Je ne suis pas un vestige de ton passé [Rory]

Parfois j’avais l’impression que le destin, le monde, l’univers, la personne là-haut qui dirige tout, me faisait des signes. A compter que tout ceci existe. J’étais plutôt forte pour rejeter la faute sur tout sauf sur moi. Je n’arrivais pas à admettre que je faisais des obsessions sur certaines choses et je croyais plutôt que c’était le ciel qui me forçait à y penser. Oui, un peu maso, un peu folle. Un peu perdue surtout. Mais quelque chose voulait que je m’en veuille, voulait que j’en souffre indirectement, comme une nouvelle punition. Ou alors comme une chance de me rattraper.
La chose était la suivante. Soren était mort à l’automne dernier. Soren avait perdu la vie à dix sept ans. Et c’était moi qui conduisais le soir de sa mort. Il était dans ma voiture quand il a cessé de vivre. Et même si j’avais décidé à partir de ce moment là de vivre pour lui, de ne pas m’apitoyer sur mon sort, il était toujours là, dans mes pensées. Je pensais toujours à lui, je me sentais toujours coupable. Il me manquait toujours et me manquerait sûrement jusqu’à la fin de mes jours. Mon petit frère était mort à cause de moi, et malgré tous les sourires que je pourrais afficher, tous les rires qui pourraient sortir de ma bouche, il me manquerait toujours une partie de moi. Il me manquait une partie de moi depuis l’accident.
Et j’avais croisé quelqu’un qui lui ressemblait comme deux gouttes d’eau.
Cette personne lui ressemblait tellement que je n’avais pas pu résister à l’envie de lui parler, je n’avais tout simplement pas pu me contenir. J’avais pensé un moment que l’enterrement de mon petit frère n’était qu’un leur, qu’il était là, bien vivant, en chair et en os à Londres, et non sous deux mètres de Terre à Édimbourg. C’était frappant, étonnant, flippant. Ca me faisait mal. Mais en même temps tellement de bien, de voir un visage qui ressemblait à celui de Soren. Parce qu’il me manquait. Alors c’était peut-être une obsession malsaine, quelque chose que mon inconscient avait monté de toute pièce, mais ce type ressemblait à Soren. Et je ne pouvais pas résister à l’idée de voir ce type. Micah, il s’appelait Micah. Mais pour moi, c’était un semblant de Soren.
J’avais alors envoyé un message à Micah pour qu’on se voit. Il était au courant de la situation, mais ce qu’il en pensait : je m’en fichais royalement. J’avais besoin de voir le sosie de Soren. C’était malsain oui, de s’accrocher à quelqu’un qui ressemble à son frère disparu, mais je ne pouvais pas y résister. Par moment, je me demandais si je réalisais que Micah n’était pas mon petit frère.
Micah avait dit oui.
Alors j’avais sécher un de mes derniers cours, juste pour le voir, prendre un café, profiter d’un moment volé avec le sosie physique de Soren.

Quand j’étais arrivé, j’étais vêtue d’une longue jupe grise, fendue sur la jambe gauche, et d’un tee shirt noir. Rien d’extravagant. Je n’avais pas ressentie le besoin de me rendre particulièrement désirable. Micah restait le sosie de Soren. Soren était mon petit frère.
On se salua et il me conduisit à une table. Parfait gentleman. Encore une fois, mon esprit m’alerta : ce n’était bien que le sosie physique de mon petit frère. Ouais, faut pas se mentir, Soren et la galanterie n’était pas copain. En même temps, c’était un adolescent.
« J’espère que le lieu ne te dérange pas, Rory. Sachant que tout Londres te voit tous les jours, peut-être que tu préférerais un endroit plus calme ? Au pire, je jouerai les gardes du corps… »
Je lève les yeux au ciel et souris. Je ne peux m’empêcher de me redire, encore une fois, que Micah n’était bien que le sosie physique de Soren. Sa voix à lui est plus mature, plus dure. En même temps, il a presque dix ans de plus que Soren.
Sa remarque fait bien évidemment référence à la campagne pour des sous-vêtements que j’ai faite pour gagner un peu de sous. Oui, je suis placardée partout dans Londres, dans les magasines, peu vêtue.
« Ah… Tu sais, je ne suis pas sûre que tout le monde me reconnaisse, je ne suis pas une star après tout. Et sincèrement je doute que ça soit mon visage qu’il regarde sur cette publicité. »
Je suis réaliste après tout.
« C’est sympa ici t’inquiètes on peut rester et si on vient m’harceler, tu pourras réaliser ton rêve de devenir garde du corps »
Alors qu’il me tend la carte, je ne peux m’empêcher de le regarder. C’est impressionnant. Soren, en un peu plus âgé. Les mêmes petits yeux, les mêmes lèvres. C’est flippant. Et je suis prise d’un élan de culpabilité.
« C’est moi qui t’invite »
Comme si ça allait changer quelque chose. Comme si ça allait me soulager.
A vrai dire, je ne sais pas trop quoi lui dire. Je ne fais que me donner l’illusion que c’est Soren. Je ne suis là que pour « profiter de la vue » pour ainsi dire.
« Pas trop bizarre d’être un sosie ? »
Ferme la Rory. Apprécie juste le fantôme que tu vois.