tous plus différents les uns que les autres. Ses sourcils s’arquèrent à l’évocation de ce qu’elle avait interrompu. Son regard voulut parcourir la pièce. La cécité servit à la fois d’obstacle et de filtre, alors qu’elle ne saurait peut-être jamais ce qui s’était distillé en lui juste avant qu’elle ne frappe à sa porte. Elle n’eut pas le cœur de lui en demander davantage, se confondant dans un silence plus long encore, ses épaules s’affaissant légèrement de savoir que sa présence n’était pas proscrite mais tolérée. La solidité glacée de la baie vitrée lui apparait comme un rempart fortuit sur laquelle ses mains viennent se poser, y puisent une ultime contenance pour aller jusqu’au bout, assumer ce qu’elle désire mais qui la terrifie au point de lui donner envie de palper le vide derrière la vitre close. Quand elle revient sur ses pas, son assurance n’est qu’un leurre, ne fait que dissimuler les tremblements d’un corps qui encaisse la morsure du froid et la crainte du rejet toutes ensembles. Faire le pas, rendre la balade entière en en dévoilant le point de vu inversé. « Bien sûr qu’elle aurait existé. L’élan créateur vient de toi, et de nul autre. » C’était lui le réceptacle de la mélodie, l’acteur des vers, le compositeur de la complainte. Peut-être lui avait-elle insufflé une idée sans s’en rendre compte. Ou un sentiment, qu’il avait retranscrit dans son propre langage. Mais il demeurait l’investigateur unique.

Ses mots l’éclairent, ses mots la transcendent. Presque autant que la langueur de sa voix dans l’obscurité incertaine du Viper. Ses doigts dessinent un indicible sillage, redécouvre furtivement un corps qui l’a hantée pendant des jours. De la joie du contact retrouvé, à la crainte maladive de le voir s’enlaidir aussitôt, terni par l’absence, ses yeux s’agrandissent à le détailler sans le voir. Avoir le sentiment d’être quelqu’un d’autre, ne plus savoir qui l’ont est, si c’est nous qui ressentons, ou le pâle reflet de nous-même. Soudain elle comprend mieux son attitude, parvient presque à l’accepter. Ses lèvres tremblent légèrement à trop concevoir ce qu’il a pu ressentir, ce qu’elle-même a réussi à repousser sans savoir par quel miracle. « Cette colère fait partie de toi, cette violence aussi. Je ne pourrais jamais les faire t’abandonner. Tu ne seras jamais autre chose que ce que tu veux être au fond de toi … » Elle ignore où elle veut en venir, si seulement ses mots ont un sens. Elle veut simplement qu’il comprenne qu’elle ne veut pas lui arracher cette colère qui le maintien debout, qu’elle ne cherche pas non plus à lui ôter la violence en son cœur. Tout au plus peut-elle l’apaiser, la faire taire pendant un instant fugace pour lui insuffler autre chose dont il se nourrira comme il le souhaite. Mais jamais elle ne pourra prétendre faire davantage, jamais. L’aveu qu’elle lui confie déferle comme une vague, vient noyer les dérobades, les amertumes et les non-dits enlaidis par l’absence. Son regard se fixe sur ce point invisible, sur la chaleur de son corps dont elle a repris une conscience absolue et dont elle voudrait détourer les abîmes. Ces mêmes abîmes qu’elle ré-invoque sans craindre d’être entachée par elle. Les battements de son cœur se fixent sur le rythme de sa respiration, viennent lui répondre dans une harmonie nouvelle. L’émotion de l’aveu est telle qu’elle veut pouvoir se dérober, tout en ne pouvant s’empêcher de le défier de sa posture immobile. Les pieds encrer dans le sol, le bout de ses doigts traçant des arabesques délicates sur son épiderme, elle veut l’affubler de sa présence, sentir sa réaction jusqu’aux tréfonds de l’âme humaine qu’elle vient de convoquer. Elle veut toucher l’homme, effleurer ses fêlures, caresser ses injures. Car tant qu’elles viennent de l’homme, et non de la caricature, elle pourra toute les accepter. Elle pourra toutes les endurer sans craintes. C’était du masque dont elle avait peur, de l’ironie cruelle et déplacée, et de nulle autre. Un sursaut léger, un tremblement plus fort que tous les autres vient l’ébranler lorsque ses bras referment leur emprise. Même à travers les vêtements humides et le froid qui rigidifie sa peau, son émotion lui paraît sensible. Elle veut le voir, elle veut le sentir. Elle veut toucher cette impression qui le taraude. Alors l’initiative de ses doigts vient répondre aux siennes dans un écho. Sa main glisse le long de son épaule, ses doigts s’arrêtent à la naissance de son cou, son pouce trace le contour de la pomme d’Adam, remonte sur l’arête de la mâchoire, s’immobilise un instant pour que son regard vienne se noyer dans les aveux qu’il prononce. Elle ne l’interrompt pas, se contente de se perdre en lui comme dans une onde délicate. Elle perd conscience de tout. De ses craintes, de ses envies d’affront, des dérobades. De tout. Sauf des mots qu’il prononce, presque comme s’ils étaient douloureux, et qui viennent l’étreindre avec une force viscérale qui ne lui avait jamais semblé aussi puissante. La promesse de la damnation lui apparaît délicieuse. Incertaine, terriblement effrayante, mais délicieuse malgré tout. Elle ne lui répond pas, l’expression de son visage trahissant tout le trouble qui l’anime. Ses paupières s’affaissent à l’unisson des siennes, son index passant le long du trapèze pour mieux s’aventurer au gré de l’os saillant de la clavicule.  Son murmure vient cueillir doucement les dernières barrières qu’elle avait décidé de ne pas laisser s’affranchir devant lui, ses doigts emprisonnent délicatement son menton, convoquent son regard, répondent à l’appel avec une douceur délicate, alors que ses lèvres viennent le prier à son tour dans un souffle tiède : « Embrasse-moi. » L’appel le défi, l’interpelle, glisse dans le silence comme une supplique, une volonté de venir sceller le pacte d’union mortifère. Et cela prend presque des atours sensuels, dans une voix qui trahit l’émotion qu’elle rencontre, mais qui demeure figé dans un calme absolu. L’embrasser pour signer l’aveu, pour abolir tout, et ne garder que leurs corps décharnés par les tourments. Se redécouvrir et s’accepter enfin dans les failles, dans les ombres, sans chercher à se prémunir de ce qui de toute façon, viendra toujours les hanter de nouveau avec violence.



© ACIDBRAIN
Revenir en haut Aller en bas
James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
« Night of times. » Pv. James.  1542551230-4a9998b1-5fa5-40c1-8b4f-d1c7d8df2f56
» Date d'inscription : 30/09/2016
» Messages : 527
» Avatar : Matthew Bellamy
» Âge : Trente six ans
» Schizophrénie : Nope.
() message posté Lun 21 Nov 2016 - 19:11 par James M. Wilde



« Te montrer à l’univers, le temps d’un éclair,
puis m’enfermer avec toi, seul,
et te regarder pendant l’éternité »
- Barjavel, La Nuit des Temps

Isolde
& James






Ses doigts reviennent s’approprier sa peau, un territoire qu’il a sauvagement défendu et qu’il lui abandonne ce soir, tout comme son esprit bientôt confié à elle dans les aveux qui lui brûlent les lèvres. Elle tremble tout contre lui, et ses gestes demeurent mesurés, comme s’il n’osait guère joindre à ses mots les caresses qui s’y glissent. Il ne reste plus grand chose de la grandiloquence qui l’animait sur scène, de la brusquerie et de l’arrogance qui nourrissaient son corps. Il s’est dépouillé en entrant dans son appartement des atours empruntés à la représentation, et ceux qui demeuraient embrassés à son être, dans les sursauts de l’adrénaline et de l’adoration de la foule anonyme viennent de lui être arrachés par Isolde. Le serment encore sur sa langue, il le prolonge dans l’émoi de son corps, qui suit le sien avec d’infinies précautions. Il ne l’a pas contredite plus tôt. Il l’a laissée croire que l’âme de la création demeurait nichée en lui, et qu’elle n’avait fait que la caresser quelques instants, pour qu’elle dessine le verbe et la musique qui les ont fait se retrouver ce soir. Il l’a laissée croire quand il connaît l’absolu de sa présence. Quand il sait que certaines ombres demeurent indéchiffrables sans qu’elle ne les pourfende, quand il ressent les entraves céder par les seuls bienfaits de ses révélations. La composition est comme l’étoffe d’une existence et chaque fibre trace les êtres rencontrés, les sensations abandonnées au déni, les envolées condamnées à la déchéance. Elle est l’une de ces fibres, le fil ténu qu’il a su broder à sa chair, sans pouvoir l'arracher ensuite, sans qu'il n'y ait plus la possibilité de déterminer ce qui le constituait au départ et ce qui le constitue à présent qu'elle s'est penchée sur sa vie. Il cherche à faire de même, à envahir son destin, à lui offrir ce qu'il ne peut pourtant plus qu'offrir à moitié, car son parcours a trop endommagé son être pour qu'il lui appartienne tout à fait. Donné à la rage et à la colère, comme ultime barricade face à l'extérieur, il ne sait totalement s'il est rassuré qu'elle ne puisse jamais véritablement gommer les traits qui défigurent sa personnalité, comme il ne pourra jamais effacer les cicatrices qui parcourent sa peau. Les combler... jusqu'à se les approprier, jusqu'à ce qu'ils puissent se faire les échos de leurs désuétudes communes, et y alléger la peine et la douleur, peut-être. Peut-être est-il capable d'y parvenir. Il a tellement envie d'essayer à présent qu'elle lui est revenue, et qu'il la voit subir ses promesses, et surseoir aux non-dits. Sans doute a-t-elle raison, jamais il ne sera autre chose que ce qu'il est actuellement, et jamais ne sera-t-elle délivrée de la tragédie qui l'accable. Mais soudain, ça n'a plus du tout d'importance, la fatalité conjuguée devient inévitable, il y a quelque chose d'intensément logique à ce qu'ils cherchent à mêler leurs existences brisées. La plupart des gens ont dans l'espoir de simplement à se compléter, s'oublient dans un équilibre désuet... Mais eux ne peuvent rêver à l'équilibre, car s'équilibrer, c'est arrêter d'osciller et risquer de choir, de ne plus se relever, c'est craindre la souffrance brutale de se retourner sur soi. Ils ne sont pas comme la plupart des gens, au contraire, ils doivent absolument se mouvoir, continuer, persister, sans se laisser dépérir. Leurs mains entrelacées, ils peuvent un instant songer à poursuivre la route, même s'il s'agit d'une route plus dangereuse encore que s'ils s'y trouvaient esseulés.

Elle cherche à lire l'atermoiement sur son visage et quand ses serments se font légion, il n'est plus capable de masquer l'émotion empreinte dans son expression, il ne veut pas lui dérober l'homme ravagé qu'elle recherche, sans qu'il ne comprenne exactement comment il a pu tout lui dire sans se heurter à des résistances brutales dans sa chair et dans sa tête. Lui dire tout cela est un mélange de douleur et de passion, c'est conjuguer les peurs sans toutefois qu'elles ne se transforment en cette aigreur qui l'a poussé plusieurs fois à chercher l'affranchissement de tout contact avec elle. Sans doute a-t-il dépassé le seuil des mises en garde et se laisse-t-il dériver au courant d'un besoin qu'elle a su sublimer. Choisir de confondre un avenir incertain au sien, et risquer d'y voir surgir toutes les chimères viciées de son passé. Il n'est plus l'heure de la prévenir, elle sait quand elle le touche, elle sait lorsqu'elle l'écoute, elle sait. Et elle est encore là, dans ses bras. Et il veut la damner, l'emporter dans ses ombres à présent, il le veut sans renâcler face à une morale qui s'accrochait à lui comme une maladie, pour le remettre en cause dans ce duo d'un délectable déséquilibre. Il comprend qu'il y a toute sa place lorsqu'un silence différent les caresse, quelques points de suspension dans la solennité des moments inéluctables. Son étreinte sur elle se resserre quand son souffle vient appeler sa bouche, les mots subis comme une oraison funèbre à leur alliance. Son pouce trace sa lèvre inférieure avant qu'il n'obtempère, sans précipitation, sans avidité non plus, mais avec cette détermination presque farouche de recouvrer les sensations qui depuis des semaines le hantent. L'atmosphère se brouille au moment où il se réapproprie la douceur mêlée de fièvre qu'il n'a savouré qu'à son contact, cet indicible élan qui le pousse à communier à elle, quoiqu'il en coûte. Les éléments déchaînés se domptent jusqu'à s'oublier dans l'arrière-plan indiscernable des lieux, et il ne ressent plus rien qu'elle, se laissant envahir sans résister. Son corps décharné de fatigue, terrassé par les abus répétés de ces dernières soirées confiées au désespoir, s'éveille d'une passion nouvelle, conscient de chaque parcelle de sa peau, qu'elle soit voilée de ses vêtements trempés ou non. C'est même pire encore que de connaître à la fois les entraves et les territoires qui se dissimulent en revêtant d'autres mystères. Mais le souvenir ne suffit plus à nourrir l'étreinte, ses lèvres se modèlent aux siennes, demandent la rédition, ses doigts voyageant sur sa silhouette qu'il réapprend avec fébrilité. Chaque esquisse dénote le manque qu'il a entretenu d'elle, ce manque accroché à chaque souffle, ce manque à le révolter de ne pouvoir le combler dans ses errances habituelles. Et plus sa silhouette épouse ses contours anguleux, plus il ressent l'élan de la compléter.

Elle est chez lui, s'y est invitée par sa seule initiative, est parvenue à lui offrir l'alliance de ses pensées, le mélange est grisant, le manque cingle ses esprits pour les disséminer jusqu'à sa peau, et lorsqu'il rompt son baiser pour quérir leurs souffles emmêlés, il prend le temps de la regarder encore, cueillir ses expressions et s'enivrer de tout ce qu'il peut y lire, cette fois-ci en pleine lumière, sans que rien ne lui soit dérobé, sans que le temps qui fut leur ennemi jadis ne puisse rétablir son emprise sur lui. Il tarit sa précipitation, vient frotter son nez contre sa joue, embrasser sa tempe et y boire quelques battements supplémentaires, découvrant que leurs rythmes s'accordent déjà comme ils le firent dans d'autres ombres. Il ne dit rien, lie sa main à la sienne et l'entraîne jusqu'à l'intimité de sa chambre, comme pour l'arracher au théâtre de leurs promesses et en poser de nouvelles dans une antre qui ne fut que celle de la désincarnation. Les lieux plus confinés changent l'atmosphère, l'enfièvre un peu plus, alors que les égarements des semaines passées sont partout. Le magazine envolé, emportant avec lui la ligne poudreuse qu'il comptait suivre jusqu'à l'abrutissement, les draps froissés des insomnies répétées, sa table de nuit encombrée de livres qui portent tous le nom d'Isolde. L'aveu d'une quête poursuivie malgré la fuite, l'envie de pénétrer un univers qu'il s'était refusé. Il regarde tout ensemble, sent sa peau se hérisser de l'intime craché à ses prunelles, qu'elle ne peut quant à elle pas véritablement découvrir avec la même splendeur. James caresse la paume de la main d'Isolde du bout des doigts, et murmure doucement :
_ Tu as eu raison de le penser... Mes folies se sont multipliées, j'ai arraché tant d'heures à ployer mon corps aux substances qui me sont habituelles. C'est ce que j'allais consacrer à cette nuit qui m'échappait déjà.
Il n'a pas abandonné sa main, au contraire, il a entremêlé ses doigts aux siens, et l'a de nouveau attirée contre lui, déposant un baiser sur sa joue, caressant l'aveu de son souffle brûlant sur sa peau qui reprend quelques couleurs. Il s'enfuit jusque dans le creux de son cou, la débarrassant de cette veste alourdie par la pluie, avec une lenteur compassée, cherchant à convoquer d'autres frissons sur sa peau que ceux offerts par la nuit qui l'a accompagnée jusqu'ici. Il ne cherche pas à la choquer, loin de ses invectives indélicates pour la faire réagir, ne fait que lui offrir le portrait cru de sa nature, enténébrée par des besoins toujours plus prégnants pour y enfermer ses blessures. Mais elle change ses paysages déformés, les plie à une nature plus sensuelle qui ne court pas à la destruction de soi ou des autres, inventant d'autres horizons dont il a toujours remis en doute l'existence. Les mots qu'elle a imposé à sa conscience dansent dans ses veines, et les siens il s'applique à les souligner sur son épiderme qu'il dévoile peu à peu, cherchant à chaque geste les signes de son assentiment, revenant à ses lèvres pour murmurer d'autres infinis sur sa langue. Il souhaite effacer la déraison, les stigmates de ses erreurs, redessiner l'harmonie qu'ils ont trouvé par hasard en provoquant une collision interdite qui prend ce soir les accents d'une effroyable fatalité.
Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Mar 22 Nov 2016 - 21:10 par Invité

« Te montrer à l'univers, le temps d'un éclair, puis m'enfermer avec toi, seul, et te regarder pendant l'éternité. » Barjavel, La Nuit des Temps.
james & isolde




Son émotion est une toile peinte de mille et une couleurs chatoyantes, aux nuances, aux reflets subtiles. Chaque respiration qu’il lui offre est une touche de plus rajoutée à la composition. Chaque tressaillement qu’il lui interdit reste dans l’attente d’être observé à son tour. Le seul regret qu’elle a alors est de ne pouvoir distinguer ses contrastes. De ne pouvoir lire dans son regard une émotion qu’elle ne peut qu’apprivoiser en surface, une partie de son être ne pouvant communier tout à fait au sien, ni lui répondre, dans la mesure où le miroir de son âme ne donnait à voir qu’un reflet imparfait à sens unique. Mais sa chair était si parlante sous ses doigts. Chaque pulsation était plus nette, plus accrue, exprimant dans un langage encore inconnu tout ce qu’elle ne pouvait voir se révéler au creux de ses prunelles dont elle ignorait les pigments. L’incertitude qui la taraude demeure. Mais doucement, ses mots la rendent plus sourde, lui insufflent un élan moins dévastateur. Un paradoxe quand l’on se rappelle tous les affronts, toutes les réponses acérées, toutes les joutes acharnées aussi. La conscience du choix qu’elle fait lui apparaît alors criant, dénaturé, mis à nu à l’unisson de cet homme qu’elle a l’impression de voir enfin pour la première fois sans pour autant savoir ce qu’il sera l’instant d’après. Et cet inconnu, cette perspective inconsciente d’ignorer ce qu’ils pourront être, étonnement, presque de façon ahurissante, la rassure. Ne rien attendre, ne rien espérer pour ne pas nourrir des craintes inutiles. Se laisser dériver dans le courant sans chercher à vaincre les remous et nager à contre sens. S’étendre, se complaire, s’enliser dans une insouciance fébrile quand le corps ne connaît que la conscience accrue d’une réalité mortifère. Cela semble grisant. Ça l’est. Elle les voit comme deux formes aux antipodes. Lui angulaire, elle circulaire. Deux figures géométriques dont les traits s’injurient, ne s’accordent pas, mais qui cherchent à s’imbriquer malgré tout, à rogner les angles, à aiguiser les courbes. Leur communion est un affront au droit commun, leur cohésion une insulte aux carcans moraux. Mais s’en soucient-ils ? Lui qui est dans le monde un électron libre dévastateur, elle qui n’a jamais accepté les règles qu’on lui imposait comme des évidences. Alors sa lèvre qu’il vient marquer de la pression de son pouce s’impatiente, se fourvoie, s’anime sous la douceur de sa bouche dont elle réapprend la saveur. Son souffle se perd, son souffle se donne, ses doigts se refermant autour de sa mâchoire, puis de sa nuque, pour ancrer son visage au sien et l’empêcher d’envisager des rivages trop lointains. Lentement ses entrailles renouent avec une sensation délicate, se tordent sous une chaleur nouvelle qui mène son corps contre le sien, cherche à en épouser les contours sans se soucier des entraves crées par ses vêtements et la tempête naissante qu’ils ont trop subis. Un léger sourire en demi-lune, presque imperceptible, vient éclairer ses traits alors que son nez trace un sillage sur sa joue. Ses paupières se ferment, ne se rouvrent que pour le suivre au travers de la pièce.

Dans la chambre, les intonations se modulent. La rage tempétueuse qui éclate au dehors, qui se nourrit dans la ferveur hostile d’un ciel aux lueurs perforantes, semble plus sourde, rendue à l’état de fond sonore quand la conscience de l’espace plus étroit vient les enfermer au creux de la souricière. Son visage étreint le vide, interroge l’espace dont lui semble craindre les réminiscences. A côté de son pied, elle sent quelque chose. Un livre, ou un magazine peut-être. Quant aux draps, ils sont imprégnés d’une odeur de nuits sans sommeils, de terreurs nocturnes sans fin. Tout revêt ce parfum qu’elle a déjà goûté sur sa peau, et qu’elle redécouvre entremêlé à des senteurs nouvelles, ambivalentes, qui trahissent des égarements et des abandons aux goûts plus néfastes. Son murmure vient la cueillir à l’orée de la conscience, alors que ses doigts glissent prudemment entre les siens, sa tête oscillant sur le côté pour apprécier la sensation de ses lèvres qui s’égarent au creux de son cou. Ses épaules s’inclinent, apprécient de se trouver allégée du poids de l’humidité de sa veste.  « Cet abandon est illusoire, tu le sais, n’est-ce pas ? Et chaque fois … La morsure du rappel est pire … Le retour toujours incertain … Et la souffrance plus terrible encore. » Son ton est calme. Pour une fois, il ne cherche ni à le juger, ni à le meurtrir. Il glisse simplement tel un songe sur l’enveloppe de sa conscience, se meut dans une réalité trouble qu’elle n’est pas sure de savoir apprivoiser sans fard. Pendant un instant fugace, elle se souvient de l’apaisement délicat, abyssal, qui vient avec la piqure de morphine. La chaleur qui enivre, apaise les douleurs, les rend d’une infinie douceur. Cette même chaleur qui vous plonge dans une léthargie silencieuse. Et en son sein, rien ne subsiste. Ni la haine, ni le ressentiment, ni le chagrin ou la torture des chairs qui se ressoudent. Le pire, c’est affronter la réalité lorsque les effets se sont dissipés, et que la douleur revient, fulgurante, éclair saillant qui tranche sans épargner. Alors l’envie de retrouver l’abandon devient irrépressible, viscérale. Elle pourfend les chairs, les rend encore plus sensibles qu’elles ne le sont déjà. Délicate torture qui apaise le corps et l’esprit pour mieux le confronter à des addictions nouvelles : celle de ne pas souffrir, d’effleurer du bout des lèvres cette paix intérieure si illusoire, mais devenue vitale. Isolde se saisit de l’aveu sans se résoudre à le détruire, sans réussir totalement à ignorer cette part d’elle-même qui comprend les délices de l’appel sans pour autant les accepter entièrement. Jamais elle n’aura caressé l’abandon chimique tel qu’il le connaît dans son sang. Jamais elle ne pourra concevoir, et consentir à une telle addiction. Mais elle ne le juge pas trop sévèrement. Sait que la sincérité dont il a fait preuve est crue, sans voilure, et sans mensonge. C’est ce qu’elle a quis de lui. L’absence de masques, de dérobades, de fuites, et de personnages.  Et ses lèvres se glissent contre l’homme, en apprivoisent les contours, se dérobant jusqu’à l’orée des cicatrices invisibles, jusqu’à ces veines meurtries et oppressées des assauts qu’il a mené contre elles pour se complaire dans l’abandon illusoire, dans la mélodie synthétique.  Avec prudence, elle avait soulevé son coude jusqu’à ses lèvres, en effleurant la pliure, refermant d’un souffle ce qui avait dû être trop de fois ouvert. « Pour une fois, on dirait que le temps a joué en notre faveur … » Elle lâcha son bras, le laissa retomber contre corps, retourna quérir ses lèvres quand les soubresauts de son corps se faisaient plus vivaces, et plus impérieux. Sa veste n’avait rien protégé du froid et de la pluie du dehors. Sa robe, détrempée elle-aussi, était une seconde peau sombre sous laquelle son épiderme se tendait, cisaillé tant par le froid que par le désir tempétueux de possession qui naissait au creux de ses reins.  A chercher son corps, à esquisser ses traits, à vouloir modeler ses envies aux siennes, elle en oubliait si elle tremblait de désir, ou d’un froid glacé légitime dont son corps prenait conscience en goûtant notamment à une chaleur nouvelle. Un long frisson lui traversa l’échine, glissant le long de son dos, lui faisant avoir un léger sursaut alors que ses mains brûlantes se heurtaient à sa peau glacée et humide. « Excuse-moi … Je tremble si fort … » Elle en rit presque, ses lèvres se fendant d’un sourire amusé, de constater que son corps n’en faisait qu’à sa tête, et protestait haut et fort des changements de température qu’elle lui imposait avec violence. « J’avais si peur de venir, et tellement envie d’oser en même temps … Je ne sais même plus combien de temps je suis restée dehors … » Au moins deux heures, si on comptait le temps d’errance inconsciente dans lequel elle s’était précipitée. Elle avait froid, un froid terrible. Mais il n’avait rien à voir avec celui qui l’avait enfermé dans ce théâtre, au creux duquel il l’avait cherchée. Sa conscience de l’instant était pleine, et entière. Elle ne faisait que subir, d’une façon touchante, et peut-être imprévue, les mécanismes naturels de l’enveloppe physique qui se déchaîne et s’injurie. Ses bras l’entourèrent alors, cherchant dans l’étreinte tactile à lui dérober sa chaleur pour la faire sienne. « Partage, un peu. » bougonna-t-elle dans un murmure à son oreille, mordillant légèrement sa lèvre inférieure, poussant l’affront en laissant l’instant suivant ses lèvres fébriles courir le long de son cou, dont la peau était plus brûlante ici qu’ailleurs. Partage cette chaleur qui t’habite, arrache-moi aux tremblements du froid qui s’animent comme ondes diffuses.




© ACIDBRAIN
Revenir en haut Aller en bas
James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
« Night of times. » Pv. James.  1542551230-4a9998b1-5fa5-40c1-8b4f-d1c7d8df2f56
» Date d'inscription : 30/09/2016
» Messages : 527
» Avatar : Matthew Bellamy
» Âge : Trente six ans
» Schizophrénie : Nope.
() message posté Mer 23 Nov 2016 - 0:56 par James M. Wilde



« Te montrer à l’univers, le temps d’un éclair,
puis m’enfermer avec toi, seul,
et te regarder pendant l’éternité »
- Barjavel, La Nuit des Temps

Isolde
& James





La réponse se love dans le creux de son oreille, se niche sous sa peau et y trouve une place de choix, comme tous les mots qu’elle sait lui confier en cette nuit si particulière. Il n’y décèle aucune morale égarée, aucun jugement pontifiant quant à sa conduite, uniquement le constat d’une vérité qu’il connaît dans les défilés torturés de son corps. Sa phrase appelle la valse de souvenirs si anciens qu’il ne sait exactement de quelle matière ils se constituent, sont-ce des bribes, les irréels de sa mémoire parfois amochée par ses excès, ou encore des idées forgées à la suite de sensations qui ont su se graver en son esprit ? Il se souvient de la première fois, du premier rail de coke qui a palpité aussitôt dans son sang, le naufrage de toute complaisance à la mélancolie, le galop incessant de plaisirs vifs, ciselés dans sa tête comme autant de merveilles dénichées et qui ne semblaient avoir de valeur qu’à ses seuls yeux, et surtout l’éveil d’une inspiration sans borne, des heures d’une nuit blanche à entendre enfin la musique palpiter dans ses veines, à penser par elle, à l’écrire sans qu’il n’y ait de freins ou encore de renoncement. Qui lui avait donné ce sachet ? Impossible de se souvenir, il sait qu’il en a partagé le contenu mais les échos se bloquent, ne veulent absolument pas réveiller les fantômes qui ne tarderaient pas à venir gâcher l’instant qu’il partage dans d’autres bras. Puis… après le fracas de toutes les barrières abaissées une à une, il se rappelle l’après, l’horreur de la première descente, celle qui vous laisse à trembler comme si le corps n’était plus qu’une ruine ravagée par des titans qui continuaient de l’excaver pour la réduire en poussière, encore, et encore. Une douleur physique conjuguée à celle de l’esprit qui se met à hurler, à chercher une issue, n’en trouvant aucune si ce n’est en laissant courir l’imaginaire dans des dénivelés tortueux, aux images arrachées aux enfers, ouvrant certaines portes sur des folies jusqu’alors soigneusement confinées. Il n’a appris que bien des années plus tard, quand son monde fut véritablement embrassé au néant, que l’injection d’héroïne pouvait apaiser la folie, mais provoquait ensuite une apathie terrible, qu’il fallait contraindre à grand renfort de cocaïne, le cycle ininterrompu d’une dernière valse à l’ode de la perdition. Un cycle dans lequel il tente de ne jamais retomber, s’autorisant de poser ses lèvres sur les plumes des envolées sans y corrompre entièrement son souffle et sa fièvre. Un jeu dangereux, celui d’un équilibriste qui cherche un jour à tomber. Mais pas ce soir… Pas ce soir. Sa langue court sur sa peau comme une réponse sensuelle. Si elle savait à quel point ses mots sont justes, mais s’appliquent également à ce qu’il ressent vis à vis d’elle. La chimère de l’abandon de tous les souvenirs qui la comptent déjà comme entité maîtresse, et le déchirement du rappel dans sa chair, à chaque fois qu’il se laissait glisser dans le sommeil, et qu’il goûtait de nouveau les affres de son corps, et ses gémissements contre sa peau. Alors il répond, ponctuant les mots de baisers qui se muent en morsures délicates :
_ Je n’en ai jamais été aussi conscient… qu’à cet instant précis. La cruauté d’une envie… insérée jusqu’à griffer les nerfs et les os… Je ressens cela souvent… Tout le temps…

Son être est perdu dans les addictions et elle en fait dorénavant partie. Une addiction dont il ne voulait pas au départ, la jugeant indomptable, n’en mesurant ni les contraintes, ni les effets, mais à laquelle il ne peut que succomber. Ses mots échouent dans le creux de son cou, ses doigts remplacent ses lèvres alors qu’il cherche à l’observer, se repaissant de son image et combattant la cruauté de cette envie dont il vient de parler à l’instant. Il y a tant de déchaînements qui se jouent de lui, à projeter dans ses yeux l’absolu de sa peau contre la sienne, à glisser des images de subjugation presque violente, pour étancher ce désir qui palpite déjà sans dissimulation aucune, alors que leur étreinte se resserre, qu’il lui faut atténuer la folie de son souffle, mater un instant le désir pour ne pas s’y laisser immédiatement consumer. Alors il la regarde, comme l’on observerait de loin les atours tentateurs d’une oeuvre dérobée que l’on réserve au seul plaisir de ses prunelles, il veut connaître tous les secrets que sa peau souhaite lui révéler, emporter tous les serments et les confondre à ses gestes. Son corps une partition, les frôlements de ses doigts la mélodie lente et dévorante, avant que la symphonie ne résonne jusqu’à son âme. Il la laisse gracier les traces invisibles de ses manques et répond à sa phrase en fascinant le temps qu’elle invoque dans un baiser langoureux, maîtrisé, alors que leurs corps cherchent à se passionner. Les soubresauts du sien réveillent tous les appétits qu’il maintient à l’orée de sa conscience, sa main vient se poser dans la délicate chute de ses reins pour provoquer d’autres sursauts en glissant son corps contre le sien, le tissu rêche de son jean communiant au tissu soyeux alourdi de sa robe, cette robe rouge qui le nargua quand il s’épanchait au piano. Tout semble pourtant si lointain, il a l’impression d’usurper les souvenirs d’autres personnes, ne se reconnaît presque plus dans les tortures de cet esprit mis à nu sur la mélodie, la peur de l’éloignement brisée maintenant qu’il la tient tout contre lui. L’évidence rend ses lèvres plus avides à présent, la main remonte la rivière de la robe, trouve l’attache et la descend avec une lenteur étudiée, délivrant la peau qu’il convoite, les doigts recouvrant les accents de son épiderme, bientôt traversé par un tremblement éloquent. Il l’entend s’excuser, et délivrer ses lèvres dans un sourire qu’il imite bientôt, gagné par ce sentiment de pouvoir se découvrir sans risquer pour autant de s’oublier dans le jugement d’autrui. Il embrasse le bout de son nez :
_ Tu es glacée…

Elle lui avoue avec tant de candeur l’envie qui l’a précipitée dans la nuit, à déchaîner la pluie sur sa peau sur un chemin semé de doutes qu’il avoue avec tout autant de franchise l'ineffable qui l’a traversé dès qu’elle est apparue sur son seuil :
_ Tu ne peux pas savoir ce que j’ai ressenti quand je t’ai vue.
Il ne parviendrait pas à lui peindre ce mélange de hantise et de trouble, de passion délivrée et de peine mêlée, et les prémices de cette joie qui lui est si étrangère, qu’il ne sait même plus l’appréhender correctement. Alors pour le lui dire, il l’étreint de cette même passion décuplée, et d’un seul geste, déleste la robe de son corps, la laissant retomber en corolle, rouge sombre sur la moquette vierge. Le présage de leur union ténébreuse tant elle ne devrait pas être, la lumière même semble s’y confondre, dessinant des ombres sur leurs corps dénudés. Ses doigts courent à présent sur sa peau, et lorsqu’elle s’accroche à lui, l’invite à la danse, ses mots au défi et ses lèvres sur sa jugulaire, il cherche à les enflammer de concert, ses gestes plus tentateurs et indiscrets.

Revenir en haut Aller en bas
Anonymous
Invité
Invité
() message posté Jeu 24 Nov 2016 - 21:19 par Invité

« Te montrer à l'univers, le temps d'un éclair, puis m'enfermer avec toi, seul, et te regarder pendant l'éternité. » Barjavel, La Nuit des Temps.
james & isolde




La confession est brutale, mais conjuguée à ses baisers, elle revêt une douceur nouvelle. Et l’aveu dévoilé sans honte ni violence devient moins amer, moins assassin. Si elle ne cautionne pas ce genre de travers, au moins l’accepte-t-elle momentanément, perd-t-elle le courage de le contredire tout à fait dans ses élans pernicieux. Elle a presque mal au fond de savoir, de comprendre qu’elle ne pourra sans doutes jamais l’arracher totalement à ces abandons chimiques, à cette montée d’adrénaline illusoire qui pouvait certes aider à créer, mais qui surtout détruisait l’âme du créateur. Ayant abandonné le long d’un rivage incertain son envie de l’agonir, de rendre ses torts plus criant encore, son esprit retors ployait le dos dans l’étreinte, avait envie de se soustraire à ses ombres pour faire renaître les siennes dans une même danse. Mais l’appel du souvenir était toujours présent, toujours criant. Elle ne culpabilisait pas de l’embrasser, mais ne se pardonnait pas non plus d’y trouver un tel plaisir, comme s’il savait exactement où nicher ses lèvres, comment les fendre pour l’enivrer tout à fait. Comme si sa chair était d’une étoffe qu’il connaissait déjà par cœur, alors même qu’ils n’avaient eu qu’une occasion illusoire de se découvrir. A cette seule pensée, la morsure du froid était devenue plus grande encore, et s’était mêlée à une autre morsure. Celle du métal, de l’anneau d’or suspendu à son cou qu’il venait de mettre à nu. Elle ne le portait pas la dernière fois, l’avait abandonné au profit de l’esthétisme mondain qui trouvait peu gracieux de porter une alliance en pendentif sur une robe de soie délicate. Les perles étaient plus appropriées lui avait-on murmuré … Et dans la lassitude, elle avait fini par abdiquer. Cette fois-ci, une partie de son esprit était ancré à la surface délicate de ce bijou. De cet anneau gravé dans sa chair, qui rappelait à son corps les serments qu’il avait fait à un autre. Comme s’il était une relique étrange, agrippé à son cou dans un élan possessif, et qui lui insufflait des souvenirs auxquels elle aurait pu succomber. Mais alors que la présence de James subjuguait sa conscience, elle parvenait à abandonner cette autre présence. Pendant un instant suspendu, presque invisible à qui ne sait voir, alors qu’il dégrafait les attaches de sa robe devenue trop lourde à porter, ses doigts avaient passé autour de son cou la chaîne, la laissant retomber sur le sol doucement avec sa consœur comme s’il s’agissait d’un vêtement à part entière. Isolde s’abandonnait à sa seule présence, comme dans les obscurités tapies de ce théâtre, décidait de se vouer à lui sans détours. Elle s’affranchissait, glissant contre lui en repoussant, même momentanément, ce qui aurait pu la happer autre part, avec cette envie de murmurer dans le vide un : Laisse-moi oublier ta présence, laisse-moi sortir de ton joug, car tu n’existes plus dans la même matière, car tu n’es plus que le pâle reflet d’un souvenir sans chaleur. Car si je t’appartiendrais toujours, je veux pouvoir me donner, appartenir encore, à qui pourra m’envelopper d’une réelle chaleur.  

Sa peau enfin délivrée de toutes barrières, les accents du froid se mêlent à ceux plus tortueux qui s’étendent comme ondes diffuses alors qu’il la touche, qu’il apprivoise ses contours avec une avidité renouvelée. Elle se surprend à constater que malgré les tremblements glacés, malgré sa peur évanescente d’être happée ailleurs, son esprit et son corps lui répondent sans hésiter, veulent appréhender son trouble et son enveloppe tous entiers sans honte. Alors elle s’accroche, s’agrippe à ce corps aussi tourmenté que le sien, y puise une chaleur qui naît peu à peu sous les sillons tracés par ses doigts, dont certains sont rendus légèrement rugueux à cause d’une pratique accrue du frôlement des cordes.





© ACIDBRAIN
Revenir en haut Aller en bas
James M. Wilde
James M. Wilde
MEMBRE
« Night of times. » Pv. James.  1542551230-4a9998b1-5fa5-40c1-8b4f-d1c7d8df2f56
» Date d'inscription : 30/09/2016
» Messages : 527
» Avatar : Matthew Bellamy
» Âge : Trente six ans
» Schizophrénie : Nope.
() message posté Ven 25 Nov 2016 - 19:26 par James M. Wilde



« Te montrer à l’univers, le temps d’un éclair,
puis m’enfermer avec toi, seul,
et te regarder pendant l’éternité »
- Barjavel, La Nuit des Temps

Isolde
& James







L'éclat de l'affranchissement de ses chaînes, le fer de l'anneau abandonné dans les plis de la robe. Un éclat subrepticement imprimé sur sa rétine, sans que le secours de ses pensées emmêlées aux tumultueux désirs ne puisse complètement l'analyser. L'ombre d'un autre est encore incertaine, et s'il le sait, jamais il n'en a encore parlé, dans l'absence d'occasion ménagée par la peur de donner une soudaine matérialité ténébreuse à un passé avec lequel ils bataillent sans cesse, l'un et l'autre. Les âmes moribondes sont trop pesantes, les gestes se renouent dans une ferveur déjà connue par coeur, mais pourtant si différente dans sa mémoire. Ces gestes il les a tracés sur d'autres rives enflammées, ces même gestes qu'il a pris tant de peine à ensuite bannir de son commerce glacé dans des bras qui n'étaient plus que les projections de toiles mortifères, où règne en maître un plaisir si solitaire alors que deux corps se rencontrent. Mais elle lui donne de nouveau les clefs du langage repoussé, peint les envies qu'il ressent palpiter dans son être qui se laisse bercer dans les feux d'une résurrection violente. Elle lui donne les mots et il les répète sur sa peau. Elle lui susurre l'évanescent plaisir du partage et il le modèle pour le rendre dévorant. Le pouvoir qu'il maintient sur toutes les âmes qui se baignent à ses noirceurs, ce pouvoir pervers qu'il assoit pour se dérober à autrui, et exister dans les silences des non-dits, elle le lui ôte, à chaque fois qu'elle réclame ses lèvres, à chaque fois qu'elle caresse sa peau, à chaque mot qu'elle oppose à ses discours. Il le lui abandonne sans renâcler, avec un naturel qui le laisse perdu dans un état de conscience inaltérable, vulnérable au point de tout lui dire, tout lui avouer, ces aveux brûlants que ses lèvres et sa langue savent tracer. Lui dire que le lien est viscéral, forgé dans l'angoisse de la perdre, dans les sentiments qu'elle nourrit sans même l'envisager, dans cette demande de dévoilement qu'elle impose depuis les premiers mots. Et pourtant tout ce qu'elle prend, tout ce qu'elle arrache à ciseler des souffrances auxquelles il se voue tout entier, elle le lui rend, lorsque son corps ploie contre le sien, lorsque la danse s'exécute sans qu'elle ne puisse se refuser, lorsqu'elle se donne aussi, dans l'absolu du corps déshabillé, et des esprits sans fard. Vulnérable et toutefois jamais aussi persuadé de devoir céder, James l'accompagne autant qu'il sait la suivre. Sur sa bouche il recouvre les accents de la douceur abandonnée à une brutale échappée, sur ses lèvres il redécouvre son humanité. Et enfin se vouer à un autre que lui...


Revenir en haut Aller en bas
Contenu sponsorisé
() message posté par Contenu sponsorisé
Revenir en haut Aller en bas
Voir le sujet précédent Voir le sujet suivant Revenir en haut
London Calling. :: It's over :: Corbeille :: Anciens RP
Aller à la page : 1, 2, 3  Suivant
» Help, I have done it again i have been here many times before + lisas
» (ulysse) just like in the old times.
» times up (victor)
» Wasted Times. (Maiza)
» First kiss 'n old times ft Maura

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
-