Appel de Kaspar à Chandler (1)

C'était bien vide. L'appartement avait déjà commencé à accueillir les affaires d'Ivana et des affaires de bébés commençait à apparaitre par ci par là. Ivana n'était pas encore installée et ce soir, je serais tout seul. J'en avais profité pour envoyer un message à Chandler, afin de savoir si je pouvais l'appeler, ce à quoi elle a répondu à la positive.

Je regardais mon téléphone, inspira profondément et cherchais son numéro dans mes contacts. Mes mains tremblaient. Ce n'était pas de la peur à vrai dire, mais de la nervosité. Pas d'avoir Chandler au téléphone, non, mais de ce que je comptais lui dire.
Finalement, j'entendis la voix de ma soeur répondre. Je toussotai pour m'éclairer la gorge et même si elle ne me voyait pas, je me frottai l'arrière de la tête pour me calmer.

"Chandler? Eum.. tu es sure que je ne te dérange pas?" dis-je d'une voix timide qu'on ne me connaissait pas. "Je t'appelle parce que... j'ai peur."

Silence. Même si elle ne le voyait pas non plus, je m'étais mis à rougir. J'avais dis tout ceci d'une voix gênée, parce que je l'étais.

Chandler avait dut trouver une solution de secours le temps de retrouver un appartement: s'incruster chez Kaspar n'était pas possible, surtout après le savon d'Ivana qui était bien plus effrayante qu'il n'y paraissait et squatter chez Fred n'était même pas envisageable. Après toutes ces émotions, elle voulait qu'ils prennent leur temps, agir comme un vrai couple qui s'assume avant de se lancer dans quoi que ce soit. Encore une fois, cela n'avait pas été dit à voix haute, mais Fred semblait du même avis: après lui avoir proposé de rester chez lui le soir de leur retour, il n'avait émis aucune objection à ce qu'elle parte chez une amie le temps de retrouver une colocataire. De retour, donc, chez sa première amie qui l'avait hébergé à Londres, Chandler paraissait sur le canapé devant un épisode d'une série à la con, envoyant des textos à Fred qui passait la soirée chez Noah. Son téléphone vibra une fois de plus. Kaspar. Un sourire eclaira son visage et la jeune femme se hâta de lui répondre, le taquinant comme à son habitude. Cinq minute plus tard, l'appel de son meilleur ami lui permit de s'arracher au vidage de cerveau du programme télévisé. « Ici la merveilleuse et magnifique réincarnation d'Aphrodite ...  » dit-elle en riant. « Chandler? Eum.. tu es sure que je ne te dérange pas?» Chandler sourit, confirmant sa pleine disponibilité d'un petit Hum Hum « Je t'appelle parce que... j'ai peur.» La blonde haussa le sourcil, surprise. Peur ? De quoi donc ? « Jt'ai dis que je pouvais rien pour les araignées dans ton appart, K. » tenta-t-elle, le coeur serré par la petite voix de son frère de coeur. « Que se passe-t-il loulou ?  » demanda--t-elle, effrayé à l'idée que Kaspar soit en mauvaise posture. Il fallait être pret en toute circonstance pour planquer un cadavre !

La voix de Chandler me réconfortait. Sa bonne humeur aussi! Sa petite blague en début de conversation m'avait arraché un sourire sans que je m'en rende compte. Je n'étais pourtant pas triste, du moins, pas que je sache, ni même en colère. Juste inquiet et très nerveux.

« Jt'ai dis que je pouvais rien pour les araignées dans ton appart, K. »
- Les araignées?

Oh, si ce n'était que ça! J'aurais pu aussi être effrayé à l'idée que des fantômes viennent hanter ma chambre et me tourmenter toute la nuit, mais c'était très loin ça aussi. D'ailleurs, j'étais assez fou pour aller demander des autorisations afin de me balader dans des endroits un peu louche, mais c'était une autre histoire. Je ne savais pas si Chandler avait remarqué mon anxiété dans la voix, toujours était-il qu'elle me demanda ce qu'il se passait.

"J'ai peur de pas assurer Chand'... Tu sais, 'elle' sera bientôt là."

Je ne parlais pas d'Ivana bien entendu, parce que l'idée de vivre avec elle ne me posait absolument aucun problème. Non, je parlais de celle qui allait bientôt sortir du ventre d'Ivana. J'avais encore du mal à dire "ma fille".

"Et plus le temps passe, plus je me pose des questions sur... moi et tout ça... c'est ridicule parce qu'à ce stade là, ce devrait être plutôt l'inverse..."

Mais en fait, plus le moment probable de la naissance approchait, plus je me projetai et plus je réalisais que ma vie n'allait plus jamais être la même.

La jeune femme ne pouvait s'empêcher de paniquer quand il s'agissait de Kaspar: ils avaient tant partagé durant toute leur vie que la blonde avait l'impression qu'il était une part d'elle même. Elle le connaissait par coeur, il la connaissait tout autant. Ils n'avaient aucun secret l'un pour l'autre. Pourtant, ce que Kaspar s'apprêtait à vivre, Chandler ne pouvait le comprendre. Elle avait beau se montrer à l'écoute, elle avait constamment l'impression de prononcer des paroles vides de sens. « J'ai peur de pas assurer Chand'... Tu sais, 'elle' sera bientôt là.» C'était bien ce qu'elle craignait. L'imminence de sa paternité provoquait une vraie prise de conscience chez le brun. La jeune femme se redressa, s'asseyant sur canapé, écoutant les paroles de son frère de coeur. « Et plus le temps passe, plus je me pose des questions sur... moi et tout ça... c'est ridicule parce qu'à ce stade là, ce devrait être plutôt l'inverse...» Même si Kaspar ne pouvait pas la voir, Chandler acquiesça: elle comprenait ce qui l'effrayait. Cherchant ses mots, elle finit par inspirer profondément: elle ne voulait rien dire qui empire la situation de son ami. «C'est normal d'être effrayé. Mais tu sais ... Je pense que tout ça ... C'est juste le départ d'une nouvelle vie. » Le passage à l'âge adulte se faisait de manière plus brutale pour lui que pour le reste de leur groupe d'ami. Certes, elle était loin de devenir mère - grand dieu ! - mais la paternité de Kaspar la faisait se remettre en question également. Elle qui détestait les enfants s'était surprise à en trouver quelques uns mignon ... Pire ! Elle avait commencé à se demander à quoi pourrait ressembler les enfants qu'elle aurait avec Fred. Suite à ça, elle s'était giflée mentalement et avait été faire la fête avec son amie pour oublier toutes ces pensées dérangeantes. «Et puis ... Je serais toujours là. Hein ? Tu te souviens ? Toi et moi, pour toujours ! Je viendrais vous aider à changer les couches ! » ajouta-t-elle dans un petit rire.

A m’entendre dire, je me sentais parfaitement idiot. Parce que je m'étais longtemps persuadé que je pouvais le faire et que ça n'était pas insurmontable. Que si certains pouvaient le faire, alors moi aussi. J'étais même content que ça arrive, bien que j'aurais tout de même préféré que ça se fasse plus tard, évidement. Sauf que j'observai aussi les parents, que ça soit dans la rue ou bien à la télévision et j'étudiais attentivement la façon dont ils procédaient pour élever leur progéniture. C'était beaucoup de travail, forcément, et avoir un enfant signifiait changer ses habitudes, son mode de vie. Dans un sens, j'étais habitué à ça. Avec tout ce qui avait pu m'arriver, le décès de grand mère, la rue, la rencontre avec Nate, l'Egypte, la banque... il m'arrivait tout plein de chose qui faisait que je m'adaptais rapidement. Mais Ivana? Je voyais bien qu'elle n'était pas encore rassurée avec ça. Et, en plus d'être craintif, je me rendais compte à quel point je pouvais être égoïste. Même si nous avions pris ensemble la décision, j'avais quand même imposé ma volonté.

« C'est normal d'être effrayé. Mais tu sais ... Je pense que tout ça ... C'est juste le départ d'une nouvelle vie. »
- Tu crois que je vais y arriver?

Je m'étais fait la promesse de m'occuper d'une grande partie de l'enfant. De faire en sorte à ce qu'Ivana se repose, puisqu'elle avait enduré la grossesse neuf mois durant. Je me préparais mentalement à cette épreuve. Et pour cause, j'avais commencé à faire du jogging le matin. Pire, à exécuter quelque chorégraphies via des cours sur youtube ou ce genre de conneries là. Même avec le yoga. Le sport m'aidait à me sentir un peu plus fort, que ça soit physiquement ou mentalement. Je vais y arriver, il le fallait.

«Et puis ... Je serais toujours là. Hein ? Tu te souviens ? Toi et moi, pour toujours ! Je viendrais vous aider à changer les couches ! »
Je me rappelai de ce qu'Ivana m'avait dit, par rapport au fait qu'on sera seul au début ou quelque chose comme ça. Qu'on allait pas embêter nos proches avec ça. Ça n'a jamais été aussi vrai.

"Je.. tu sais, j'ai pas envie de te déranger avec ça tu sais. Il faut que j'assume jusqu'au bout."

Bon même s'il s'agissait de services exceptionnels, mais quand même. Je me voyais mal confier la garde de la petite à peine deux semaines après sa naissance. Cela dit, j'appréciais le fait que Chandler le propose. Cela vérifia ce que j'avais aussi dit à Ivana : on était pas seul, et les amis ça servait à ça, à vous aider dans les moindres circonstances.

"Tu... on se verra quand même, hein?"

Ce que je signifiais par là, c'était que je craignais aussi qu'on nous mette à part pour tout ce qui est "problème" ou des trucs comme ça. Je voulais dire, si par exemple Chandler avait des choses à dire, à se confier, si quelque chose lui arrivait comme ça lui était arrivé cet été au point d'être très triste, j'avais peur qu'elle ne me le dise pas parce que je serais "trop occupé avec le bébé". En gros, j'avais peur de l'éloignement avec elle, que notre relation si soudée se mette à changer. C'était une chose qui m'effrayait VRAIMENT.

Pour une raison qu'elle ignorait, Chandler était certaine que les quelques mots qu'elle venait de dire ne suffirait pas à rassurer Kaspar. Elle en eut la confirmation presque immédiatement. « Je.. tu sais, j'ai pas envie de te déranger avec ça tu sais. Il faut que j'assume jusqu'au bout.» La jeune femme soupira. Comment pouvait-il penser cela alors qu'il avait parcourut des milliers de kilomètres pour aller la chercher à Chicago ? Alors que sa copine était enceinte jusqu'au cou ? Tout ça parce qu'elle avait fuit à cause d'un chagrin d'amour ? Elle allait lui passer un savon ! Lui faire passer l'envie de croire qu'elle le laisserait tout seul dans cette épreuve. Il allait passer un sale quart d'heure ce sale petit ... « Tu... on se verra quand même, hein?» La blonde hoqueta de suprise. De mieux en mieux ! «Nan mais qu'est-ce que tu crois ? » Commença-t-elle à râler alors que sa patience menaçait d'imploser et de rappeler au brun tout ce qu'il avait fait pour elle - et inversement. «K. Tu es la seule famille que j'ai ici ! Est-ce que je t'ai une seule fois laissée tomber ? » Un panneau lumineux mental clignota dans sa tête lui rappelant ce qu'elle avait fait de son été. «Enfin ... Ce que je veux dire, c'est que c'est pas parce que tu vas avoir un enfant que ça changera quoi que ce soit.  »

Je sentis à la voix de Chandler qu'elle était en colère, du moins, si ça n'était pas de la colère, c'était quelque chose qui y ressemblait. Ca m'a surpris à premier abord, parce que jusqu'ici, je n'avais visualisé que moi et il se trouvait que j'avais perdu toute confiance en moi. J'étais sur de rien, et j'avais perdu tous mes repères.

« Nan mais qu'est-ce que tu crois ? »

Je sentis l'adrénaline me monter la colonne vertébrale sur le ton de sa voix. C'était une évidence pour elle, mais pour moi, non.

« K. Tu es la seule famille que j'ai ici ! Est-ce que je t'ai une seule fois laissée tomber ? » poursuivit-elle.
Et là, silence radio. « Enfin ... Ce que je veux dire, c'est que c'est pas parce que tu vas avoir un enfant que ça changera quoi que ce soit.  »

"Tu promets?"

Dès lors, je me mis en position du fœtus. Ce n'était pas tant sa réaction que je redoutais, mais j'étais sur le point de craquer, moi. Après toute cette attente, il avait fallu que je fonde au dernier moment. Je ne pleurais pas, mais je sentais les yeux et le nez me piquer.

"Je vais raccrocher... c'est peut être mieux. Pardon de t'avoir dérangé inutilement. Et merci.. On se reparle demain, hein?"
Déjà quelques larmes s'étaient échappées de mes yeux.

 « Tu promets?» Elle arqua un sourcil, ne comprenant pas vraiment où il voulait en venir. Il eut un bruissement de tissus qui la fit grimacer en raison des grésillements que cela provoqua dans le micro.  «Mais oui bien sur que je te promets ! K, qu'est-ce qu ...  » « Je vais raccrocher... c'est peut être mieux. Pardon de t'avoir dérangé inutilement. Et merci.. On se reparle demain, hein?» Elle n'eut pas le temps de finir sa phrase. Kaspar agissait étrangement. Depuis leur retour, elle avait l'impression que son frère de coeur était sur une autre planète: elle espérait que les retrouvailles avec Ivana n'avait pas été aussi mouvementé que les siennes mais elle ne comprenait pas pourquoi il semblait à l'ouest. «Enfin ... Ce que je veux dire, c'est que c'est pas parce que tu vas avoir un enfant que ça changera quoi que ce soit.  » Elle poussa un cri qui ressembla vaguement à un mugissement alors qu'elle se leva, montrant inutilement son mécontentement puisqu'il ne pouvait la voir.  «T'avises même pas de raccrocher sans m'avoir expliqué ce qu'il  se passe dans ton esprit tordu ! JE suis peut être une vile smoothie qui t'as abandonné - et je m'en excuse encore - mais me fais pas le Smoothie lâche !  »

Pourquoi étais-je si mal d'un coup? La solitude? Le stress? Un mélange de tout ça? Je n'aurais peut être pas dû appeler Chandler. Je ne savais pas trop à quoi j'amenais la conversation en faisant cela, ni même ce qu'elle pensait. Je voulais juste du réconfort, mais je ne savais même pas comment en obtenir véritablement. J'étais tout seul dans mon appartement et peut être qu'au final, je n'aurais pas dû l'être. Mais c'était idiot de penser ainsi. Il fallait que je grandisse, que je me renforce davantage, que je sois moins puéril. Il en demeurait pas moins qu'être ainsi, ça me rendait très seul. J'avais pourtant passé de nombreuses années à l'être et je m'y étais habitué, mais ça n'empêchait pas que là, de suite, c'était difficile. La nervosité n'arrangeait rien à la chose d'ailleurs.

« Enfin ... Ce que je veux dire, c'est que c'est pas parce que tu vas avoir un enfant que ça changera quoi que ce soit.  » entendis-je Chandler dire pile avant que je lui raccroche au nez. Je ne le fis pas, en revanche, je demeurais parfaitement silencieux.

«T'avises même pas de raccrocher sans m'avoir expliqué ce qu'il  se passe dans ton esprit tordu ! JE suis peut être une vile smoothie qui t'as abandonné - et je m'en excuse encore - mais me fais pas le Smoothie lâche !  »

"... je sais pas ce qui se passe. Un coup de blues peut être, j'en sais rien. Je me sens triste alors qu'il n'y a aucune raison valable que je le sois. Je dois faire une mauvaise passe..."

Accroupi contre le mur, je regardais la porte d'entrée.Je la fixai comme si je m'attendais à voir quelqu'un débouler d'une minute à l'autre. Je ne savais pas qui, Ivana peut être, Chandler, Fred, Nate, Luna, Noah, Jonah, le fantôme d'Abyaëlle, un ou une inconnue... peu importe.

"Je crois que je me sens seul."

En fait, c'était même sur.

« .. je sais pas ce qui se passe. Un coup de blues peut être, j'en sais rien. Je me sens triste alors qu'il n'y a aucune raison valable que je le sois. Je dois faire une mauvaise passe...» Un rire silencieux s'échappa des lèvres de la blonde dont les épaules se secouaient en rythme alors que l'image d'un Kaspar portant le ventre d'Ivana entrait dans son esprit. Vision ô combien traumatisante qui ne la quitterait - et elle l'ignorait encore à ce moment là- pas avant quelques années. Après tout, ne dit-on pas que ce sont les femmes enceintes qui sont sujettes aux sautes d'humeur ? « Je crois que je me sens seul.» Son rire se stoppa. Entendre la petite voix de chiot perdu de son meilleur ami lui était très difficile. Elle n'avait qu'une envie: sauter dans un jean - elle doutait que Fred accepte qu'elle parcoure Londres en petite culotte - pour le rejoindre. «Tu veux que je viennes ? Je crois que je commence à souler ma colocataire temporaire ... » Chandler connaissait l'urgence de sa situation: elle ne pouvait pas rester indéfiniment chez son amie, mais les colocations qu'elle avait visité l'avait effrayée et ceux, même avec son caractère tête brûlé qui faisait d'elle une légende. «On s'est pas retrouvé seuls tous les deux depuis mon retour à Londres ... On pourrait aller se faire une bouffe ou un pub ? J'ai promis à Letty de me lancer dans le French Food Porn. » Letty, inconditionnelle amoureuse de l'Angleterre ...